Déclarations du ministre des Affaires étrangères, M. D. Avramopoulos et de son homologue turc, M. A. Davutoglu à l'issue de leur rencontre

D. AVRAMOPOULOS: Bonjour.

Je voudrais tout d'abord souhaiter la bienvenue à Athènes à M. Ahmet Davutoglu, ministre des Affaires étrangères de la Turquie, avec lequel nous avons eu une discussion constructive, amicale et intéressante, suite, bien entendu, à sa rencontre avec le Premier ministre.

Le principal objet de nos discussions a porté sur l'état d'avancement des travaux de préparation en vue de la réunion du 2e Conseil de coopération de haut niveau Grèce-Turquie. Nous avons réaffirmé avec M. Davutoglu la poursuite du processus de la coopération gréco-turque à travers la promotion de politiques communes dans des domaines d'importance majeure. La coopération gréco-turque offre de grandes possibilités, comme l’attestent les progrès réalisés ces dernières décennies.  Dans le domaine de l'économie, du commerce et des investissements, les hommes d'affaires grecs et turcs, ont pris des initiatives mutuellement profitables.

Le renforcement du tourisme a contribué au rapprochement de nos deux peuples. Le programme pilote sur les visas que nous avons mis en place cette année dans les régions insulaires a apporté des résultats impressionnants et notre volonté est maintenant d'élargir son champ d'application. Par ailleurs, nous pouvons ensemble attirer des centaines de milliers de touristes car nos pays comptent parmi les destinations touristiques les plus prisées au monde. Mais dans le domaine également de la protection des monuments culturels, qui font partie de notre patrimoine précieux et doivent être préservés, nous pouvons aussi explorer les possibilités de coopération.

Nos gouvernements doivent ouvrir la voie en faveur du rapprochement de nos deux peuples, ce qui peut encourager davantage les initiatives prises au niveau gouvernemental et ce, bien entendu, sans alimenter des perceptions populistes et extrémistes.

Pour ce qui est de la question à la fois délicate et importante, celle de l'immigration illégale, certains progrès ont été réalisés, mais il faut travailler davantage pour pouvoir lutter de manière efficace contre ce problème qui nuit à la dignité humaine et préoccupe non seulement nos deux pays mais l'Europe toute entière. La Grèce accorde une grande importance à l'amélioration de la coopération avec la Turquie dans ce domaine, non seulement au niveau bilatéral mais aussi au niveau européen.

Nous sommes convenus avec M. Davutoglu que la prochaine réunion du Conseil de coopération se tiendra début janvier pour que nous ayons assez de temps pour parachever toutes les procédures nécessaires et régler toutes les questions en suspens. Le Conseil de haut niveau fera avancer davantage les relations gréco-turques. Il y aura bien entendu d'autres réunions au niveau des hauts fonctionnaires afin de pouvoir parvenir à certains résultats positifs avant la prochaine réunion du Conseil de coopération.

L'entente entre les Etats voisins est une condition à l'établissement de contacts fructueux pour la consolidation d'un climat de confiance et le renforcement de la sécurité et de la stabilité dans notre région élargie. Nous devons éviter les actions qui perturbent le climat et risquent de provoquer un incident ou une crise. Nous sommes convenus d'avoir des contacts réguliers, ce que nous faisons depuis longtemps, depuis nos premières rencontres afin de faire immédiatement face à des incidents qui pourraient faire monter les tensions. Toutefois, si tous ces projets ne sont pas axés sur le respect du droit international et des relations de bon voisinage, ils ne seront jamais réalisés.  Et la Grèce tout au long de son parcours est guidée par ces deux principes fondamentaux.

Nous avons réitéré notre soutien à la perspective européenne de la Turquie, sur la base, bien entendu, du respect des critères et des modalités fixés qui sont valables pour tous les pays candidats. Il s'agit d'un processus difficile et exigeant. Une Turquie moderne, démocratique, européenne, qui fera avec nous tous des pas fermes au sein de la famille européenne, ce qui présuppose, bien entendu, le règlement équitable de la question chypriote, sur la base des résolutions du Conseil de sécurité et de l'acquis communautaire. Le règlement de la question chypriote marquera une nouvelle étape dans les relations entre nos deux pays et est une condition à la sécurité régionale et au bon voisinage, qui sont à leur tour une condition à l’instauration de la confiance. C'est pourquoi nous nous trouvons ici et engageons cette discussion, en laissant derrière nous le passé mais sans oublier notre histoire, afin de nous frayer un avenir de paix pour nos deux peuples.

