A. TSIPRAS : Je voudrais remercier le Président Poutine pour l’accueil chaleureux qu’il nous a réservé et bien entendu pour nos entretiens extrêmement intéressants que nous avons eus sur toutes les questions relatives aux relations gréco-russes ainsi que sur d’autres questions plus vastes portant sur la sécurité mondiale et régionale.
Comme le Président Poutine l’a affirmé, ma visite s’effectue à l’occasion du 190e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre nos pays. Des relations qui sont axées sur des liens très étroits et historiques, des liens religieux, culturels et spirituels entre nos peuples.
Je pense que cette base solide sur laquelle sont axées nos relations nous permettra de développer à travers le temps une relation stable et dynamique. C’est la deuxième fois que j’effectue une visite au Kremlin, la troisième fois que j’effectue une visite en Fédération de Russie en ma qualité de Premier ministre. J’avais visité aussi le Forum économique de Saint-Pétersbourg en une période difficile pour la Grèce. A une époque où la volonté politique de mon gouvernement, à laquelle ont consenti le gouvernement russe et le Président russe, était de reconstruire la base constructive sur laquelle serait axée la coopération entre les deux pays, après environ cinq années d’inertie dans les relations entre les deux pays.
Au cours de la période qui s’est écoulée, à travers la politique étrangère multidimensionnelle et active de la Grèce mais aussi à travers l’établissement des relations durables avec la Fédération de Russie, il a été démontré que la Grèce peut être un pays membre de l’Union européenne et de l’OTAN et pouvoir dans le même temps promouvoir un modèle de politique étrangère active et multidimensionnelle et valoriser les relations historiques et les partenariats.
Aujourd’hui, 3 ans et demi après, j’effectue cette visite ici dans une conjoncture complètement différente. Aucune menace de banqueroute ne pèse sur la Grèce et son taux de croissance est de nouveau positif. Le peuple grec a bien résisté aux épreuves, tout comme l’économie grecque, et nous avons désormais la possibilité de contempler avec plus d’optimisme l’avenir. Et par conséquent, des conditions encore meilleures sont réunies pour rendre notre partenariat encore plus efficace.
Bien évidemment, les défis auxquels nous sommes confrontés, ne sont pas moins nombreux. Par contre je dirais que la Grèce est un pays qui constitue un pilier de sécurité et de stabilité dans une région largement déstabilisée. Elle est directement influencée par les évolutions dans cette région, par les flux des réfugiés et des migrants, par la crise de sécurité qui affecte la Méditerranée orientale.
Et la Russie pendant cette période, a développé davantage, je pense, sa dynamique sur le plan diplomatique et économique, dans cette région intéressante et volatile.
Comme il a été convenu avec le Président Poutine, le dialogue gréco-russe devient dans ces circonstances encore plus importantes. Il est clair, que ce dialogue n’est pas toujours facile, comme cela a été prouvé en été dernier.
Néanmoins, notre volonté de maintenir ces relations sur les rails solides que nous avons mis en place depuis 2015 avec beaucoup de la peine, nous aide à surmonter les difficultés et à faire de nouveau preuve du respect et de la compréhension mutuels nécessaires.
Dans ce cadre, nous avons discuté à fond des évolutions en Méditerranée orientale et de la nouvelle carte énergétique qui est en train de se dessiner dans la région, du rôle de la Russie et des relations de nos deux pays avec la Turquie. J’ai bien entendu exprimé au Président Poutine nos inquiétudes par rapport aux nouveaux programmes d’armement de la Turquie, dans la mesure où cette dernière maintient le casus belli à l’encontre de notre pays.
Dans le même temps, nous avons discuté de la nouvelle carte énergétique qui est en train de se dessiner en Méditerranée orientale avec la construction du gazoduc Nord Stream ainsi que des possibilités de promouvoir le passage du gazoduc Turkish Stream, à travers la Turquie, vers la Grèce et de là vers l’Italie et le reste de l’Europe.
Un projet qui – associé à d’autres gazoducs en cours de construction -– revalorise le rôle de notre pays, de la Grèce en tant que plaque tournante énergétique régionale.
J’ai signalé au Président Poutine mon estime envers la Russie pour la position ferme de cette dernière à l’égard de la question chypriote. C’est-à-dire pour son soutien à la République de Chypre et à la perspective de règlement de la question chypriote sur la base des résolutions de l’Organisation des Nations unies. Et j’ai souligné le rôle crucial qu’aura le Conseil de sécurité de l’ONU, dans le règlement définitif de la question chypriote.
