Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Nous avons fait tant de choses et j’ai reçu tant de demandes de la part des médias grecs et internationaux pour accorder des interviews, ce qui m’a amené à prendre la décision d’organiser une conférence de presse pour éviter toute interprétation erronée ou malentendu.
Nous menons des négociations intéressantes avec nos voisins. Nous avons effectué ce voyage de plusieurs jours aux Etats-Unis, un voyage revêtant aussi des aspects ayant trait à la politique étrangère. Comme vous le savez, à Washington, outre les rencontres prévues du Premier ministre, je me suis entretenu avec M. McMaster et par la suite avec les nouveaux Secrétaires généraux.
Je me suis également rendu en Turquie avant-hier. Lundi nous avons la Conférence pour la protection des communautés religieuses et culturelles au Moyen-Orient. Nous attendons huit ministres et Secrétaires d’Etats. Toutefois, ils ne resteront pas pendant toute la durée de la conférence : le ministre hongrois viendra lundi matin, le ministre des Affaires de l’Egypte viendra lundi soir. Le ministre hongrois sera déjà parti, mais ils nous honorent de leur présence puisque la conférence a plutôt le caractère d’un débat avec des leaders religieux et culturels.
La conclusion à laquelle je suis arrivé est que notre politique étrangère est valorisée, ce qui a été également signalé par nos diplomates. Par ailleurs, notre ambassadeur à Ankara, M. Mavroidis, m’a rappelé qu’il y a trois ans nous avions soumis des demandes pour nous entretenir avec des représentants d’une série d’Etats de l’Organisation des Nations Unies, tandis que cette année en septembre, dans le cadre de l’Assemblée générale de l’ONU, le nombre de demandes pour entretiens que nous avons reçues a été bien plus élevé que celui prévu pour notre agenda de cinq jours.
En outre, nous avons eu pour la première fois une série de réunions dans le cadre des institutions internationales que nous avons mises en place, telles que le Forum des Civilisations anciennes, avec la participation des huit sur les neuf ministres des Etats participant à ce forum – par exemple le ministre chinois, iraquien et iranien. Nous avons également eu des entretiens dans le cadre des partenariats tripartites et quadripartites que nous avons mis en place dans les Balkans.
En octobre, nous avons organisé la deuxième réunion transfrontalière quadripartite. Au total, nous avons mis en place 14 initiatives institutionnelles qui sont déjà opérationnelles. A travers ces initiatives, notre pays se voit confier un rôle stable et revalorisé.
Ces éléments sont positifs pour notre politique exercée à plusieurs niveaux et revêtant un caractère multidimensionnel. Notre politique, dirais-je, est une politique axée sur des initiatives, une politique active. Nous ne négligeons rien. Souvent, bien évidemment, nous ne faisons pas connaître au grand public tout ce que nous faisons. Nous n’exerçons pas notre politique étrangère pour entretenir notre image. Notre objectif est de promouvoir les intérêts du pays, de gagner le respect des autres et de renforcer le rôle de notre pays.
Le jour où je suis devenu ministre des Affaires étrangères, il y avait, comme vous vous le rappelez, un document intérieur de l’Union européenne annonçant la prise d’une décision sur telle ou telle question, sans notre consentement.
Aujourd’hui, nous faisons partie des pas nombreux pays auxquels les projets de décision sont envoyés bien à l’avance, afin que nous puissions s’y exprimer avant la procédure ordinaire.
Dans ce cadre, nos discussions avec tous les pays et notamment avec les pays puissants sont menées sur le même pied d’égalité. Vous savez que nous avons des relations économiques et culturelles bien renforcées avec la République populaire de Chine. Nous avons pris ensemble l’initiative de mettre en place le Forum des civilisations anciennes. Neuf Etats participent au Forum et sept Etats ont soumis des demandes en vue d’y adhérer.
Notre prochaine rencontre aura lieu en Bolivie au cours du premier semestre de 2018 et il a été convenu d’octroyer le statut d’observateur à deux ou trois Etats. Il y a toute une série de questions qui feront l’objet de nos discussions.
Nous avons donc ces relations. Nous avons aussi des relations avec les puissances au sein du Conseil de sécurité. Vous êtes au courant de la visite de M. Macron et des relations particulièrement étroites que nous entretenons avec la France. Vous êtes aussi au courant des bonnes relations que nous avons avec la Russie, et bien évidemment avec les Etats-Unis. M. Obama est venu à Athènes à la fin de son mandat et la semaine dernière nous sommes allés voir M. Trump avec lequel nous avons discuté des différents problèmes. Tout le monde reconnait qu’aucune pression n’est exercée sur la Grèce. Ils l’ont compris et ils ne font pas pression sur nous. Personne ne veut plus mettre la pression sur nous car ils savent que cette attitude n’est pas efficace et n’est dans l’intérêt de personne. De la même manière, ceux qui, au ministère des Affaires étrangères, demandent des faveurs, savent que cela ne sert à rien. Ces demandes n’aboutissent jamais, au moins pour tout ce qui est placé sous mon contrôle.
Je voudrais aussi vous annoncer que vous serez invités à une conférence de presse spéciale que nous sommes en train de préparer lors de laquelle je vous ferai une présentation de nos actions entreprises dans le cadre de la lutte contre la corruption au ministère. Nous avons porté devant le procureur général des dizaines d’affaires. Les instances disciplinaires ont été saisies d’un grand nombre d’affaires. Ces affaires concernent toute une série de questions allant de l’allocation de fonds à des ONG jusqu’aux fonctionnaires du ministère qui ont eu la mauvaise habitude de vendre des visas ou autres. A l’égard de ce genre d’affaires, nous faisons preuve de la plus grande fermeté, tout comme le Conseil de discipline, les procureurs généraux et les juges.
Vous savez qu’une peine d’emprisonnement a été récemment infligée à un haut fonctionnaire diplomatique. Et, en outre, un de nos consuls dans un pays tiers a été suspendu de ses fonctions par le conseil de discipline. Autrement dit, nous faisons preuve d’une grande sévérité. Je ne pense pas que les cas de corruption soient plus nombreux au sein de ce ministère – afin d’éviter tout malentendu – vu le nombre aussi grand d’affaires que nous avons examinées.
Toutefois, je pense que le ministère lui-même qui offre des services de haute qualité, tout comme la direction politique, sont intransigeants à cet égard, car les cas de corruption au sein du ministère des Affaires étrangères ne concernent pas seulement des questions d’éthique ou financières. Les cas de corruption affectent aussi la sécurité elle-même et les capacités du pays. Des affaires, comme le trafic de visas à Istanbul, sont très graves car des personnes tierces pourraient aussi en tirer profit. Ce que je veux dire par là est que pour nous, la corruption revêt aussi un aspect bien fort, un aspect différent. Il y aura une communication d’informations concernant ces affaires qui sont intéressantes.
Avec les Américains, tout comme avec toute grande puissance dans le monde, nous voulons avoir de bonnes relations diplomatiques. Je dirais que c’est une absurdité de penser que le gouvernement ou le ministre sont soumis à des pressions, chaque fois qu’ils s’entretiennent avec un étranger.
Nous avons fait nos preuves dans toutes les négociations internationales auxquelles nous avons participé puisque nous avons défendu ce que nous avons considéré comme étant patriotique et socialement juste.
Pour ce qui est des Etats Unis, sachez que nous avons fait nos propres analyses des problèmes de la région. Nous avons des propositions que nous avons soumises aux parties concernées dans les Balkans concernant les moyens permettant de régler certains problèmes. Nos propositions que nous avons élaborées au cours de deux années consécutives à Rhodes, portent sur la façon dont une structure de sécurité pourrait être mise en place en Europe du Sud-est, etc.
Nous avons une série de propositions que nous portons bien évidemment à la connaissance de tous. Nous l’avons fait lors des rencontres précédentes ainsi que lors de la dernière rencontre avec les Américains.
En général, nos propositions s’intègrent dans le cadre d’un agenda positif. C’est-à-dire, lorsqu’une discussion est lancée sur le Moyen-Orient au sein d’un forum international, ce sont les conflits entre Israël et la Palestine qui domineront les débats. Lorsqu’une discussion est lancée sur la Méditerranée, ce sont les guerres en Syrie, en Irak et en Libye qui en feront l’objet principal. La Grèce, comme vous le savez, ainsi que d’autres pays, paye le prix des choix faits par des tiers. Il y a eu la grande vague des réfugiés qui n’a pas été provoquée par nos propres choix. Nous, nous n’avons pas renversé le régime de Qaddafi ou bombardé la Syrie. Ces choix ont été faits par d’autres Etats et ce sont d’autres Etats qui sont appelés à payer le prix de ces choix.
Par conséquent, chacun doit avoir sa propre proposition politique concernant la façon dont la région toute entière devra évoluer. De ce point de vue, nous avons entamé une discussion sur la mise en place d’une structure de sécurité en Méditerranée orientale, à l’exemple de celle créée à travers l’accord d’Helsinki dans les années 70’. Il faudra sans doute de nombreuses années. Nous engageons cette discussion avec douze Etats arabes, sept Etats européens de l’Europe du Sud-est et deux grandes organisations internationales du monde arabe et dans le même temps nous développons des actions communes pour la mise en place d’une structure ce genre.
Dans le cadre de cette structure s’intègrent également les partenariats tripartites. Les partenariats tripartites constituent – à titre de rappel – une coopération entre Chypre et la Grèce, plus cinq pays différents (Israël, Egypte, Liban, Palestine et Jordanie). Nous tiendrons de nouveau une discussion avec le ministre des Affaires étrangères de la Palestine, M. Malki, qui viendra à Athènes ce dimanche. Nous avons encore les partenariats tripartites avec les Balkans. Il s’agit d’un partenariat transfrontalier quadripartite avec la Bulgarie, notre pays voisin au nord, l’ARYM et l’Albanie. A l’autre partenariat quadripartite participent quatre Etats de l’Europe du Sud-est qui sont également des Etats membres de l’Union européenne, à savoir la Croatie, la Roumanie, la Bulgarie et la Grèce. Nous avons également mis en place deux nouveaux partenariats tripartites avec l’Arménie et la Géorgie.
A travers cet agenda positif nous essayons de promouvoir des solutions aux problèmes existants dans notre voisinage immédiat. Vous êtes au courant de la négociation sur la question chypriote c’est pourquoi je n’entrerai pas dans les détails. Toutefois, je voudrais parler de nos trois pays voisins : la Turquie, l’Albanie et l’Ancienne République Yougoslave de Macédoine.
Pour ce qui est de la Turquie, vous savez que ce pays traverse une période particulière, ce qui m’a conduit à le qualifier de « puissance nerveuse ». Il s’agit d’un terme qui a été utilisé dans le passé et qui n’est pas inventé par moi. Il a été largement employé après la deuxième moitié du 19e siècle pour désigner les puissances émergentes de l’époque.
