Article du ministre des Affaires étrangères, Nikos Dendias, au journal « TA NEA » intitulé « Les efforts de la Turquie pour créer une nouvelle Yalta » (05.12.2020)

Un élément fondamental de la nouvelle Turquie créée en 1923 était l’attachement à l’Ouest, l’effort de s’associer au récit européen. La Turquie du 21e siècle change rapidement et radicalement. Le nationalisme resurgit. Et ce nationalisme s’accompagne d’un fort révisionnisme, d’un islamisme fervent, néo-ottoman, et d’une divergence claire des valeurs occidentales, comme la démocratie, les droits de l’homme et le respect de l’état de droit.

La Turquie effectue des opérations militaires sur des territoires étrangers, occupe des parties de pays voisins, menace de guerre, conteste la souveraineté et les droits souverains de pays européens, transporte des djihadistes, s’ingère dans les affaires intérieures d’autres pays en soutenant des mouvements extrémistes, instrumentalise la question migratoire, viole les droits de l’homme à l’intérieur du pays. Elle s’efforce de créer une sphère d’influence dans la région élargie – de créer une nouvelle Yalta turque.

La Turquie est devenue, non seulement un voisin difficile et un partenaire récalcitrant de l’Europe, mais aussi une menace claire pour la stabilité de l’Europe, de la région élargie de la Méditerranée orientale et en général du monde arabe et du Caucase. Elle sape ouvertement la cohésion des organisations occidentales, dont elle est toujours membre, comme l’OTAN.

Le grand défi auquel nous sommes aujourd’hui confrontés est, contrairement aux points de vue exprimés de temps à autre, que cette menace ne va pas disparaître comme par magie si et lorsque des changements surviendront dans le système politique turc. Au contraire, cette menace, si elle n’est pas confrontée avec fermeté, continuera de grandir.

L’Europe se trouve face au révisionnisme turc et est appelée à prendre des décisions importantes. Le Conseil européen d’octobre dernier a laissé une fenêtre d’opportunité ouverte pour la Turquie afin que celle-ci se conforme au droit international et cesse son attitude illégale répétée. La Turquie a fait tout le contraire. A travers des gestes de soi-disant bonne volonté, elle essaie maintenant de berner l’Europe. Mais cette dernière n'est pas dupe. Le Conseil européen, dans quelques jours, sera appelé à prendre des décisions importantes sur la Turquie. Il va sans dire qu’il n’y a plus de marge pour un agenda positif. Au contraire, il faudra prendre des décisions qui montreront à la Turquie qu’elle ne peut continuer à avoir ce comportement sans en tirer les conséquences. On ne peut permettre à la Turquie d’employer au 21e siècle des pratiques du 19e siècle. Ces décisions ne seront pas un message de la Grèce, mais un message de l’Europe.

Et ces décisions seront dans l’intérêt de la Turquie sur le long terme, car elles lui permettront de discerner, à travers les nébuleuses de la splendeur néo-ottomane, ses vraies limites. Si l’éloignement de la Turquie de la voie des valeurs européennes n’est pas clairement condamné, ces éléments au sein de la société turque qui souhaitent la modernisation et le rapprochement de l’Europe seront affaiblis dans le débat politique intérieur.

L’attitude de la Grèce ne procède pas d’un désir de voir la Turquie punie, mais de la nécessité de défendre la souveraineté et les droits souverains, comme l’a clairement fait valoir le gouvernement Mitsotakis. Nous souhaitons des relations de bon voisinage constantes et durables, basées sur le plein respect du droit international et peut-être, si la Turquie le souhaite, une perspective européenne. Nous sommes toujours ouverts à un dialogue constructif sur ces bases. La Turquie doit prouver dans la pratique qu’elle souscrit à l’idée de ce dialogue. Or, ce choix de la Turquie doit avoir une continuité et non pas être occasionnel.

December 5, 2020