Discours du ministre des Affaires étrangères, N. Dendias, devant la Commission permanente de la Défense nationale et des Affaires étrangères du parlement hellénique (08.09.2022)

Discours du ministre des Affaires étrangères, N. Dendias, devant la Commission permanente de la Défense nationale et des Affaires étrangères du parlement hellénique (08.09.2022)Elaboration et examen des projets de loi du ministère des Affaires étrangères :
Α. « Ratification du Protocole au Traité de l'Atlantique Nord sur l'adhésion de la République de Finlande ».
Β. Ratification du Protocole au Traité de l'Atlantique Nord sur l'adhésion du Royaume de Suède ».


Merci, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs.

Je dirai quelques mots sur les protocoles d'adhésion de la Suède et de la Finlande qui doivent être ratifiés par la délégation nationale, puis je profiterai du temps et de l'occasion de notre réunion pour répondre à certaines des questions que vous avez eu l'amabilité de soulever lors du débat devant la Commission, qui s'est déroulé comme toujours dans un contexte de respect des règles de la bienséance et d'échange de vues, et je pense que c'est quelque chose d'extrêmement important.

En principe, l'élargissement de l'Alliance de l'Atlantique Nord avec l'intégration de pays et de membres qui respectent les principes et les valeurs que la Grèce soutient et auxquels elle souscrit est un choix stratégique pour notre pays et le gouvernement l'a déclaré de toutes les manières.

Le Premier ministre l'a dit à plusieurs reprises, je l'ai dit moi-même, et je voudrais dire qu'un très grand effort a été fait par la partie grecque, qui je pense a finalement réussi à Madrid, pour que dans le concept stratégique de l'OTAN il y ait une référence claire à ce cadre de valeurs.

Et pourquoi je dis ça ? Parce qu'il y a effectivement une faille dans le traité fondateur. L'article 5, qui couvre les pays contre les attaques de pays tiers, ne couvre pas l'agression provenant d'un État membre.

Et cela joue certainement au détriment de notre pays, en ce qui concerne le comportement agressif  turc. Et vous me direz bien sûr : « Pourquoi ne tente-t-on pas de les modifier ? Mais c'est simple ».

Les traités sont modifiés à l'unanimité. Je n'imagine donc pas que quiconque dans cette chambre puisse supposer que la Turquie accepterait une perception aussi différente.

Je ferai un petit commentaire sur la Turquie à la fin. Mais je veux juste dire qu'au niveau des valeurs, la répétition de ces concepts et le fait que l'Alliance doit servir ces concepts, la démocratie, les droits de l'homme et les libertés, est quelque chose de très important pour la Grèce.

Au-delà de cela maintenant, nous avons des relations très étroites et amicales avec la Finlande et la Suède, deux pays qui sont membres de l'Union européenne, avec un excellent réseau pour la protection des droits de l'homme, avec des forces armées importantes.

Nous pensons qu'elles peuvent contribuer à l'Alliance de l'Atlantique Nord par leur participation, et je voudrais dire que la politique étrangère grecque, qui a été une politique de principe au fil du temps, ne pouvait pas entrer dans une logique de marchandage afin d’obtenir quelque chose. Après tout, cela nous ferait ressembler à un pays voisin et je pense que cela ne conviendrait pas à notre présence globale sur la scène internationale.

Je vais juste commenter un peu dans le contexte des réponses, ce qui a été dit sur la question de l'embargo imposé par ces deux pays, l'un d'eux, la Suède, il y avait un embargo à la Turquie et comment il n'a pas été protégé dans le contexte de cette négociation.

Toutefois, je conclurai en disant que nous pensons, comme la grande majorité des partis, que la Grèce a quelque chose à gagner de l'entrée de la Finlande et de la Suède, par le choix souverain de leurs peuples, dans l'Alliance de l'Atlantique Nord.

Et pas seulement sur des questions ayant purement trait à la défense, mais aussi sur des questions plus larges auxquelles notre pays s'intéresse. Je voudrais mentionner la protection de l'environnement dans l'Arctique, que nous traiterons également dans le cadre de la protection de l'environnement marin, qui revêt une énorme importance pour nous et qui est également prévue par la CNUDM, dans le cadre  de la « Ocean Conference » de 2024.
J'en viens maintenant aux réponses aux nombreuses questions soulevées dans le débat, ce qui, à mon avis, est peut-être le plus intéressant pour la délégation nationale.