Avec la Turquie, après l’été dernier, nous avons eu des contacts. Le Premier ministre de la Turquie est venu en Grèce, comme vous le savez, mais ces contacts n’ont pas été systématiques. Notre opinion est – opinion que j’ai coutume d’exprimer aussi à la Turquie – que Dieu ou Allah ou l’histoire, selon moi – peu importe l’appellation – a décidé que ces deux Etats doivent coexister et être voisins. L’objectif est de trouver le moyen permettant de régler les relations entre ces deux pays, d’une manière pacifique et constructive, dans l’intérêt de leurs peuples.
A cet égard, c’est à nous de faire en sorte que les deux pays engagent de nouveau un dialogue à tous les niveaux et que les canaux de communication deviennent de nouveau disponibles. Et cela n’est pas dû au fait que – pour que nous soyons clairs là-dessus – nous éprouvons un sentiment d’insécurité, ou que nous nous sentons faibles. Tout à fait le contraire. Nous sommes sûrs de nous-mêmes. Notre pays a récupéré ses forces et il est de notre devoir, notamment dans la région des Balkans, mais aussi à l’égard de la Turquie – justement parce que notre pays se trouve de nouveau en position de force – de faire preuve de responsabilité afin que ces relations soient développées de manière positive.
Qu’avons-nous fait ? Je dois tout d’abord vous dire que lors de mon déplacement en Turquie, des solutions ont été convenues concernant une série de questions demeurées en suspens et portant sur la présence de l’élément chrétien et de l’élément grec dans le pays voisin. Par exemple, le bon fonctionnement des établissements scolaires à Imbros. Il a été aussi convenu qu’il était temps d’organiser de nouveau des élections – car depuis 2013 il n’y pas eu d’élections – dans les 69 Fondations caritatives grecs d’Istanbul (vakoufia) et que la partie turque ne lèverait aucun obstacle à cet égard. Et même, la possibilité pour l’Association œcuménique des Constantinopolitains d’ouvrir un bureau à Constantinople, une demande que ladite Association ne cesse de réitérer depuis 2011. Toutes ces questions, au moins du point de vue du ministère des Affaires étrangères, ne figurent pas en tête de liste des priorités mais je pense qu’elles revêtent une importance particulière car elles influent sur l’ « ambiance » dans les relations entre les deux pays.
Les questions qui ont été convenues sont encore plus importantes. Nous sommes convenus que le Président de la Turquie viendra en Grèce, en signalant qu’il fallait éviter des actions qui pourraient entraver cette visite. J’imagine – car tout abord les ministres des Affaires étrangères doivent fixer les dates des rencontres et notamment la rencontre au niveau des Présidents – que la visite aura lieu au cours des dix derniers jours du mois de novembre, ou éventuellement en décembre, c’est-à-dire très bientôt.
S’agissant de la visite en Turquie, aussitôt que nous sommes arrivés dans le pays, j’ai dis au ministre des Affaires étrangères que nous voudrions inviter le Président de la Turquie. Lorsque le jour suivant, dans l’après-midi nous avons rencontré le Président de la Turquie, ce dernier a dit qu’il voulait venir en Grèce dans les plus brefs délais, en novembre. Autrement dit, le Président de la République l’avait déjà mis en courant et il voulait venir en Grèce.
Nous sommes convenus de la rencontre des deux délégations lors de la réunion du Conseil de haut niveau en février à Thessalonique. L’une des principales questions qui figurent à l’agenda est le renforcement de notre coopération dans le domaine des transports ainsi que – éventuellement – des questions ayant trait à notre coopération dans le domaine de la culture et du patrimoine culturel. Nous aborderons bien évidement d’autres questions aussi.
Nous sommes convenus que les ministres des Affaires étrangères échangeront des visites tous les six mois. Notre plan initial, convenu mardi dernier en Turquie, est que M. Çavuşoğlu viendra en mai en Grèce. Par ailleurs, l’invitation que je lui ai adressée était pour Rhodes. La dernière fois il était venu en Crète.
Notre pays est très beau et Athènes ne doit pas avoir l’exclusivité pour ce qui est de l’organisation des rencontres internationales. En plus, nous voulons mettre en valeur chaque lieu où des rencontres sont organisées car cela attire les touristes et valorise l’image de notre pays aux yeux de la presse internationale, car ce ne sont pas seulement les beautés naturelles du pays ou l’image sociale qui sont importantes, mais aussi la situation en matière de sécurité.
L’organisation d’une réunion à Rhodes avec la participation de 12 ministres des Affaires étrangères des pays arabes transmet le message que la Grèce est un pays sûr à visiter, par rapport à d’autres régions. Le fait que le ministre des Affaires étrangères de la Turquie se trouve en Crète un mois après la tentative de coup d’Etat en Turquie, montre qu’il n’est pas en danger et qu’il y a de la sécurité dans notre pays. Une image peut être très éloquente en tant qu’élément de la politique internationale.
Nous sommes convenus que les rencontres au niveau des Secrétaires généraux recommenceront et que nous lancerons de nouveau le dialogue sur les mesures de confiance en matière de défense. Force est de rappeler que nous avons soumis quatre propositions sur les mesures de confiance à la Turquie en 2015 et cette dernière avait accepté l’une de ces propositions qui comportait neuf points. Seul un tiers de ces points a été mis en œuvre et il faut que tous les points soient mis en œuvre. Nous les réexaminons, comme nous le faisons pour tous les accords qui existaient lors des quatre Conseil de coopération de haut niveau précédents.
Il y a cinq accords qui doivent être ratifiés par chaque partie. La Turquie doit ratifier trois accords de la première réunion, et deux de la deuxième réunion, et nous devons ratifier cinq accords de la deuxième réunion. Nous avons bien entendu ratifié des dizaines d’autres accords mais nous avons décidé avec les Secrétaires généraux de dresser un bilan en vue d’identifier les points restés en suspens et ce qui doit être mis en œuvre.
En outre, nous sommes convenus d’une rencontre au niveau des Directeurs politiques – la Turquie n’est pas un Etat membre de l’Union européenne et elle ne dispose pas d’un Directeur politique, mais d’un Secrétaire général adjoint – afin que ces derniers assurent la coordination de certaines réunions au niveau des directions des ministères où il existe une divergence de vues. Nous avons des points de vue divergents à l’égard de nombreuses questions, mais nous pouvons échanger des vues, par exemple concernant le Moyen-Orient car il est utile pour nous de connaître les positions du pays voisin, mais aussi de lui exprimer les nôtres.
Nous sommes également convenus de l’organisation de certaines réunions au niveau d’autres ministres. Une réunion se tient depuis hier entre le ministre de l’Economie et du Développement, M. Papadimitriou et son homologue turc, tandis qu’un intérêt marqué est manifesté à l’égard de l’organisation d’une rencontre entre les ministères de l’Education portant sur la coopération entre les universités, tout comme d’une rencontre entre les ministres de la Culture. Mais l’on verra cela, au fur et à mesure qu’on avance.
De surcroît, nous sommes convenus de lancer de nouveau les consultations exploratoires. Ces dernières n’ont pas apporté de résultats mais il s’agit d’un domaine où des solutions sont recherchées. A certains moments dans le passé, nous sommes presque arrivés à des solutions.
Dans le cadre des rencontres tenues au niveau des Secrétaires généraux, on peut aborder des questions aéronautiques et en général tous les problèmes liés aux violations, aux survols.
Nous voulons avoir à notre disposition un canal de communication pour engager une discussion régulière et responsable, car les notes verbales, les démarches faites auprès des forums internationaux ou des autorités compétentes du pays lui-même ne suffisent pas.
Au cours de la première moitié du mois, une réunion multipartite se tiendra avec la direction du ministère des Affaires étrangères de l’Albanie, ainsi qu’avec des spécialistes et des experts. Notre objectif est d’aborder toutes les questions en suspens d’ordre historique – la phrase que j’utilise, c’est-à-dire « l’histoire doit être une école et non une prison » jouit désormais d’une réputation internationale – ou des questions actuelles qui ont surgi.
Nous voulons résoudre ces problèmes. Nous voulons les résoudre car nous ne voulons pas que le processus d’adhésion de l’Albanie à l’Union européenne se heurte à ces problèmes. J’ai déjà expliqué que si ces problèmes ne sont pas réglés, il y aura des difficultés au cours des négociations.
Dans certains domaines le règlement des problèmes est facile et dans d’autres il est difficile. Il y a des domaines où le règlement des problèmes peut être immédiat et dans d’autres où cela prend du temps. Toutefois, nous sommes convenus de regrouper ces problèmes dans un dossier, ce qui nous permettra de convenir ensemble que nous avons trouvé une solution a, une solution b, etc.
Nous avons depuis assez longtemps mis en place un groupe de coordination qui est chargé de toutes ces questions, sous la direction du Secrétaire général, du côté grec et de la Secrétaire d’Etat du côté albanais. Ce groupe de coordination comporte quatre groupes et un cinquième groupe ad hoc, au sein duquel sont abordées les questions les plus difficiles. Tous ces groupes travailleront ensemble en vue de régler la plus grande partie des problèmes. Si les problèmes sont réglés, on pourra organiser des rencontres d’autre genre. Nous voulons que les problèmes soient résolus.
La deuxième question porte sur mon cher pays voisin au nord, comme j’ai coutume d’appeler, c’est à dire l’ARYM. Comme vous le savez, cela fait depuis déjà deux ans que nous promouvons des mesures de confiance entre les deux parties.
Ces mesures, lorsque je les ai annoncées pour la première fois, ont suscité tant au niveau international qu’à Skopje, de vives réactions et elles ont été vues d’un mauvais œil. Aujourd’hui, dans les documents européens il n’y a aucune référence sur la personne qui les a proposées, ce qui montre que ces mesures sont d’ores et déjà en général acceptées et que personne ne s’intéresse de savoir qui a été l’initiateur de ces mesures.
Nous sommes en train de préparer un ensemble de nouvelles mesures de confiance. Nous avons reconstruit l’ancienne ligne ferroviaire entre Monastiri et Florina. Pour notre part, nous avons achevé tous les travaux et en ce qui concerne l’ARYM les travaux sont dans une large partie achevés, mais il y a eu un problème de financement avec la société bulgare à laquelle a été confié le projet.
Nous nous trouvons en plein milieu du processus d’autorisation pour le nettoyage de l’oléoduc allant de Thessalonique à Skopje, ainsi que pour la construction – ce qui est le plus important – d’un gazoduc. Nous avons établi des partenariats entre trois universités des deux parties. Il y a une meilleure coopération transfrontalière et j’espère que nous promouvrons d’autres mesures aussi.
