Le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Evangelos Vénizélos a prononcé une allocution d’ouverture intitulée « La Démocratie sous pression » lors de l’Athens Forum 2014 qui s’est tenu aujourd’hui, lundi 15 septembre, au musée de l’Acropole :
« Je remercie les organisateurs de cette manifestation pour leur invitation et notamment l’idée d’organiser cette conférence consacrée à la question fondamentale de la Démocratie qui est le dénominateur commun de presque toutes les crises internationales que nous vivons actuellement. Je les félicite pour leur initiative d’organiser cette rencontre ici, à Athènes, qui est le berceau de la démocratie athénienne. Je suis d’autant plus heureux de vous accueillir dans ce nouveau musée de l’Acropole baigné de lumière, sous le rocher sacré, tout près de la colline de la Pnyx et en face du théâtre de Dionysos.
Toutefois, la démocratie contemporaine n’est pas la Démocratie directe de l’Ecclésia, ou Assemblée, du Démos de la cité antique d’Athènes, mais plutôt la démocratie constitutionnelle représentative qui a été façonnée en tant que concept et structure institutionnelle au cours des deux derniers siècles, inspirée notamment des deux grandes révolutions du 18e siècle : les révolutions américaine et française.
Par conséquent, lorsque nous parlons aujourd’hui de Démocratie, nous ne nous référons pas seulement à un cadre institutionnel de base qui inclut les élections libres et régulières pour élire les organes politiques de l’Etat, le libre fonctionnement des partis politiques et un large éventail de droits et de garanties qui composent l’Etat de droit. La Démocratie contemporaine est, par conséquent, la Démocratie libérale qui s’est développée historiquement pour devenir ce qu’elle est dans l’espace de l’Europe et de l’Amérique du nord.
Mais cette Démocratie, qui a un contenu institutionnel et idéologique plus ou moins évident, s’est vue progressivement dotée – notamment après la seconde guerre mondiale et la création de l’ONU – de caractéristiques universelles, en ce sens qu’elle a été corrélée à la protection des droits fondamentaux, à commencer par le droit à la vie. La Démocratie et les droits de l’homme sont par conséquent indivisibles, comme les deux faces d’une même pièce. La reconnaissance internationale de cette conception a largement été renforcée après la chute dudit socialisme réel, très récemment, au début des années ’90.
Or cette description idéalisée est très loin de la réalité mondiale, dans laquelle la Démocratie est sous pression et remise en cause tant dans le monde occidental – en tant que berceau historique de la Démocratie moderne – que dans d’autres régions du monde. Des régions qui acceptent la notion et la valeur de la Démocratie, mais qui, pour des raisons historiques, ont une relation culturelle plus limitée avec la Démocratie contemporaine libérale du type occidental, la Démocratie que nous considérons comme étant évidente, par ex. dans l’espace européen.
Dans l’espace occidental, la Démocratie représentative libérale subit la forte pression de la crise économique, la crise du modèle de la compétitivité européenne, le chômage, la réduction des opportunités, la mise en cause de la cohésion sociale et du modèle social européen.
Très souvent, la pression économique et sociale se transforme en crise de participation et de représentation politique. En crise de légalisation des partis politiques et des gouvernements. Cette crise se produit en même temps que la crise de souveraineté de l’Etat national qui devient otage des marchés, sans que des actions ne soient entreprises au niveau de son fonctionnement dans le sens de l’intégration européenne.
Le déficit démocratique et politique de l’Union européenne s’accompagne d’un déficit au niveau des Etats membres. La montée de l’extrême droite, du racisme, de la xénophobie et l’apparition de différentes formes de violence politique et sociale sont sans doute l’aspect le plus visible de la pression que subit la Démocratie occidentale sur son territoire.
Le grand dilemme institutionnel et éthique qui se pose est la capacité des ennemis de la Démocratie à valoriser les droits démocratiques, les institutions démocratiques, les processus démocratiques. L’Europe ne doit jamais oublier la façon dont le nazisme et le fascisme européen de la période de l’entre-deux guerres ont perpétré un abus organisé des processus démocratiques et parlementaires pour s’emparer du pouvoir et abolir la démocratie.
