A. DAVUTOGLU : Aujourd’hui, nous avons eu le plaisir d’accueillir ici, à Ankara, mon cher ami et collègue, le ministre des Affaires étrangères et vice-premier ministre du gouvernement de la Grèce, M. Evangelos Vénizélos.
J’aimerais le remercier pour avoir effectué l’une de ses premières visites, aussitôt après la prise de ses fonctions, à Ankara.
Cela atteste clairement des bonnes relations entre les deux pays, des relations qui se sont davantage développées dernièrement dans le cadre aussi des réunions du Conseil de coopération de haut niveau qui ont été tenues récemment.
Nous avons eu une première rencontre privée et par la suite il y a eu une rencontre entre les deux délégations de nos pays. Les deux rencontres ont été positives. Bien évidemment, nos discussions ont été structurées autour de trois axes thématiques : premier axe, les relations bilatérales, deuxième axe les relations avec l’UE et troisième axe, les dernières évolutions dans la région.
Pour ce qui est de nos relations bilatérales, nous avons passé en revue les décisions prises lors du Conseil de coopération de haut niveau. La prochaine réunion de ce conseil se tiendra l’année prochaine à Athènes. J’ai l’intention d’effectuer un déplacement à Athènes au cours de la période novembre-décembre lors duquel nous aurons l’occasion de discuter de ces questions et de décider de la signature d’autres accords.
Nous sommes satisfaits du fait que nos relations commerciales, culturelles et touristiques ont enregistré une hausse, ainsi que nos relations dans le domaine de l’énergie. Il faut retenir l’accord sur les gazoducs TAP-TANAP qui été récemment signés et qui constitue une bonne occasion pour établir une coopération encore plus étroite entre nos deux pays dans le domaine de l’énergie.
Pour ce qui est de nos relations bilatérales, force est de signaler que ces dernières s’améliorent de plus en plus. Les pourparlers exploratoires se poursuivent et il y a également d’autres consultations qui sont menées de temps en temps.
Force est de signaler que nous avons échangé des points de vue sur le règlement de la question chypriote, en vue d’établir la paix, la prospérité et la tranquillité dans la région méditerranéenne.
Bien évidemment, comme je l’ai tout à l’heure affirmé, nous avons discuté des relations de la Turquie avec l’UE. Plus particulièrement, puisque la Grèce assumera dans quelques mois la présidence de l’UE, nous avons saisi aujourd’hui l’opportunité d’aborder cette question. Nous avons discuté des questions économiques et politiques liées à l’UE et, bien évidemment, de la question des visas qui demeure en suspens. Nous avons remercié la Grèce pour son soutien à la Turquie dans le cadre de son adhésion à l’UE et nous espérons que la Grèce continuera d’apporter son soutien. Par ailleurs, la dernière série de questions que nous avons abordée a porté sur le Printemps arabe et les évolutions au Moyen-Orient, à l’égard desquelles nous avons présenté nos points de vue et nos aspirations.
L’une des questions abordées a, bien évidemment, porté sur les dernières évolutions en Egypte. Nous avons tous les deux exprimé nos points de vue, à savoir que le respect de la volonté du peuple et le régime démocratique doivent dominer dans ce pays.
La situation actuelle ne doit pas éternellement perdurer. Nous ne soutenons pas une personne en particulier en Egypte. Nous soutenons la démocratie et nous sommes à l’encontre de la perduration du régime actuel. Nous voulons que la démocratie en Egypte soit dotée d’une moelle épinière et de bases solides. Nous sommes convenus avec M. Vénizélos d’avoir des rencontres régulières. Nous aurons probablement au cours de l’été l’occasion de nous rencontrer car il existe des questions que nous devons aborder en tant que pays voisins.
E. VENIZELOS : Je tiens à remercier mon collègue distingué et ami, M. Davutoglu pour m’avoir invité à Ankara. Son invitation m’a donné l’occasion de me trouver ici aujourd’hui, quelques jours après la prise de mes fonctions en tant que ministre des Affaires étrangères de la République hellénique. Mon choix de venir ici aujourd’hui atteste de l’importance que nous accordons aux bonnes relations qu’entretiennent nos deux pays.
Comme M. Davutoglu l’a très bien dit, le premier objet de nos discussions a porté sur nos relations bilatérales. Les contacts entre les deux gouvernements dans le cadre du Conseil de coopération de haut niveau, portent leurs fruits. Nous avons décidé d’organiser dans les plus brefs délais et, de préférence, au début de la présidence de la Grèce à l’UE, la troisième réunion de haut niveau. Nous avons également décidé de faire avancer tous les processus internes en vue de la ratification et de l’entrée en vigueur des conventions signées lors des deux précédentes réunions du Conseil de Coopération de haut niveau.
Pour ce qui est de notre coopération économique, je pense que de grands progrès ont été réalisés mais il existe toutefois d’immenses possibilités de développement, dans le domaine du tourisme, des infrastructures, des transports, dans le domaine financier et dans tous les domaines de l’économie réelle.
