Déclarations du ministre des Affaires étrangères, Nikos Dendias à l’issue de sa rencontre avec le ministre des Affaires étrangères de la Turquie, Mevlüt Çavuşoğlu (Ankara, 15.04.2021)

Déclarations du ministre des Affaires étrangères, Nikos Dendias à l’issue de sa rencontre avec le ministre des Affaires étrangères de la Turquie, Mevlüt Çavuşoğlu (Ankara, 15.04.2021)« Votre Excellence, Monsieur le ministre, cher Mevlüt,

J’aimerais remercier le Président Erdoğan et toi-même bien entendu, mon vieil ami – et merci d’avoir rappelé notre première rencontre, il y a de nombreuses années – pour ton accueil aujourd’hui.

J’aimerais te remercier également pour l’honneur que tu me fais, en m’invitant à l’Iftar, ce soir.

Je saisis cette occasion pour transmettre les vœux du Premier ministre, M. Kyriakos Mitsotakis, à tous les musulmans pour le début du Ramadan. Le gouvernement Mitsotakis accorde une très grande importance à la question de la liberté religieuse. Cela est d’ailleurs entériné par la Constitution grecque. Le premier ministre lui-même s’est engagé à ouvrir une mosquée à Athènes, ce qui a été concrétisé en novembre dernier et nous ferons l’inauguration officielle tout de suite après la pandémie.

En ce qui concerne les discussions que nous avons eues aujourd’hui – des discussions approfondies - elles étaient ouvertes et franches. C’était une discussion particulièrement utile. Et j’aimerais vous dire très honnêtement que nous avons abordé aussi bien les questions pour lesquelles nos vues convergent, que celles qui font l’objet de frictions.

Car nous estimons que le maintien de voies de communication entre deux pays voisins est nécessaire. Notre premier objectif est d’instaurer la coexistence pacifique sur la base du droit international. Tout comme sur la base des règles et des valeurs de la Charte des Nations unies et de l’OTAN, que nous et la Turquie avons intégré il y a plus de 70 ans. Et bien entendu de l’Union européenne, dont la Grèce est membre depuis 40 ans et la Turquie a souligné à plusieurs reprises que son adhésion [à l’Union européenne] demeure son objectif stratégique.

Dans ce cadre, je salue la réouverture des contacts exploratoires entre nous et la Turquie, des consultations politiques entre les deux ministères des Affaires étrangères ainsi que sur les mesures de confiance qui suivront.

Aujourd’hui nous avons discuté pendant longtemps. Nous avons discuté de nos relations bilatérales, des évolutions régionales. Et nous nous sommes mis d’accord avec mon ami Mevlüt sur le fait qu’il existe une marge de progrès considérable pour le développement de nos relations bilatérales dans différents domaines.

Tout d’abord dans le domaine de l’économie et du commerce. La présence de mon proche collaborateur, M. Kostas Fragogiannis, Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, a pour but d’examiner des propositions de coopération bien précises.

Dans ce contexte, nous avons soumis à la partie turque une série de propositions afin de raviver les initiatives qui avaient été prises au cours des deux décennies précédentes, lesquelles n’ont pas été matérialisées. Et je pense que nous sommes convenus de créer conjointement avec la partie turque un agenda positif sur des questions économiques pour faire avancer nos relations et promouvoir notre coopération économique, afin de changer le climat qui existe dans les relations gréco-turques. Que nous allions vers un climat positif, contrairement à ce qui prévalait au cours des 20 derniers mois.

Par ailleurs, nous avons examiné la possibilité de mettre en œuvre des initiatives qui faciliteront les contacts entre nos deux peuples à la fin de la pandémie. Et bien entendu j’ai indiqué – et je pense que nous sommes tous d’accord – que la condition nécessaire à l’amélioration des relations bilatérales est la désescalade et l’abstention de toute action et de déclarations visant à détériorer le climat. Je pense que ce que je vous dis, là, n’est pas nouveau. Il y a encore quelques mois, les actions infractionnelles avaient augmenté de manière dramatique, freinant les efforts déployés pour créer ce climat de confiance que nous essayons d’instaurer aujourd’hui. Nos positions à ce sujet sont bien connues.

