Discours de M. Droutsas à la conférence de l’ Economiste intitulée « L’Agenda de la politique étrangère à la lumière des développements actuels dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, Europe du sud-est et Méditerranée orientale» (Lagonissi, 19 mai 2011)
Chers collègues,
Vos excellences,
Mesdames et Messieurs,
Invités distingués,
En tant que ministre des Affaires étrangères je dirais que le titre de notre conférence « l’Agenda de la politique étrangère à la lumière des développements actuels dans la région » semble être une tautologie. C’est un peu comme si l’on tournait en rond.
En d’autres termes, je dirais que les « développements actuels » sont notre pain quotidien et la politique étrangère notre table entière.
Si j’affirme cela c’est parce que nous avons souvent tendance à nous perdre dans les développements actuels et à perdre de vue le tableau d’ensemble. Et c’est exactement ce tableau d’ensemble qui doit constituer la force motrice de notre politique étrangère.
A cet égard, nous devons porter notre regard au-delà des événements qui se déroulent en temps réel. Même si je comprends parfaitement l’impact que les réseaux d’information internationaux ont sur la façon dont nous percevons le monde, je ne pense pas qu’il faille permettre aux « gros titres » de devenir un facteur déterminant de l’élaboration de notre politique étrangère.
Nous devons également nous préparer au lendemain et aux réalités qui émaneront une fois que la tempête sera calmée.
Cela est particulièrement vrai pour le Moyen-Orient et l'Afrique du nord. Mais en dépit de la volatilité de la situation sur place dans certains pays de la région – notre attention étant bien entendu axée sur la Libye – la communauté internationale s’accorde largement sur la situation que nous voulons voir émerger une fois que la tempête sera passée : des sociétés stables, prospères où les droits de l’homme et l'Etat de droit seront respectés et où les aspirations des peuples eux-mêmes seront réalisées au moyen de processus démocratiques sans pressions extérieures.
Nous avons tous eu nos expériences nationales de cette entreprise appelée démocratie et nous connaissons tous très bien aussi bien ses valeurs que son potentiel. Nous savons tous également que cette lutte est toujours acharnée. Mais ce que nous oublions parfois c’est que cette lutte ne finit jamais : même dans les démocraties les plus avancées, les valeurs et principes démocratiques doivent être sauvegardés et constamment développés.
Tel est le cas d’une autre région faisant l'objet de discussions autour de cette table : l'Europe du Sud-est et la Méditerranée orientale.
Ce qui distingue cette région du Moyen-Orient ou de l’Afrique du Nord c’est que les pays y faisant partie – en particulier ceux de l’Europe du Sud-est – sont soit membres à part entière de l’UE ou pays candidat à l’adhésion à l’Union européenne.
Cette dimension européenne, que nous appelons la perspective européenne, a été une force motrice importante pour ces pays et elle a, pendant toutes ces années, bénéficié du soutien sans faille de la Grèce.
J’imagine que mon ami et collègue, Vuk, se réfèrera aux expériences de la Serbie à cet égard et donc je n'entends pas entrer dans les détails de ce sujet.
J’aimerais toutefois souligner que pour notre voisinage direct, les Balkans, la Grèce a présenté l’« Agenda 2014 » dans le but d'accélérer le processus d'adhésion des pays des Balkans occidentaux, nos partenaires et amis, à la famille européenne. Notre message était clair et il l’est toujours : la pleine adhésion est un objectif réalisable.
Et nous avons d’ores et déjà décidé de consacrer la Présidence de la Grèce à l’UE en 2014 à l’élargissement des Balkans occidentaux en organisant une conférence au sommet de l’UE avec tous les pays des Balkans, dans le but, espérons-nous, de pouvoir élaborer une feuille de route précise avec une date butoir précise à laquelle devra être réalisée l’adhésion à l’UE de tous les pays des Balkans occidentaux, si les conditions nécessaires sont remplies.
Dans l’Union européenne actuelle, la fatigue de l’élargissement est un fait indéniable : la situation économique difficile alimente le scepticisme quant à la rationalité d’un élargissement ultérieur.
Le dernier élargissement – l’adhésion de 10 nouveaux Etats membres en 2004 – a littéralement ébranlé le système de l’UE. Mais le point de vue prédominant à l’époque était – à juste titre – que le retard dans l’élargissement serait beaucoup plus coûteux.