Le plus crucial néanmoins est d’apporter des réponses démocratiques / politiques aux causes de la pression sociale économique que subit la démocratie occidentale. Cela concerne la nécessité de mettre en œuvre des politiques garantissant l’emploi, la dignité, la prospérité de tous les citoyens. La nécessité de mettre en œuvre des politiques visant à réduire les inégalités, à réparer les injustices, à garantir la cohésion sociale.
La façon dont l’Union européenne affronte la crise budgétaire et financière dans de nombreux Etats membres au cours de ces sept dernières années – bien que coûteuse – n’apporte pas de réponse aux besoins existentiels susmentionnés. Et ce, parce qu’il existe des stéréotypes qui prennent en compte des modèles budgétaires et macro-économiques, et non les résistances des sociétés et les comportements politiques qui souvent tendent à contester les valeurs démocratiques. La montée de l’euroscepticisme et de l’extrême droite nécessite des approches plus globales et complexes de la part des gouvernements des pays qui ont, de facto, une responsabilité accrue dans le parcours de l’Europe. Une plus grande mémoire historique est nécessaire et une plus grande intelligence historique au nom des valeurs de l’Europe avec en tête la démocratie et l’Etat de droit.
D'autre part, notamment dans le voisinage sud mais aussi méridional de l'Union européenne - au sein du Conseil de l'Europe et de l'OSCE - nous voyons émerger en fait un dilemme majeur lié au caractère œcuménique de la Démocratie libérale.
Le Printemps arabe et son évolution actuelle en Syrie, en Irak, en Libye avec l'émergence de l'EI, la transformation des organisations terroristes, l'érosion des Etats et la contestation des frontières existantes, met en avant une série de priorités sans précédent : un régime démocratique présuppose l'existence d'un Etat bien organisé offrant des garanties élémentaires en matière de sécurité intérieure et extérieure. En outre, la Démocratie et la sécurité présupposent à leur tour une prise en considération très attentive de tous les paramètres des identités religieuses et ethniques.
Le caractère œcuménique de la Démocratie et la demande urgente de sécurité ne peuvent négliger la diversité et la complexité de ces paramètres. Autrement, le mélange devient explosif et le cercle vicieux ne peut pas être brisé.
Par conséquent, le statut d'Etat est une composante importante de la Démocratie et de l'Etat de droit. L'émergence des « entités sub-étatiques » qui contrôlent les régions, qui sont liées au terrorisme et au crime organisé, etc., mettent en cause non seulement la souveraineté de l'Etat, mais aussi la mise en place des solutions démocratiques.
La question de la sécurité par ailleurs concerne dans une large mesure le monde occidental lui-même, pour ce qui est notamment de la notion de la sécurité intérieure et de la lutte contre le terrorisme et les autres formes du crime organisé.
Par ailleurs, les questions de l'équilibre mondial et de la stabilité ont été très sérieusement prises en considération dans d'autres régions du monde, telles que l'Asie du sud-est afin de faciliter le processus de modernisation et de transition dans des pays plus larges, tels que la Chine laquelle joue un rôle déterminant dans l'économie mondiale et participe en tant que membre permanent au Conseil de sécurité de l'ONU.
La période actuelle est donc marquée par une occurrence inhabituelle de crises. Lorsque l'on est confronté à un nombre aussi élevé de crises qui soulèvent la question de la sécurité, il ne suffit pas de réagir de manière fragmentée. On doit voir l'image globale. Il faut avoir une stratégique unique qui prendra en considération toutes les questions en suspens et mettra en avant les priorités par rapport aux dangers, c'est-à-dire, par rapport aux adversaires et aux alliés potentiels qui ne sont pas obligatoirement des amis et qui ne partagent pas les mêmes idées.
Cette approche stratégique nous permet de mettre les chances à notre côté afin de réaliser les objectifs liés à la sécurité et à la Démocratie ».
September 15, 2014