Allocution du ministre des Affaires étrangères, G. Katrougalos et lecture de l’allocution du Premier ministre, A. Tsipras, à la manifestation de deux jours du ministère des Affaires étrangères sur le thème « Diplomatie Religieuse et Ecclésiastique au 21e siècle– Principes de Politique et Propositions de Stratégie pour l’exercice de la diplomatie religieuse et ecclésiastique » (MFA, 28 février 2019)
G. KATROUGALOS :
Votre Sainteté,
Mesdames et Messieurs,
Bonjour à tous,
Avant de prononcer ma brève allocution, je voudrais lire l’allocution du Premier ministre qui a bien voulu être avec nous aujourd’hui mais en raison d’un autre engagement, cela lui a été impossible. Par conséquent, l’allocution du Premier ministre est comme suit :
« Votre Sainteté,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais saluer cette initiative importante du ministère des Affaires étrangères et notamment du Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, M. Bolaris, d’organiser la manifestation d’aujourd’hui.
Ces dernières années, le ministère des Affaires étrangères a revalorisé ses initiatives dans le domaine de la diplomatie religieuse, en reconnaissant son importance, tant pour la politique étrangère grecque que pour le modèle social et les valeurs universelles que nous devons développer et mettre en avant au 21e siècle.
De concert avec les représentants des religions et des dogmes présents en Grèce, avec les représentants des Patriarcats ainsi que des spécialistes issus des ministères compétents en la matière et du milieu universitaire, on entame un dialogue crucial pour la société grecque, qui sera davantage élargi.
Il est de notre devoir, à travers notre diplomatie, de soutenir les initiatives précieuses et le rayonnement de nos patriarcats et associer tout cela aux efforts visant au soutien de la diaspora grecque pour l’exercice d’une diplomatie culturelle et éducative efficace et à long terme en vue de régler les différends diplomatiques internationaux inscrits dans un contexte historique bien lointain et de relever les défis mondiaux, tels que l’augmentation des flux migratoires et des réfugiés ou la dégradation de l’environnement.
Il est de notre devoir de promouvoir le dialogue entre les différents dogmes dans notre pays et d’approfondir les droits de l’homme et les libertés religieuses. Au même titre, il est de notre devoir de soutenir le dialogue inter-orthodoxe, interchrétien et interreligieux, à une époque où la mise en avant des valeurs fondamentales, universelles est plus indispensable que jamais.
Notamment en Europe, en Afrique du nord et au Moyen-Orient où sont mis à l’épreuve et en danger les modèles de tolérance religieuse, de pluralisme et de coexistence pacifique sur lesquels ont été, en partie au moins, axées de nombreuses sociétés depuis des décennies.
Par conséquent, dans le cadre complexe et volatile actuel de la mondialisation, les religions et leurs organismes officiels, jouent un rôle crucial dans le façonnement de l’identité d’un grand nombre de citoyens ainsi que dans les relations et les évolutions internationales.
Malheureusement, certaines fois ils reproduisent ou renforcent la peur, l’introversion et le retranchement et la haine ou ils investissent dans des conflits nationaux ou ethniques et des différends historiques.
Néanmoins, il a été prouvé qu’à travers la mise en avant de valeurs humanitaires communes, les religions ont la possibilité d’encourager le dialogue international et le respect mutuel entre les Etats, les groupes politiques et sociaux et les organismes régionaux, en faveur des droits de l’homme, de la justice sociale et de la coexistence pacifique.
Leurs efforts doivent être axés sur l’entente et la coopération interreligieuses alors que leur mission doit être la suppression du fondamentalisme religieux, de l’antisémitisme, de l’islamophobie et de toute autre altération du message humanitaire des religions.
Par ailleurs, les confessions religieuses n’existent pas seulement en tant que communautés de culte. Des chefs spirituels mondiaux jusqu’aux membres des organisations laïques, les communautés religieuses aident et pourraient aider davantage à la promotion des efforts diplomatiques visant au règlement des différents conflits ou des différends ayant trait à l’histoire et à l’identité nationales.
Notre pays peut et doit apporter son assistance à ce processus, vu les valeurs universelles qu’il a traditionnellement représenté et doit représenter.