Ce point de vue s'est avéré fondé, je crois. En dépit de la rudesse du choc économique et politique, il y a eu une répercussion positive prouvant que tout cela valait la peine: tout le monde réalise aujourd'hui que l'UE a besoin d'une unification politique, une politique étrangère libre de toute entrave et une politique économique générant la croissance tout en garantissant la sécurité au sein de la société.
Et c’est exactement de cette façon collective que les pays de l'Europe du sud-est devront procéder aujourd'hui.
Mesdames et Messieurs,
Puisque nous parlons de deux régions différentes dans ce groupe de discussion, permettez-moi à ce stade de souligner qu'indépendamment de la perspective européenne d'un pays, quel qu'il soit, les idéaux et objectifs démocratiques ne devront en aucun cas dépendre d'aucun autre facteur.
Tel est l’appel des peuples de la région, l'appel auquel leurs dirigeants doivent répondre.
Cela ne signifie évidemment pas que l’UE n’a pas de rôle à jouer dans ces développements. Bien au contraire. Tant au niveau national qu’européen, nous nous efforçons d'élaborer la stratégie la plus appropriée afin d’assister les efforts de ces pays et de leurs peuples dans le sens des réformes et de la prospérité économique.
Mais étant donné qu’il n’y pas de feuille de route pour la création d'institutions, la modernisation et la démocratisation, nous devons être clairs sur le fait qu'aucun changement ne pourra être correctement mis en place si deux conditions préalables ne sont pas remplies : respect de l’identité culturelle particulière des peuples et soutien réel des sociétés elles-mêmes.
Dans cette conjoncture particulière, l’avenir des relations entre l’UE et ses voisins du sud constitue un défi de taille pour nous tous et la Grèce pense fermement que l’Union doit réaffirmer son rôle en tant que partenaire.
C’est la raison pour laquelle nous développons une approche concertée au sein de l'UE : « Un partenariat pour la démocratie et la prospérité partagée avec la Méditerranée du sud », à travers des actions ciblées correspondant à des exigences particulières et adaptées aux caractéristiques et besoins particuliers de chacun de nos voisins du sud. Il s’agit d’une approche déterminée par la demande et motivée par les mesures incitatrices.
Mais il est tout aussi impératif que nos actions allient mesures politiques - qui assurent la promotion de la démocratie et la création d'institutions - et mesures visant à renforcer la croissance sociale et économique. Il s'agit de deux domaines de renforcement mutuel qui doivent être développés en parallèle.
Pour des raisons évidentes, nous devons nous assurer qu'une partie des mesures seront spécialement conçues pour produire des avantages sociaux immédiats et tangibles pour ces pays, notamment en faveur de la jeunesse.
En outre, nous soutenons pleinement le renforcement de la société civile dans ce processus de réformes et cela va de pair avec la démocratie et la création d’institutions dans chaque pays. Une attention particulière doit également être accordée au principe de la responsabilité [régionale] : nos actions doivent toujours être guidées par le respect de la dignité et des sensibilités de nos voisins et partenaires du sud - sans oublier que cette transformation a été initiée par les peuples eux-mêmes – et notre principal objectif doit être de leur assurer notre meilleur soutien possible dès lors qu'ils accomplissent ce chemin vers la démocratie.
Les développements dans le Sud nous affectent directement : un aspect crucial de la crise récente en Afrique du Nord est l'augmentation du flux migratoire qui a suivit vers l’UE. Située aux frontières extérieures de l’UE et étant géographiquement proche de cette région, la Grèce est l’un des pays membres à en être directement et sérieusement affecté. Un grand nombre d’immigrés clandestins appréhendés aux frontières extérieures de l'UE sont localisés aux frontières grecques. L’appel à la solidarité parmi les Etats membres de l’UE est plus que jamais manifeste.
Le problème n’est pas seulement méditerranéen, il y a une préoccupation de plus en plus intense au sein de l’Europe, soulignant de plus en plus clairement la nécessité de renforcer la coopération pratique entre les Etats membres et de coopérer efficacement avec les pays d’origine et de transit.
En ce qui concerne la région et le monde arabe, nous, en tant qu’Union européenne devons faire face aussi bien à un défi qu’à une opportunité. Une opportunité de contribuer à la paix et à la stabilité dans la région. Mais aussi une opportunité de conférer à l’UE la voix qu’elle mérite et qu’elle doit avoir dans les développements internationaux, qui plus est quand ces développements ont lieu dans son propre voisinage.
