G. KATROUGALOS : Monsieur le ministre, cher ami Nikos, c’est moi qui veux te remercier de l’accueil chaleureux que vous m’avez réservé et de vos aimables propos. Traditionnellement, chaque ministre grec après la prise de ses fonctions effectue sa première visite à Chypre. Car nous avons une même perception des choses et des intérêts nationaux et parce que, en réalité, il ne s’agit pas d’un contact bilatéral puisque nous nous sentons être du même côté, nous défendons les mêmes valeurs, les mêmes intérêts.
Et comme Nikos l’a dit, pour ce qui est des questions que nous avons examinées, le premier dossier à aborder ne pourrait être autre que celui de la question chypriote. Nous la considérons comme étant une question - par définition - de violation du droit international, une question qui doit être envisagée dans cette dimension, une question d’occupation du territoire d’un Etat souverain par une armée d’occupation. Ce sont des questions sur lesquelles nous voulons mettre l’accent dans le cadre de la discussion avec la Turquie, pour valoriser justement les progrès réalisés à Crans-Montana.
Au cours de cette semaine, j’effectuerai un déplacement en Turquie où je discuterai avec mon homologue turc de la question chypriote dans le contexte que je viens juste de décrire, dans un effort d’explorer les intentions de l’autre partie aussi. Car nous – Chypre et la Grèce – voulons que la question chypriote soit réglée dans les plus brefs délais. Nous pensons qu’il y a simplement un retard, 40 ans de retard. Afin de régler cette question et tant que cela est dans notre pouvoir, nous nous emploierons à parvenir à une solution sur la base des résolutions de l’ONU et du droit international.
Nous avons également discuté d’autres initiatives très importantes que la République hellénique et la République de Chypre ont récemment entreprises. Ces partenariats tripartites, que nous voulons élargir avec la participation d’autres puissances, sont justement un exemple tangible de la puissance diplomatique de la Grèce et de Chypre. Sans aller à l’encontre d’une autre partie quelle qu’elle soit, nous défendons de la meilleure façon nos intérêts dans la région, non seulement nos intérêts économiques mais aussi nos intérêts géostratégiques et géopolitiques.
Enfin, nous avons discuté de l’Europe. Traditionnellement la République hellénique et la République de Chypre défendent les valeurs de l’idée européenne, les sociétés ouvertes, les principes démocratiques. Et à une époque où ces principes, même au sein de l’Europe, sont remis en question, il est toujours utile de discuter pour voir de quelle manière on pourrait les défendre, d’autant plus que la plupart des évolutions au niveau européen sont liées à nos intérêts nationaux.
Nous avons discuté par exemple de la nécessité d’éviter que la perspective européenne de la Turquie soit exclue, à la condition bien évidente que cette dernière respectera le droit international et les relations de bon voisinage ainsi que du fait qu’il est dans l’intérêt de l’Union européenne et de la Turquie aussi ainsi que dans celui de nos propres pays de maintenir ouverte la voie européenne, et ce aux conditions que je viens juste de citer.
Par conséquent, l’évidence a été confirmée : la relation fraternelle – pas seulement bonne – entre les deux Etats, la perception commune des intérêts et l’élaboration de stratégies. Pour notre part, nous prenons l’engagement de continuer de faire preuve de cette attitude à cet égard.
JOURNALISTE : Pensez vous que le fait qu’il y ait une décision non contraignante du parlement européen concernant la mise en suspens des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, alimentera-t-il les tensions dans les relations entre la Grèce et la Turquie ?
G. KATROUGALOS : Comme je l’ai tout à l’heure dit, il y a une convergence de vues complète à cet égard. Nous pensons qu’il est dans l’intérêt du peuple de la Turquie, dans l’intérêt de nos pays ainsi que dans l’intérêt de l’Union européenne qu’il n’y ait pas une Turquie anti-européenne, hostile, à la frontière orientale de l’Union, mais au contraire, il faut garder la voie européenne ouverte, à la condition, bien évidemment que la civilisation juridique européenne sera pleinement respectée par la Turquie à tous les niveaux.
Et en outre, nous ne sommes pas contre le fait qu’il faut signaler les violations de l’Etat de droit, nous sommes contre le développement d’un climat d’ « islamophobie » qui va à l’encontre de la pratique des sociétés ouvertes que l’Europe prônait toujours, à l’encontre de la civilisation juridique européenne qui a ses propres valeurs tout en respectant toutefois les valeurs de l’autre.
Je pense par conséquent que nous poursuivrons la même tactique, laquelle, en fin de compte, sera au profit de nos propres intérêts sans nuire aux intérêts d’une autre partie quelle qu’elle soit.