Nous avons discuté des perspectives de paix et de stabilité en Syrie ainsi qu’en Libye et de la nécessité, pour ce qui est de cette dernière, de mettre en place un gouvernement d’unité nationale et une armée unie et dotée d’importantes forces (forces militaires) dans l’Est du pays. Car notre préoccupation majeure doit être la stabilité en Libye mais aussi dans la région élargie.
Nous avons bien évidemment abordé les évolutions dans les Balkans occidentaux. Une région dont la stabilité et le développement revêtent une importance majeure pour nous.
Le Président Poutine m’a donné l’occasion de décliner les positions de la partie grecque, pour ce qui est notamment de la question délicate de l’appellation du pays de nos voisins au nord, la raison étant que pour la Grèce et le peuple grec il est d’une importance majeure que le pays voisin ne soit pas appelé par son nom constitutionnel c’est-à-dire République de Macédoine. Car pour nous tant cette appellation, que l’histoire associée à cette appellation constituent une partie importante de notre patrimoine historique et culturel.
C’est pourquoi je pense que l’Accord de Prespès constitue une base équitable pour le règlement du problème qui demeure en suspens depuis des années. Et bien évidemment, je pense que nous assistons à une émergence de tendances nationalistes et des différends qui pourraient à l’avenir déstabiliser la région.
Bien évidemment, nous avons également discuté de manière extensive des relations de l’UE avec l’OTAN et la Russie. Et j’avais eu l’occasion de souligner, encore une fois, l’importance que revêt le dialogue, notamment lorsqu’il y a un différend et particulièrement au cours de la période actuelle par rapport en plus du cadre existant précieux de contrôle des armements et des armes nucléaires. Tout comme au cours des moments difficiles de la guerre froide lors de laquelle le dialogue était toujours un instrument précieux pour faire face aux différends et prévenir toute escalade dangereuse à l’avenir.
J’ai signalé au Président que la Grèce constituait un Etat-membre de l’OTAN aussi et qu’elle honorait de manière ferme ses engagements mais qu’elle considérait aussi que toute architecture de sécurité ou toute initiative pour relever d’importants défis mondiaux importants, ne pouvait qu’inclure la Russie et être axée sur un dialogue sincère avec elle. Et telle est une position que j’exprime fermement ces 3 ans et demie au sein de tous les forums internationaux et européens auxquels je participe en ma qualité de Premier ministre de la Grèce.
Dans ce cadre, nous avons bien entendu discuté des évolutions en Mer noire et en Mer d’Azov. Nous – comme vous le savez – nous avons un intérêt particulier à l’égard de Marioupol où habitent plus de 130 000 citoyens d’origine grecque. Et, bien évidemment, je voudrais remercier le Président Poutine des informations détaillées qu’il m’a données.
Je voudrais aussi vous informer qu’au-delà des Accords que nous avons signés, hier s’est réuni le onzième Comité interministériel mixte. Nous avons discuté d’une série de partenariats dans de nombreux domaines et nous avons aussi parlé des investissements russes dans les domaines des infrastructures et de l’énergie. Et nous sommes convenus des moyens permettant de promouvoir les exportations grecques vers la Russie, notamment dans le secteur de l’agroalimentaire.
J’ai annoncé au Président Poutine la réouverture du consulat honoraire de la Russie à Alexandroupoli ainsi que l’ouverture d’un consulat honoraire de la Russie à Nauplie ce qui, à notre avis, contribuera au renforcement de nos relations.
Enfin, comme l’a affirmé le Président Poutine, nous sommes convenus de proclamer 2019 Année de la coopération culturelle entre la Grèce et la Russie, une Année dédiée à la Langue et à la Littérature en vue de promouvoir des initiatives, telles que les traductions mutuelles de livres, l’enseignement de la langue et de la littérature dans nos universités et d’autres échanges. Car je pense que cette amitié de longue date, le respect et la compréhension mutuels entre nos peuples, sont avant tout axés sur l’estime mutuelle à l’égard de la civilisation de l’une et de l’autre partie.
Je voudrais donc encore une fois exprimer mes remerciements au Président russe et lui faire part de ma conviction que cette visite était extrêmement constructive et s’est tenue au moment opportun.
Et je pense qu’elle donnera un élan encore plus dynamique à cette coopération précieuse et à ce dialogue substantiel dans la période à venir.
JOURNALISTE : Bonjour. Les précédents contacts officiels que vous avez eus se sont tenus sur le territoire russe à l’époque où le mémorandum imposé à la Grèce était toujours en vigueur et tous les regards de l’Europe étaient fixés sur elle. Pensez-vous que maintenant avec l’achèvement du troisième plan d’aide le rôle de la Grèce est davantage renforcé ?
