Nous vous communiquons ci-après le texte des déclarations du vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères Evangelos Vénizélos aux correspondants grecs à l’issue du Conseil extraordinaire des ministres des Affaires étrangères de l’UE concernant la situation en Ukraine :
Ε. VENIZELOS : L’une des plus grandes crises politiques internationales de ces dernières décennies est en cours. la politique européenne doit envoyer et envoie des messages clairs basés sur la légalité internationale, la nécessité de respecter l’intégrité territoriale des frontières existantes et la souveraineté, la nécessité de respecter les règles du droit international sur le dialogue, le non recours à la violence ou la menace du recours à la violence. Ce sont ces messages qu’a envoyé aujourd’hui le Conseil « Affaires étrangères » sous la présidence de Mme Ashton. Ces messages sont, bien naturellement, adressés à toutes les parties concernées, la Russie mais aussi le gouvernement ukrainien, auquel nous avons réitéré l’importance particulière que revêt le caractère participatif et pluriel du gouvernement de transition en Ukraine, avec la participation de toutes les forces sociales, politiques et ethniques du pays de toutes les régions. Il est très important, de ce point de vue, de mettre en œuvre des réformes au nom de la démocratie, de l’Etat de droit et du respect des droits de l’homme. Les citoyens de tout le pays et de l’est de l’Ukraine doivent sentir qu’il y a des conditions de sécurité et des droits de participation égaux.
J’ai eu l’occasion de transmettre au Conseil une lettre que m’a remise hier, lors de ma visite à Kiev, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, dans laquelle il déclare la volonté du nouveau gouvernement ukrainien de poursuivre les discussions, en vue de la signature de l’Accord d’association avec l’Union européenne. Et cela a été versé dans les conclusions du Conseil puisque l’UE déclare avancer dans ce sens. Par ailleurs, j’ai eu l’occasion de m’entretenir, un peu avant le début du Conseil d’aujourd’hui, avec le ministre russe des Affaires étrangères, M. Sergei Lavrov, qui était à Genève, car la Grèce – en tant que pays au niveau national, mais aussi en tant que présidence en exercice du Conseil de l’Union européenne – entretient des contacts et des relations de confiance et de fiabilité avec toutes les parties concernées et peut, dans la mesure du possible, contribuer à désamorcer la crise et à faire prévaloir la logique et le droit international. De ce point de vue, nous mettons tout en œuvre pour garantir la paix et la stabilité dans la région et protéger les intérêts des Grecs d’Ukraine, notamment de la région de Marioupol et autres, qui sont le siège de communautés grecques, en participant de façon productive et stratégique aux rapports de force européens et internationaux, à travers une crise internationale en cours, en renforçant notre position nationale et certes, en protégeant les intérêts nationaux.
Malheureusement, tout le monde en Grèce ne le comprend pas. Certains ne peuvent réellement pas comprendre à quels dangers la Grèce peut réellement s’exposer, lorsqu’elle ne tient pas compte des rapports de forces européens et internationaux, lorsqu’elle agit en amateur et de façon superficielle comme ils le proposent. Je leur dis, encore une fois, que la façon d’envisager la politique interne ne peut être valable au niveau international et européen. La désinvolture, la démagogie, les irresponsabilités de notre vie politique interne ne peuvent, heureusement, être transposées au niveau international. Si elles le sont, la Grèce le paiera très cher et j’espère que le peuple grec le comprendra et ne permettra pas une telle issue.
Comme vous avez pu l’entendre, les conclusions revêtent également ce caractère. Elles sont adressées à la Russie et au gouvernement ukrainien. Elles comprennent une intervention plus concertée de l’UE concernant la crise économique en Ukraine, avec au centre, bien entendu, le Fonds monétaire international, auquel on demande de tenir compte des réformes nécessaires, non seulement au niveau économique, mais aussi au niveau de la démocratie et de l’Etat de droit.
JOURNALISTE : Dans quelle direction allez-vous ? Dans le sens des sanctions, des pressions politiques ? Des sanctions économiques ?
E. VENIZELOS : Il y a des pressions politiques et certaines mesures qui sont évoquées, comme par exemple, la rupture des discussions avec la Russie sur la libéralisation du régime des visas ou l’accord de modernisation dès lors que des pas en avant ne sont pas faits pour désamorcer la crise. Bien naturellement, la situation continue d’évoluer en Crimée, en même tant qu’évoluent les discussions au Conseil « Affaires étrangères » à Bruxelles. Ainsi, on peut dire que de nouvelles situations sont engendrées, des situations qui doivent être évaluées et c’est pourquoi le Conseil Affaires étrangères doit rester en contact, tandis que l’éventualité d’une convocation du Conseil européen extraordinaire sur la situation en Ukraine demeure ouverte.
JOURNALISTE : Quel jour ?
E. VENIZELOS : Nous n’avons pas défini le jour car nous devons tenir compte de certains éléments, d’autres obligations. M. Van Rompuy le définira.
JOURNALISTE : Discutez-vous de l’éventualité que M. Poutine participe à la réunion au sommet, ne serait-ce que de manière informelle ?