J’aimerais dire ici, étant dans la capitale de la Turquie, qu’hier j’étais à Istanbul où j’ai rencontré le patriarche œcuménique. J’ai eu l’occasion d’aborder des questions ayant trait à la communauté grecque. Par ailleurs, il y a pour nous en Grèce – et je dois le dire – une minorité musulmane. C’est ainsi qu’elle est reconnu par le Traité de Lausanne; c’est la position officielle du gouvernement grec.

Par ailleurs, j’ai demandé, lors de nos discussions, à ce qu’il n’y ait pas de fausses nouvelles et des rhétoriques agressives, qui sont colportées par certains milieux et qui ne contribuent pas à l’instauration de ce climat positif, que nous sommes convenus de promouvoir.

Aujourd’hui, nous avons abordé de nombreuses autres questions régionales avec Mevlüt, bien naturellement, à commencer par la réunion à cinq parties sur Chypre organisée par l’ONU à Genève dans deux semaines. Nous espérons que toutes les parties viendront animées d’un esprit constructif afin de pouvoir débuter les négociations pour le règlement de la question chypriote.

Comme vous le savez, la seule solution, qui est acceptée par l’ensemble de la communauté internationale, est la fédération bicommunautaire bizonale sur la base des résolutions y relatives des Nations Unies. Cette solution est également compatible avec l’acquis européen. Et par ailleurs, je dois souligner la nécessité, dans ce cadre, de rechercher enfin des solutions à la question chypriote et qu’il n’y ait pas des actions visant à violer la souveraineté et les droits souverains de la République de Chypre.

Nous avons bien évidemment abordé aussi les questions des relations Union européenne – Turquie. Je souligne de nouveau, pour la seconde fois, que la Grèce soutient le parcours d’adhésion de la Turquie, dès lors que cette dernière le souhaite. Car nous sommes convaincus que, étant tous deux voisins, nous avons beaucoup à gagner de la participation à l’Union européenne et d’une Turquie totalement intégrée dans la famille européenne.

Par ailleurs, nous pensons – mais ce n’est pas à nous de juger – que le peuple turc dans sa majorité souhaite l’adhésion de son pays à l’Union européenne. Pour cette raison, comme l’a indiqué le Conseil européen, nous sommes ouverts à l’examen de manière positive de questions cruciales d’intérêt mutuel, comme par exemple la libéralisation des visas. Une question vis-à-vis de laquelle nous avons toujours eu une position constructive au sein de l’Union européenne.

Mais comme cela vaut pour tout pays candidat, il y a une règle inviolable qui doit être respectée : le respect des principes et des valeurs de l’Union européenne, y compris de l’acquis européen, qui comprend, comme chacun sait, le plein respect de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et des droits souverains de l’ensemble des Etats membres de l’Union européenne. Et dans ce contexte, l’Union européenne a adopté une double approche. La possibilité de prendre des mesures est toujours sur la table du Conseil. En cas d’actions illégales et infractionnelles au détriment de notre souveraineté et de nos droits souverains, il y a toujours la possibilité de prendre des mesures. Bien entendu, nous espérons de tout cœur qu’il n’y aura pas des actions illégales.

Permettez-moi de me référer tout particulièrement à une question qui malheureusement a une répercussion négative sur nos relations bilatérales, mais aussi sur le parcours d’adhésion de la Turquie. Il s’agit de la menace de guerre, dès lors que la Grèce applique ses droits inaliénables émanant de l’UNCLOS et du droit international. Cette attitude est contraire à la Charte des Nations Unies et n’est ni conforme à celle d’un allié de l’OTAN, ni aux relations de bon voisinage et à la promotion de ces relations.

La Turquie continue de ne pas accepter la Convention de l’Organisation des Nations unies sur le droit international de la mer, qui non seulement reflète le droit coutumier, mais a été ratifiée également par l’Union européenne et fait donc partie de l’acquis européen. Et un exemple caractéristique de cette non-conformité est le fameux « accord » signé entre la Turquie et la Libye, lequel a été condamné par le Conseil européen car il viole des droits souverains de pays tiers et n’est pas conforme au droit de la mer.

