Déclarations conjointes du ministre des Affaires étrangères, N. Kotzias et de son homologue albanais, D. Bushati lors de la conférence de presse (Tirana, 15.7.2015)

Déclarations conjointes du ministre des Affaires étrangères, N. Kotzias et de son homologue albanais, D. Bushati lors de la conférence de presse (Tirana, 15.7.2015)D. BUSHATI : Bonjour à tous. J’ai le plaisir de recevoir M. Kotzias, ministre des Affaires étrangères de notre pays voisin, la Grèce. Il s’agit de la première visite de M. Kotzias et une première occasion qui nous est donnée d’examiner l’état d’avancement des relations bilatérales de nos deux pays, tant au niveau régional, qu’européen, deux pays qui entretiennent des relations revêtant une importance stratégique.

De notre côté, nous estimons que c’est avec le dialogue, les discussions et les principes du droit international que nous pourrons surmonter les obstacles dont nous avons hérité et qui constituent un fardeau tant politique que sentimental.

Qu’est-ce que cela signifie qu’être voisin dans cette région ? La relation entre les pays voisins ne saurait être mieux décrite qu’en employant les mots de Sophocle qui a dit que la confiance peut s’estomper très facilement là où le manque de confiance peut fleurir. C’est pourquoi nous devrons investir davantage dans l’esprit de confiance. Etre voisin, signifie que nos relations sont plus que nécessaires. Cela signifie que souvent les choses qui nous unissent, semblent en apparence nous diviser. Cela signifie également que les relations connaissent des hauts et des bas et les efforts visant à instaurer une confiance stable ne doivent jamais cesser. Qu’est ce que cela signifie qu’être un bon voisin ? Selon nous, cela signifie que nous partageons obligatoirement un avenir commun, où, comme l’a dit Spinoza, la paix n’est pas seulement le contraire de la guerre, mais elle est une vertu, une volonté bien disposée de confiance et de droit. Et l’une des caractéristiques de notre voisinage, qui est d’importance stratégique, est qu’il n’y a aucun tabou entre nous.

De mon côté, je sais et je comprends bien que des visites similaires de hauts fonctionnaires de la Grèce en Albanie, et vice-versa, créent des attentes auprès de l’opinion publique. Dans le cadre de cette attente, je peux vous dire que mon homologue et moi-même, avons discuté dans un climat très cordial, de toutes ces affaires qui s’intègrent dans notre agenda au niveau bilatéral ou bien, comme on le dit dans la langue diplomatique, des affaires considérées comme anciennes ou encore des résidus du passé jusqu’aux préoccupations que nous avons aujourd’hui dans notre quotidien.

S’agissant de toutes ces affaires, je peux dire avec joie, que non seulement nous avons eu des moments de confrontation, mais aussi nous avons tenté de rechercher des solutions possibles. Et lorsque nous n’avons pas la possibilité de résoudre les problèmes, nous agissons dans les limites du droit international qui dicte les solutions qui seront acceptées par les pays contractants. Nous sommes deux pays membres de l’OTAN et l’Albanie est un pays qui aspire à devenir membre de l’UE. Dans cet esprit, nous encourageons la Grèce à continuer son approche constructive dans la région. La position de la Grèce est bien connue. Et cela transparaît dans la position proclamée avant les élections par le gouvernement actuel, mais aussi par l’agenda de Thessalonique pour ce qui est des Balkans occidentaux et des résultats de ce programme.

Dans le même temps, nous avons encouragé et soutenu la visite du ministre grec des Affaires étrangères au Kosovo, qui est un signe de rapprochement de la part de la Grèce et nous encourageons la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo.

Les défis que l’Europe et la région doivent relever placent les deux pays devant de nouvelles responsabilités. Nous avons avant tout la question de la sécurité dans le Sud et à l’Est de notre continent. Deuxièmement, nous avons la crise économique à laquelle notre pays voisin est confronté. Nous n’envisageons pas cette crise comme une affaire grecque, mais comme une affaire politique pour l’avenir de l’Europe, qui concerne la position géostratégique de la Grèce.

Dans ce sens, nous souhaitons que la situation actuelle soit vite résolue, par le biais d’un accord qui a récemment été atteint avec l’UE, et ce, dans l’intérêt de la prospérité du peuple grec, mais aussi des citoyens albanais qui vivent et travaillent en Grèce.

