F.-W. STEINMEIER : Je me rappelle ma visite, les premiers jours de mon deuxième mandat au ministère des Affaires étrangères, lorsque nous nous étions rencontrés à Athènes, je me souviens que je t’avais assuré que l’Allemagne continuerait à soutenir la Grèce dans son parcours audacieux des réformes.
Je suis heureux – et toi certainement bien plus que moi – de constater qu’un progrès réel a été réalisé. Au cours de ces dernières mois, pour ne pas dire années, un progrès a été accompli, un progrès que nous respectons et reconnaissons. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation qui a un peu surpris tout le monde. La Grèce doit prendre des décisions importantes que nous suivons avec la plus grande attention en Allemagne. Je veux dire, de notre côté, qu’il est important que les forces qui ont garanti le progrès en Grèce au cours des dernières semaines et mois, soient en mesure de continuer sur cette voie. D’autant plus que, en ces temps difficiles, ces forces doivent rester unies pour pouvoir parachever le changement qui s’est déjà produit en Grèce. Je suis heureux car aujourd’hui, nous ne nous sommes pas limités à discuter de questions économiques et budgétaires. Nous avons discuté de nombreuses questions européennes et, certes, des évolutions positives dans notre coopération bilatérale. Nous effectuons des visites régulières de haut niveau, sous la coordination des deux ministères des Affaires étrangères. Nous avons le partenariat gréco-allemand, nous avons des programmes communs, dans des secteurs comme la croissance, la santé, le renforcement des crédits accordés aux PME en Grèce. Et cette relation, nous voulons la poursuivre. Mais bien entendu, nous devons aussi discuter de la crise qui nous affecte, de la situation au Moyen-Orient qui suscite de vives préoccupations. Nous revenons tout juste d’une réunion avec les ministres des Affaires étrangères de l’OTAN, qui se sont mis d’accord sur la lutte contre l’EI. Je pense qu’il faut être prudent lorsque nous estimons que la coopération internationale pour la lutte contre la propagation de l’EI a réussi, notamment en Irak où notre objectif est de la ralentir, l’arrêter. Nous sommes bien naturellement loin des solutions politiques. Cela est valable tant en Irak, qu’en Syrie. Dans le même temps, nous devons voir ce qui se produit à l’heure actuelle en Libye, avec les efforts internationaux des envoyés spéciaux de l’ONU qui échouent tant que les points de vue divergent et qu’il n’y a aucune volonté de mener des pourparlers. Et maintenant il est à craindre que les différents groupes ethniques en Libye, qui s’affrontent et continuent de combattre, rendront encore plus difficile l’atteinte d’une solution politique.
Ε. VENIZELOS: Je te rends la visite que tu avais effectuée à Athènes, tout de suite après ta prise de fonctions pour marquer l’intérêt sans faille du gouvernement allemand pour les évolutions en Grèce. En effet, la Grèce, après cinq années d’immenses efforts et de sacrifices douloureux du peuple grec, se trouve dans une situation différente. Elle peut présenter des données budgétaires et macroéconomiques impressionnantes, un rythme de croissance positif, dans un environnement européen stagnant. Elle peut montrer un excédent primaire impressionnant, l’un des meilleurs au monde. Elle peut montrer un secteur bancaire solide qui n’a plus besoin de recapitalisation. Elle peut montrer une balance des opérations coutantes qui est passée de déficitaire à excédentaire et tout cela atteste du changement positif qui s’est produit au niveau de la compétitivité de l’économie grecque.
Or, maintenant que nous sommes à un pas du parachèvement du plan de soutien de la Grèce par l’UE et le FMI, maintenant que nous sommes à deux doigts de tourner la page et de passer au nouveau statut de la ligne de crédit de précaution, nous devons clarifier l’horizon politique. Car l’incertitude politique engendre des problèmes dans nos relations avec les marchés et les partenaires et rend la négociation plus difficile. Le Premier ministre et moi-même, en tant que dirigeants des deux partis de la coalition du gouvernement, du gouvernement de la nécessité nationale, avons décidé d’accélérer la procédure d’élection du Président de la République par le Parlement. Notre Constitution prévoit que la majorité des deux tiers est requise au premier et au deuxième tour du scrutin et la majorité des trois cinquièmes au troisième tour.