Tout d'abord, je pense que M. Katrougalos a mentionné, si je ne me trompe pas, le concept de Kissinger sur le rôle de l'Europe. C'est en effet comme vous le dites, dans cette grande œuvre intitulée «  Diplomatie ».

Mais pour être franc à l’égard des États-Unis d'Amérique, « le concept du réalisme », comme on l'appelle - je le mets entre guillemets, je ne suis pas nécessairement d’accord avec ce titre - la théorie du réalisme en politique étrangère dont M. Kissinger est un grand représentant, n'est pas la seule en vigueur aux États-Unis.

Le non renforcement particulier de l'Europe, pour le dire de manière aussi diplomatique et élégante que possible, n'est pas le seul concept présent dans les affaires américaines. Et laissez-moi vous rappeler l'énorme effort que le président Obama a fait pour empêcher le Brexit et dans lequel il a certainement échoué.

Mais l'effort a été fait alors que d'autres puissances pensaient que le Brexit était quelque chose qui devait être poursuivi précisément pour affaiblir l'Union européenne. Il n'y a donc pas de point de vue unifié de l'autre côté de l'Atlantique, il y a trop de forces qui pensent qu'une Europe forte, dotée d'un bras de défense, peut être le meilleur partenaire des États-Unis dans l'effort pour la stabilité et la sécurité mondiales.

Concernant la question de l'embargo du Premier ministre, que M. Katrougalos a à nouveau soulevée, cela me semble injuste pour le Premier ministre.

Je pense que le pays a fait tout ce qu'il pouvait dans le cadre de son choix initial et je le répète, et c’était un bon choix de ne pas marchander comme dans un bazar oriental.

Et en fait, lorsque nous parlons de la levée de l'embargo, nous nous référons à l'article 7 du mémorandum trilatéral entre la Turquie, la Finlande et la Suède.  L'article 7 fait référence à un embargo bilatéral et il fait en fait référence à l'embargo que la Suède, parce que la Finlande n'avait rien imposé,  avait imposé à la Turquie après que les troupes turques aient envahi la Syrie. C'est ce dont nous parlons, c'est ce que couvre cette affaire.

Mais cette affaire laisse de côté, et il ne pouvait en être autrement, toute décision prise par les institutions européennes.  Ou les institutions de l'Alliance de l'Atlantique Nord.

Elle est donc d'une importance très limitée, et je le dis encore une fois de la manière la plus diplomatique possible. Et je ne pense pas que la Grèce puisse faire quoi que ce soit à propos de cette disposition particulière relativement mineure.  
Mais pour vous montrer comment ce mémorandum trilatéral n'a guère fonctionné, je vais vous raconter quelque chose qui est une nouvelle d'hier. Ce que la Turquie recherchait en fait, c'était la participation au programme de mobilité militaire dans le cadre de la PESCO.   Et auquel il y avait une référence dans ce mémorandum trilatéral particulier.

Je vous dis donc qu'hier, au sein du comité compétent au niveau technique aux Pays-Bas, la demande de participation de la Turquie a été rejetée. Nous n'avons pas eu à aller jusqu'au veto de la Grèce, qui aurait pu être une possibilité, car techniquement la Turquie ne remplissait pas les conditions.

Par conséquent, on comprend que, même si ce mémorandum trilatéral a été utilisé en ce qui concerne l'opinion turque d'une manière particulière, qui nous concerne très peu, il ne nous appartient pas de nous mêler de la vie politique interne de la Turquie.

Objectivement, cependant, son importance est extrêmement limitée.

J'en viens maintenant aux remarques sur l'Ukraine et aux visites à Kiev. M. Loverdos a raison. Il y a effectivement un retard.

Je devrais me rendre en Ukraine le 6 octobre et, avant moi, la Présidente de la République devrait se rendre en Ukraine. Il a également eu la gentillesse de rappeler que je suis en fait allé deux fois à Odessa et que je m'étais également rendu en Ukraine peu avant l'invasion.

Si vous vous souvenez, j'avais visité Marioupol quelques semaines avant l'invasion russe. Et aussi sur la question des réformes nécessaires en Ukraine, je tiens à dire que ces derniers jours, j'ai reçu un appel de la part du professeur Flogaïtis et je voudrais vous dire qu'EPLO a assumé un rôle consultatif dans une partie des réformes nécessaires en Ukraine.

Je me réfère à l’Organisation européenne de droit public à laquelle, comme vous le savez, il y a une participation grecque très nombreuse et se trouve à Athènes. Par conséquent, notre pays, dans la mesure de ses possibilités, aidera l'Ukraine à réaliser les réformes nécessaires et indispensables pour qu'elle puisse remplir, pour que nous soyons clairs à cet égard, les critères d'entrée dans l'Union européenne.