Nous avons discuté, bien entendu, des évolutions régionales tout en mettant l'accent sur le Moyen-Orient et, notamment sur la situation dramatique en Syrie et l'escalade dangereuse des tensions de ces derniers jours. La Grèce a exprimé lors de la réunion de l'Assemblée générale de l'OTAN sa solidarité avec la Turquie, ce qu'elle a fait aujourd'hui aussi, dans le cadre de l'Alliance.

Notre position est claire: ce n'est qu'à travers une solution politique que la crise syrienne pourra être réglée, ce qui permettra au peuple syrien de se prononcer sur son propre avenir. Il faut désamorcer la crise car son risque de propagation est bien réel et son escalade ne pèse pas seulement sur les pays voisins de la Syrie mais aussi sur notre région élargie. Nous condamnons et désapprouvons toute violation de la souveraineté d'un Etat, indépendamment de son origine, et demeurons attachés à notre position en faveur du règlement pacifique des différends sur la base des principes du droit international et des résolutions y relatives du Conseil de sécurité des Nations Unies.

C'est dans ce contexte que se sont engagées les discussions et les consultations d'aujourd'hui avec M. Davutoglu et ses collaborateurs. Des rencontres de ce type auront lieu régulièrement et, si dans le passé la rencontre entre le ministre grec des Affaires étrangères et son homologue turc était une chose inattendue, désormais ce sera un processus continu, qui se tiendra dans le respect mutuel et selon un seul objectif, à savoir surmonter le passé, régler les problèmes et inaugurer une nouvelle ère de paix, de sécurité, de coopération et de stabilité entre les deux pays, au profit de notre région élargie.

En concluant, j'aimerais de nouveau souhaiter la bienvenue à Ahmet Davutoglu et le remercier pour ce climat sincère dans lequel se sont déroulées nos consultations car cela faisait défaut dans le passé. J'ose espérer que les prochains pas conduiront à la réalisation de notre vision commune qui guidera l'exercice de nos politiques dans un voisinage qui sera un modèle de coopération et une oasis de sécurité et d'amitié. Nous avons établi un nouveau canal de communication afin que nos peuples puissent se mieux apprendre à se connaître.

Encore une fois merci et bienvenue à Athènes.

[Le texte qui suit est une traduction non officielle de la transcription de la déclaration en turc.]

A. DAVUTOGLU: «J’aimerais à mon tour te remercier mon cher ami, Dimitris Avramopoulos. J'aimerais avant tout vous exprimer ma joie d’être ici à Athènes et mes remerciements pour cet accueil chaleureux et l’hospitalité accordée, preuve de l’éternelle amitié gréco-turque. Aujourd'hui nous avons eu de très bons entretiens, tout d'abord ce matin avec le Premier ministre M. Samaras et par la suite avec le président du Parlement, M. Meïmarakis. Et maintenant je suis très heureux de rencontrer mon très cher ami, M. Avramopoulos, qu’un grand nombre de personnes en Turquie connaît personnellement.

Les relations entre la Grèce et la Turquie sont des relations d’amitié et de voisinage. D’ailleurs, les relations personnelles jouent un rôle crucial dans la promotion de ces relations. C’est la troisième fois que nous rencontrons en qualité de ministres. Nous nous étions rencontrés à plusieurs reprises dans le passé, en juin à Istanbul, en septembre à New York et aujourd’hui à Athènes. Ces visites deviendront encore plus fréquentes. Ce qui m'a réjoui, lors de ces rencontres, c’est la vision que nous partageons. Dans des pays voisins, quels qu'ils soient, des divergences peuvent certes subsister, des différences dans les approches, mais ce qui est importe c’est de partager une vision commune pour l’avenir pour résoudre plus facilement les problèmes qui vous divisent à la lumière de cette vision. Telle a été ma constatation la plus importante aussi bien lors de ma rencontre avec le Premier ministre, M. Samaras, qu’avec mon bon ami Dimitris.  Nous avons une vision commune vers laquelle nous marchons ensemble. Nous partageons cette vision.

