Article du ministre des Affaires étrangères, Nikos Dendias, dans le dossier spécial du journal « Dimokratia » sur l'anniversaire de la catastrophe d’Asie Mineure (31.08.2022)

« L'unité nationale est le meilleur hommage que l’on puisse rendre aux victimes de la catastrophe d'Asie Mineure »

La catastrophe d'Asie mineure reste aujourd'hui, 100 ans après, un événement traumatisant pour notre mémoire collective et notre histoire contemporaine, mais aussi une occasion de tirer des conclusions au niveau de la conscience nationale.

Le déracinement de centaines de milliers de Grecs de leurs foyers ancestraux, depuis des millénaires, dans les terres ioniennes et éoliennes, associé à la persécution des Grecs du Pont et au rétrécissement de l'hellénisme de Constantinople, constitue une «  plaie » qui n'a pas été cicatrisée dans notre conscience nationale et ne va pas l’être dans un avenir prévisible.

Les patries inoubliables, les persécutions, les centaines de victimes, la douleur humaine, l'expérience des réfugiés, les familles qui ont été séparées et perdues, mais aussi l'intégration dans une société grecque stagnante, sont des expériences qui sont encore « vivantes » aujourd'hui.   Des expériences qui sont des éléments constitutifs de l'identité actuelle du pays. Depuis 1922, rien n'est plus pareil pour l'hellénisme.

En même temps, cependant, ce même événement traumatique est devenu le point de départ de l'enrichissement de la société grecque par les éléments culturels riches et particuliers que les survivants de la catastrophe d'Asie Mineure ont apportés avec eux de l'autre côté de la mer Égée. Des éléments qu'ils ont transmis aux générations suivantes et qui constituent aujourd'hui des éléments de la culture grecque moderne. Smyrne, Éphèse, Philadelphie, Anchialos, Nikaia, Adana, Vourla, Phocaea et tant d'autres noms de lieux ne sont pas seulement des souvenirs ou des noms de régions et de rues d'aujourd'hui. Ils sont le contexte géographique des expériences qui relie le passé au présent.

Les populations de réfugiés qui se sont installées  dans de nombreuses régions du pays ont été l'occasion, dans bien des cas, d'une véritable régénération de celles-ci.  A travers de nombreuses difficultés, il est vrai, leur intégration dans la société de la Grèce métropolitaine a finalement été un exploit pour un pays qui tentait de se remettre d'années de guerre. Leur dynamisme et leur ingéniosité leur ont permis, en quelques décennies, de se distinguer dans tous les domaines.   

La poésie du diplomate Georges Seferis, la littérature d'Elias Venezis et de Dido Sotiriou, l'esprit d'entreprise d'Aristote Onassis, la vision de metteur en scène de Karolos Koun, les compositions de Manolis Kalomiris, ne sont que quelques exemples de la contribution du peuple d'Asie mineure à la vie culturelle du pays. Ainsi que leur esthétique particulière et la soif de création et de progrès, dont nos compatriotes originaires d'Asie Mineure ont imprégné la société grecque. Leur contribution aux luttes nationales qui ont suivi a également été extrêmement importante.

Mais la catastrophe d'Asie Mineure est aussi un élément déclencheur qui nous pousse à réfléchir sur les conséquences de la division  nationale qui l'a précédée et dont elle est essentiellement, d'une manière ou d'une autre, le résultat. Dans un débat qui, même un siècle plus tard, reste politiquement et idéologiquement chargé sur les causes, je ne souhaite pas prendre position sur «  qui en est le responsable »  et je ne revendique pas les lauriers d’historien.

Mais je voudrais souligner, par la même occasion, que la catastrophe d'Asie Mineure reste la preuve la plus évidente que chaque fois que l'hellénisme était divisé sur une question de politique étrangère, les résultats étaient désastreux.

Cette conclusion ne peut que servir de guide à la nécessité de préserver l'unité nationale comme la prunelle des yeux, du moins en ce qui concerne les principaux choix relatifs aux relations internationales du pays. Il va sans dire que les différences individuelles sont légitimes, tout comme le droit de critiquer est incontestable.

Cependant, dans une période critique comme celle que nous traversons actuellement, il serait peu judicieux de permettre à une nouvelle division d'entraîner les résultats désastreux du passé. Chacun doit garder à l'esprit, à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, que les deux événements les plus traumatisants pour l'hellénisme au cours des 100 dernières années, à savoir la catastrophe d'Asie Mineure et l'occupation turque de Chypre (en dépit de leurs importantes différences individuelles), ne se sont produits qu'après que la Grèce eut été divisée par principe sur ces deux questions. Aujourd'hui, le gouvernement Mitsotakis a réussi, heureusement, à faire en sorte que la politique étrangère en général ne soit pas un champ de confrontation  féroce entre partis. Avec la contribution des partis de l'opposition, je souhaite et j'espère qu'à un moment critique comme celui que nous vivons, cela continuera et que la période quasi-électorale ne fera pas passer au second plan la nécessité de préserver l'unité nationale. J'ose dire que 100 ans après, la meilleure façon de rendre hommage à la mémoire des victimes de la catastrophe d'Asie Mineure, et de ceux qui sont venus de l'autre côté de la mer Égée et ont contribué à la reconstruction du pays, est précisément de préserver l'unité nationale à laquelle j'ai fait référence précédemment.

Une deuxième conclusion tirée de la catastrophe d'Asie Mineure est que la Grèce ne peut pas agir tout en étant isolée des développements mondiaux. Elle doit comprendre les messages de l'époque et, en s'appuyant sur ses alliances, chercher à en tirer le meilleur parti lorsque les conditions le permettent. Ce n'est qu'ainsi qu'elle pourra avoir son mot à dire et jouer un rôle dans l'évolution de sa région.

Enfin, la transformation de l'anniversaire de la catastrophe d'Asie mineure en une célébration de la haine et des cris de guerre de l'autre côté de la mer Égée ne cause que de la tristesse.  La Grèce, avec tous ses échecs occasionnels, a réussi à faire du désastre de l'Asie Mineure un facteur de création nationale. Et elle est parvenue progressivement, au fil des ans, à devenir membre d'un groupe d'États européens forts, l'actuelle Union européenne. La Grèce s'est développée en une société de valeurs et de principes, dans le plein respect de la loi, y compris bien sûr du droit international.

Mais la Turquie d'aujourd'hui, comme il s'avère malheureusement, n'a rien appris de la destruction de l'Empire ottoman, dont elle est totalement insensiblement nostalgique. Et elle s'en sert comme d'un prétexte pour raviver un esprit nationaliste, ce qui est un défi évident, mais aussi la preuve qu'elle a les yeux fixés sur le passé ottoman et non sur un avenir européen, qui, heureusement, est encore envisagé par une partie importante de sa société.

August 31, 2022