Déclaration du ministre des Affaires étrangères, N. Dendias, à l’issue de sa rencontre avec son homologue allemand, H. Maas (Athènes, 21 juillet 2020)

Déclaration du ministre des Affaires étrangères, N. Dendias,  à l’issue de sa rencontre avec son homologue allemand, H. Maas (Athènes, 21 juillet 2020)C’est avec un grand plaisir que j’accueille aujourd’hui mon cher collègue, Heiko Maas à Athènes, et ce,  en une journée cruciale, à l’heure où l’Europe a pris une décision sur la manière de gérer la crise, une décision qui nous rend plus optimistes pour l’avenir de l’Europe.

Depuis cette tribune je voudrais lui adresser mes félicitations à l’occasion de la Présidence allemande  du Conseil européen pendant le semestre en cours. Je lui souhaite tout le succès. Succès que je considère comme étant certain. Il figure parmi les collègues les plus expérimentés au sein du Conseil.

Avec Heiko nous avons tenu une discussion approfondie portant sur nos relations bilatérales, les questions d’actualité de l’Union européenne et les questions régionales.

Nous avons parlé de la pandémie. Il a eu l’amabilité  de nous féliciter de notre gestion de la pandémie. Il est vrai que la Grèce et l’Allemagne ont réagi  à temps et avec efficacité.

En outre nous avons constaté ce que nous savons tous, à savoir que nos relations sont à un très bon niveau. Lors du déjeuner qui aura lieu tout de suite après, nous débattrons des questions économiques. Comme vous le savez, le forum économique gréco-allemand qui a été inauguré par la chancelière Merkel et le Premier ministre, K. Mitsotakis en mars, constitue le socle idéal sur lequel on pourrait axer notre coopération future. Et l’Allemagne sera le pays d’honneur lors de la 85e foire internationale de Thessalonique.

Toutefois, je ne vous cache pas que la situation en Méditerranée orientale a dominé nos discussions. Le comportement illégal et provocateur de la Turquie a un impact grave sur non seulement la paix et la stabilité en Méditerranée orientale, mais aussi sur la cohésion de l’OTAN et ses relations avec l’Union européenne.

Ankara néglige les appels que nous lançons afin qu’elle mette fin à son comportement illégal, qu’elle respecte le droit international et honore ses engagements, tels que la Déclaration commune de 2016 sur la question migratoire.

Vous savez, il y a quelques jours, la Turquie a pris pour cible un navire français participant à une mission de l’OTAN. Nous nous rappelons tous de l’instrumentalisation de la question migratoire, en février et en mars, et nous nous rappelons tous bien évidemment de la récente décision de la Turquie de changer le statut de musée de Sainte-Sophie et de la convertir en mosquée. Une provocation qui a visé la dimension œcuménique du monument, d’un monument qui est le symbole de la coexistence pacifique et de la diversité.

Lors de notre dernier Conseil à Bruxelles, nous avons décidé de rédiger un texte présentant de différentes options concernant des mesures qui pourraient être imposées à la Turquie, si celle-ci continue de faire preuve de cette attitude illégale.

Toutefois, je voudrais vous dire quelque chose que je dis toujours : que la Grèce est aussi ouverte au dialogue. Mais ce dans certaines conditions. Des conditions bien évidentes. Le respect du droit international, du droit international de la mer et des règles du bon voisinage. Et, bien évidemment, il ne peut y avoir de dialogue sous la pression de menaces. La Grèce ne va pas contribuer à la légitimation du comportement infractionnel.

Force est de rappeler que la journée d’hier marque quarante-six ans depuis l’invasion turque à Chypre. Quarante-six ans pendant lesquels un mur divise encore une capitale européenne : Nicosie. La partie allemande, j’imagine, a une sensibilité particulière   à cet égard. Et, bien, évidemment, depuis 16 ans une partie du territoire de l’Union européenne, la partie nord de la République de Chypre, est toujours sous occupation.

Au lieu d’engager un dialogue en faisant preuve d’un esprit constructif, la Turque viole de manière flagrante la souveraineté et les droits souverains de la République de Chypre.

Et j’en viens maintenant à la question libyenne.

La Libye, six mois après la conférence de Berlin, est en effervescence. Lors de la  dernière réunion du Conseil nous avons directement invité la Turquie à faire preuve d’une attitude  constructive et à mettre fin à la violation de l’embargo sur les armes. La Grèce soutient les efforts de l’Organisation des Nations unies et les conclusions de Berlin en faveur de la désescalade, du retour au dialogue et d’une solution politique à la question libyenne.

Nous pensons toujours que le plan égyptien peut contribuer dans le bon sens.

En outre, l’opération « Irini » qui vise à la pleine imposition de l’embargo sur les armes, constitue un élément très positif, une pièce du puzzle pour le règlement de la crise libyenne. Seulement une solution provenant des Libyens eux-mêmes et résultant de négociations pourrait être durable, et, bien évidemment, cette solution semble de plus en plus lointaine tant que les interventions extérieures en Libye perdurent.

Nous avons également évoqué la perspective européenne des Balkans que nous soutenons fermement, tout comme l’Allemagne. C’est une perspective qui contribue à la consolidation de la stabilité et de la sécurité dans la région. Mais, bien évidemment, cette perspective ne peut être possible qu’à la condition du respect des critères et modalités qui ont été fixés.