S’agissant de la question migratoire et des réfugiés, j’ai précisé – et je pense que nous nous sommes mis d’accords – que c’est une question euro-turque. Les obligations de la Turquie émanent de la Déclaration UE – Turquie de 2016. Mon ami Mevlüt m’a fait part de la volonté de la Turquie de signer un nouvel accord. Mais pour que la mise en application de l’accord, quel qu’il soit, soit réussie il convient de mettre en œuvre des actions nécessaires et qu’il y ait la volonté nécessaire de mettre fin à l’action criminelle de réseaux de passeurs. Et je me suis clairement référé à la tentative d’instrumentaliser la question migratoire à Evros au cours de la période précédente.

En outre, nous avons discuté de questions ayant trait à l’héritage culturel. L’attente que la décision de convertir la Basilique Sainte-Sophie en mosquée, ainsi que la décision de convertir le monastère de Chora en mosquée, seront annulées a été exprimée à la partie turque. Nous pensons qu’une telle révision de ces decisions est dans l’intérêt de la Turquie et de l’image de la Turquie au niveau international.

Cher Mevlüt,

Je voudrais en concluant évoquer brièvement les défis régionaux en Syrie, en Libye. Je pense– on en discutera aussi lors du dîner – que nous devons aider ces deux pays en vue d’apporter des solutions globales à ces crises de longue date, en sauvegardant la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale des deux pays, conformément au droit international et aux résolutions du Conseil de sécurité.

Mesdames et Messieurs,

La Grèce et la Turquie sont destinées, de par leur position géographique, à vivre ensemble dans une région ayant de nombreux problèmes difficiles. Qu’il s’agisse des Balkans, du Moyen-Orient ou du Caucase. Il est dans l’intérêt des deux pays, de la Grèce et de la Turquie de coopérer pour consolider la sécurité, la stabilité et la prospérité dans ces régions sur la base du droit international et des principes du bon voisinage. Tel est le point de vue du gouvernement de Mitsotakis et c’est justement ce point de vue que je suis venu exprimer ici à Ankara, tout en espérant que nos relations progresseront. Nous ne négligeons pas la réalité, nous savons que nous avons devant nous un long chemin. Toutefois, j’espère qu’aujourd’hui nous pourrons affirmer qu’un pas en avant a été fait qui sera dans l’intérêt de nos deux pays et notamment de nos deux peuples.

Je voudrais également à cette occasion inviter mon cher ami Mevlüt à Athènes, à une date qui sera conjointement convenue, ce qui nous offrira l’occasion de poursuivre notre discussion sur la base de notre agenda et finalement de préparer à travers nos discussions la rencontre entre le Président Erdoğan et le Premier ministre, Kyriakos Mitsotakis.

Je tiens encore une fois à te remercier beaucoup cher Mevlüt de l’accueil que tu m’as réservé aujourd’hui ici ».

Deuxième partie de l’intervention du ministre des Affaires étrangères, Nikos Dendia

« Merci cher Mevlüt de me permettre de répondre. J’imagine que tes collaborateurs sont « plus royalistes que le roi » et ils préféreraient que je ne réponde pas, mais cela m’est impossible.

Je procéderai par ordre :

Je pense que la position grecque sur l’Egée et la Méditerranée orientale est toujours très claire. Et je ne pense pas c’est la première fois que vous l’entendez. Et je serais très surpris si vous attendiez de ma part, cher Mevlüt, de ne pas soulever ces questions ici à Ankara. C’est-à-dire de venir ici à Ankara et de présenter les choses comme si rien ne s’était passé en Egée et comme si rien ne s’était passé en Méditerranée orientale.

La position de la Grèce est bien claire : la Turquie a violé en Egée et en Méditerranée orientale le droit international et la Convention sur le droit de la mer. Et ce n’est pas tout :

Elle a violé les droits souverains de la Grèce. Elle a effectué 400 survols du territoire grec, Mevlüt. Au-dessus du territoire grec. Il n’existe aucune disposition de droit qui permet des survols du territoire grec. Je ne parle pas de la mer.