A ce stade, j’aimerais remercier la partie grecque qui, bien que traversant des moments difficiles, a trouvé le moyen d’approuver au parlement la loi sur la nationalité, une loi qui profite à un grand nombre d’enfants d’immigrés albanais qui sont nés en Grèce.

Troisièmement, j’aimerais souligner l’importance des questions liées à la sécurité énergétique, qui continueront de figurer à l’ordre du jour de cette partie de l’Europe. Dans ce sens l’Albanie a prouvé, par sa politique tout aussi constructive que dynamique dans la région, qu’elle s’aligne sur la position de l’UE et constitue un partenaire fiable. Aujourd’hui, nous nous sommes engagés à mettre en œuvre les projets revêtant une importance pour la sécurité énergétique et la stabilité économique dans la région, y compris les ressources naturelles communes.

Nous estimons que l’heure est maintenant venue de poser de nouvelles bases, en révisant l’application du traité d’amitié existant.  Cette révision servira à la création d’un nouveau cadre juridique visant à la résolution des problèmes précis au moyen de nouveaux mécanismes, selon leur poids réel. Par ailleurs, nous prendrons en compte toutes les conditions dans la région, l’esprit de l’égalité, le respect mutuel, loin de toute rhétorique teintée de nationalisme.

Enfin, j’aimerais remercier mon homologue, M. Kotzias pour le soutien de la Grèce à l’Albanie dans le processus d’intégration européenne, ce qu’a soutenu l’ancien ministre des Affaires étrangères, M. Vénizélos lors de sa visite à Tirana.

Aujourd’hui, nous avons la possibilité de parachever et de signer le mémorandum de coopération visant à accélérer l’adhésion de l’Albanie à l’UE. Dans le même temps, les mémorandums signés aujourd’hui dans le domaine touristique et agricole attestent clairement du fait que les deux pays s’engagent à ce que toute affaire non résolue n’ait pas d’impact sur l’issue positive des processus d’adhésion, ce qui est dans l’intérêt des deux pays.

En conclusion, j’aimerais souligner que la rencontre d’aujourd’hui montre clairement notre volonté de poursuivre les pourparlers de manière ouverte et transparente, comme se doivent de le faire les pays voisins.

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : J’aimerais non pas commencer par l’Albanie, mais par les Albanais qui vivent en Grèce. Je dis toujours publiquement dans mon pays que nous avons de la chance d’avoir de tels concitoyens, qui sont des personnes animées de volonté et un peuple travailleur, efficace, qui veut réussir. Je pense que nous sommes les plus chanceux d’Europe d’avoir de tels immigrés. Ces immigrés, grâce à la nouvelle loi adoptée par notre gouvernement, et notamment leurs enfants, sont le trait d’union entre nos deux pays.

Et j’aimerais ajouter une chose, en faisant honneur à mes étudiants. A l’université, les Albanais figurent parmi les dix meilleurs étudiants. Ils ont un esprit très volontaire, ils ont très envie de réussir, d’apprendre et d’ouvrir leurs horizons. J’ai beaucoup d’estime pour eux. J’ai de la chance, en tant que Grec, d’avoir ces immigrés d’Albanie très dynamiques, mais j’ai aussi beaucoup de chance, en tant que professeur d’avoir de si bons étudiants – et j’espère en avoir aussi à l’avenir. Ils incarnent l’esprit d’un peuple qui veut aller de l’avant.

Et cet esprit combatif, enclin à la paix, à la démocratie, à la justice sociale, nous le rencontrons tous les jours, avec nos concitoyens albanais, avec mes étudiants albanais – et je l’ai aussi rencontré aujourd’hui lors de ma visite et je vous remercie beaucoup de votre accueil et de la discussion que nous avons eue.

L’Albanie est une partie de l’Europe, c’est une partie des Balkans, c’est un partenaire stratégique, un ami stratégique et un voisin stratégique. Dieu, ou Allah, nous a envoyé dans cette région pour coexister et nous sommes obligés d’être créatifs. Nous voulons être créatifs dans notre coopération pour ce qui est de la préparation de l’Albanie à son adhésion à l’UE. Nous voulons être créatifs dans notre coopération au sein de l’OTAN. Et je dois vous dire que j’insiste beaucoup pour ce qui est des projets internationaux. Ce qui se passe dans les Balkans doit inclure l’Albanie également, qu’il s’agisse de la sécurité énergétique, des nouvelles lignes de communication ou de transport. Nous avons une politique d’intégration et non d’exclusion.

