Il y a quelques jours, j'ai visité Kiev. C'est ma troisième visite en Ukraine depuis l'invasion russe. J'avais déjà visité deux fois Odessa, le berceau de la révolution grecque. A Kiev, à côté de la gare, nous nous sommes retrouvés devant des bâtiments détruits qui avaient été frappés la veille par des drones iraniens. Ce n'est pas une image à laquelle on se serait attendu dans une capitale européenne en 2022. La réunion au ministère des Affaires étrangères n'a pas non plus été épargnée par les circonstances particulières du pays. L'alarme a été déclenchée et nous sommes descendus dans le bunker, où nous avons continué les discussions.
Pour la première fois dans l'histoire de la Grèce, un protocole d'accord a été signé dans un bunker pendant un bombardement aérien.
Nous avons vécu des moments sans précédent peu après, lorsque, marchant dans la rue avec mon homologue ukrainien, nous avons été en contact avec une société qui tentait de maintenir des éléments de vie normale au milieu de la guerre. La visite contenait une série de messages destinés à plusieurs destinataires.
Premièrement, j'ai représenté l'Union européenne à un moment où d'autres responsables européens annulaient leurs visites, apportant un soutien concret à la société ukrainienne qui tente de survivre. Montrant, sur le terrain, que nous ne cédons pas aux intimidations. Enfin, en promouvant les valeurs que nous défendons en tant que sociétés européennes : le respect du droit international, de la liberté des peuples à décider eux-mêmes du présent et de l'avenir de leurs pays. Notre position absolue et inébranlable dans la défense de l'intégrité des frontières nationales, telle qu'établie par les accords - traités internationaux. Tout en ayant eu un aperçu de première main de ce qui se passe, et non pas en tant qu'observateurs depuis un porte de télévision. Lorsqu’on a une propre opinion, on peut s'adresser au Conseil différemment.
Deuxièmement. Il existe une importante communauté grecque en Ukraine, qui souffre. Il est très important de déclarer la présence de la République hellénique sur le territoire. D’exprimer notre préoccupation concrète pour cette communauté, notre préoccupation pour son présent et son avenir. J'ai rencontré le recteur de l'université de Marioupol, professeur d'études grecques. Dans des circonstances complètement différentes de la réunion que nous avons eue il y a tout juste dix mois à Marioupol. Une ville qui n'existe plus. J'ai exprimé la volonté de la Grèce de soutenir la promotion de la culture grecque et l'apprentissage de la langue grecque, afin de préserver ce berceau unique. Je tiens à souligner ici que le président Zelensky m'a remercié pour le soutien actif de la Grèce à la candidature pour l’inscription du centre historique d'Odessa sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO. L'élément grec est présent en Ukraine depuis des siècles. Il a subi des persécutions et des guerres. Mais il n'a pas été anéanti. Et il est de notre devoir de le protéger autant que possible.
Troisièmement. Kiev bombardée est, pour ainsi dire, le lieu idéal pour expliquer à la communauté mondiale ce à quoi nous, Grecs, sommes confrontés. Lors de mes contacts avec mon homologue et le président Zelensky, j'ai été encore plus conscient de l'élément des défis communs. Les deux pays ont de grands et agressifs voisins à l'est. Des voisins qui prétendent que nos territoires ont été détachés à tort des empires du passé, l’empire russe et ottoman. Pour les voisins orientaux de la Grèce et de l'Ukraine, les frontières n'existent pas. Elles sont artificielles. Elles sont directement contestées. La Grèce et l'Ukraine occupent soi-disant des « territoires étrangers ». La Crimée, Donbass, les îles de la mer Égée. Au mieux, nos pays devraient exercer une souveraineté réduite sur les territoires par le biais de la démilitarisation. Nos pays, selon le récit révisionniste, violent les droits des minorités « nationales ».
Aux menaces d'invasion, qui dans le cas de l'Ukraine ont cessé d'être des menaces, succède la pratique de la guerre hybride. Par tous les moyens, comme l'instrumentalisation de la question migratoire, la perturbation des flux énergétiques. La guerre de propagande et les attaques personnelles contre les dirigeants de nos pays font partie de la guerre hybride.
La partie turque a pleinement adopté les méthodes russes. Elle le souligne clairement : « Faites attention si vous ne voulez pas devenir l'Ukraine ». Face au défi sans précédent auquel nous sommes confrontés, nous réagissons. En internationalisant l'agression turque auprès des alliés et des partenaires. En construisant nos alliances. Avec nos partenaires européens, les États-Unis, les pays de notre grand voisinage, ainsi qu'avec les puissances émergentes qui adhèrent aux mêmes valeurs, comme l'Inde et le Japon. En respectant toujours les principes fondamentaux du droit international et de l'acquis européen. Mais nos paroles ont un poids différent lorsque nous évoquons les défis auxquels nous sommes confrontés, à Athènes, à Bruxelles, à Washington. Et un autre lorsqu’on les exprime depuis le bunker de Kiev.
Depuis Kiev, nous avons porté un message qu'il est difficile d'ignorer. C'est pourquoi la Turquie était indignée. Le message est simple. Les pratiques contre l'Ukraine, si elles ne sont pas arrêtées, trouveront d'autres imitateurs. Le moment le plus émouvant de ma visite a été lorsque mon homologue ukrainien a répété devant les caméras la devise de la révolution grecque « la liberté ou la mort ». Cette visite a rempli ses objectifs. La partie ukrainienne a exprimé sa gratitude pour notre présence à Kiev. Et ce n'est pas un hasard si mes homologues, comme ceux de Lituanie et d'Allemagne, que j'ai rencontrés récemment, ont fait preuve d'une compréhension et d'un soutien particuliers à l'égard des défis auxquels notre pays est confronté.
La Grèce prouve aujourd'hui, à chaque occasion, qu'elle est un facteur de sécurité et de stabilité dans sa grande région, avec un prestige et une crédibilité internationale renforcés.
October 23, 2022