Quelle est cette vision ? Nous devons d’abord partager cette vision et lorsque nous le ferons, tous les autres problèmes acquerront une importance moindre et seront plus facilement résolus. Cette vision commune est notre volonté d'intensifier nos relations de tous points de vue ainsi que la communication entre le peuple turc et le peuple grec, qui ont vécu côte à côte pendant des siècles, de nous préparer pour un avenir commun dans une région géographique commune, en d'autres termes de lier la Grèce et la Turquie dans les domaines des relations commerciales et culturelles, des transports, des gazoducs. Nous souhaitons que la Grèce et la Turquie unissent leurs forces, leur potentiel pour créer une nouvelle coopération dans cette région particulière. En fait, c’était notre idée lors de la création, il y a deux ans, du Conseil de coopération stratégique de haut niveau entre la Grèce et la Turquie. Aujourd’hui, nous avons planifié la deuxième réunion du Conseil de coopération de haut niveau et avons terminé dans une large mesure sa préparation. Les premiers pas ont été faits pour un grand nombre de questions afin que nous puissions parvenir à un accord commun. Il est très probable que cette réunion ait lieu en janvier en Turquie, sous la co-présidence des deux premiers ministres. Jusqu'alors seront achevés les travaux permettant de mettre en œuvre cette vision commune dont je me suis référé tout à l’heure.

Nous saluons le fait que la balance commerciale entre les deux pays s’élève à 4,1 milliards de dollars et pour la première fois elle est excédentaire de 700 millions en faveur de la Grèce. Cette balance commerciale offre des perspectives d'amélioration et peut très vite atteindre 10 milliards de dollars. Nous pensons qu’au niveau de nos politiques, d'importantes occasions existent concernant les couloirs énergétiques allant de l'est à l'ouest, entre la Grèce et la Turquie, en raison de la proximité de la Turquie avec les régions productrice d’énergie. Plus important encore, dans le domaine des transports, nous souhaitons renforcer les lignes maritimes rapides existantes ainsi que les lignes ferroviaires, notamment le train express, et les lignes aériennes entre la Grèce et la Turquie. Dans ce contexte, nous sommes convaincus que l'Egée doit devenir une mer d'amitié, de paix et de prospérité. Par ailleurs dans le domaine de la culture et du tourisme, nous avons mis en œuvre des projets pilotes, notamment en matière de facilitation de délivrance de visas vers les îles grecques que la Grèce octroie pour les touristes de Turquie. S'agissant de cette question, nous avons eu d'importants succès. Nous souhaitons que la Grèce et la Turquie mobilisent ensemble leurs capacités touristiques communes et que nos économies gagnent ensemble.

C’est une approche visionnaire et j’aimerais aujourd’hui à cet égard transmettre un message très amical. La Grèce vit actuellement une crise économique, une crise que nous avons également vécue pendant la période 2000-2001. Nous avons également vécu de grandes difficultés. La Grèce, les Grecs sont un peuple honnête et travailleur et nous sommes sûrs qu’il surmontera les difficultés. Lorsque la Grèce surmontera les difficultés, la Grèce et la Turquie, deux pays qui se soutiennent mutuellement avec des économies fortes et un esprit de solidarité, auront une contribution importante en Europe et dans l'histoire européenne, comme elles l'auront également en Méditerranée et dans les régions communes. Je l’ai dit également aujourd’hui à M. Samaras, je l’ai dit aussi à mon bon ami Dimitris, j’ai dit que cette crise était une sorte de séisme, que les crises économiques étaient une sorte de séisme. Comme au moment du séisme en Turquie, nous avons connu de près l’amitié de la Grèce et nous ne l’oublierons jamais, nous voulons que le peuple grec sache que s’il y a une crise économique en Europe en ce moment, il est lui-même influencé par cette crise, et la Turquie, en tant que pays ami et voisin sera toujours à ses côtés, pour pouvoir surmonter ce séisme économique. Nous espérons que la mise en œuvre commune de tous ces projets contribuera à la relance de l’économie grecque et à ce qu’elle acquiert de nouveau son dynamisme.

