A l'issue de leur rencontre à Berlin, N. Kotzias, ministre des Affaires étrangères et F. W. Steinmeier, ministre allemand des Affaires étrangères ont tenu une conférence de presse conjointe.
F. W. STEINMEIER : La Grèce et l'Allemagne sont unies par des liens bien solides. La Grèce est sans aucun doute le berceau de notre civilisation occidentale : de sa langue, de sa philosophie et de sa perception du monde.
Tous ces éléments font partie intégrante de l'histoire et de la civilisation de l'Europe. Nous ne discuterons pas seulement de questions fondamentales. Tous les développements actuels feront l'objet de nos discussions qui seront bientôt engagées. Et, bien évidemment, nous discuterons de toutes les questions majeures relevant de la politique étrangère qui ont été débattues le weekend précédent lors de la Conférence sur la sécurité qui s'est tenue à Munich. Parmi ces questions, figurent la situation en Ukraine ou les relations avec la Russie, la crise au Moyen-Orient, en Syrie, en Irak ainsi que le processus de paix au Moyen-Orient, à savoir toutes les questions qui sont au centre de nos préoccupations. Les réfugiés sont également une question qui suscite une grande inquiétude. Bien évidemment, la Grèce se trouve en raison de sa position géographique, dans une situation particulière pour ce qui est de ces affrontements inquiétants puisqu’elle est à proximité immédiate avec ladite région.
Nous discuterons également des possibilités de parvenir à une solution. Mais, Nikos, nous discuterons également des questions actuelles et des pourparlers entre le gouvernement grec et la Commission européenne. Le changement de cap qui a eu lieu avec le nouveau gouvernement d'Alexis Tsipras en matière de questions économiques et sociales qui suscitent des débats. Il n'y a rien de nouveau à cet égard, nous l'entendons comme vous l'entendez aussi dans les bulletins d'information du soir. Certaines déclarations ont suscité des interrogations et nous nous attendons dans les jours à venir à ce que le gouvernement grec soumette ses propositions à l'égard des questions ouvertes, s'il y aura ou non une extension du programme d'aide existant, s'il y aura des idées et des propositions, des propositions précises, si cela est possible, de la part du gouvernement grec.
Ce que j'ai affirmé lors de notre première rencontre il y a dix jours continue d'être valable : La Grèce a voté. Le verdict est bien clair, le nouveau gouvernement a remporté la majorité des voix. Nous le respecterons. Toutefois, nous nous attendons à ce que la Grèce reconnaisse aussi le fait qu'il faut y avoir de la crédibilité et du respect à l'égard de ce qui a été convenu. Ce qui importe aujourd'hui n'est pas d'employer des termes plus drastiques. Ce qui importe est de voir, par le biais de la discussion, quelles sont les idées de l'autre partie en matière de politique économique.
Je vous remercie d'être venus à Berlin.
Je voudrais faire une remarque supplémentaire à l'égard de la situation actuelle en Ukraine. Les jours et les heures à venir seront d'une importance cruciale. […] Lors des discussions et des téléconférences tenues ces derniers jours entre les chefs d'Etat et de gouvernement et entre les ministres des Affaires étrangères de la Russie, de la France, de l'Allemagne et de l'Ukraine et lors des négociations qui ont commencé hier et se poursuivront ce soir et demain à Minsk […] Je ne voudrais pas évaluer ces pourparlers qui ont été, à mon sens, importantes. Il existe toutefois d'autres questions en suspens qui devront être réglées d'ici à la réunion au sommet de Minsk.
Bien évidemment, on attend beaucoup de la partie allemande dans toute l'Europe ainsi qu'au niveau mondial. Tous les participants doivent savoir que demain nous aurons une grande opportunité de faire un premier pas important en vue de parvenir à la désescalade de la crise et à un cessez-le-feu. Mais force est de répéter et de signaler que le pari n'est pas encore gagné. Le fait que cette réunion ait lieu n'est pas une garantie pour son succès. C'est pourquoi j'espère que Moscou et Kiev feront preuve de sérieux devant le risque d'un conflit militaire et saisiront cette opportunité. Si l'on tient compte des messages émis par les agences de presse, la situation continue d'être explosive et le conflit armé se poursuit. Et, de plus, ce n'est pas la première fois qu'un sabotage politique avait comme objectif d'anéantir tout espoir de parvenir à un cessez-le-feu. J'espère donc qu'aucun des participants ne poussera les choses à l'extrême afin de contester le contrôle de la violence. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour parvenir à une solution politique. Actuellement le seul objectif doit être de parvenir à une solution politique, à une désescalade durable et à une trêve. Tel est le seul espoir car la paix est la seule option pour cette région.