Est-ce qu’il y a des indications spécifiques qui viennent soutenir une telle opinion ? La question est adressée aux deux hommes, Monsieur le Président de la Fédération de Russie.
A. TSIPRAS : Oui, je pense avoir déjà donné quelques indications claires de mon point de vue à ce sujet dans mon introduction. Je pense que cette conjoncture néfaste pour la Grèce, au cours de ces huit dernières années, a été une parenthèse noire dans son histoire, mais aussi un problème que nous avons surmonté aujourd’hui. Nous regardons l’avenir avec plus d’optimisme, nous avons rétabli une grande partie de notre souveraineté économique qui avait dans le passé été octroyée à nos créanciers. Permettez-moi toutefois de dire que la Grèce est un pays qui, de par sa position géographique, peut difficilement perdre son importance géopolitique. Au cours de ces trois dernières années et demie, nous avons mené une politique étrangère active et multidimensionnelle, prouvant que nous pouvions dans le même temps être membres de l’UE et de l’OTAN, mais aussi conserver et renforcer des relations historiques de coopération et d’amitié et dans ce sens je dirais que nous jouons un rôle crucial, un rôle stabilisateur dans la région de la Méditerranée orientale et des Balkans.
Je pense donc que la Grèce se trouve désormais dans une conjoncture favorable, car non seulement elle sort de la crise, et donc des relations de coopération historique et amicale peuvent être davantage valorisées, mais aussi parce qu’en cette période d’instabilité et de déstabilisation dans la région, nous pouvons jouer un rôle déterminant en nous basant sur les principes et les valeurs de la coopération, du co-développement, du dialogue. Nous pouvons être un pays constituant un pont d’amitié et de coopération entre l’UE, la Russie et le monde arabe. Dans le même temps, nous pouvons aussi jouer un rôle important, stabilisateur pour relever les grands défis de sécurité dans la région et ceux qui concernent la sécurité énergétique et le transport des ressources énergétiques en toute sécurité vers le continent européen.
JOURNALISTE : Après les événements, lorsqu’on a cette page noire, l’histoire bien connue avec les diplomates, les deux parties sont-elles prêtes à développer une coopération et mettre en œuvre des projets communs ?
A. TSIPRAS : J’imagine que la question m’était également adressée. Je serais d’accord avec l’appréciation du Président Poutine pour ce qui est du fait que nous devons regarder devant nous. Un jour de pluie en plein été ne signifie pas qu’il n’y aura plus de beaux jours. Toutefois, ce que j’aimerais souligner publiquement est que la Grèce, tant que je serais premier ministre et que nous parlons de la période d’après 2015, en ce qui concerne les questions cruciales des relations entre la Grèce et la Russie, n’agit pas selon les pressions ou les points de vue de tiers. Et cela est prouvé par le fait que la Grèce a été le seul pays de l’UE au Conseil européen à ne pas s’être identifiée à la volonté de mettre en œuvre une politique coordonnée d’expulsions pour l’affaire Skripal. D’un autre côté, lorsque nous voyons certains cas isolés, qui nous concernent et nous dérangent, nous sommes obligés de transmettre certains message et dans le même temps de regarder devant. Je pense que nous avons le regard tourné vers l’avenir et cette affaire est close et ce qui est très important aujourd’hui est de valoriser les grandes possibilités que nous avons d’approfondir notre coopération dans toute une série de domaines. Car effectivement ces trois dernières années, des pas importants ont été faits et davantage de choses peuvent encore être faites.
JOURNALISTE : Une question au Premier ministre grec. Monsieur le président, un commentaire concernant le message envoyé par la Russie au sujet d’une éventuellement militarisation de Chypre par des pays tiers. Et dites-nous également si le renforcement des relations gréco-américaines influence les relations gréco-russes.
A. TSIPRAS : Je pense que pour ce qui est de Chypre, les communications nécessaires ont été faites avec la République de Chypre. Si je ne me trompe, hier, il y a eu une communication téléphonique des deux ministres des Affaires étrangères, et des précisions ont été données.
Vous savez, Chypre, compte tenu de sa position géostratégique cruciale, octroie toujours des facilitations et elle doit octroyer des facilitations pour les opérations de nature humanitaire.