Mais cela ne signifie pas que l'invasion russe soit à elle seule le billet d'entrée. Les réformes nécessaires devront également être faites et nous y contribuerons autant que possible.

En ce qui concerne Odessa, puisque cela a été mentionné, vous savez que nous avons fait un effort pour faire du centre d'Odessa un monument protégé par l'UNESCO.
La logique derrière cet effort est de disposer d'un bouclier de protection culturelle d’ un centre historique lié à l'hellénisme, et pas seulement parce que la révolution grecque y a débuté.

Comme vous le savez, je vous l'ai dit à plusieurs reprises, nous sommes propriétaires du bâtiment où la révolution grecque a commencé, où la Filiki Eteria tiendrait ses réunions.

L'État grec est en charge de l’entretien de ce bâtiment. Les pièces  pertinentes sont maintenant stockées au sous-sol. Je note qu'il y a des lettres de Pouchkine, du grand poète russe, qui assistait aux réunions de la Filiki Eteria.

Le fait que la Russie d'aujourd'hui ait envahi l'Ukraine ne conduira pas l'humanité à effacer son énorme participation culturelle à l'histoire et à la civilisation de l'humanité.

La Russie, en envahissant l’Ukraine, ne fait tort qu’à elle-même et à sa contribution. Mais il y a une autre participation grecque. Mon compatriote, Gregory Maraslis, originaire de Corfou, avait construit, en tant que maire d'Odessa, de nombreux bâtiments dans le centre d'Odessa. Nous avons donc un rôle très important à jouer pour faciliter cet effort.

Vous savez également qu'à l'heure où nous parlons, une contre-offensive ukrainienne est en cours dans la région de Kherson et en Ukraine orientale. Sur ce point, bien sûr, il ne m'appartient pas d'informer, mais je ne fais que le souligner.
En ce qui concerne l'autre question sur l'abolition de l'unanimité, encore une fois je pense que M. Loverdos a posé la question, la position grecque est claire et déclarée : non, nous ne sommes pas prêts à cela.

Nous comprenons très bien les problèmes de dysfonctionnement qui se créent dans la famille européenne des 27 pays, nous comprenons très bien que certains pays soutiennent souvent des positions qui ne rendent pas service à l'effort unifié, notamment dans le domaine des affaires étrangères et de la sécurité, mais la scène européenne n'est pas encore mûre pour l'abolition de l'unanimité.

Mais je dis que dans des cas particulièrement importants, et l'Ukraine en est un, l'unanimité a été atteinte. Une unanimité a été atteinte et c’est ça justement que nous devons retenir.

La Grèce est également convaincue de la nécessité de réformer le fonctionnement des Nations unies et croit en la nécessité de réformer le Conseil de sécurité des Nations unies. La Grèce pense qu'il est nécessaire que d'autres pays importants participent au Conseil de sécurité des États-Unis.

En ce qui concerne les critiques qui m’ont été adressées, en fait sur la perception des partis sociaux-démocrates, nous ne sommes pas un parti social-démocrate, nous n'avons pas à nous excuser de l'attitude des sociaux-démocrates en Europe, c'est le travail des autres partis, de l'opposition.

Je veux juste dire que le parti social-démocrate historiquement, si je me souviens bien, est le parti de Marx et aussi que le président Poutine et ce, si le parti communiste me permet de l'observer, s'est différencié du parti léniniste....

M. ...... : (question hors-microphone)

N. DENDIAS : Non, non, je parlerai de quelqu'un d'autre qui appartient à votre idéologie. Je fais référence à Lénine, il appartient à votre idéologie, ne nous l'attribuez pas à nous aussi.

L'internationalisme léniniste n'est pas la vision que suit le président Poutine. Le président Poutine suit le point de vue du « Ruskie Mir », c'est-à-dire du monde russe, qu'il défend, et si nous avions le temps, nous pourrions discuter d'où il vient ce concept et de ce qui se passe et quelle est sa base théorique, ce qui ne peut en aucun cas justifier l'invasion inacceptable de l'Ukraine  ou être considéré comme étant sa cause.

Mme Sakorafa, dont j'ai toujours apprécié les sages paroles,  a fait remarquer l'absence aux funérailles de Mikhaïl Gorbatchev.  Elle l'a dit avec dignité. Elle a dit qu’aucun ministre n’a assisté et puisque le seul ministre qui était présent était moi, évidemment je suis appelé à répondre.  