Nous voulons que nos deux pays jouent un rôle stabilisateur dans notre région. Vous savez, j’ai coutume de dire que nous nous trouvons dans un triangle d’instabilité, avec au sommet l’Ukraine, la Libye à gauche et le Moyen-Orient à droite. Et nous devons stabiliser notre environnement, éviter les vagues d’instabilité et diffuser des vagues de stabilité.

Notre coopération n’est pas seulement importante pour les deux Etats, pour les deux peuples, elle est importante pour l’Europe du sud-est, dès lors que notre coopération dans la région de l’Adriatique revêt de nouvelles caractéristiques institutionnelles. Avec mon homologue, M. Bushati, nous avons signé aujourd’hui trois accords. Je pense qu’à l’avenir nous signerons d’autres accords, plus importants, comme très certainement le nouveau traité d’amitié qui inclura tous ces réseaux, de l’énergie à la communication. Nous avons discuté des accords existants, qui doivent être activés pour que nous revoyions certaines questions, comme les livres scolaires par exemple. Nous avons discuté aussi de la façon dont nous résoudrons des questions d’intérêt commun en rapport avec le droit international et le droit de la mer et je pense que M. le ministre et moi-même sommes convaincus que les problèmes existent pour être résolus.

C’est pourquoi nous pensons que cette visite, comme celle du ministre à Athènes, en automne je l’espère, constituent des pas avant vers une coopération et une amitié entre les deux peuples, les deux Etats et entre nous deux. Car comme vous le savez, la confiance est une vertu précieuse et la confiance se construit entre les peuples, les institutions et entre les personnes. C’est pourquoi j’aimerais vous dire ma satisfaction et vous remercier pour nos discussions ouvertes, empreintes d’amitié et de confiance, afin que nous puissions trouver des solutions productives et avancer de manière fructueuse dans notre coopération. Je vous remercie beaucoup.

Questions des journalistes

JOURNALISTE : Vous vous êtes référé à l’Albanie en tant que partenaire stratégique mais l’Etat grec maintient la loi sur l’état de guerre. Est-ce que le gouvernement Tsipras fera quelque chose à ce sujet ? Et une deuxième question : Est-ce que votre gouvernement changera de position vis-à-vis de la question des Chams ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : La Grèce et l’Albanie ont deux ponts d’amitié très forts. Ce sont les immigrés albanais et l’ancienne minorité indigène grecque en Albanie. Avec ceux-ci, notre diplomatie et nos intérêts communs construisent de nombreux ponts.

Nous pensons qu’il n’y a pas d’état de guerre avec l’Albanie. Nous pensons que tous les traités, accords, déclarations du conseil ministériel pendant les années ’80, notre coopération à l’OTAN, non seulement font de nous deux amis, mais aussi deux pays également partenaires. Des alliés. Nous comprenons que souvent, ce mode de lecture, le nôtre, n’est pas toujours le meilleur mode de lecture en Albanie. C’est pourquoi lors des accords suivants que nous sommes prêts à conclure, nous trouverons un moyen légal de confirmer que nous ne sommes pas en état de guerre. Nous ne sommes pas et nous le confirmerons.

En ce qui concerne la levée de l’accord sur la saisie et les biens, nous soutenons que tout citoyen albanais doit saisir les tribunaux grecs pour faire valoir ses demandes sur la base du droit. Nous ne voulons pas que des affaires portant sur des droits patrimoniaux individuels soient des zones d’ombre dans les relations entre les deux Etats, ni que ces affaires sapent notre amitié.

Par ailleurs, concernant votre deuxième question, j’ai coutume de dire que nous devons tirer les leçons de l’histoire, nous devons nous baser sur l’histoire, pour ne pas répéter les erreurs du passé, mais nous ne devons pas nous emprisonner dans l’histoire. Et quiconque souhaite nous emprisonner dans l’histoire, tout en ayant fait des erreurs historiques et en ayant une responsabilité, nous ne le suivrons pas. Nous voulons bâtir l’avenir avec l’Albanie. Un avenir appartenant aux deux Etats, aux deux peuples, et notamment à nos générations futures.

Je vous remercie beaucoup.

JOURNALISTE : Une question sur l’accord de 2009 sur les frontières maritimes qui a été annulée par la cour constitutionnelle albanaise. C’était, dirions-nous, une première mondiale, car la même méthode utilisée pour cet accord entre la Grèce et l’Albanie avait été utilisée en 1992 pour un accord similaire entre l’Albanie et l’Italie. Certes, cet accord n’a pas été contesté. Par ailleurs, dans cet accord avec l’Italie, vous avez gagné 70 kilomètres carrés. Vous avez des positions différentes dans l’un et l’autre cas avec en fait un même accord, que pourriez-vous nous dire à ce sujet ? Je vous remercie.