Il est évident qu’il n’y a jamais eu sur la table, une quelconque idée, du moins à ma connaissance. Et je me dois de vous dire que j’ai communiqué avec le Président Anastasiadis aujourd’hui. Par conséquent, ce n’est pas seulement que je sais moi-même, mais c’est également la position de la République de Chypre qu’il n’est pas question d’une perspective de militarisation de l’île, ni nous ne luttons pour trouver une solution à la question chypriote avec des forces armées et des garanties de tiers. Et à partir du moment où nous luttons pour cette solution, sans forces armées et garanties de tiers, nous ne serons jamais animés par une logique de militarisation. Je pense que cela ne s’inscrit pas dans notre logique et je dois le faire clairement savoir.
Bien entendu, cela est prouvé par le fait également que la République de Chypre fournit une politique d’accès aux ports particulièrement équilibrée à tous ses partenaires amis, dont la Russie.
Cela étant, vous m’avez posé une question au sujet des relations gréco-américaines et si celles-ci sont au détriment des relations gréco-russes. Je pense qu’au cours de ces 3,5 dernières années, notre parcours montre bien que la Grèce peut être un allié fiable à l’OTAN et à l’UE et un partenaire fiable, conservant et renforçant les relations historiques d’amitié et de coopération. Et je pense que ces relations ont leur propre dynamique, leurs propres racines profondes et ne sont pas en opposition. Au contraire, je pense que les deux parties – nos partenaires à l’OTAN, notamment les Etats-Unis, et les pays de l’UE mais aussi la Russie – doivent valoriser cette importance de la Grèce. Si la Grèce ne pouvait être en même temps un allié fiable à l’UE et à l’OTAN, mais un collaborateur stable, honnête et franc de la Russie, elle n’aurait pas la même valeur et importance pour la Russie. Elle aurait été comme tous les autres pays de l’UE. Donc, la Grèce peut jouer un rôle de pont et elle aspire à jouer ce rôle. Bien entendu, pour y arriver, elle doit fonder sa politique étrangère sur une base active et multidimensionnelle, mais aussi sur des valeurs stables que nous servons. Et ces valeurs stables sont le respect de l’Etat de droit, l’aspiration à la coopération et à la coexistence, à la paix, à la sécurité et à la stabilité. C’est sur ces bases que nous avons avancé et continuerons d’avancer. Et c’est pourquoi je pense que nous sommes des partenaires fiables et alliés importants pour la Russie également.
JOURNALISTE : Bonjour. Vous avez dit que lors des pourparlers ont été abordées des questions ayant trait à la coopération et à la sécurité énergétiques. Est-il possible qu’une ligne du pipeline turc passe dans le pays ? Nous voyons les pressions de la partie américaine, comment pouvons-nous répondre à ces pressions. Une question à Monsieur le Premier ministre. Vous avez dit que l’économie grecque se développe, mais je vous vois toujours sans cravate. Quand allez-vous mettre votre cravate ?
A. TSIPRAS : Ecoutez, la Grèce soutient le principe de la diversification des sources et voies énergétiques vers l’Europe. Le principe de la diversification signifie multiplication des éventuelles ressources et voies énergétiques et non l’exclusion de celles-ci. Nous estimons donc qu’au sein de l’UE deux poids deux mesures sont appliqués, notamment lorsque d’un côté le North 2 est promu de manière active et qu’il y a sans cesse des obstacles pour l’extension du Turkish Stream vers l’UE à travers la Grèce et l’Italie. S’agissant de l’Italie, nous maintenons une position stable au sein de l’UE et estimons que pour ces questions la Commission européenne comprendra aussi qu’il ne peut y avoir deux poids deux mesures. En ce qui nous concerne, nous avons d’ores et déjà procédé à la construction d’environ 80% du TAP, un pipeline qui transporte le gaz azéri en Europe. Cela étant, je pense qu’une solution technique et qualitative maximale est que ce gazoduc contienne également du gaz naturel russe car je pense que c’est dans l’intérêt de l’économie européenne, de la coopération et de la coexistence dans la région et c’est une position que nous soutenons fermement au cours de ces 3,5 dernières années et que nous continuerons de soutenir dans les enceintes européennes avec le soutien – je le répète – d’autres partenaires à l’UE.
JOURNALISTE : Concernant la cravate ?
A. TSIPRAS : Vous avez surement raté des épisodes, mais j’ai remporté le pari, la cravate, je l’ai mise et vite retirée car elle symbolise le nœud qui a été retiré du cou du peuple grec. Par conséquent, je pense que ce symbolisme a toute son importance mais si le Président Poutine me fait un cadeau je peux l’utiliser à l’avenir, lors d’une rencontre future.
December 10, 2018