Le troisième tour se déroulera le 29 décembre et nous pensons que le sens du devoir qui anime les parlementaires grecs nous permettra d’élire le Président de la République par consensus, pour éviter la dissolution prématurée du Parlement et la tenue prématurée d’élections. Cela aidera le pays, cela nous aidera à terminer ce processus dans un délai de deux mois, qui a d’ores et déjà été décidé par l’Eurogroupe. L’économie grecque disposera de 18 mois pour décoller, pour effectuer le vrai changement, pour chaque Grec, chaque entreprise, chaque ménage. Mais si la majorité requise n’est pas atteinte, nous irons vers des élections et chaque citoyen grec sera invité à faire un choix responsable, un choix concernant le destin du pays, qui doit être un destin européen, un destin de stabilité. Car il serait dommage que nous annulions nous-mêmes ces sacrifices aussi douloureux du peuple grec.
Le ministre des Finances, M. Schäuble et le ministre de l’Economie, M. Gabriel, m’ont fait part de la volonté du Bundestag de ratifier la décision de l’Eurogroupe de proroger de deux mois le plan de soutien de l’économie pour que nous puissions finir les négociations et passer au nouveau statut de la ligne de crédit de précaution. Et j’aimerais remercier par avance le gouvernement fédéral et le Bundestag pour ce soutien et cet acte de solidarité.
Nous évoquerons ce sujet ainsi que, comme l’a dit tout à l’heure M. Steinmeier, notre relation bilatérale, notre partenariat, qui produit des résultats très positifs, sous la coordination des deux ministères des Affaires étrangères. Nous avons d’ores et déjà mis sur pieds l’Institut pour la croissance, qui est une institution similaire au KfW allemand. D’importants programmes sont en cours, dans le domaine de l’énergie, de l’innovation. Il existe de grandes possibilités de coopération entre les secteurs privés des deux pays et nous aurons probablement à l’avenir la possibilité de faire encore plus de choses en commun, tant en Grèce qu’en Allemagne et dans des pays tiers.
Bien naturellement, en tant que ministres des Affaires étrangères, nous sommes pratiquement chaque semaine dans plusieurs enceintes, comme l’UE, l’OTAN ou d’autres organisations, comme l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Nous sommes en contact permanent et en étroite coordination et la ligne de la Grèce coïncide dans une large mesure, pour ne pas dire totalement, avec la ligne, la conception et la mentalité allemande, pour ce qui est de la façon d’envisager les grandes crises ouvertes.
Jamais d’ailleurs, nous n’avions eu autant de crises dans le voisinage Sud et Est de l’UE. La Grèce est très près du Moyen-Orient, elle est très près des pays non européens de la Méditerranée. Nous avons des communautés grecques, des patriarcats orthodoxes grecs, nous avons des populations chrétiennes qui sont liés à la Grèce. Pour nous, ce qui se passe dans le monde, de Gaza à Tripoli est très important, avec surtout la question cruciale de la lutte contre l’EI. Et nos deux pays, en tant que membres de l’OTAN, font partie de la coalition globale contre l’EI et nous comprenons toutes les initiatives nécessaires contre le phénomène des combattants étrangers.
Il en va de même de la crise en Ukraine et des relations Europe – Russie. Nous avons la même conception, la même mentalité et il est très important pour nous de prendre des initiatives communes qui permettront d’avoir une approche politico-diplomatique et d’éviter l’escalade. Pendant cette période aussi cruciale – cruciale du point de vue de l’économie et de la politique internationale – nous devons éviter les tensions supplémentaires. Malheureusement, en Méditerranée orientale, nous avons actuellement une tension supplémentaire ayant trait à Chypre, aux droits souverains de la République de Chypre, au respect du plateau continental et de la ZEE. Lors des derniers contacts que nous avons eus avec le gouvernement turc au plus haut niveau, avec ma visite à Ankara et l’organisation du Conseil de coopération de haut niveau Grèce – Turquie à Athènes, il y a quelques jours, avec la participation des deux Premiers ministres, nous avons fait des pas en avant, mais d’autres efforts doivent être consentis dans le cadre du droit international. Je suis heureux car aujourd’hui nous avons l’occasion, ici à Berlin, de passer en revue toutes ces questions et de coordonner nos actions.
December 11, 2014