Ce que nous voulons maintenant faire – projet auquel je me suis personnellement engagé – est ouvrir le passage transfrontalier de Prespes. Il existe certaines questions d’ordre juridique mais je pense que nous sommes parvenus à un règlement juridique pour l’établissement d’une coopération entre l’Albanie, l’ARYM et notre pays.
Si nous y parvenons, et j’espère que tel sera le cas, il y aura aussi à l’occasion de la signature de l’accord une manifestation culturelle – c’est une idée, mais rien n’a été encore décidé – dans le cadre de laquelle sera organisé un concert d’instruments à vent avec la participation des trois pays. Cette coopération contribuera considérablement à la promotion de la culture, du tourisme et de l’économie de la région. Nous pouvons également obtenir des fonds de financement pour la région à travers le programme communautaire Interreg.
Je vous donne quelques exemples de projets de développement qui sont dans l’intérêt de nos citoyens, dans l’intérêt de l’amélioration du climat au sein des sociétés et de l’économie de la région. Bien évidemment, la principale question que nous devons régler avec le pays voisin au nord est celle de l’irrédentisme et du nom.
Nous avons mis en place un comité avec l’Albanie qui est en charge des manuels scolaires. Nous avons réglé les questions relatives aux manuels scolaires des 10 années scolaires et maintenant ce qui reste à réviser sont les manuels des deux années, qui sont les plus difficiles et notamment ceux de géographie et d’histoire. j'espère que d'ici la fin de l'année prochaine on aura achevé le tout. En outre, on va établir un comité avec l’ARYM aussi. De notre part il n’existe aucune objection à ce qu’ils révisent eux aussi nos manuels scolaires et, s’il y a quelque chose qui ne va pas, je n’ai aucune objection à ce que les corrections nécessaires soient apportées.
Mais le problème principal est l’irrédentisme. Je dirais que dans nos relations il existe deux problèmes. Le premier est l’irrédentisme et le deuxième est leur perception que nous ne voulons pas qu’ils existent. C’est pour cela que je leur dis en plaisantant – ce qu’ils ne veulent pas entendre – que ce pays est « un cadeau des dieux », mais ils n’ont pas choisi le bon parrain…Ce que je veux dire par là est que le différend portant sur le nom n’implique pas que la Grèce ne veut pas de ce pays ou qu’elle est en train de comploter pour désorganiser ou détruire cet Etat.
Bien au contraire. A mon sens, il est bon que cet Etat existe. C’est un pays qui, si l’on arrive à résoudre nos différends, est étroitement lié à notre espace social, notamment celui de la Grèce du nord et nos relations connaitront un développement rapide.
Je voudrais vous rappeler que, si je ne me trompe pas, notre pays est le premier investisseur en Albanie et le troisième investisseur – il était le deuxième – en ARYM. Par conséquent, ce sont des pays avec lesquels nous avons des relations mutuellement profitables et nous devons les renforcer davantage.
La valorisation de l’école des sapeurs-pompiers à Ptolemaida est la dernière initiative dans le cadre des mesures de confiance. L’Albanie et l’ARYM ne disposent pas d’écoles pour la formation des sapeurs-pompiers et nous mettons les nôtres à leur disposition. Vous avez pu constater que l’été dernier nous avons eu, grâce aussi à M. Toskas, une excellente coopération dans la lutte contre les incendies.
Les incendies ne connaissent pas de frontières et “ne possedent des passports” non plus. Il faut donc établir une coopération étroite dans tous ces domaines.
Pour ce qui est maintenant de la question du nom, dans les trois ou quatre semaines à venir, M. Nimetz devrait s’entretenir avec les négociateurs. M. Vassiliakis est toujours notre négociateur et il est désormais secondé par un nouvel assistant. L’autre partie désignera. J’imagine, son négociateur tout de suite après le deuxième tour des élections régionales.
Je pense que cette question doit être réglée au cours du premier semestre de 2018. Si cela n’est pas le cas, il y aura de grandes difficultés. Si elle est réglée, la procédure bureaucratique prendra 3 à 4 mois. Par conséquent, tout cela ira jusqu’à la fin de 2018. Si non, ce sera difficile de le faire après, car en 2019 il y aura les élections présidentielles dans le pays voisin et après l’été se tiendront des élections dans notre pays. Les périodes préélectorales ne se prêtent pas au règlement de ce genre de problèmes, car ces questions doivent être envisagées avec du calme.
Comme vous le savez, j’avais dis il y a très longtemps, à mes interlocuteurs étrangers qu’ils ne devraient pas être impliqués dans cette affaire. La manière dont ces derniers y ont été impliqués a amené M. Gruevski à penser qu’il n’était pas nécessaire de régler cette question. Ils ne lui ont pas appris d’exercer ce que j’ai coutume d’appeler « une politique de culture européenne, de compromis et de consensus ».
Je pense que le gouvernement actuel est beaucoup plus disposé à faire des compromis et à agir dans un esprit de consensus. Imposer les points de vue de l’une ou de l’autre partie n’aide pas au règlement des problèmes de ce genre. Ces pratiques ne sont utilisées qu’en temps de guerre et elles apportent des solutions à court terme. Car à un certain moment, la guerre arrive à sa fin, tandis que les vainqueurs deviennent des vaincus et les rapports de force permettant d’imposer arbitrairement sa volonté cessent d’exister. Nous voulons une solution durable. Une solution respectueuse de toutes les parties. Une solution acceptable par les populations des deux parties.
J’ai discuté avec tous les experts du pays, des personnes qui étaient dans le passé impliquées dans cette affaire, notamment en Grèce du nord ou avec ceux qui expriment des préoccupations à cet égard. Je pense que notre pays veut en finir avec cette prison que constitue l’histoire pour ce qui est de cette question et parvenir à la bonne solution.
Je suis en faveur des compromis, mais je veux des bons compromis. Je veux des compromis constructifs, et non pas des compromis « pourris ». Car ce genre de compromis ne mène qu’au désordre.
Et, bien étendu, je me rappelle toujours du grand poète – en ce qui me concerne du moins en tant que partisan de gauche – Bertolt Brecht qui avait dit que le problème n’est pas seulement ce qui sort de la bouche, mais ce qu’entend l’oreille.
Et je l’ai compris quand je suis allé pour la première fois de ma vie à Ankara et que j’ai constaté qu’une grande partie de la population d’Ankara considérait que la Grèce représentait pour eux le plus grand danger. Pour quelle raison ? Parce que nous étions arrivés jusqu’à la plaine d’Ankara. Ils n’ont vu que notre armée alors que j’avais le sentiment que seules nos populations aux frontières étaient inquiètes. Cela a contribué de manière déterminante à ma perception de la politique étrangère.
Comme je l’ai tout à l’heure affirmé, nous devons détruire, et c’est justement cela que nous sommes en train de faire, le préjugé qui existait en ARYM, à savoir que nous ne voulons pas que cet Etat existe. A mon sens, cet Etat fait bien d’exister et sa présence est très importante pour la région et ce, pour de nombreuses raisons stratégiques. Mais, il faut qu’ils en finissent avec l’irrédentisme.
La question du nom sera plus facile à régler s’ils en finissent avec les manifestations d’irrédentisme dans leurs discours publics. S’il y a quelqu’un qui dit que la région x appartient à l’Etat x et si cette personne est un particulier, cela ne m’intéresse guère. Ce qui m’intéresse est la politique publique de l’Etat et notamment l’éducation de la nouvelle génération et je dois vous dire qu’à l’époque de M. Gruevski il y a eu une évolution qui n’allait pas dans le bon sens. La question du nom est venue peser sur la nouvelle génération et elle s’est transformée de question portant sur la géographie et l’histoire qu’elle était, en une question liée aux caractéristiques ethniques et au patrimoine. Autrement dit, cette question est devenue un poids pénible, notamment pour la génération sortie de l’école les douze dernières années.
L’impression que j’ai au fur et à mesure que j’avance dans l’étude de l’histoire est que les personnes les plus âgées comprennent combien cette question est importante, et en outre elles se sentent plus proches de notre pays.
Je voudrais encore une fois souligner que notre pays n’a aucune revendication par le pay sami voisin. Il n’a pas d’exigences.C’est un pays ouvert, il a les bras ouverts. Une fois que les questions de l’irrédentisme et du nom seront réglées, nous accueillerons les bras ouverts tous les citoyens de ce pays.
Dernière question à l’agenda, plus brève mais d’actualité : dimanche nous aurons certains déjeuners et lundi il y aura un petit-déjeuner de travail avec le ministre des Affaires étrangères de Chypre et de la Hongrie. La semaine prochaine, lundi et mardi, se tiendra la Conférence internationale sur la protection du pluralisme religieux et culturel au Moyen-Orient.
Je voudrais souligner une conviction en laquelle je crois fermement. Il existe de nombreuses sociétés occidentales lesquelles en raison de la façon dont elles ont été créées, luttent pour préserver leur caractère multiculturel. Ou des sociétés qui se considèrent elles-mêmes, par exemple le Canada, comme étant multiculturelles.
Toutefois, il y a eu au Moyen-Orient des sociétés profondément démocratiques qui, en dépit des conjonctures difficiles à travers le temps, revêtaient un caractère multiculturel à l’encontre de l’image que se font du Moyen-Orient la plupart des gens, à savoir que cette région est synonyme de violence, de crimes, de terrorisme, etc. Le Moyen-Orient a été le berceau de civilisations tout aussi importantes que puissantes mais aussi des religions, du moins des religions contemporaines qui existent en Occident.
Les civilisations et les religions ont coexisté depuis 2 000 ans dans ces pays. Cela a été un grand exploit que l’humanité n’a pas pu préserver à cause du terrorisme, de la persécution de petits groupes religieux -du christianisme sous toutes ses formes-, du recul du caractère multiculturel de ces pays et notamment de l’extinction de l’élément islamique instruit qui a contribué à la diffusion des différentes civilisations. Cette région est devenue le melting-pot de toutes ces civilisations et cet élément n’existe plus dans les images diffusées par la télévision et la radio.
Cette perte n’est pas seulement une perte en vies humaines – ce qui est de toute façon très triste – elle n’est pas seulement une destruction de l’avenir de la nouvelle génération - ce qui est également tragique – c’est aussi la perte de la richesse de toute l’humanité, car dans cette région coexistaient différentes traditions culturelles et religieuses pendant des milliers d’années.
Je dois vous dire que lorsque nous avons pris l’initiative d’organiser la première Conférence internationale, cette dernière a été très favorablement accueillie au niveau international. Un très grand nombre d’initiatives et de manifestations ont été entreprises et organisées dans au moins 80 Etats sur cette thématique. Et je considère comme étant positif le fait que cette question que nous étions les premiers à soulever d’une manière aussi étendue, a fait vibrer les cordes sensibles des personnes ayant des sentiments profonds et un sens de la responsabilité très accru envers l’humanité que l’on considére civilisée. Et je ne dis pas que le fait que nous avons soulevé cette question a amené d’autres aussi à en faire de même. Cela pourrait aussi être leur propre initiative mais c’était une question que nous étions les premiers à soulever.