Permettez-moi donc de réitérer ma proposition concernant la nécessité d’un « plan Marshal européen » pour la région. Cet engagement de l’Union européenne ne doit pas être considéré comme un soutien purement économique à la création nécessaire d’institutions. Il doit être considéré comme un investissement pour l’UE. Un investissement dans la paix, la sécurité (extérieure et intérieure), la croissance économique - tant pour la région que le monde arabe, mais aussi pour l'UE elle-même et ses Etats membres.
Et certainement, nous devons éviter une chose : nous ne devons en aucun cas donner l'impression - erronée - que l'UE, le monde occidental essaie d'imposer ses vues à nos amis arabes.
Cette proposition est axée sur le partenariat, la coopération et la solidarité.
Et en parlant de partenariat, de coopération et de solidarité, en particulier, j’aimerais me référer aux développements actuels concernant les défis que la Grèce et le peuple grec doivent relever dans le cadre de la crise économique.
La Grèce et le peuple grec ont pris l'engagement de mettre en œuvre un programme sérieux de réformes qui a d'ores et déjà produit des résultats impressionnants. Nul n’ignore que la situation est encore difficile et le défi énorme. Et la Grèce, le gouvernement grec et le peuple grec continuent de livrer cette bataille pour leur avenir, avec le même attachement sans faille à notre programme de réformes.
Beaucoup de choses ont été dites sur la Grèce.
Mais la Grèce n’a pas besoin qu’on lui dicte les choses. Elle a besoin d’un esprit de coopération, de conseils et de solidarité sociale, ce qui doit aller de soi.
Chaque force politique et chaque dirigeant politique personnellement en Grèce doit assumer ses responsabilités et nécessairement il a des comptes à rendre et sera jugé pour ses choix et ses décisions. Moi – et le peuple grec tout entier –ne peux qu’espérer que tout le monde dans ce pays assumera ses responsabilités et relèvera les défis de taille auquel nous sommes confrontés pour notre avenir et prendra les bonnes décisions, fera les bons choix dans le sens de la cohésion et de la coopération.
Enfin, permettez-moi de dire quelques mots sur la crise en Libye :
La crise en Libye ne peut être résolue par des moyens militaires seulement. L'heure est venue d'examiner les possibilités qui existent pour parvenir à une solution politique et d'organiser des négociations entre Tripoli et Benghazi. Ce retard a un coût : la violence continue et la mort, la prolifération des armes, des mouvements plus importants de populations à travers les frontières et une préoccupation accrue au sein de l’OTAN au sujet des questions liées aux priorités et aux ressources.
La Grèce qui est l’un des pays les plus proches de la Libye est d'avis que les avantages de la négociation viennent compenser le coût d'un conflit prolongé.
Nous proposons donc une autre solution : opérations et dialogue.
Maintenir la pression en imposant des sanctions – l’instauration de la zone d'exclusion aérienne et l’action militaire et dans le même temps lancement de pourparlers avec les éléments clés du régime, et ce, sur la base d'un calendrier précis afin que des résultats puissent être produits.
Les éléments nécessaires d'une « feuille de route pour la Libye » sont bien connus et déjà élaborés en détail – et la Grèce a été à même d’y contribuer en apportant des idées et propositions concrètes, dès le début.
Ce qui manque et ce sur quoi nous devons nous concentrer est de faire preuve de la volonté et de la détermination nécessaires pour pouvoir avancer selon ces lignes directrices.
Mesdames et Messieurs,
Comme je l’ai dit tout à l’heure, l'environnement international dans lequel nous exerçons notre politique étrangère est en constante mutation. Le monde change à une vitesse fulgurante. Nous devons suivre ces changements et nous adapter en fonction.
Mais tirons au moins deux leçons de ce qui se passe autour de nous :
La première est que le changement, même les crises, peuvent être transformées en opportunités pour toutes les parties.
Et la seconde est qu’il ne faut jamais ignorer les appels au changement.
Au beau milieu de crises d’une telle magnitude et importance, l’Union européenne ne peut être absente ou garder le silence. L’Union européenne – telles que ses pères fondateurs l’ont imaginée – ne reste pas inactive, n’assiste pas aux événements en simple observateur. L’Union européenne créé les événements – ou du moins contribue à leur création – tout en poursuivant un objectif spécifique : promouvoir ses principes et valeurs.
Merci beaucoup.
May 19, 2011