De ce point de vue, il y a des domaines dans lesquels nos opinions divergent, il y a les problèmes en Mer Egée, il y a les questions liées aux minorités, il y a Chypre. Dans le cadre de ces problèmes, je dois dire aujourd’hui combien je suis satisfait car j’ai pu voir les premiers signes sur la façon dont nous pouvons déployer des efforts communs avec mon bon ami. Nous sommes pleinement convaincus que nous pouvons résoudre mutuellement de manière positive les problèmes en Mer Egée. Nous sommes convenus d'accélérer les efforts consentis à cet égard.

Mon bon ami a déclaré qu’il saluait les pas faits en Turquie concernant la question des minorités. Nous l'en remercions. Des pas très importants ont en effet été faits. Nous estimons que les minorités constituent des ponts d'amitié. La minorité orthodoxe grecque en Turquie et la minorité musulmane turque en Grèce constituent des ponts d'amitié entre nous. Probablement l'un des moments les plus authentiques de ma visite d'aujourd'hui est la visite que nous ferons dans le quartier qu'ils habitent et le dîner que nous aurons avec nos amis Grecs orthodoxes qui ont immigré de Turquie, et certains d’entre eux sont des compatriotes. Il s’agit d’un acte symbolique, à savoir que nous souhaitons unir ces deux peuples amis qui avaient été divisés dans le passé, soit par l'échange de populations, soit d'autres moyens. Nous estimons que chacun d'eux constitue une partie de notre histoire et géographie commune, c’est ainsi que nous les voyons et lorsque nous les voyons ainsi, lorsque nous appliquons les valeurs contemporaines et œcuméniques, je suis sûr qu'un grand nombre de problèmes pourront être surmonté. Je suis particulièrement satisfait de constater que mon bon ami partage la même vision sur toutes les questions et que nous travaillerons ensemble.

Dans le même temps, nous avons bien entendu discuté des questions relatives à l’UE et nous remercions la Grèce pour son soutien à l’UE concernant la question de l’abolition des visas. Nous la remercions aussi pour son soutien à notre processus d'adhésion à l'UE, car la Grèce sera très certainement l’un des pays à sortir gagnant de l'adhésion de la Turquie à l'UE. Ensemble, nous avons une plus grande contribution à l'Union européenne. La Grèce a très bien compris ce que certains milieux, certains dirigeants en Europe ne peuvent malheureusement pas connaître et elle soutient le processus d’adhésion de la Turquie. Nous sommes reconnaissants à la Grèce et la remercions, nous pensons qu’ensemble nous aurons une très grande contribution en Europe. Nous remercions également la Grèce pour son soutien au niveau de l’OTAN, lors des récents développements en Syrie, qui atteste de notre relation, en tant qu'amis et alliés. Comme vous le savez, la décision prise à l'OTAN sur les événements d’Akçakale était une décision unanime qui a soutenu la Turquie et la contribution de la Grèce à ce titre était très importante.

Nous avons abordé des questions relatives aux Balkans. Nous partageons l’opinion concernant la transformation des Balkans en une région de paix et de stabilité. Lors du centième anniversaire des guerres balkaniques, nous continuerons nos efforts communs pour qu'il n'y ait plus jamais la guerre dans cette région, que la paix soit à jamais instaurée. Nous discutons et comprenons ensemble les problèmes au Moyen-Orient, des évolutions en Syrie et en Afrique du Nord, car cette région géographique est la nôtre, la Grèce et la Turquie sont des pays de la Méditerranée, de la Méditerranée orientale. Les évolutions en Syrie, en Egypte et en Libye nous influencent tous. Nous soutenons de concert les actions entreprises pour le changement démocratique qui ont lieu dans ces pays. En tant que pays démocratiques, nous avons la même optique en matière de demandes démocratiques des peuples arabes. Bref, j'aimerais dire que ce soit au niveau de nos relations bilatérales, ou de nos relations au sein de l’UE, ou au niveau de nos politiques pour notre région, il y a aujourd’hui à Athènes et à Ankara deux gouvernements qui ont la même vision des choses et deux amis très proches, les ministres des Affaires étrangères. Je n’oublierais jamais sa franchise. Notre dernière conversation remonte à l'époque où je m'étais rendu à Edirne, lorsqu’il était ministre de la Défense. Nous nous étions entretenus au téléphone et avions transmis un message important d’amitié. J’espère que cette amitié durera pour toujours. Je le remercie encore pour son accueil et espère le recevoir bientôt dans notre pays».

October 10, 2012