Madame Sakorafa, je dois vous dire franchement que Mikhaïl Gorbatchev est, à mes yeux, un personnage controversé et que, par conséquent, hormis la difficulté pratique pour le ministre grec des Affaires étrangères de se rendre à Moscou en ce moment, je ne peux oublier qu'en dehors de sa contribution à la libération des forces qui revendiquaient une voix autonome et une présence nationale autonome, il a été l'homme qui a permis, je dis bien permis, pour ne pas dire ordonné, l'invasion des pays baltes.

L'invasion des pays baltes. Des tanks ont tué des gens dans les pays baltes. Comme, et ce n'est pas connu en Azerbaïdjan. Si vous le souhaitez, je vous renvoie au post du ministre des Affaires étrangères de Lituanie, qui ne peut en aucun cas être qualifié d'extrémiste et qui est également un bon ami de la Grèce.

Mikhail Gorbachev a aussi un côté sombre. Bien sûr il y a toujours le fameux « le défunt est justifié », mais il est justifié dans le sens où il est au-delà de notre jugement, pas dans le sens où ce qu'il a fait dans ce monde n'est pas jugé, pas évalué, et il y a une couverture qui couvre ce que chacun a fait pendant sa vie terrestre.

J’en viens un instant sur la question de la Turquie. Mesdames et Messieurs, je ne vais pas sous-estimer ici, cela a été dit par beaucoup d'entre vous, ce qui a été dit ces derniers jours par les responsables politiques turcs.

La référence à l'occupation des îles grecques est tout à fait inacceptable. C'est tout à fait inacceptable.  J'ai utilisé l'expression «manœuvres d’intimidation » devant la ministre française des Affaires étrangères l'autre jour, précisément pour souligner combien ces choses sont inacceptables, sans précédent et inédites. Et elles  ne résistent à aucune critique et ne méritent aucune réponse.

Et sur ce point, il est évident qu'il y a une unanimité absolue dans le système politique grec, par les partis, par le peuple grec, la société grecque.

Les menaces brutales ne touchent pas le peuple grec, et il est hors de question que nous tombions dans le piège évident des tensions au niveau rhétorique, que nous répondions par des menaces et des expressions brutales similaires, pour finalement transformer une question de principe, de droit international, de légitimité internationale, en une querelle orientale.

La Grèce n'est pas un tel pays ; nous avons réussi, au prix d'énormes sacrifices si vous voulez, à faire partie d'une réalité européenne, d'une réalité démocratique, d'une zone de protection des droits de l'homme.

C'est à cela que nous appartenons, c'est ainsi que nous nous comportons, c'est ainsi que nous exprimons nos pensées, et nous ne laisserons personne nous rabaisser à son niveau pour ses propres raisons et pour ses propres tactiques politiques, quel qu'il soit, voisin ou autre pays.

Et je voudrais aussi demander qu'on le souligne, parce qu'il faut le souligner si vous voulez, parce que c'est dans notre intérêt et il faut souligner que les États-Unis ont aussi pris une position claire sur cette question. Je peux  soumettre les déclarations, mais ça n'a aucun sens qu'un ministre du gouvernement grec soumette des déclarations de hauts fonctionnaires d'un autre pays.  

Et le représentant de l'Union européenne, au nom du Haut représentant et au nom de nous tous, a pris une position claire, et la présidence tchèque - et je vous rappelle que le ministre tchèque des Affaires étrangères était ici en visite officielle et qu'il était  revenu ici par la suite en visite privée - a pris une position claire à cet égard.

Dans les trois cas, il y a eu une réaction virulente de la part de la Turquie, ce qui constitue la meilleure preuve d'une réponse adéquate.

Alors bien sûr, nous pouvons défendre nous-mêmes notre pays, c'est notre devoir, hélas, aucun pays sérieux au monde ne confie sa défense à d'autres puissances, même à celles avec lesquelles il entretient les relations les plus amicales. Mais cela ne signifie pas que nous n'avons pas d'amis, pas d'alliés, pas de soutien.

Et je vous rappelle que la ministre allemande des Affaires étrangères était à Athènes et à Ankara, et que la ministre française des Affaires étrangères était à Athènes et à Ankara, et elles ont dit ici et là ce qu'elles avaient à dire. Et après-demain, le Premier ministre, M. Mitsotakis, sera à Paris et rencontrera au début de la semaine prochaine le président Macron.

Le comportement agressif turc est inacceptable, nous le rejetons, mais il ne nous fait pas peur. Merci beaucoup, chers collègues.

September 8, 2022