S’agissant du tourisme, il est très important de faciliter les procédures liées à la délivrance de visas afin de permettre la circulation des personnes d’un pays à l’autre, et, ce, bien évidemment, dans le cadre de nos obligations européennes. Il existe, toutefois, d’autres possibilités que nous devons pleinement valoriser.
Les évolutions liées aux gazoducs sont très importantes car les gazoducs TAP et TANAP viennent changer les données géographiques. Ils constituent un pont supplémentaire entre les deux pays. Il s’agit d’un nouveau paramètre non seulement économique, mais aussi géopolitique.
Bien évidemment, nos relations bilatérales ne revêtent pas seulement une dimension économique et politique, deux aspects toutefois très importants, mais aussi une dimension purement politique, à laquelle nous avons consacré la majeure partie de notre discussion car nous devrions engager un débat élargi sur la question chypriote et, bien évidemment, sur le niveau de nos relations politiques. Nous avons décidé de poursuivre les pourparlers exploratoires entre les deux gouvernements.
Le deuxième grand chapitre a porté sur la perspective européenne de la Turquie. La Grèce a fait le choix historique de soutenir la perspective européenne de la Turquie. Pour la Grèce, cela constitue un choix fondamental qui contribuera à cet effort au cours aussi de la présidence hellénique. Pour la Grèce, une Turquie européenne, une Turquie qui agit dans le cadre de la civilisation légale et politique européenne et de l’acquis communautaire, est un voisin qui doit jouer un rôle important, non seulement pour le développement des relations bilatérales, mais aussi pour le développement de la région élargie, de la région de l’Europe du Sud-est et de la Méditerranée orientale.
Enfin, nous avons parlé des évoluions dans le monde arabe, notamment des évolutions en Egypte. M. Davutoglu a exprimé ses points de vue sur la situation et nous avons présenté les nôtres. La Grèce en tant qu’Etat membre de l’UE partage la position commune de la politique étrangère de l’UE à cet égard, mais l’essentiel est que nous voulons tous une Egypte stable, une Egypte démocratique, une Egypte qui ne se livrera pas à la violence, une Egypte qui pourra véritablement fonctionner en tant que pays clé dans la région, en tant que garant de la stabilité, de la sécurité dans la région.
L’échange des points de vue que j’ai eus avec mon collègue distingué M. Davutoglu aidera beaucoup aux discussions que j’aurai cet après-midi à Majorque avec mes collègues, les ministres des Affaires étrangères de l’UE ainsi que lors du Conseil « Affaires étrangères » de l’UE le lundi.
Je tiens à remercier encore une fois mon cher ami, Ahmet Davutoglu pour l’accueil chaleureux et amical qu’il m’a réservé. Et ce serait un grand plaisir, suite à ma visite ici, de l’accueillir dans les plus brefs délais en Grèce.
Α. ELLIS : J’aimerais demander à M. Davutoglu s’il pourrait être plus précis concernant les avantages offerts par la coopération dans le domaine énergétique qu’il a mentionnés tout à l’heure. Dans ce contexte ou indirectement, comment envisage-t-il la perspective du côté de la Grèce concernant la proclamation de la zone économique exclusive – proclamation et non délimitation…. Est-ce que cette question – qui est un sujet sensible – pourrait être envisagée de la bonne façon et que tout le monde soit gagnant ? Merci beaucoup.
Α. DAVUTOGLU : Si l’on se réfère aux routes de l’énergie, la Mer Caspienne est l’une des plus importantes routes. A ce sujet différents travaux et actions de financement ont été entrepris. Mais les deux accords conclus dernièrement, qui sont en fait un seul accord, mais admettons que ce sont deux accords, sont les meilleurs de tous. De cette façon, la route par la Mer Caspienne a été finalisée, via la Turquie jusqu’à Andrianoupoli. Il y avait deux alternatives. Et maintenant, avec le projet du gazoduc TAP, c’était le meilleur choix possible, qui a été finalisé. Et ce choix a été dans l’intérêt de la Grèce et de la Turquie. Certes, au-delà de cette route énergétique, il peut y avoir des liaisons pour les pays situés de part et d’autre du gazoduc, pour le transport du gaz naturel. Nous pensons que cette évolution offrira une grande possibilité de coopération entre la Grèce et la Turquie dans le secteur énergétique. Cela constitue un nouveau corridor entre nos deux pays. D’ailleurs, les pourparlers exploratoires se poursuivent entre les deux pays, mais aussi les discussions sur d’autres sujets entre les deux pays. Nous voulons transformer l’Egée en une région de paix et de sérénité. Et dans ce domaine, pendant les pourparlers, nous avons parcouru une distance importante. L’effort qui sera consenti des deux côtés et dans ce sens sera dans l’intérêt des deux pays. Je suis très optimiste. Il se produira ce qui s’est produit dans le cas d’Andrianoupoli (gazoducs TAP – TANAP). Il se produira la même chose en Egée, à mon avis. Et l’Egée sera une région qui unira les deux peuples.