Comme il a par ailleurs été prouvé lors de la crise des réfugiés aussi pendant la période 2015 – 2016 ou à travers les initiatives prises constamment en vue d’approfondir les droits de l’homme et les libertés religieuses en Grèce.
La Grèce doit également assumer ce rôle, étant donné qu’elle devient progressivement le plus important pilier de paix, de stabilité et de co-développement de la région mais aussi en raison du soutien dont elle jouit au niveau mondial, grâce à sa diaspora puissante et dynamique, aux institutions religieuses orthodoxes grecques ainsi que grâce à son rôle dans la navigation maritime et la civilisation mondiales.
Sur ces réflexions je voudrais conclure et vous souhaiter tout le succès dans vos travaux ».
Allocution du ministre des Affaires étrangères, G. Katrougalos
Le terme diplomatie religieuse est relativement récent. A l’époque classique de la diplomatie européenne au 19e siècle, diplomatie et religion étaient considérées comme étant deux notions différentes et étrangères l’une l’autre.
La première notion, la religion, était axée sur des dogmes absolus et sur la foi. La diplomatie par contre était considérée comme étant flexible et axée sur la relativité des intérêts, la flexibilité des arguments.
Par ailleurs, au 19e siècle, époque classique du discours scientifique politiquement correct, l’opinion répandue était que la religion serait peu à peu marginalisée, qu’elle cesserait d’être le facteur principal pour la détermination non seulement du comportement des Etats mais aussi des individus.
Ces prévisions n’ont pas été confirmées. D’après les données récentes des Nations Unies, plus de 80% des citoyens au niveau mondial déclarent être adeptes d’une religion. Apparemment il existe différents degrés de foi et, sur notre continent, on assiste aussi à une régression de la foi religieuse dans des pays occidentaux, de l’Europe de l’Est, ce qui ne peut être toutefois considéré comme un phénomène à caractère universel.
C’était toutefois l’effondrement du monde bipolaire, la fin du conflit entre le monde occidental et l’ancien camp socialiste qui a rétabli la nécessité d’exercer une diplomatie religieuse plus intense.
Pourquoi ? Dans le cadre aussi du conflit entre l’Ouest, l’Union soviétique et l’autre camp socialiste, était engagé un débat sur la religion mais c’était plutôt dans le cadre de la critique exercée par le monde occidental contre la violation des droits individuels, parmi lesquels figure aussi le droit de la liberté religieuse. La religion donc faisait partie de ce discours.
Au contraire, dans le cadre du monde multipolaire qui a émergé après la chute du camp socialiste, l’élément religieux a tout d’abord été mis en avant comme détermination principale de l’identité, individuelle et collective.
Comme vous le savez, Huntington analyse le système émergent des relations internationales, non pas sur la base d’un simple conflit d’intérêts nationaux ou étatiques, mais dans le cadre d’un conflit de différents modèles culturels.
Personnellement, je ne suis pas ce modèle. Il ne fait aucun doute que la valorisation de l’élément religieux est déterminante pour la critique faite par de nombreuses parties contre la conception occidentale sur la façon dont doivent être organisées les relations diplomatiques internationales et mondiales.
S’agissant du modèle que certains appellent « post-occidental », de la nouvelle mondialisation, les éléments de l’identité constituent la principale caractéristique pour l’élaboration de la politique de nombreux Etats.
Et bien entendu, ces éléments déterminent le caractère changeant des conflits. Des conflits souvent asymétriques, qui ne mettent pas en jeu des Etats, mais des groupes radicalisés, souvent, des groupes terroristes qui diffusent leur idéologie de façon agressive, en contestant ce type d’hégémonie occidentale.
L’exemple des tours jumelles était emblématique et a marqué au début de ce millénaire cette tendance à laquelle je me réfère. Et bien naturellement des pays qui ont une religion d’Etat ou qui essaient de bâtir l’identité de l’Etat.