Je vous remercie.
N. KOTZIAS : Je vous remercie aussi. Je voudrais tout particulièrement vous remercier pour cette invitation aussi gentille de votre part. Je reviens dans un pays où j'ai fait mes études et où ma fille a vécu pendant quatorze ans. Les journalistes ne l'ont pas encore découvert, ils n'ont découvert que ma femme. Toutefois, je partage leur goût pour les découvertes.
Je me réjouis d'être ici à Berlin et d'avoir l'occasion de discuter avec M. le ministre des nouvelles perspectives politiques du nouveau gouvernement grec. Je pense que nous avons beaucoup de points en commun avec l'Allemagne et il existe d'autres questions que nous devons étudier. Vous savez que le dialogue, les discussions sont l'arme de la démocratie et qu'à travers les pourparlers nous pouvons insuffler un nouvel élan à notre amitié tout en posant des questions et en faisant des remarques qui pourront être faites.
A Athènes, on pense que la politique suivie ces cinq dernières années n'a conduit qu'à des échecs. Il y a une crise sociale, des centaines de milliers de personnes qui ne peuvent pas payer la facture d'électricité, qui sont condamnées à vivre dans le froid, qui se suicident, 1,5 million de chômeurs dont 60% de jeunes. Nous espérons qu'en coopération avec nos amis en Allemagne et à l'UE, nous donnerons de nouveau de l'espoir à notre pays et les Grecs regagneront leur respect de soi. Car, quoi que dise le manuel de la politique économique, sans les hommes il ne peut y avoir de progrès. Et nous voulons donner aux hommes cette impression positive qu'il y a toujours un avenir.
Nous avons besoin des réformes. Le gouvernement grec a confirmé, à travers sa signature, la nécessité de mettre en place des réformes. Toutefois, il a signé d'autres réformes, et non pas des réformes qui sont aux dépens de la majorité du peuple grec, des réformes qui ont été imposées sur cette base, mais des réformes contre l'évasion fiscale, contre l'oligarchie qui a appris à s'enrichir par la richesse nationale. Nous avons besoin donc de grandes réformes qui mettront fin à cette répartition.
Parce qu’en fait même les lois du capitalisme ne sont pas valables en Grèce. Nous sommes le seul pays où, après six années de crise profonde, pas un seul entrepreneur appartenant à l’oligarchie n’a perdu son entreprise ou n’a fait faillite. C’est une première dans l’histoire. Nous espérons donc que nous aurons le soutien de l’Europe dans ce programme de réformes. Car c’est un programme juste du point de vue social qui répond aux espérances et aux exigences du peuple grec. Nous discuterons de l’avenir de l’Europe. Nous sommes une puissance en faveur de l’Europe, respectueuse de l’Europe. L’Europe, si l’on considère le nom, existe car un Dieu grec fou a enlevé cette belle jeune fille. C’est la base de l’Europe : la compréhension, la solidarité, l’amour. C’est ce qui est exprimé à travers la mythologie grecque.
À l’instar du gouvernement allemand, nous sommes profondément préoccupés par la déstabilisation au sein de l’Europe avec la crise en Ukraine, en Syrie, en Irak, la résurgence du terrorisme des djihadistes. Nous espérons qu’avec l’Allemagne nous pourrons contribuer à la stabilisation de toutes ces régions qui, en fait, constituent un arc de l’Europe de l’est au Proche-Orient et en Afrique du Nord.
Nous soutenons donc du fond du cœur l’initiative de l’Allemagne sur la rencontre tripartite et sommes d’avis qu’à Minsk nous devrons discuter de l’application des décisions de Minsk. Il n’y a pas d’autre solution. Pour nous cette solution en faveur de la paix et de la stabilité est la seule solution. Et bien entendu sans qu’il y ait de conflit entre la Russie et l’Europe.
Nous aborderons bien naturellement la question de la dette grecque. En lisant la presse allemande, j’ai le sentiment que je devrais faire clairement comprendre que ce que nous demandons, ce que nous implorons – quel que soit le terme que vous préfériez – c’est la compréhension.
Cette politique qui nous a été imposée, nous ne pouvons la poursuivre car notre société est à genoux, notre base de production a disparu et il ne peut y avoir de croissance économique. Et sans croissance économique, la dette ne peut être remboursée. L’Allemagne le sait très bien et elle a une longue expérience en la matière avec les accords de 1952-53. Ce dont nous voulons discuter aujourd’hui c’est l’application d’une politique différente qui mènera à la croissance et inspirera le peuple grecque à participer à ce processus, à ne pas suivre passivement l’effondrement de son pays.