La session d’ouverture des travaux sera accessible au public. Le Président de la République, M. Prokopis Pavlopoulos sera le premier intervenant. Dans l’après-midi, le Président du parlement - que je voudrais remercier publiquement – offrira un déjeuner en l’honneur de nos invités, à l’exception des leaders religieux.
C’est l’Archevêque qui offrira un déjeuner en l’honneur des patriarches orthodoxes, des rabbins, des muftis, du ministre adjoint des Affaires étrangères du Vatican et d’autres chefs de l’église catholique. Autrement dit, il y aura deux déjeuners qui se tiendront parallèlement et le Premier ministre du pays, M. Alexis Tsipras ouvrira les travaux qui se tiendront lors du dîner.
Par conséquent, l’Etat a accordé une grande importance à cette manifestation. La session d’ouverture sera accessible au public et elle se tiendra lundi à 9h30. En outre, à l’issue des travaux, je tiendrais, comme la dernière fois, une brève conférence de presse sur les questions abordées pendant ces deux jours de la Conférence internationale. Toutefois, je répondrai aussi à des questions qui pourraient entre-temps surgir.
Je pense avoir abordé pas mal de questions. Les questions d’actualité sont bien nombreuses et importantes car la Turquie et les deux négociations sont les choses les plus importantes pour nous.
JOURNALISTE : Bonjour. Je voudrais vous demander si, à l’occasion de votre récent déplacement en Turquie et de vos contacts avec MM. Erdogan et Cavuşoğlu, vous avez abordé la question chypriote – il ne s’agit bien évidemment pas d’une question gréco-turque mais elle comporte l’aspect des garanties. Et une deuxième question : Est-ce que les « incitations » continues de la Turquie concernant de nombreux partisans de Gülen qui sont venus en Grèce pèsent lourdement sur l’agenda qui est déjà surchargé ? Merci.
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Aussitôt après notre arrivée en Turquie, la discussion a commencé et les Turcs ont voulu que l’on discute dans un premier temps de la question chypriote. Je ne voudrais pas entamer une discussion sur cette question, car en Suisse nous avons passé 11 jours à nous disputer et j’essaye toujours de commencer par un agenda positif.
Je ne peux pas vous parler de toutes les questions que nous avons abordées - j’ai déjà briefé le Président de la République de Chypre, M. Anastassiadis sur ces questions – mais je peux seulement vous dire que la partie turque a exprimé la volonté, avant la reprise des négociations sur la question chypriote, si elles se poursuivent, qu’ils discutent d’abord avec nous les questions difficiles.
A mon avis, cela est un pas positif. Je vous rappelle que j’avais demandé avec insistance à la partie turque que l’on discute des questions relatives à la sécurité et aux garanties, avant Genève et Crans-Montana. Et, par ailleurs, à Pékin nous nous sommes mis d’accord avec M. Erdogan sur l’organisation d’une série de rencontres entre les deux ministres des Affaires étrangères afin qu’il y ait une meilleure préparation.
Toutefois, M. Eide, pensait en général que cette question devrait être abordée lors de l’étape finale. C’est-à-dire il pensait que s’il y avait du consensus sur toutes les autres questions, ceux qui considéraient cette question comme étant très importante, feraient marche arrière. Mais il a été prouvé que cela n’était pas le cas.
J’ai l’impression – c’est mon point de vue d’après ce qui s’est passé lors de la Conférence de «Genève I » et à Crans-Montana – que j’appelle souvent « Genève II » - que certains ont pensé – j’ ignore sur quelles pratiques suivies dans le passé se basent-ils – que nous, le gouvernement, nous proclamons en premier lieu certaines positions, afin de les abandoner par la suite, quand nous nous trouvons autour de la table des négociations. Nous n’avons pas cette habitude. Tout le monde sait d’ores et déjà qu’il faut prendre au sérieux nos propos.
Force est de rappeler que les vetos que j’ai mis au sein des organisations internationales seront bientôt au nombre de 30 et aucun n’a été retiré, à moins que mes demandes soient satisfaites. C’est-à-dire je ne mets pas des vetos pour me rétracter par la suite, pratique suivie dans le passé ce que j’ai pu constater en tant qu’ancien fonctionnaire du ministère.
Pour ce qui est des partisans de Gülen, cette question ne pouvait pas ne pas être soulevée, non pas auprès du ministère des Affaires étrangères, mais de manière urgente par le Président Erdogan. Je pense que nos réponses sont très claires. Nos réponses, pour le dire sans ambages, sont les suivantes :
Premièrement, ce n’est pas seulement le Président Erdogan qui a fait de la prison mais une grande partie aussi du gouvernement grec actuel, un grand nombre de ces membres a été traduit devant les tribunaux militaires, etc. Je dis cela pour leur expliquer que notre pays « n’ aime pas du tout les putschistes ». C’est-à-dire, nous n’avons pas soutenu les putschistes parce qu’ils se sont opposés à Erdogan et nous voulons les protéger.
Deuxièmement, parce que nous avons vécu l’expérience de l’illégalité de la junte et d’autres coups d’état tout au long de notre parcours historique. Un historien avait compté 140 tentatives et coups d’état pendant l’histoire contemporaine de la Grèce.
Nous sommes partisans de l’Etat de droit et nous sommes très sérieux à cet égard. Ils doivent comprendre ce que signifie pour nous l’Etat de droit. Et Etat de droit signifie le fait aussi que le gouvernement grec lui-même a perdu d’importants procès devant les juridictions grecques, comme par exemple le Conseil d’Etat.
Par conséquent, nous faisons preuve de respect à l’égard de la justice et nous ne faisons pas partie de ceux qui peuvent l’influencer.
Et, troisièmement, les deux pays n’ont pas besoin d’irritations. Ils doivent s’accepter mutuellement dans leur culture politique et juridique et fixer un agenda positif. C’est-à-dire un agenda comme celui du prochain Conseil d’association de haut niveau qui concerne les populations des deux parties.
Il est bon qu’il existe cette forte vague touristique de part et d’autre. Il est bon que nous ayons pu trouver une solution à la question des bateaux en bois, question qui a failli perturber les relations économiques entre les côtes turques et les îles grecques.
La politique étrangère, par sa nature, dispose d’un instrument, celui de la diplomatie. Chaque domaine de la politique, comme le dirait un chercheur, même conservateur, des systèmes théoriques, dispose de ses propres moyens. Pour nous c’est la négociation. Et il est bon, comme je l’ai aussi affirmé lors de mon séjour en Turquie, que la diplomatie et la négociation précèdent tout autre comportement ou réaction.
Je voudrais aussi dire, en exagérant un peu, mais telle est ma philosophie dans la vie, qu’un chirurgien peut provoquer la mort d’une personne. Tout comme un conducteur. Les effets des erreurs commises dans la politique étrangère ne sont pas immédiatement ressentis. Ils le sont à long terme, mais leurs répercussions influent sur des millions de personnes.
C’est pourquoi la politique étrangère a besoin de retenue et de calme. Elle ne peut être le moyen d’expression des intentions activistes de l’une ou de l’autre partie. Nous sommes allés en Turquie pour ouvrir les canaux de communication, d’entente et pour développer les relations et faire baisser les tons.
Je ne sais pas comment la Turquie va se comporter. Les actions diplomatiques allant dans le bons sens ne garantissent pas l’absence de tensions. Elles sont tout simplement une condition à la diminution des tensions. Et hier, si je ne me trompe pas, cela peut être aussi une coïncidence, il n’y a eu aucune violation depuis un bon nombre d’années. Il était bon que je sois allé à Ankara, ne serait-ce que pour deux jours.
JOURNALISTE : Monsieur le ministre, vous avez affirmé que le dialogue avec la Turquie serait désormais engagé à tous les niveaux et que les discussions porteraient aussi sur les questions aéronautiques. Jusqu’à ce jour, la position immuable de la Grèce était que notre seul différend portait sur le plateau continental. Et c’est cette question que nous acceptons en tant que différend avec la Turquie. Est-ce que quelque chose a changé ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : C’est correct. La même chose est valable aujourd’hui. Savez-vous quelles sont les questions aéronautiques qui seront abordées au niveau des Secrétaires généraux ? Les violations. Lorsque les Turcs violent notre espace aérien ou survolent les îles grecques, la pratique suivie habituellement est de faire une démarche de protestation auprès de l’ambassadeur de la Turquie. Et notre ambassadeur ou l’ambassadeur adjoint, c’est-à-dire le conseiller d’ambassade, le chargé d’affaires, se rendait au ministère des Affaires étrangères de la Turquie et protestait, comme le font tous les pays.
Les Turcs faisaient aussi la même chose lorsqu’ils pensaient que nous avions commis une violation. Ne croyez pas qu’eux aussi ne pensent que nous commettons des violations – je ne dis que nous commettons des violations – je dis ce qu’ils pensent.
Lorsque j’ai assumé mes fonctions de ministre, j’ai adopté une autre approche. Dans un premier temps, j’en informais les organisations internationales et je dénonçais les violations et, par la suite, j’informais les Turcs que j’avais procédé à la dénonciation de leurs violations.
Engager une discussion sur les questions aéronautiques signifie que nous leur disons : « Vous avez commis une violation, vous avez violé cette loi internationale. Que dites-vous à cet égard ? N’avez-vous pas commis cette violation ? Pourquoi pensez-vous que vous n’avez pas commis cette violation ? Continuerez-vous de commettre des violations ? Voilà ce que nous ferons si vous continuez de commettre des violations. Car ces actions ont des conséquences. »
C’est-à-dire nous mettons en place un canal à travers duquel, au-delà des procédures diplomatiques formelles, internationales ou bilatérales, nous examinerons et nous enregistrerons les violations. Et ces questions ne feront pas l’objet des rencontres exploratoires, mais des rencontres au niveau des services.
JOURNALISTE : Les positions des deux parties sont connues de tous. C’est la première fois que cela arrive, qu’un dialogue est engagé.
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Il y a toujours eu un dialogue.
JOURNALISTE: Sur les violations ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Il y a toujours eu un dialogue sur les violations.
JOURNALISTE : Les positions sont communes, immuables et connues de tous.
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Ce que vous dites est correct, mais il est bon de donner des explications plus détaillées. On peut dire à l’autre partie : « vous survolez une île grecque et vous violez les accords suivants ».
JOURNALISTE : Et l’autre partie répondra : « Dans le Traité de Lausanne, il n’y a aucune disposition relative à cette île, celle-ci n’est pas une île grecque selon le traité ». Telle est la réaction habituelle.