E. VENIZELOS : Une proposition de visite a été faite au Premier ministre ukrainien, mais cela n’a pas encore été accepté, car cela ne relève pas du Conseil « Affaires étrangères », mais de M. Van Rompuy et des chefs d’Etats et de gouvernements. Pour ce qui est de la participation de M. Poutine, aucune discussion n’a eu lieu aujourd’hui à ce sujet. D’ailleurs, l’UE doit garantir la possibilité d’être le principal acteur de tout le processus. Et nonobstant le fait qu’elle envoie des messages durs, elle insiste sur la nécessité de maintenir la voie du dialogue ouverte et je pense que toutes les parties l’apprécieront.
En ce qui concerne la réunion au sommet du G8, cela concerne les membres du G8. Il y a beaucoup de membres européens et dans les conclusions qui seront publiées il est fait référence au renvoi des préparations pour la réunion du G8 à Sotchi en raison de la crise. Cette référence est incluse dans les conclusions, ce n’est pas une décision du Conseil car cela concerne les pays du G8.
JOURNALISTE : Et concernant l’Europe, qu’en est-il ?
Ε. VENIZELOS : Je vous l’ai dit. L’Europe dénonce toute violation au droit international, elle demande l’apaisement de la tension, le non recours à la violence ou la menace au recours à la violence, elle demande que soit respectée l’intégrité territoriale et l’indépendance de l’Ukraine et de ses frontières existantes, elle demande la création d’un groupe de constatation des événements de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe. Elle laisse ouverte l’éventualité – non par une référence expresse au texte, mais dans l’esprit des discussions – de créer un groupe de contact international pour l’Ukraine avec la participation de toutes les parties impliquées, et donc de la Russie également. C’est une chose que nous verrons par la suite, encore faut-il d’abord que le processus de l’OSCE soit testé. Car l’OSCE décide selon la règle de l’unanimité. Et nous devons voir si elle décidera quelque chose car la Fédération de Russie participe à l’OSCE. Par ailleurs, à cette occasion, je voudrais dire que la Russie, comme nous en a informé notre collègue du Luxembourg, qui exerce la présidence de l’OSCE ce mois-ci, en tant que membre européen non permanent, la Fédération de Russie a demandé la convocation du Conseil pour l’informer des évolutions, et ce, sur l’initiative de la Russie. Nous avons donc de nombreuses évolutions que nous devons évaluer.
JOURNALISTE : Monsieur le vice-Premier ministre, pourriez-vous faire un constat de la situation ?
Ε. VENIZELOS : En Crimée, une situation totalement différente a vu le jour. Il y a désormais un tout autre rapport de forces militaire car la présence militaire russe est marquée. A l’heure actuelle, le contrôle militaire de la péninsule est exercé par la Fédération de Russie et il faut voir comment les choses évolueront dans les prochaines heures. Bien entendu, nous nous occupons en même temps de la crise en Crimée, de la situation en Ukraine et notamment dans l’est de l’Ukraine, avec la nécessité de renforcer le droit international et notamment tous les aspects que j’ai mentionnés. La nécessité de faire fonctionner la situation transitoire en Ukraine avec le principe du caractère participatif et cela sera visible au niveau du retrait de mesures comme la loi récente sur l’usage des langues régionales et minoritaires.
Nous nous occupons également de la crise économique et du risque d’effondrement de l’économie, donc grâce à des mesures d’aides directes, et dans le même temps nous nous occupons du processus classique du voisinage oriental et de l’élargissement qui est la signature de l’Accord d’association, qui revient sur le devant de la scène, avec le changement de position de l’Ukraine car la position européenne était de toute façon stable et acquise. Voilà la situation. La situation est très difficile, car l’Ukraine a une position stratégique sur le continent européen, car l’Ukraine n’est pas seulement voisine de la Russie, mais de nombreux autres pays membres de l’UE, car c’est un pays de 50 millions d’habitants, car c’est un pays clé du point de vue énergétique, car c’est un pays aux multiples ethnies et langues, que nous devons sérieusement prendre en compte et parce que nous n’avions pas été confrontés à une telle crise en Europe, après la chute du mur de Berlin.
JOURNALISTE : Vous avez demandé à Olli Rehn de considérer l’aspect économique de la question. Tout d’un coup, Olli Rehn est impliqué dans la politique extérieure.
Ε. VENIZELOS : Il n’est pas impliqué dans la politique extérieure. Il est impliqué dans l’élargissement politique, dans la politique d’aide internationale au développement. Si une conférence est convoquée, une conférence sur l’Ukraine, comme je l’ai proposé, l’UE y participera manifestement. Cela peut être une conférence de donateurs en général. D’autres peuvent participer en offrant des dons, une aide au développement ou un savoir-faire. Et cela ne concerne pas seulement les Etats. Cela concerne des institutions internationales. Le FMI participera, la Banque européenne des investissements, la Banque européenne pour le développement et la reconstruction. La commission européenne y participera. La banque mondiale y participera probablement aussi. On parle donc de plusieurs acteurs qui doivent être mobilisés. Mais comme ici les besoins immédiats sont des besoins financiers – quelqu’un doit apporter des fonds pour éviter un effondrement du système – nous devons voir quel est le rôle de la Russie. Alors que d’un côté le rôle de la Russie est très important dans le cadre d’un plan mondial de soutien économique de l’Ukraine, de l’autre côté, nous avons une situation de tension dans les relations entre la Russie et l’Ukraine en raison de la situation créée en Crimée. Nous devons donc tenir compte de tous ces paramètres qui sont contradictoires.
Je vous remercie.
March 4, 2014