JOURNALISTE : Deux questions. La première porte sur la question chypriote et la visite du ministre en Turquie. Quels sont les messages spécifiques qui seront transmis, vu que nous assistons à une émergence de tensions ? Deuxième question : on assiste à une intensification des provocations, de la contestation de la souveraineté en Egée et dans la ZEE de la part de la Turquie. Chaque jour on a des incidents, des menaces verbales…
G. KATROUGALOS : Les messages seront bien précis et ils ont trait à la substance et à la procédure. S’agissant de la procédure, j’ai évoqué ce point à la fin de mon discours. Nous voulons que le dossier chypriote avance. Nous voulons que cette question soit résolue le plus rapidement possible. Et pour ce faire, nous voulons qu’une discussion soit engagée, avec franchise, et avoir des réponses précises de la part de l’autre partie, pour ce qui est de la Grèce et de la dimension internationale de ce dossier. Je vais demander au ministre turc des Affaires étrangères d’exprimer des points de vue plus précis, car l’autre partie n’a pas encore dévoilé ses intentions et dit comment elle entendait remplacer le statut inadmissible des garanties par un dispositif dénué des éléments colonialistes et contraires au droit international qui caractérisaient le statut juridique précédent. Quoi qu’il en soit, il convient qu’une discussion préparatoire soit engagée, informelle au départ, afin qu’un progrès soit accompli, un progrès qui nous permettra, lorsque les discussions substantielles commenceront, de valoriser les progrès accomplis lors des dernières négociations, notamment à Crans-Montana.
S’agissant des tensions, je dirais que l’un des principaux objectifs de la visite du Premier ministre à Ankara et de sa discussion avec le Président Erdogan visait justement à réduire les tensions en Mer Egée. Nous avons constaté effectivement un effort pour apaiser les tensions au cours de la dernière période, malgré les violations qui surviennent. La deuxième partie de ma discussion avec le ministre turc des Affaires étrangères portera sur l’élaboration d’une feuille de route pour désamorcer les tensions qui, de toute évidence, ne sont profitables à aucune des deux parties.
JOURNALISTE : Demain se tiendra une rencontre tripartite qui devient quadripartite avec la présence des Etats-Unis. Et selon les estimations, il y a une différence qualitative dans l’évolution de ces réunions tripartites avec la présence des Etats-Unis. Quelle importance y accordez-vous et à quel niveau de coopération vous attendez-vous à des résultats ?
G. KATROUGALOS : Comme l’a dit mon ami Niko, des progrès importants ont été accomplis au niveau du renforcement de la puissance diplomatique et de la position des deux pays, suite au développement de ces relations de coopération tripartites. Et mon collègue a eu des discussions – différentes du point de vue de la qualité et supérieures par rapport au passé – avec nos homologues américains à Washington la semaine passée et j’ai eu la chance de participer à l’ouverture du Dialogue stratégique de la Grèce avec les Etats-Unis. Ce qui est reconnu à travers ces discussions, comme l’a dit Nikos dans sa réponse précédente, est que nos pays ne sont pas seulement des piliers de la démocratie et de la stabilité, mais des exportateurs de stabilité dans un triangle d’instabilité avec, à ses sommets, la Méditerranée orientale, la Libye et l’Ukraine. La République hellénique, tout comme la République de Chypre, veut par conséquent contribuer à la stabilisation de la région. La diplomatie économique que nous exerçons sert cet objectif géostratégique élargi et la participation du ministre des Affaires étrangères des Etats-Unis à cette rencontre tripartite vient dans le même temps confirmer ce rôle géostratégique revalorisé de Chypre et de la Grèce et garantir le fait que cette revalorisation, sur la base des droits souverains de la République de Chypre sur les ressources qu’elle a le droit de puiser de sa ZEE, sera respectée, selon les impératifs du droit international.
JOURNALISTE : Ce matin, le ministère turc des Affaires étrangères a fait une déclaration qualifiant de négatif le communiqué – réponse d’Athènes après les déclarations du Président Erdogan à Smyrne au sujet des « mécréants ». Un commentaire à ce sujet.
G. KATROUGALOS : Ecoutez, notre déclaration disait, ce que tout observateur de bonne foi ne peut nier, à savoir que la politique étrangère ne doit pas être instrumentalisée à des fins politiques internes et que l’histoire et la dignité des peuples voisins doivent être pleinement respectés. Telle était la teneur de notre déclaration et tout cela est indéniable et généralement admis non seulement par le droit international, mais aussi par la civilisation juridique et politique qui règne en Europe. Je ne voudrais pas commenter les déclarations du ministère turc des Affaires étrangères, car comme je vous l’ai dit, notre objectif n’est pas l’escalade mais la désescalade des tensions. J’aimerais clarifier aussi – car le ministère turc des Affaires étrangères le déclare dans sa conclusion – que lorsque nous affirmons que notre objectif est l’amélioration des relations, nous devons le prouver dans la pratique.
Je vous remercie.
March 19, 2019