Je vous remercie beaucoup pour cet accueil très chaleureux. C'est un grand honneur pour moi d'être ici aujourd'hui au sommet de Thessalonique, non seulement parce qu'en tant que ministre des Affaires étrangères, il est de mon devoir de participer à une réunion d'amis des Balkans occidentaux, mais surtout parce que la Grèce est un pays avancé, qui a embrassé le projet d'intégration des Balkans occidentaux dans la famille européenne plus que n'importe qui d'autre. C'est pourquoi je tiens à souligner, tant sur le plan pratique que symbolique, que nous serons toujours là pour aider les pays des Balkans occidentaux à trouver leur voie naturelle, la voie qui a été ouverte pour la première fois en 2003 ici, dans la ville hospitalière de Thessalonique, avec l'Agenda de Thessalonique. Aujourd'hui, 20 ans plus tard, ce parcours se poursuit avec la même conviction, peut-être à un rythme plus lent que nous le souhaiterions tous, mais certainement avec une grande ferveur. C'est ce parcours que nous souhaitons mettre en valeur et accélérer, mais aussi créer les conditions qui permettront une progression plus rapide.
Dans ce contexte, je voudrais remercier l’Association des industries grecques et le Forum économique de Delphes pour l'invitation très honorable qui m'a été faite d'être parmi vous aujourd'hui. Après tout, depuis 2016, le sommet de Thessalonique est devenu une institution pour la ville et est également devenu un forum dans lequel les piliers de la politique étrangère peuvent être développés, mais, d'autre part, les personnalités internationales peuvent également se réunir pour mettre en évidence les grandes questions du jour, pour se projeter un peu plus loin que le quotidien et pour essayer de façonner des perspectives politiques en des temps difficiles. Et, bien sûr, il ne pouvait y avoir d'autre forum que Thessalonique pour accueillir cette réunion particulière concernant la perspective européenne des Balkans occidentaux, précisément parce que c'est Thessalonique qui est la plaque tournante des Balkans occidentaux. En tant que gouvernement et État grec, nous avons mis l'accent sur Thessalonique, que nous envisageons non seulement comme un acteur clé dans la région plus élargie, mais aussi comme une force motrice de tous les développements en Méditerranée orientale et dans les Balkans.
Permettez-moi de revenir sur ce qui m'a tout d'abord impressionné, à savoir le titre de cet événement, dont je retiendrai trois points. Les deux points ont trait à la continuité que doit avoir le processus d'adhésion des Balkans occidentaux, tandis que le troisième constitue plutôt une réflexion à ce stade. Les deux éléments de continuité sont notre intérêt constant pour les pays des Balkans occidentaux. Non pas parce qu'il s'agit de notre voisinage - et toujours dans notre voisinage, on veille à ce qu'il y ait la paix afin que l’on puisse assurer la prospérité des peuples - mais notamment parce que nous croyons qu'il doit y avoir des objectifs stables. Et les objectifs stables sont inextricablement liés à un parcours commun, qui sera axé sur des valeurs, parce que l'Union européenne est une union de valeurs. La réflexion, le troisième élément, est principalement liée à l'époque, aux circonstances.
Nous comprenons tous que ce n'est pas le meilleur moment pour l'Europe, ni pour la Méditerranée orientale. C'est une période de très grande volatilité. C'est une période où le révisionnisme tend à devenir la norme. Et ce défi doit être géré par nous tous et, surtout, il doit être relevé avec unanimité par les pays qui ont précisément ces origines communes, ces racines communes, cette idéologie commune, afin que nous puissions aller de l'avant ensemble. Ce n'est pas un chemin linéaire qui se développe dans notre région plus élargie. Si nous prenons en compte tous les défis majeurs, nous verrons qu'il ne s'agit pas d'une voie linéaire, mais d'une voie asymétrique. Si nous considérons non seulement le révisionnisme, mais aussi l'agression dont nous faisons actuellement l'expérience dans d'autres zones de notre grand voisinage, telles que le Moyen-Orient, l'Ukraine et le Caucase du Sud, nous verrons qu'il s'agit d'une voie asymétrique.
Il s'agit également de la logique plus large du révisionnisme, de la crise climatique, des crises de santé publique, de la migration et de la crise alimentaire, résultat de toutes les crises précédentes et, en particulier, des guerres qui sont menées dans notre région élargie. C'est pourquoi je pense plus que jamais, et je le dis en connaissance de cause, en tant que personne qui a la chance de diriger la politique étrangère grecque en ce moment, que tous les pays devraient adopter une politique étrangère fondée sur des principes. Selon moi, la diplomatie ne doit pas être menée de manière conjoncturelle ou transactionnelle. Elle doit être fondée sur des principes et des valeurs. Les principes de raison et d'éthique doivent prévaloir. Il ne peut y avoir différents poids et mesures utilisés face aux différentes crises.
Au lieu de cela, il devrait y avoir une logique de traiter tous les cas de manière égale selon une version aristotélicienne, de sorte que la politique étrangère devienne beaucoup plus cohérente et honnête. Et je pense qu'en fin de compte, ce qui est récompensé en premier lieu, c'est précisément la cohérence au niveau de principes, de règles. C'est pourquoi la politique étrangère grecque a toujours été fondée sur des valeurs telles que l'application fidèle du droit international, qui interdit tout révisionnisme, toute agression, tout changement de frontières.
La politique étrangère grecque est fondée sur le respect de l'indépendance et le principe de l'intégrité territoriale, la résolution pacifique des différends, la promotion du bien-être des citoyens et, bien sûr, les principes de la démocratie et de l'État de droit. Après tout, ce sont ces principes qui, il y a 20 ans, en 2003, ont conduit à la déclaration de Thessalonique dans cette ville, qui a ouvert la voie à l'intégration des Balkans occidentaux dans la famille européenne. La déclaration, à un moment très difficile, a reconnu sans réserve que l'avenir des Balkans se trouvait dans l'Union européenne.