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : On va lui expliquer. Savez-vous ce qui est le pire ? A un certain moment cette affaire pourrait être portée devant la Cour internationale. Savez-vous ce que la Cour internationale demandera d’abord? Non pas ce qui est prévu par la loi, car elle connait la loi. Elle demandera : « Avez-vous protesté ? Est-ce que vous le lui avez expliqué ? ».
Je vous rappelle le recours introduit par l’ARYM devant la Cour internationale de la Haye. Nous avons perdu ce procès. Savez-vous quelle a été la question qui a joué un rôle décisif ? J’ai relu tous les procès-verbaux. La question cruciale était : « Avez-vous signalé à l’ARYM toutes ces violations ? En avez-vous informé l’ONU ? Est-ce que le médiateur, M. Nimetz, était au courant ? Qu’avons-nous répondu ? « Non, nous avons porté l’affaire devant la Cour ». Et cette dernière nous a dit : « Donc, vous n’avez pas protesté. Vous l’avez accepté ».
JOURNALISTE : En tout cas, nous avons protesté à maintes reprises à l’ONU et aux organisations internationales ainsi qu’à Ankara, au sujet de ces violations. Mais nous n’avons jamais été autour de la même table pour leur dire : « Vous effectuez des violations, pas nous ». Je demande juste si quelque chose a changé.
N. KOTZIAS : Non.
JOURNALISTE : Je veux dire, cela ne s’est jamais produit auparavant.
N. KOTZIAS : Non. Nous leur avons toujours dit ces choses lors de réunions antérieures. Lors de celles-ci, nous enregistrions juste les violations, documents à l’appui.
Autrement dit, tu expliques à l’autre partie la raison pour laquelle ce qu’elle a fait constitue une violation. Tu ne lui dis pas seulement « tu as effectué une violation et donc je te dénonce ». Tu lui dis : « tu as effectué une violation pour telles et telles raisons ». Par ailleurs, s’agissant des pays avec lesquels nous avons des problèmes, nous soumettons des documents détaillés à l’ONU. J’ai dit à tout le monde, que je n’irais pas au tribunal pour être condamné. Je me serais assuré que tout est fait en bonne et due forme. Suis-je clair ? Nous avons perdu un procès pour cette raison, plus que toute autre chose. Et ce, parce que l’on parlait plus que l’on agissait. Moi je parle peu.
JOURNALISTE : S’agissant du dossier chypriote. Vous avez dit que certains ne voient pas la question de la réouverture des négociations de la manière dont nous l’envisageons. Qui sont-ils ? Comment voient-ils la question ? Qu’en pensez-vous ? Autrement dit, quand – tout en étant réaliste – pourront recommencer les négociations ? Après les élections présidentielles à Chypre ? D’un autre côté, une autre question qui est en rapport avec celle-là : avez-vous abordé avec M. McMaster la question d’une éventuelle tension à l’intérieur de la ZEE de Chypre ? Est-ce que Washington est préoccupé à ce sujet ?
N. KOTZIAS : Je ne discute pas avec M. McMaster de questions relatives à un Etat souverain, indépendant. Les Chypriotes ont un canal de communication ouvert avec les Américains, tout comme avec tous les Etats membres du Conseil de sécurité.
J’ai expliqué à M. McMaster quels pays et avec quels méthodes ils déstabilisent la région, comme je le fais avec tous les membres du Conseil de sécurité. Je l’explique aux Russes, aux Chinois, aux Français, aux Britanniques, à l’Union européenne, aux Etats-Unis et aux Allemands. Ils sont en général les premiers à qui l’on s’adresse. Les Allemands ne sont pas membres du Conseil de sécurité, mais ils jouent un rôle particulier au sein de l’Union européenne.
Pour ce qui est de la question de savoir comment et entre qui aura lieu la discussion, vous savez qu’un grand débat a été engagé entre les Chypriotes turcs et les Turcs sur la question de savoir s’ils acceptent ou non les paramètres de l’ONU.
Au début, après Crans-Montana, il a semblé que le point de vue prévalant entre eux était que l’on ne peut plus négocier à l’ONU, que l’on ne peut plus négocier sur la base de ces paramètres car cela n’a aucun sens. Je pense que ces deux acteurs dans ces deux espaces sont devenus plus réalistes. Ils disent tout simplement : « L’autre partie, c’est-à-dire les Chypriotes grecs, souhaite-t-elle une solution ? ». Ils le font pour avoir un alibi lors d’un éventuel jeu du blâme.
La politique internationale nécessite de la retenue. Après Crans-Montana, les Turcs et les Chypriotes turcs sont allés dire « on ne retourne plus discuter ». Et là, l’opinion publique et les faiseurs d’opinion se sont emparés de l’affaire et ont dit « la discussion est terminée, il n’y a plus de discussion ». Ce sont des phénomènes isolés. C’est pourquoi je dis que la politique étrangère nécessite beaucoup de retenue, du recul et un plan bien précis.
La presse fait bien de faire ce qu’elle fait, les activistes aussi, mais on ne peut pas réagir de la même manière qu’eux. Je dirais même que la presse et les activistes qui réagissent différemment, aident parfois la politique étrangère qui les cite. Mais l’exercice de la politique étrangère nécessite des connaissances approfondies.
Il y a des journalistes qui ont des connaissances approfondies sur la politique étrangère et pour qui – je le dis en qualité de ministre et de professeur des relations internationales – je voue un profond respect. Peut-être que je ne demande pas assez leur avis, même si j’ai toujours l’intention de le faire, mais en tant que ministre des Affaires étrangères je dois réagir avec modération.
Je vais vous dire autre chose. Je ne parle pas souvent, car je pense que plus on parle, plus on a de chances de faire comprendre à l’autre ce que l’on a en tête. Je ne veux pas aller aux négociations tout en sachant que l’autre sait ce que je pense réellement.
L’effet de surprise dans une négociation et le caractère inattendu sont importants. C’est ce que je pense et je me trompe peut-être.
JOURNALISTE : Je voulais savoir, M. le ministre, si vous avez abordé la question des réfugiés, aussi sous le prisme des relations UE – Turquie qui se trouvent dans un tournant difficile. Il y a tout juste quelques jours, la partie allemande notamment, a reformulé devant le Conseil européen l’avis que les négociations d’adhésion doivent être interrompues, etc. J’aimerais que vous me disiez deux choses à ce sujet suite aux contacts que vous avez eus à Ankara.
N. KOTZIAS : Nous nous sommes mis d’accord sur la réactivation du groupe conjoint mis en place pour la politique migratoire et qui s’est réuni la dernière fois en février, et ce, non par notre faute.
Un tel groupe doit discuter des questions d’immigration car nous ne sommes même pas d’accord sur les chiffres, à savoir combien de migrants sont passés, combien sont retournés, etc. Chaque administration a sa propre façon de compter et d’enregistrer. De manière générale, je suis pour discuter des questions en suspens. Nous devons aborder la question migratoire avec les Turcs et leur expliquer qu’outre les accords qu’ils ont conclus avec l’UE, ils ont passé des protocoles d’accord avec nous. Et que même s’ils n’avaient pas l’UE, ils ont des engagements résultant de nos relations bilatérales.
S’agissant de leur avenir européen, nous avons une position précise. Quel pays a le plus intérêt à ce que la Turquie devienne un Etat européen ? Autrement dit, que ce pays soit démocratisé, selon le modèle occidental, et européanisé, modernisé quant à son système institutionnel ? La Grèce, bien entendu.
Je ne dis pas que cela se produira. Il ne faut pas confondre les deux. Je parle de celui que cela arrange. Par conséquent, la Grèce est le dernier pays à vouloir l’interruption de ces discussions. Permettez-moi de vous faire part – je l’ai également dit aux Turcs – d’une expérience que j’ai eue en tant qu’employé du ministère des Affaires étrangères chargé d’élaborer et de planifier la politique étrangère dans les années 1990.
Vous souvenez-vous de l’accord d’Helsinki en 1999 ? Avant cet accord, il y avait Tampere. C’était, si je me souviens bien, en octobre 1999 en Finlande. C’était la première ou deuxième année que les conseils ministériels informels se tenaient. Il y avait les conseils informels des ministres des Affaires étrangères – Gymnich – mais il n’y avait pas de conférence au sommet informelle. C’est à ce moment là qu’elles ont commencé à être établies.
A cette époque, le ministère des Affaires étrangères et bien entendu le Premier ministre lui-même avaient décidé de retirer le veto sur la Turquie que nous avions posé au Luxembourg. Et après quasiment 20 ans, j’insiste sur le fait que cette décision était la bonne.
Que c’était-il passé ? Entre 1997 et 1999 – année du veto – tous nos partenaires et amis allaient dire aux Turcs : « Faites pression sur la Grèce car si la Grèce retire son veto, dans six mois vous deviendrez Etat-membre de l’UE ».
Ils nous ont utilisés comme bouclier face à la Turquie, avec l’hypocrisie et le double langage que l’on rencontre souvent dans les relations internationales. La Turquie faisait alors fortement pression pour une chose dont nous n’étions pas responsables, comme cela a été prouvé par la suite.
Lorsque nous avons levé le veto, j’ai pris l’initiative d’informer certains secrétaires d’Etats de pays membres. Les deux premiers m’ont saisi par la cravate, « l’uniforme professionnel » et m’ont dit : « Qu’est-ce que vous nous faîtes ? C’était ces mêmes personnes qui disaient aux Turcs : « Dans six mois, nous résoudrons tout ».
Depuis lors, 34 semestres se sont écoulés et il a été prouvé qu’ils nous ont mis sur le dos un conflit et une tension, dont nous n’avions aucune raison d’assumer la responsabilité. Je n’oublierais jamais cet enseignement.
Si, au lieu de dire « nous devons lutter pour que la Turquie devienne un pays européen », nous disions au sein du Conseil que « La Grèce exercera son droit de veto et que les négociations doivent finir », pensez-vous que quelqu’un d’autre aurait parlé ? Ils se seraient cachés derrière nous et auraient été tous les jours à Ankara dire : « Ah, ces Grecs… Nous on veut bien de vous… ». J’ai déjà vu ce genre de scénario et je ne laisserais jamais la Grèce le refaire tant que je serais ministre. J’ai une mémoire, et cela n’arrange pas certaines personnes.
JOURNALISTE : Monsieur le ministre, j’ai deux questions. Premièrement, ces derniers mois, de nombreux articles ont été publiés sur le stockage d’armes nucléaires en Grèce.
N. KOTZIAS : Aucune question ne se pose pas à ce sujet. En Grèce, des nouvelles « surprenantes » voient le jour. Demain, le Premier ministre parlera de [la base militaire] Souda. Nous, on a dit aux Américains « Oubliez Souda ». Lorsque l’équipe chargée de préparer leur voyage est venue ici, je leur ai dit à la fin, en plaisantant « avez-vous oublié Souda » ? Et ils m’ont répondu : « Nous savons que nous ne pouvons vous mettre la pression, cette question ne se pose plus». Cela c’est passé il y a deux semaines.