S’agissant de la question de la minorité, de la minorité musulmane : c’est le Traité de Lausanne qui prévoit cela, ce n’est pas nous. Et, le Traité de Lausanne, si je m’en souviens bien, a été également signé par la Turquie. Tel est le traité. Que cela plaise ou non à la Turquie, le Traité de Lausanne est en vigueur et continuera de l’être.

Pour ce qui est de la Convention UNCLOS : celle-ci fait partie de l’acquis communautaire. L’Union européenne l’a signée en sa qualité d’Union européenne. Pas seulement les Etats membres, mais l’Union européenne elle-même.  Si la Turquie veut devenir membre de l’Union européenne – ce que j’espère – elle acceptera aussi l’UNCLOS, la Convention sur le droit de la mer.

S’agissant de la question migratoire, franchement je pense qu’après les événements de février et de mars, la Turquie ne devrait pas donner de leçons à la Grèce. Nous sommes prêts en effet, comme tu l’as affirmé, à tourner la page. Mais cela présuppose que l’on doit parfois prendre conscience de ce que nous avons mal fait et de ce que nous avons bien fait. Donc je pense que cela n’était sans doute pas correct.

J’aimerais dire clairement que la Grèce est prête à procéder à un agenda positif avec la Turquie. Toutefois, cela ne signifie pas que nous changerons les positions immuables, permanentes de la politique étrangère grecque, cela ne signifie pas que nous renoncerons à l’acquis communautaire.

Et, si tu me le permets, Mevlüt je voudrais dire que le Conseil européen n’est pas pour la Grèce une partie « tierce ». La Grèce est membre de l’Union européenne, en conséquence de quoi le Conseil européen est le Conseil auquel nous appartenons et auquel nous avons proposé que vous apparteniez vous aussi quand vous en deviendrez membre. Par conséquent, il ne s’agit pas d’un tiers, mais de notre famille. Ce sont les pays avec lesquels nous vivons ensemble, ce sont les pays avec lesquels nous partageons les mêmes valeurs, un avenir commun, une vision commune, un espace de protection des droits de l’homme. Comme j’ai coutume de dire toujours, l’Union européenne est l’exemple le plus fier de la coexistence d’Etats dans l’histoire humaine. La Grèce est fière de sa participation à l’Union européenne, elle est fière de l’acquis européen et continuera de se comporter conformément à cela.

Je te remercie beaucoup encore une fois de cette occasion que tu m’as offerte.  Je proposerais de ne pas nous engager dans un dialogue interminable sur les questions sur lesquelles nous savons que nous sommes en désaccord.

Autrement, on gâchera ce que nous avons essayé de créer ici aujourd’hui, après cette excellente rencontre avec le Président Erdoğan ».

Troisième partie de l’intervention du ministre des Affaires étrangères, Nikos Dendia

« Je n’ai pas entendu mais j’essayerai toutefois de me limiter à quelques remarques pour dire simplement que nous demandons en fait qu’un agenda positif soit trouvé. Telle est la solution.

Mais un agenda positif signifie comprendre la position de l’autre partie. Mevlüt, tu as soulevé deux questions :

Démilitarisation des îles. Pourquoi y a-t-il une armée sur les îles ? Parce qu’il y a une menace provenant de quelque part. L’armée coûte de l’argent. Nous ne voulons pas gaspiller de l’argent inutilement. Y a-t-il actuellement une personne qui soutient qu’il n’existe pas de menace militaire et une force de débarquement en face des îles ? Si elles n’existent pas, ils feraient bien de nous le dire.

Les 6 à 10 milles dans l’espace aérien et maritime datent, si je m’en souviens bien, de 1930. La Turquie a, pour la première fois, protesté en 1975. Après 50 ans, après un demi - siècle.

Je suis d’accord, nous devons trouver des solutions et nous ne devons pas masquer les différends. Et on doit parvenir à un agenda positif commun. Je voudrais toutefois dire en toute franchise à la partie turque que cela sera possible Mevlüt si vous comprenez aussi nos sensibilités et si vous comprenez le mode de fonctionnement de l’UE. J’espère - soit dit en passant - que vous n’avez pas annulé l’invitation au dîner à cause de notre désaccord, car j’ai très faim ».

April 15, 2021