D. BUSHATI : Je vous remercie pour votre commentaire mais aussi pour votre question. Du point de vue géographique, je peux dire que la définition et la délimitation de la zone économique et du plateau continental entre l’Albanie et l’Italie, ce n’est pas la même affaire et la même chose que ce qui doit être défini entre la Grèce et l’Albanie. Il en va de même pour la Grèce et l’Italie. Sa position géographique l'impose. Mais il est important de souligner aujourd’hui certains points. Cette affaire qui est communément appelée le « traité sur la mer » et qui, selon une approche plus professionnelle, se réfère davantage à la nécessité de délimiter le plateau continental et la zone économique exclusive, a été l’une des questions abordées avec M. Kotzias. Il s’agit d’une question sur laquelle les parties contractantes ont des perspectives différentes.

Par ailleurs, les positions et les évolutions en Albanie et en Grèce sur cette affaire sont connues et, à juste titre, ce qu’attend l’opinion publique grecque et albanaise est de voir comment nous allons surmonter cette situation et comment nous parviendrons à une solution acceptable pour les deux parties. Une solution qui pour nous devra être – et je vais redire ce que j’ai dit lors de la rencontre bilatérale – une solution basée pleinement sur le droit international. Une solution sur la base du cadre européen et non comme quelque chose qui sert de précédent pour des cas similaires ou non.

Autrement dit, je ne préfèrerais pas et je ne pense pas qu’il serait juste d’orienter l’opinion publique vers d’autres affaires qui ne sont probablement pas en rapport avec la nôtre. C’est une solution que nous, ministres, souhaitons voir soulevée par les experts et les équipes de spécialistes, afin que nous puissions avoir une conception plus profonde quant à l’orientation de cette affaire. Comme je l’ai dit clairement tout à l’heure dans mon intervention, si après l’examen des experts nous ne parvenons pas à une conclusion correcte et réciproquement acceptable, alors le droit international et le cadre européen nous orienterons vers les mécanismes ou les instances auxquels nous pouvons nous adresser avec confiance afin qu’ils puissent nous donner une solution définitive.

S’agissant de la relation entre l’Albanie et l’Italie, je peux vous dire que les négociations avaient duré sept ans. Il y a un dossier volumineux déposé tant auprès de notre ministère, que de celui de l’autre partie. Ainsi, indépendamment de ce que nous attendons et des questions posées aussi bien par l’opinion publique albanaise que grecque, ces questions nécessitent du temps et seront résolues le moment opportun.

Et enfin, un dernier point mais non des moindres : il existe un intérêt stratégique à la résolution de cette affaire, aussi bien pour nous que la Grèce, car nous avons l’économie maritime que nous devrons développer. Nous avons les orientations et les stratégies de l’UE sur les macro-régions et jamais nous n’avons pensé qu’il puisse y avoir une solution unilatérale à l’affaire en question. Par ailleurs, nous savons très bien que la Grèce est un pays qui, comme nous, respecte les principes du droit international et souhaite l’atteinte d’un accord mutuellement acceptable.

Ainsi, indépendamment de tout ce que vous pouvez lire sur notre approche dans cette affaire – qui est la seule question bilatérale à laquelle l’opinion publique est très sensible – je peux vous dire que les points qui nous unissent sont plus nombreux que ceux qui nous divisent. Car notre parcours commun est vers le droit international et le cadre européen. Nous devons étudier avec exactitude les orientations données par le droit européen, l’acquis européen et ce que nous devrons garder sur la base de notre amitié, afin d’avoir un climat positif auprès de l’opinion publique, qui soutiendra tant les acteurs politiques, que les équipes d’experts, afin que nous puissions aboutir à une solution communément admise.

A savoir maintenant ce que sera cette solution, je peux vous dire que grâce aux professionnels, aux bonnes équipes de travail, tant au ministère des Affaires étrangères de la Grèce que de l’Albanie, la période est une période bien chargée, car nous étudions minutieusement toutes les possibilités existantes pour pouvoir aboutir à une langue commune quant à la délimitation du plateau continental, de la zone économique exclusive et voir comment se fera l’exploitation économique de la mer, en tenant compte des positions de nos deux pays.

July 15, 2015