Pendant deux semaines, vos collègues journalistes écrivaient des articles sur ce sujet, parfois avec virulence, dont le titre était « Ils donnent Souda », « Souda pour 5 ans », « Souda pour 10 ans ». Cinq ans ne suffisaient pas, ils en voulaient 10. Je lisais les articles. Et lorsque je voyais un journaliste, je lui disais que cette question ne se posait pas. Nous avons été là-bas. Il n’y a pas eu de négociation sur Souda car il n’y avait aucun sujet de discussion. Nous sommes partis et je pouvais lire dans les journaux « Ils ont donné Souda ». Et voyez où nous en sommes arrivés.
Un parti au Parlement a demandé: « Avez-vous reçu quelque chose en contrepartie de Souda » ? Que voulez-vous répondre à cela. Si vous leur dîtes « Je n’ai pas donné Souda, donc il n’y a aucune contrepartie », ils rétorqueront « Vous l’avez donnée sans contrepartie ». Il n’y a pas armes nucléaires, pas de Souda. Nous sommes très clairs.
L’accord de Souda est automatiquement renouvelé chaque année pour une durée d’un an. Sinon, il faudra décider de mettre fin à l’accord et de fermer les bases. Quiconque le souhaite peut le proposer. Il y a des partis qui le proposent. Certains disent que l’accord a une durée de dix ans. Le renouvellement annuel est plus simple. C’est la moyenne.
Je n’ai aucun problème face aux critiques et aux pressions car je pense que le ministère des Affaires étrangères est une institution intelligente.
Ce ministère sait comment utiliser et valoriser les relations internationales, voire même la critique. Simplement, il ne faut pas que la critique en arrive au point de devenir de la bêtise, car après elle est irrépressible. Difficile d’y faire face, même pour un diplomate intelligent.
JOURNALISTE : Et une deuxième question relative à l’affaire du citoyen russe.
N. KOTZIAS : Après la Turquie, c’est avec la Russie que nous discutons de procédures judiciaires.
JOURNALISTE : Le ministère des Affaires étrangères de la Russie a fait un communiqué dans lequel il déplore la décision du Conseil d’appel. Que pouvez-vous dire à ce sujet ? Discutez-vous avec les diplomates russes ou non ?
N. KOTZIAS : La justice en Grèce est indépendante, souveraine. Et vous avez vu que deux corps judiciaires différents ont pris deux décisions différentes. Cela en dit long.
JOURNALISTE : Monsieur le ministre, il y a quelques jours, le ministère grec des Affaires étrangères a fait un communiqué concernant la situation à Himara et la situation politique en Albanie en raison de l’éventuelle implication d’un ancien ministre dans un scandale de stupéfiants. Le ministère albanais des Affaires étrangères a répondu en vous accusant d’intervenir dans les affaires intérieures de l’Albanie. Dans le même communiqué, Tirana se dit prêt à poursuivre les négociations, tout en rappelant la violation des protocoles diplomatiques, etc.
Ma question est la suivante : Est-ce que ce climat, ces accusations lourdes contribuent à la poursuite des négociations ? Merci.
N. KOTZIAS : Je pense qu'il a ete tres sage de ne pas mettre en oeuvre cette intention de « démolir » – pour le dire poliment – les bâtiments à Himara. Je pense que c’est un choix très sage de la partie albanaise qui contribue aux négociations.
Deuxièmement, pour ce qui est de l’accusation selon laquelle nous nous sommes mêlés aux affaires internes de l’Albanie, je dirais que nous avons parlé des droits de l’homme. Nous sommes confrontés au problème suivant : la minorité grecque est reconnue non par la loi albanaise, mais par le droit international, avec les accords de 1921. La création même de l’Etat albanais s’accompagne de la reconnaissance de ces droits.
Puis, il y a eu Enver Hoxha. Enver Hoxha a « socialisé » la propriété individuelle et il l’a socialisée selon le style de la révolution culturelle de 1968 en Chine. Autrement dit, il a socialisé – avec ou sans guillemets, ce n’est pas le moment d’en débattre – la petite et moyenne propriété. Il a ainsi enlevé la propriété de la minorité grecque.
Par ailleurs, alors qu’il avait une bonne politique vis-à-vis de la minorité – dans le cadre de son régime – il a « triché » pour le dire poliment. Il a défini la minorité grecque seulement dans certaines zones et – j’aimerais que tout le monde le retienne et le comprenne - a uniquement autorisé a ceux qui vivaient dans ces zones de s'enregistrer, dans les bureaux d’état civil, en tant que membres de la minorité grecque.
La nouvelle loi sur les minorités d’Albanie sera jugée par l’Europe. En tant qu’Etat membre de l’Europe, nous avons un avis et le communiquons à l’Union européenne.
La loi a conféré une série de droits non pas à une minorité, comme le reconnaît le droit international depuis 1921, mais à 9 minorités – soit ethniques, soit éthno-linguistiques.
En principe, c’est une bonne loi. C’est pourquoi on a dit que c’était un pas en avant. Mais quelle est la lacune de cette loi et qui pour nous constitue un pas en arrière pour ce qui est de la grande minorité ? Le fait qu’elle conserve les zones. Un politicien albanais pourrait me dire, à juste titre : « Mais quelles zones ? Nous on dit qu’il y a partout des minorités en Albanie ». Mais la loi se réfère à des minorités telles que déterminées par les bureaux d’état civil.
Mais les bureaux d’état civil, à Himara par exemple, n’ont pas autorisé l’enregistrement de la minorité grecque. Donc, alors que la loi est libérale et bonne, son point de départ, son origine, qui sont les bureaux d’état civil, reproduit le problème qu’avait la minorité grecque sous Enver Hoxha.
Par exemple, savez-vous que l’ancien président d’Omonia, le représentant de la minorité grecque, n’est pas inscrit en tant que membre de la minorité, car il était de Himara et à Himara on lui interdisait de s’enregistrer comme un membre de la minorité ?
C’est le problème dont on parle. Vous avez adopté une bonne loi, mais au lieu d’autoriser l’autodétermination des citoyens – que quelqu’un soit Turc, Grec, Albanais, selon sa volonté –, la loi prévoit la détermination sur la base des bureaux d’état civil. Mais cela a été déterminé par Hoxha, qui a interdit l’enregistrement en dehors des limites de la zone. Là réside le problème et nous estimons que c’est injuste. Vous savez quelle est la population grecque à Himara ? Il suffit de voir les bâtiments qui sont en voie de démolition.
Et le deuxième problème – c’est pourquoi je me suis référé à Hoxha qui a « socialisé » ces maisons – c’est qu’après la chute du régime, des titres de propriété n’ont pas été donnés. Et ils ont dit « tu n’as pas de titre de propriété » ou bien « je vais te donner une petite indemnisation ». Il existe une solution, mais je ne vais pas l’imposer. Toutefois, en tant qu’homme, non pas en tant que ministre, je dis que la solution est de donner des terrains équivalents ailleurs, de donner la possibilité d’exercer une activité économique. Ce n’était pas la peine d’aller, en juin, avec des bulldozers, démolir des magasins touristiques. Comment les gens vont-ils vivre ?
Quoi qu’il en soit, nous pensons qu’il doit y avoir une meilleure entente avec la minorité grecque, un plus grand respect et ne pas donner matière à réflexion à ceux qui pensent – je ne fais pas partie de ces gens-là – que certains veulent déraciner la minorité d’Albanie.
Donc, il faudra la protéger. La minorité grecque est un pont d’amitié entre la Grèce et l’Albanie, comme les immigrés albanais qui se trouvent ici.
Notre famille a la chance d’avoir, une fois par semaine, une dame albanaise qui vient travailler chez nous et dont nous considérons comme notre fille. J’ai la chance d’être professeur et de voir que souvent, sur les 10 meilleurs étudiants, la moitié sont des Albanais. Il en va de même des diplômes postuniversitaires. Sur l’ensemble des étudiants, 5% sont d’origine albanaise, mais souvent 50% de ceux qui se distinguent sont des Albanais.
Je suis fier de mes étudiants. Je suis fier de ces personnes et je suis très heureux de voir, quand je me rends à Tirana, que mes quatre étudiants sont aujourd’hui professeurs dans des universités albanaises. Ces personnes sont des ponts. Il ne faut pas les détruire. Au contraire, il faut leur permettre de s’embellir, de s’épanouir. C’est mon avis.
En Europe, il est normal de discuter des droits des minorités, des droits de l’homme, du droit à la fortune. D’ailleurs, au Conseil, comme vous le savez, cela a été posé comme condition. Cinq conditions. La Commission – je le rappelle à tous – est venue au Conseil avec une seule condition. Toutefois, la Commission n’est pas omnipotente. Nous sommes également présent. Au Conseil, les ministres ont posé cinq conditions. La Commission l’a mal pris, elle n'en voulait qu’une seule, mais s’est engagée vis-à-vis des cinq.
Et, s’agissant de ces cinq conditions, chaque Etat membre a le droit d’avoir un point de vue sur la question de savoir si ces points de vue sont mis en œuvre ou non. Et l’une de ces cinq conditions préalables pour ouvrir la négociation avec l’Albanie est la question des droits des minorités. Il est donc logique que nous ayons un avis.
Par ailleurs, la deuxième condition est la protection de la propriété. À Himara, nous avons la question de la propriété, mais aussi celle de la minorité. Nous nous sommes exprimés là-dessus. Ce que mes amis Albanais n’ont sans doute pas vu, mais je pense qu’ils l’ont vu par la suite – c’est qu’avec le porte-parole, M. Yennimatas, nous avons écrit, avec la plus grande attention, sur ce qui se dit. Nous n’avons pas dit que c’est notre opinion et nous avons complété en disant que « nous espérons que cela ne soit pas le cas ». Cela est très clair en grec.
Je n’aime pas alimenter les conflits. C’est pourquoi nous n’avons pas répondu au communiqué du ministère albanais des Affaires étrangères. J’avais préparé une très bonne réponse, mais après j’ai jugé que cela n’était pas nécessaire. Il s’est passé la même chose avec les Turcs. Ils avaient publié 10 communiqués, j’ai répondu par un demi-communiqué. Je ne suis pas pour alimenter la colère du moment et en faire un élément de conflit permanent dans les relations entre Etats.
Je suis pour le fait que moi, en tant que pays, avec ma culture et mon histoire, j’ai plus de responsabilité quant à la région. Je ne dis pas que vous devez nous obéir parce que nous sommes plus forts. Au contraire, nous avons une plus grande responsabilité. C’est pourquoi je ne réponds pas toujours aux communiqués des autres ministères des Affaires étrangères.