ΕV. VENIZELOS : La liaison des deux gazoducs change la donne géographique en fait. Pour nous, il est très important qu’il y ait une diversification quant à l’origine du gaz naturel et aux routes de transit vers la Grèce et l’Europe en général. D’ailleurs, les besoins de l’UE en gaz naturel augmentent géométriquement. Dans quelques années, 700 milliards de mètres cube seront nécessaires et ici nous avons un gazoduc qui vient rajouter 10 milliards de mètres cube au marché. C’est important et nous comprenons combien ces volumes sont importants.
En ce qui concerne les relations gréco-turques, le gazoduc TAP, à l’instar du TANAP, est un gazoduc de paix et de croissance. Maintenant, pour ce qui est de votre question, relative à la zone économique exclusive et aux zones maritimes en général, la réponse est très simple. Tous les pays connaissent les règles du droit international de la mer. Tous les pays sauvegardent leur souveraineté nationale et leurs droits souverains dans le cadre du droit international. Tous les pays, non seulement dans notre région, mais partout dans le monde ont l’obligation de discuter et de négocier, lorsque nécessaire, de bonne foi et dans le cadre de l’ordre légal international, afin de pouvoir parvenir à des solutions convenues mutuellement.
JOURNALISTE (REUTERS) : Pendant les discussions vous avez dit que vous avez évoqué la question chypriote. Quel genre de travaux allez-vous accomplir pour que puisse être surmonté l’obstacle prévalant dans ce dossier pendant la durée de votre mandat ? Les dirigeants chypriotes grecs ont désigné un médiateur, Andreas Mavroyiannis. Que doit-faire selon vous M. Mavroyiannis ? Visiter la Turquie et négocier avec la Grèce ?
Aux frontières entre la Turquie et la Syrie, dans la région de Ras al Aïn, les violents affrontements se poursuivent entre l’opposition syrienne et le PYD, la branche du PKK, et cela a un impact sur la Turquie. Dernièrement, ils ont hissé leur drapeau. Pouvez-vous commenter ces évolutions de la part de la Turquie ?
ΕV. VENIZELOS : Je commencerais par la question chypriote. J’estime que la désignation d’un médiateur de la part de la communauté chypriote grecque est une évolution importante. Le médiateur a une marge de manœuvre suffisante pour faire les contacts nécessaires. Nous connaissons le cadre historique de la question chypriote, le cadre juridique international, ainsi que les décisions de l’ONU et le cadre du mandat du SG de l’ONU et de son envoyé spécial. Il doit donc y avoir un facteur qui pourra donner une nouvelle impulsion à ce processus.
Nous recherchons toujours une solution qui soit équitable, durable, fonctionnelle dans le cadre défini par l’ONU. Il est évident que si la volonté politique n’est pas de mise et si nous ne faisons pas preuve de bonne foi, nous ne pourrons parvenir facilement à cette solution. Mais les facteurs qui nous guident dans ce processus sont ceux que je viens de mentionner. La République de Chypre est un Etat membre de l’ONU, un Etat de l’UE et de la zone euro. Bien entendu, il y a les deux communautés, la communauté chypriote grecque et la communauté chypriote turque, qui portent le poids des contacts et des pourparlers afin de parvenir à un règlement fonctionnel, durable et équitable.
Α. DAVUTOGLU (sur la Syrie) : Ces derniers temps, nous suivons avec la plus grande attention et sensibilité les évolutions en Syrie et non seulement dans la région de Ras al Aïn. Aussi bien les bombardements sur Homs, que les affrontements à Ras al Aïn et les régions environnantes, montrent combien les évolutions peuvent influencer la sécurité de la Syrie, mais aussi de la Turquie et de la région tout entière. J’aimerais de nouveau exprimer mes condoléances à la famille de ce jeune homme qui est mort d’une balle dans la tête, tirée par la partie syrienne.
La Turquie a pris toutes les mesures nécessaires pour parer à ces attaques provenant de la Syrie, à ces affrontements qui se produisent à l’intérieur de la Syrie et ces balles qui font des ricochets et arrivent jusqu’en Turquie, touchant les civils. Et à l’avenir, les mesures nécessaires seront prises pour faire face à ce genre d’attaques, qui proviennent de la Syrie.
Bien entendu les affrontements en Syrie ont créé un vide, qu’essayent de combler – comme dans le cas de Ras al Aïn – différentes puissances qui se sont développées. En Syrie, il y a une situation de guerre civile. Toute action qui créerait un régime de facto empirerait bien entendu la situation. Certes, il n’est pas exclu que le régime syrien entreprenne certaines actions qui créeront des conflits parmi les différents groupes d’opposition qui existent.
Il ne faudra pas se laisser aller ou accepter ce genre d’instigations. Il faut d’abord que les choses se calment, sinon il y aura encore plus de tension. Nous l’avons dit à plusieurs reprises, jamais de telles situations de facto ne peuvent être acceptées car elles empireront la situation. Bien entendu s’il y a un parlement élu où pourront être discutées différentes questions, cela change tout. Mais jusqu’à l’établissement du parlement, on ne devra pas être convaincu par les actions entreprises et il ne faudra pas que se créent des situations de facto supplémentaires.
July 19, 2013