Cher Heiko, ton arrivée aujourd’hui à Athènes m’a beaucoup réjouie. J’attends avec intérêt de poursuivre notre discussion lors du déjeuner de travail et permettez-moi encore une fois de vous souhaiter la bienvenue dans la capitale grecque.

[…]

JOURNALISTE : Ma question est la suivante : le parlement égyptien a donné le feu vert pour une intervention militaire en Libye. Dans quelle mesure cela est-il inquiétant pour vous ? Est-ce que cela pourrait conduire  à un direct affrontement entre la Turquie et l’Egypte en Libye ? La deuxième question porte sur Sainte-Sophie : Monsieur Dendias, le gouvernement grec a réagi de manière clairement négative face à ce geste de la Turquie, et, bien évidemment, en avertissant cette dernière de conséquences que cela pourrait entraîner. Quelles sont ces conséquences M. Dendias et M. Maas, quelle est votre attitude à l’égard de la question de la transformation de Sainte-Sophie en mosquée ? En outre, quel est votre propre point de vue à cet égard ?

Ν. DENDIAS : Je vous remercie de votre question. S’agissant de la décision du parlement égyptien, ce n’est pas à la Grèce de commenter une décision du parlement égyptien. Ce que je veux dire est que notre propre position  à l’égard de la question libyenne est une position visant  à l’atteinte des objectifs du Processus de Berlin, à savoir parvenir à une trêve tout d’abord et par la suite instaurer la paix en Libye.

Par conséquent, la Grèce est préoccupée par l’escalade des tensions en Libye. Ce que je comprends est, si je suis bien informé en la matière, que la décision du parlement égyptien est une décision visant à prévenir une éventuelle activité agressive provenant d’autres acteurs en Libye. Et il s’agit d’une décision qui, au fond, constitue une position de défense de l’Egypte. Quoi qu’il en soit, l’Egypte, comme nous, est en faveur de l’atteinte d’une trêve en Libye.

Nous pensons que le pire scénario pour l’Europe serait que la Libye devienne une nouvelle Syrie. Nous ferons donc tout ce qui est en notre pouvoir afin que la Libye retourne à la normalité.

S’agissant de Sainte-Sophie, je voudrais être clair : nous pensons que la décision des dirigeants turcs est complètement erronée et inexplicable. Sainte-Sophie a été convertie en monument du patrimoine culturel mondial, suite au choix fait par la Turquie elle-même. Un bon choix. Puisque Sainte –Sophie appartient à l’humanité. Elle n’appartient pas seulement aux chrétiens, elle n’appartient pas seulement aux musulmans. C’est un élément de notre parcours historique commun.

Bien évidemment, les Grecs ont le droit d’éprouver une sensibilité particulière à l’égard de ce monument. Et la Grèce n’a pas menacé la Turquie de sanctions.

La Grèce ne considère pas la question de Sainte-Sophie comme étant un différend gréco-turc. Elle la considère comme étant une question qui concerne la communauté internationale et les actions qu’elle va entreprendre viseront à la sensibilisation de la communauté mondiale et à  assurer la protection de son statut de musée et de l’histoire de Sainte-Sophie par l’Unesco et la communauté mondiale. Je vous remercie.

[…]

JOURNALISTE : Une question adressée au ministre grec. L’Allemagne se présente en fait depuis des années comme le gérant de la dette en Europe. Des coupes financières drastiques et des économies d’argent ont été imposées à la Grèce. Aujourd’hui, il y a une grande Union de la dette. Que pensez-vous de ce nouveau rôle de l’Allemagne ? Avez-vous le sentiment d’être plus proche de cette Allemagne que dans le passé ? Et une question pour le ministre allemand des Affaires étrangères. Vous vous êtes référé au droit d’asile. Dans le cadre des négociations très difficiles qui se tiennent à Bruxelles, nous sommes très loin – encore plus que ce que nous étions jusqu’à présent – de la mise en place d’un système commun d’asile, ou bien êtes-vous optimiste à ce sujet ?

N. DENDIAS : Je vous remercie de votre question. Je pense que c’est une question qui est posée et laquelle  sera répondue au moment opportun. Un moment qui, comme l’a dit mon collègue allemand, Heiko Maas, est un bon jour pour l’Europe. Un jour au cours duquel nous avons prouvé que l’Europe peut réagir de manière positive face aux défis.

Permettez-moi de dire que l’initiative de la chancelière Merkel et du président Macron sur le mode de gestion de la crise de coronavirus de la part de la famille européenne a été exemplaire. Je comprends qu’une telle initiative, qui portait sur une somme très importante, à savoir 750 milliards, aura fait l’objet de multiples discussions, de maintes réflexions et aura généré une aussi longue rencontre de chefs d’Etat, comme celle que nous avons vue à Bruxelles ces jours-ci. Quatre jours de négociations !

Mais ce que nous retenons, c’est l’heureuse issue : une approche européenne commune.

Et comme vous avez eu l’amabilité de me rappeler combien la Grèce a souffert pendant les années de la grande crise, je dois vous dire avec certitude que chaque citoyen grec qui se souvient cette crise, se sent beaucoup mieux dans la famille européenne d’aujourd’hui. Mais il est certain que pour en arriver au point où nous en sommes arrivés aujourd’hui, on doit passer par un long cheminement de souffrances et d’erreurs. La Grèce a été l’un des pays à avoir vécu ces souffrances. Mais elle se sent beaucoup mieux dans la réalité européenne actuelle.

July 21, 2020