Pour moi, la politique étrangère n’est pas synonyme de bagarre entre deux personnes en colère, où moi je dois hausser davantage le ton ou insulter plus. Quand je me rends compte que les choses n’évoluent pas bien, je dois y faire face avec plus de patiente, de modération et de sang-froid.
Et c’est pourquoi je pense que, même s’il y a un échange de communiqués houleux auxquels nous ne faisons pas suite, les négociations peuvent avoir lieu. Et d’ailleurs, je vais vous dire quelque chose. Il est prouvé que nous devons clore les sujets. Car si tel n’est pas le cas, alors tous les jours nous serons confrontés à un problème de ce genre.
JOURNALISTE : J’aimerais vous poser une question au sujet des "lignes rouges", s’agissant de la question du nom, car on a pu entendre différentes choses à ce sujet, à savoir une appellation composée, assortie d'un déterminatif géographique. Parle-t-on d’une appellation avec le terme « Macédoine » ou, au cas où il y aurait eu un changement, d'autre chose? Et encore une chose que vous aviez dite après la réunion ministérielle de Thessalonique. Vous avez dit que la discussion porte sur le nom et est liée au nom. Qu’est-ce au juste ? Une langue, une identité ? Pensez-vous qu’il doit y avoir une solution qui inclut toutes les questions pour en finir avec ce problème qui divise les deux pays ?
Merci.
N. KOTZIAS : Ma profonde conviction et volonté et celle de mon gouvernement et j’espère aussi celle du gouvernement de Skopje est d’en finir avec ce problème. J’ai très sincèrement dit à M. Nimetz que je voulais résoudre ce problème. J’aimerais que les politiques de l’autre pays en fasse de même, qu’ils affirment en toute sincérité « je veux le résoudre ».
Si les deux parties veulent le résoudre, nous devons parvenir à un compromis. Le compromis porte sur l’ensemble des mesures. Et quelles sont-elles ? Le nom, l’utilisation du nom, les dérivés et le rapport des abréviations avec le nom. Donc quatre points.
M. Nimetz est chargé des deux premiers points, dans le cadre de la négociation qu'il mène depuis des années. Les deux autres points n’ont pas été abordés. Je dois vous dire également, que nous coopérons avec un grand nombre d’instituts et de professeurs spécialisés sur la question. Dans le fil des discussions, j’ai découvert certains problèmes particuliers, concernant, par exemple, les dérivés : tous le monde pense aux dérivés car dans votre pays c’est un sujet brulant, l’identité et la langue.
Mais il existe des questions encore plus complexes. Pas plus graves, mais plus complexes. Les appellations commerciales par exemple,. Que faire de celles-ci ? Là où elles existent des deux côtés. Par exemple, un homme d’affaires a ouvert une entreprise et vend un « produit macédonien x » de Thessalonique et un autre vend un « produit macédonien y » de Skopje. C’est un problème auquel nous n’avions pas songé. Je veux dire par là que plus on réfléchit, plus les problèmes deviennent complexes.
S’agissant du nom, ce que j’ai coutume de dire est que nous devons parvenir à un compromis. Nous ne devons pas avoir de vainqueurs et de vaincus dans cette affaire. Et il faut, pour parvenir à un compromis, avoir résolu deux problèmes. Premièrement, il faut que le peuple de votre pays comprenne que nous aimons le fait même que vous existiez – et je suis d’ailleurs heureux que vous soyez ici avec nous – et, deuxièmement, il faut mettre fin à l’irrédentisme.
Je vais vous dire ce que je dis souvent et que j’ai réitéré lors de ma première interview. Je ne sais pas si vous étiez en 2015 à Skopje, c’était une interview qui a duré 3 heures, 3 heures trente environ. Il y avait 250 journalistes, je m’en souviens encore très bien. Et j’ai dit : Je vais au Pakistan. Et quelqu’un me rétorque : « Moi je suis un descendant d’Alexandre le Grand ». Pensez-vous que cela m’a fait de la peine ? Je lui ai répondu : « Bravo ». J’aime le fait qu’il veuille hériter de la civilisation grecque. En revanche, savez-vous ce qu’il ne me dit pas ? Il ne me dit pas que la Macédoine est pakistanaise. Toute la Macédoine, de surcroit.
Je vais en Egypte. Il y a une ville qui s’appelle Alexandrie et qui tire son appellation d’Alexandre le Grand. Lorsque je me suis rendu à Alexandrie pour la première fois et que tout le monde était fier de la Bibliothèque, personne ne nous a dit qu’Alexandroupolis leur appartient du fait que la ville s’appelle Alexandrie, qui tire son nom du Saint. C’est cela l’irrédentisme.
Si certains veulent avoir le sentiment que la civilisation grecque était très grande… Je vais vous dire quelque chose. Les Allemands ont fondé leur nation au nom de la philosophie et de l’héritage grecs. Ils ne voulaient pas, à l’époque, adhérer au siècle des Lumières français en raison des guerres germano-françaises, et se voulaient héritiers de la civilisation grecque. Rien de mal à cela.
Mais n’ajoutez pas « cela m’appartient ». Autrement dit, dire que « La Macédoine est un terme géographique» est différent de dire que « La Macédoine est un terme ethnique». Et dire « une partie du Pirin se trouve en Bulgarie, en Macédoine, mais, d'un point de vue géographique, la plus grande partie se trouve en Grèce» est autre chose que de dire – en parlant du point de vue ethnologique – que « La Macédoine et l’histoire de la Macédoine m’appartiennent et, par conséquent, je construis une dizaine de statues ».
C’est pourquoi je suis profondément convaincu qu’il faut mettre fin à la conception selon laquelle la Grèce veut détruire votre pays. Nous ne le voulons pas et j’espère, qu' à Skopje, ils en sont convaincus. Nous apprécions le fait qu’il existe. Et du point de vue géostratégique nous l’apprécions aussi, mais l’irrédentisme est une autre chose. Il faut mettre fin à ces deux choses.
Je vais vous dire une différence méthodologique académique – académique, non en tant que ministre : dans le débat international, il y a deux types de guerres sociales : les guerres de classes, que Marx a définies pour nous, et celles qui sont la déclinaison – le dérivé de ces guerres, à savoir les guerres de culture. Et, en fait, du point de vue historique, nous avons davantage pris conscience des guerres de culture dans l’Allemagne du 19e siècle, dans le conflit entre Bismarck, qui était protestant, et le parti du Centre – le Zentrumspartei – dont les partisans étaient catholique. Après est apparu le parti social démocrate allemand et ces deux derniers se sont unifiés pour former l’actuel parti chrétien démocrate.
Les guerres culturelles jouent aujourd’hui encore un rôle de temps à autres très important dans tous les pays, notamment aux Etats-Unis car elles procèdent des luttes sociales. Ici, nous avions la « lutte pour le 666 ». De quelle lutte s’agit-il ? Elle est culturelle. Ou bien si la religion sera notée sur la pièce d’identité. Ou encore la question patriotique. Ce sont des luttes culturelles qui reflètent et sont issues d’autres luttes sociales.
De ce point de vue, j’ai encore une fois essayé de réfléchir sur ce modèle et voir ce que cela signifierait pour nos voisins sur la scène politique internationale. Je dirais qu’une telle confrontation, pour ne pas dire conflit, renvoie à des conflits, des différends d’identité, d’identité culturelle.
Autrement dit, qui sommes-nous, d’où venons-nous, où allons-nous ? Sommes-nous pareils ? Nous sommes nous et non pas vous ? Vous êtes vous et non nous ? Alors que les différends que nous avons avec d’autres voisins sont géostratégiques, géopolitiques, ils revêtent un différent caractère.
Et à mon sens, dans les relations internationales, et je parle en tant qu’universitaire, les deuxièmes sont plus importants que les premiers pour la politique étrangère, ils sont plus difficiles.
JOURNALISTE : Monsieur le ministre, s’agissant du nom de l’ARYM, vous avez dit vous-mêmes qu’il y a des questions plus complexes que celle du nom et de son usage.
N. KOTZIAS : Non pas plus importantes. Elles sont le produit de ce qui est important.
JOURNALISTE : Il y a toutefois les dérivés, etc. Et le délai que vous avez fixé, le 1er semestre de l’année 2018. Vous avez dit que cela devait être résolu au premier semestre 2018.
N. KOTZIAS : Sinon, cela prendra beaucoup plus de temps.
JOURNALISTE : La deuxième question, Monsieur le ministre, est que le gouvernement du pays voisin semble plus disposé à parvenir à des compromis et des consensus. La question est : est-ce que le gouvernement grec est prêt, dans son ensemble, à parvenir à un tel compromis ?
N. KOTZIAS : Oui.
JOURNALISTE : Le gouvernement dans son ensemble et le parti ANEL (Grecs Indépendants) ?
N. KOTZIAS : Je vous ai répondu et ne vous donnerais aucune autre explication. Ce sera à l’histoire de nous juger. Si vous me permettez de dire quelque chose, parce que, parfois, cela me dérange et vous savez que je ne critique pas beaucoup l’opposition, tout comme elle ne me critique pas beaucoup pour être honnête et juste. Mais un parti qui a connu pendant longtemps de nombreuses dissensions internes s’agissant du nom, qui avait un ministre des Affaires étrangères en conflit avec son Premier ministre et qui a créé un autre parti qui, en outre, avait trois cadres dirigeants – l’un de ceux-ci étant devenu son président (Evert, Dimas, Kanelopoulos) – se demander si l’autre partenaire du gouvernement a un avis différent, cela va un peu loin. Un peu de modestie historique ne ferait pas de mal. Ce n’est pas moi qui ai créé le problème, je l’ai trouvé tel qu’il était et j’aimerais le résoudre.
Ces personnes sont tombées suite aux luttes intestines sur la question. D’ailleurs, le Secrétaire général de l’époque, M. Skylakakis, décrit avec précision comment M. Mitsotakis a abandonné ses positions suite aux pressions qu’il a subies au sein de son parti par les trois hommes politiques susmentionnés.
Et je dois vous dire que, s’agissant de ce problème, historiquement, le seul parti dans le pays, à l’époque de l’après-dictature, à avoir adopté une position de principe, outre le parti Synaspismos, était le parti KKE. Il faut le dire et l’admettre. C’est la vérité.
JOURNALISTE : Il vous a incombé, dans le cadre de votre mandat, M. le ministre, suite au rachat de l’Organisation du Port du Pirée, de façonner dans une large mesure les relations avec la Chine. L’année dernière, la Grèce a bloqué une décision de la Haye, soutenue par l’UE, nommant la Chine et l’invitant à se conformer à la décision.
N. KOTZIAS : Très bonne question, car les choses n’en sont pas exactement ainsi. Je vous remercie car le «Wall Street Journal» et le «New York Times», dans leurs unes, me critiquent à cet égard.
JOURNALISTE : Il ne faut pas omettre l’intervention de la Grèce, cette année, sur la scène politique étrangère européenne, empêchant une condamnation de la Chine dans le domaine des droits de l’homme, qui nous intéressent.