Autour de convictions religieuses, ils mettent plus intensément en avant les caractéristiques religieuses dans l’exercice de leur diplomatie. Nous l’observons dans des pays qui ont l’Islam comme religion d’Etat, nous l’observons dernièrement aussi en Russie, où la foi religieuse organise un système complet de valeurs idéologiques, tant au niveau interne du pays, qu’au niveau international.
Chaque année, la Russie soumet à l’Assemblée générale des Nations Unies une résolution pour la protection des valeurs traditionnelles, et par valeurs traditionnelles sont mises en avant celles qui sont liées avec la vision russe de l’Orthodoxie.
Et la politique étrangère même de la Russie a inventé des concepts, comme celui de « l’étranger proche », « near abroad » en anglais, qui tiennent compte du caractère religieux en association avec d’autres caractéristiques bien entendu. Comme proche étranger, ils définissent, sur le plan de la diplomatie russe les trois pays qui étaient d’anciens Etats de l’Union soviétique, à savoir l’Ukraine, la Moldavie et la Biélorussie et c’est pourquoi nous voyons les récentes évolutions religieuses en Ukraine revêtir un intérêt politique particulier pour ce pays.
Les questions d’identité sont importantes également pour les conflits, les conflits asymétriques en Europe et en Amérique. Et que voyons-nous là-bas, des membres de communautés religieuses, souvent des communautés d’Islam, notamment des citoyens des pays occidentaux, des citoyens de deuxième génération, manifester des phénomènes de radicalisme et d’extrémisme.
Cela résulte, à mon avis, d’une attitude différente que celle que je vous ai décrite tout à l’heure, attitude liée à la formation de caractéristiques nationales et étatiques, par le biais de l’identité qui détermine l’élément religieux dans les pays.
Cette intensité des caractéristiques extrémistes dans notre continent, est à mon sens exclusivement due au retrait des méthodes sociales d’intégration et de paix sociale qui est encore liée à l’affaiblissement de l’Etat social.
C’est ainsi que s’explique le fait que, tandis que les pères et mères de ces enfants qui commettent ces actes extrémistes, étaient intégrés dans les sociétés locales, leurs enfants, qui auraient dus être mieux intégrés que la génération précédente, adoptent ces attitudes, car ils appartiennent à une catégorie de la population tendant à être marginalisée, ils n’ont pas accès au marché du travail ou se sentent dévalorisés et bannis des couches sociales intermédiaires.
En Grèce, l’importance historique que revêtait l’Orthodoxie pour la détermination de l’identité nationale et la participation de l’Eglise aux combats de la nation, était bien connue. Et jamais en Grèce nous n’avons eu ce conflit culturel, ledit Kulturkampf qui s’était développé au XIXe siècle en Europe, en raison des caractéristiques bien distinctes de l’Eglise orthodoxe.
L’Etat grec tient compte de ces caractéristiques, à savoir l’association entre le caractère œcuménique de l’Orthodoxie grecque, la présence des Patriarcats en tant que phares historiques culturels dans notre région du Proche et du Moyen-Orient. Et nous essayons de développer des outils de dialogue, de dialogue interreligieux en tenant compte de cette importante présence culturelle et religieuse, en tant que parties de la diplomatie douce que nous voulons mettre en avant.
Un exemple caractéristique de ces efforts de diplomatie multilatérale est l’initiative engagée par le précédent ministre, Nikos Kotzias, portant sur l’organisation d’une Conférence sur le dialogue interreligieux, avec notamment la protection des minorités au Moyen-Orient, des minorités qui, comme vous le savez, sont principalement chrétiennes.
Nous avons l’intention d’aller dans ce même sens, en essayant d’être, comme l’a affirmé le Premier ministre dans son message, non pas simplement un pays – pilier de stabilité, mais un exportateur de stabilité. Un pays modèle dans notre région élargie, dans ce triangle d’instabilité, dont les sommets sont l’Ukraine, la Libye et la Syrie.
Dans le cadre de cet effort qui est le nôtre, j’estime que la conférence qui débute aujourd’hui jouera un rôle particulièrement important. J’aimerais transmettre mes félicitations au Secrétaire d’Etat, M. Bolaris, pour cette organisation réussie et former tous mes vœux de succès pour les travaux.
Je vous remercie.
February 28, 2019