Bien entendu nous aborderons la question des réparations. Je suis, si vous le voulez, le message du parlement hellénique. Je sais que cette question a attiré la plus grande attention de la presse. Pour nous, l’hiérarchie des questions est différente, mais en dépit de tout cela je le mentionne.
Merci beaucoup pour cette occasion que vous me donnez de revenir dans le pays de ma femme et de ma fille.
QUESTION : Une question pour le ministre grec des Affaires étrangères.
Quelles prétentions soulèverez-vous à Berlin pour ce qui est de la
question des réparations ?
M. Steinmeier, en Grèce on se demande
pourquoi la Grèce est accusée de ne pas payer sa dette alors qu’en fait
c’est l’Allemagne qui n’a pas remboursé le prêt imposé à la Grèce durant
l’occupation allemande.
M. KOTZIAS : Je viens à Berlin avec la
partie du discours du Premier ministre concernant les réparations. Et
sur le site Internet du ministère des Affaires étrangère, figure le
détail de ce qui a été dit devant le Parlement hellénique ainsi que les
déclarations relatives au programme du gouvernement lors de la
discussion sur le vote de confiance accordé au gouvernement.
Il
est particulièrement important de souligner que notre cote de popularité
a atteint des niveaux record, à savoir plus de 72-74%. La raison de
cette popularité – et je ne doute pas que cela continuera – ce ne sont
pas seulement nos points de vue politiques mais le fait que nous voulons
faire renaître l’espoir dans notre pays.
M. STEINMEIER : Les
Européens ont de nombreuses questions concernant les événements et les
crimes atroces commis pendant la seconde guerre mondiale. L’une des
réponses les plus importantes apportées à ces questions, la réponse
donnée par l’Europe était l’unification de l’Europe. Nous, Allemands,
sommes conscients de la responsabilité politique et morale qui nous
incombe concernant les événements tragiques qui se sont produits en
Grèce pendant les années 1941-1944. Je pense qu’en Grèce on se souvient
bien des paroles prononcées par le Président de la République
d’Allemagne qui s’est exprimé de manière appropriée. Mais il ne s’agit
pas seulement de paroles. De la préparation de la visite jusqu’à la
visite elle-même, des idées sont nées. Des idées qui sont d’ores et déjà
appliquées comme l’idée du centre de jeunesse gréco-allemand et du
Fonds gréco-allemand pour l’avenir. En ce qui concerne les questions en
rapport avec le passé, qui nous touchent toujours et qui
vraisemblablement n’ont pas été bien traitées du point de vue
historique, la question ne se pose pas. Toutefois, sur le plan
juridique, à notre avis, rien ne change. Nous demeurons convaincus que
toutes les questions relatives aux réparations et au prêt imposé à la
Grèce pendant l’occupation allemande ont été définitivement traitées du
point de vue juridique.
QUESTION : Soutenez-vous le point de vue
de votre collègue, M. Kamenos, qui ce matin a dit que si l’Allemagne
continuait de refuser de faire preuve de compréhension à l’égard de la
situation difficile dans laquelle se trouve la Grèce, il y avait un plan
B consistant à trouver de nouveaux bailleurs de fonds, d’autres
créanciers et si cela est vrai avez-vous engagé des négociations avec
d’autres pays et quel est celui que vous préférez ?
M. KOTZIAS :
Ma préférence va à l’Europe. Et j’espère que l’Europe le comprend bien.
Je redirais ce que j’ai déjà dit : la question n’est pas de savoir si
nous allons payer ou non nos dettes, comme cela a été dit, mais si nous
allons appliquer une autre politique, plus juste du point de vue social
et favorable à la croissance. M. Kamenos a dit tout haut ce qu’il
pensait. Je suis d’avis que nous devrons négocier et discuter avec l’UE
et l’Allemagne. Bien naturellement, nous écouterons toutes les parties
qui nous montrerons leur solidarité et pour ne pas qu’il y ait de
malentendu, nous écouterons aussi les parties qui sont favorables à une
solution différente, européenne, une solution autre que celle que nous
avions (jusqu’à aujourd’hui). Le plus important pour moi, en tant que
ministre des Affaires étrangères, est que mes collègues et nos
partenaires nous considèrent comme des partenaires égaux en droits. Au
cours de ces cinq dernières années, nous n’avons eu que des échecs. Être
pauvre ne signifie pas être dénué de droits. Les pauvres ont le droit
de voter et de décider en commun.
February 11, 2015