J’aimerais vous demander ce que vous disent les partenaires européens sur cette position de la Grèce, quelle est la stratégie et la logique. Je vous remercie.
N. KOTZIAS : C’est moi qui vous remercie car je ne parle pas souvent et maintenant cette occasion m’est donnée. Je vous en suis reconnaissant.
Décision d’arbitrage – non de la Cour de la Haye – « Philippines vs Chine ». Volume de la décision : 496 pages. Première demande : publier un communiqué contre la Chine, une semaine avant même que la décision ne soit publiée et que nous en prenions connaissance.
Le ministre grec des Affaires étrangères répond et c’est au peuple grec de juger : je ne publierai pas de communiqué sur une décision qui concerne des îles, une ZEE, un plateau continental dans un différend qui présente de nombreuses similitudes avec le différend qui oppose la Slovénie à la Croatie et la Grèce à des pays voisin, sans l’avoir lue.
Et je me demande : peut-on attendre de la Grèce, du ministre grec des Affaires étrangères, lorsque l’on sait qu’il y a 2 000 îles, 1.200 sans les îlots rocheux, de prendre une décision, saluer une décision tout en ignorant son contenu ?
La décision est publiée. Le même jour, l’UE réitère sa demande de publier un communiqué au Conseil des ministres. Et je dis : « Est-ce que quelqu’un d’entre vous l’a lue ? Elle vient d’être publiée aujourd’hui. Qui d’entre vous sait combien de pages fait cette décision ? » Je leur ai dit qu’elle faisait 496 pages.
Puis la troisième session s’est tenue, lors de laquelle nous avons pris la décision – ce n’est pas que nous avons bloqué la décision – que la Slovénie voulait à la fin bloquer. Nous avons pris la décision, nous nous sommes mis d’accord, nous avons formulé la résolution, mais qu’avions nous fait ? Nous avions lu la décision. Et j’ai posé la question à mes collègues en plaisantant : « à l’exception de moi-même qui l’ai lue, est-ce que quelqu’un d’entre vous ici l’a lue ? Je ne parle pas de votre collaborateur, mais de vous ». Et bien personne.
Et je demande : est-il possible que la Grèce prenne des décisions concernant ses intérêts cruciaux, car lorsque nous saisirons un tribunal international pour une affaire, si jamais le besoin se présente, la cour internationale se basera sur des décisions précédentes. Et imaginez que la décision précédente soit à notre détriment et que je l’ai saluée avant même de la lire et que le juge me dise « Mais monsieur, vous l’avez saluée, vous avez dit qu’elle est juste. Comment venez-vous me dire maintenant que la décision n’était pas juste ? ».
Par conséquent, j’ai bien fait d’agir de la sorte et je crains de n’être le seul ministre des Affaires étrangères à avoir lu la décision.
Passons au deuxième point. Nous avons une autre décision concernant l’Iran, la Banque d’Iran où nous avons mis notre veto. Que c’était-il passé alors ? Nous attendions la décision de la cour européenne sur le statut de ladite banque. Mais la période des sanctions a pris fin. Ils ont proposé d’imposer des sanctions pour les 8 années suivantes. Qu’ai-je proposé ? D’imposer des sanctions jusqu’au jour où la décision serait publiée. Et si la décision était une décision d’acquittement pour l’Iran, que pouvons-nous faire. Si ce n’est pas une décision d’acquittement, alors on peut prendre une nouvelle décision.
Mais prendre une décision sur 8 ans alors qu’on savait que la décision serait publiée au plus tard dans trois mois et donc indépendamment de la décision, aurait signifié que nous nous serions moqué des gens en leur disant que nous sommes un système fondé sur le droit. Finalement, notre point de vue a prévalu.
Combien de temps après la décision a-t-elle été prise ? Trois jours. Tout le monde le savait. Tous les grands je veux dire. Et qu’a fait cette décision ? Elle rendait justice à l’Iran. Et la question qui se pose est la suivante : nous maintenant, en tant qu’Européens, est-ce que nous respectons les décisions de la Cour des communautés européennes, de l’UE? Certains ont dit non. Mais moi, qui suis un petit pays et dont ma force est le droit international, je ne pouvais pas adhérer à leur point de vue.
Et quel était le dernier compromis que j’ai proposé ? Des amendes sont infligées si la décision de l’Union européenne n’est pas appliquée. Et j’ai demandé : qui d’entre vous tous payera l’amende que je me verrais infliger pour non application ? Personne ne voulait la payer. Et nous aurions payé l’amende !
Le troisième point concerne les droits de l’homme. Les droits de l’homme sont tout d’abord sélectifs. Nous demandons : sur la base de quel critère choisissez-vous ces 10 pays et non ces 15 autres ? Silence, aucune réponse. Nous avons proposé, et cela est adopté, un pays qui nous a nui au sein de l’Organisation pour la coopération islamique. Savez-vous comment ils ont réagi ? « Non, non qu’il n’entre pas ».
Nous arrivons au cas de la Chine. Deux jours après le jour où les représentants permanents devaient prendre une décision à Genève – ils ne soumettent pas ces décisions aux ministres; je leur ai déjà dit « les décisions politiques aux ministres, non pas aux diplomates » - nous avions une réunion avec les Chinois, en tant qu’Union européenne, sur les droits de l’homme.
Et j’ai soumis la simple question : Bien, si nous avons quelque chose à dire, nous irons les « réprimander ». Pourquoi devons-nous prendre une décision deux jours avant ? Est-ce que c’est cela la négociation ? Deuxièmement, pourquoi est-ce que tel ou tel pays ne participe pas ? Moi je propose que d'autres soient également inclus.
Et troisièmement, ils ont dit que « soit nous critiquons la Chine sans corrections, soit nous ne publions pas la résolution ». Et je leur ai dit que « si la résolution n’est pas publiée, ce sera votre faute ». Car moi, en tant que pays, j’ai trois amendements à faire. Laissez ce paragraphe de côté ».
Ils ne nous ont pas accusés parce que le texte sur la Chine n’est pas sorti, mais ils nous ont accusé, à tort, du fait que le texte sur les droits de l’homme n’est pas été publié. C’était leur décision. Et ce n’est pas fini. Ils nous ont dit que nous le faisions car nous avons des intérêts économiques. Si je me souviens bien, la Grèce représente 0,7% des investissements de la Chine en Union européenne. La Grande Bretagne 23%, l’Allemagne 20%. Pourquoi aurions-nous des intérêts économiques et pas eux ?
Et que vendons-nous ? Nous vendons d’anciennes installations de la deuxième révolution industrielle. Vous savez ce qu’ils vendent ? La dernière usine vendue en Allemagne était une usine de robotique. Mais eux, soi-disant, ils n’ont pas d’intérêts économiques, c’est « business as usual ». Alors que si nous vendons quelque chose, c’est à cause de notre ligne politique. Ce sont des hypocrisies et un double langage et c'est ce que je leur ai dit.
JOURNALISTE : (Hors micro)
N. KOTZIAS : Nous discutons toujours avec nos partenaires et de tout ce qui est nécessaire dans le cadre de nos relations bilatérales. Mais je respecte le fait que les Chinois ont un avis différent sur les droits de l’homme. Il y a un aspect d’ordre philosophique : Est-ce que les droits de l’homme, tels que l’Occident les entend, s’appliquent en général, ou bien d’autres ont-ils une conception différente ?
Nous pensons qu’ils s’appliquent en général. Mais tout le monde ne pense pas comme nous.
JOURNALISTE : Monsieur le ministre, lors des décennies précédentes, la position des Etats-Unis concernant la Turquie était : « mettez-vous d’accord, passez des accords, concluez des accords avec eux ». Vous y étiez; est-ce que le nouveau gouvernement américain incite à quelque chose ? Propose-t-il quelque chose ? Propose-t-il des accords, fait-il des déclarations ?
N. KOTZIAS : Non. Le nouveau gouvernement américain a deux problèmes. Le premier, comprendre la Turquie – les Européens ont d’ailleurs aussi ce problème – il y a une certaine difficulté à comprendre exactement les contradictions de la Turquie. Et de ce point de vue, nous avons le plaisir, je dirais, d’expliquer nos points de vue à des tiers qui n’ont pas encore abouti à des conclusions.
Il n’y a pas de pression, mais je pense qu’au fond ils ne veulent pas perdre la Turquie. Je vous recommande de lire des textes écrits par les hommes du nouveau gouvernement américain. De mon point de vue, il y a un revirement par rapport à ses déclarations initiales.
Aujourd’hui je suis un peu diffus, certes, mais je voudrais vous expliquer comment je pense, car cela est plus important que telle ou telle nouvelle. La nouvelle administration américaine est arrivée en pensant que ces alliances « me coûtent de l’argent et ne valent pas le coup ». Avez-vous vu l’OTAN? Cela ne vaut pas le coup. Ce sont des free riders, des « resquilleurs » ou des « opportunistes ».
A l’instar de celui qui resquille et qui n’oblitère pas son ticket dans le bus mais qui voyage quand même, de la même façon « je paye pour la sécurité internationale et d’autres, comme les Allemands par exemple, ne payent pas, mais en profitent ». Ou encore dans une usine, il y a 100 personnes sur 150 qui font grève, mais la convention collective concerne les 150 personnes. Les 50 qui ne se sont pas battus, qui n’ont pas perdu de salaire, sont des free riders, autrement dit des resquilleurs ou des opportunistes. En d’autres termes, ils profitent sans s’être donné la moindre peine.
Cette position initiale a perdu du terrain et actuellement prévaut davantage le point de vue selon lequel avoir des alliances coûte moins que de ne pas en avoir. Si vous lisez leurs textes, une partie du gouvernement dit: Etant donné que l’Amérique se trouve dans un processus de réduction de son rôle important, nos alliés essayent de forger d’autres alliances – ils ne le disent jamais en parlant de la Turquie mais je vous dis que comme modèle, ce qui est aussi intéressant pour la Turquie – sans que cela ne porte préjudice à leur relation avec les Américains.
Et là, ils disent : « Oui, mais si nos alliés partent, le rapport de forces international par rapport à nos intérêts économiques sera à notre désavantage ». Par conséquent, il est préférable de « contribuer au coût des alliances, plutôt que de payer le coût de l’absence d’alliances ». C’est une position qui est nouvelle.
La philosophie, telle que je la lis – eux-mêmes ne le disent pas - c'est un sentiment que les Américains dans l’Occident et l’Occident dans le monde n’est pas aussi fort qu’avant. C’est pourquoi la quête de voies permettant de renforcer la position des Etats-Unis dans l’Occident et de l’Occident dans le monde est plus forte.
Je pense que le gouvernement Trump vient poser cette question et chercher une réponse à cela.
Je vous remercie.
October 27, 2017