Ainsi, la déclaration de Thessalonique vise précisément à garantir avant tout une architecture de sécurité pour les Balkans occidentaux et la région plus élargie. Une région dont nous savons tous, ceux d'entre nous qui ont étudié un peu l'histoire, qu'elle a été marquée au fil des ans par des guerres, des conflits, des guerres civiles, des bouleversements majeurs, de la volatilité et un parcours historique absolument asymétrique.
Dans ce contexte, la politique étrangère grecque a soutenu l'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à la famille européenne. Nous avons contribué à l'élaboration de la politique européenne d'intégration des Balkans occidentaux. Et, bien entendu, nous soutenons leur processus d'adhésion.
Le débat sur l'intégration des Balkans occidentaux dans la famille européenne doit bien entendu tenir compte des circonstances actuelles. Les guerres dans notre voisinage ne sont pas de simples conflits, mais modifient dans une large mesure le paradigme même sur lequel la famille européenne a été fondée. Les Communautés européennes des années 1950 ont commencé par un traité de paix, afin d'assurer un avenir pacifique dans une région troublée comme l’Europe de l'après-guerre.
Toutefois, tout au long de ce parcours, nous sommes passés à une union beaucoup plus profonde, à savoir l'union économique, monétaire et politique. Aujourd'hui, cependant, je pense que l'Union européenne est peut-être plus que cela. L'Union européenne est une union de valeurs, et je comprends souvent combien il est difficile pour les pays des Balkans occidentaux de voir ce long chemin, ce long chemin vers la famille européenne. Cependant, la réalité est que nous devrions - autant que possible - nous en tenir à la position politique selon laquelle la famille européenne devrait intégrer les Balkans occidentaux. Mais, d'un autre côté, nous devons aussi faire en sorte que les conditions soient réunies pour que l'Union européenne soit forte, résiliente et inclusive.
Mais aussi une Union européenne qui sera revitalisée. Car la réalité est que nous disons souvent qu'il y a une fatigue, et j’en ai entendu parler à plusieurs reprises aujourd'hui, de la pré-adhésion, du processus d'adhésion des pays des Balkans occidentaux. Mais, d'un autre côté, il y a aussi une fatigue dans l'Union européenne elle-même. Parfois, une revitalisation est même nécessaire. Et cette revitalisation, le plus souvent, s'accompagne d'un nouveau sens donné par les nouveaux acteurs, les nouvelles institutions vitales qui nous rejoignent. C'est pourquoi je pense qu'il est extrêmement important d'avoir un horizon visible pour l'achèvement des processus d'adhésion, de sortir de la stagnation ou des années d'attente et de créer un horizon visible pour l'adhésion.
Plus que la fatigue, je pense que le plus grand problème pourrait être le découragement, la déception des jeunes générations à l'égard de la vision européenne. Car ce qu'il ne faut pas perdre, c'est, je pense, la conviction des jeunes générations que la famille européenne est le véritable foyer de tous les États européens qui partagent ces racines idéologiques importantes. Nous veillons constamment à être présents dans chaque débat de manière créative et productive en ce qui concerne le processus d'adhésion des États des Balkans occidentaux. Et ce, outre l'invitation du Premier ministre, le 21 août, aux pays des Balkans occidentaux, à l'Ukraine et à la Moldavie, qui, je pense, a de nouveau signalisé le chemin de ces États vers la la famille européenne. Dans de nombreux cas, j'essaie moi-même d'être le plus créatif possible sur le plan politique. La semaine dernière, nous avons tenu la réunion du Conseil « Affaires européennes » - et bien que la question de l'adhésion des Balkans occidentaux ne figurât pas à l'ordre du jour du Conseil - nous avons eu deux réunions informelles, qui ont porté précisément sur les questions des processus de pré-adhésion, sur la nécessité d'une coopération étroite, sur la nécessité d’insuffler un nouvel élan aux négociations, mais aussi sur la nécessité de donner une solide visibilité au processus d'adhésion. En particulier, nous avons, et j'ai personnellement, fait référence aux questions du renforcement des réseaux de transport d'énergie et de la cybersécurité.
Je considère qu'il est extrêmement important que l'Union européenne et les pays des Balkans occidentaux établissent ensemble des priorités, afin que la liste des conditions préalables soit également claire.
Nous savons tous, et en particulier nos chers amis qui représentent aujourd'hui les pays des Balkans occidentaux, qu'il existe des principes et des critères, une conditionnalité équitable et stricte, qui est une exigence de la législation européenne, et bien sûr une évaluation sur la base de performances.
Il est vrai que ces critères deviennent souvent très techniques. La volonté politique d'accélérer les procédures d'adhésion des Balkans occidentaux est un fait acquis et doit être revitalisée. Les critères techniques devront souvent être définis à la lumière de cette volonté politique. Bien entendu, l'expertise nécessaire devra être apportée en cas de besoin. Mais la réalité est que nous avons besoin d'une interaction aussi bénéfique que possible entre l'Union européenne et les États des Balkans occidentaux pour procéder à cet ajustement.
Je voudrais tout particulièrement évoquer la question de la communauté de valeurs de l'Union européenne. La communauté de valeurs de l'Union européenne met aujourd'hui beaucoup plus l'accent sur les institutions que sur l'économie par rapport aux années 1950, 1960 ou 1970. Il aurait été impensable dans les années 1950, dans les traités fondateurs des Communautés européennes, de discuter de questions qui appartiennent au noyau dur de l'État, comme la démocratie, l'État de droit, le respect des droits civils, des questions qui relèvent traditionnellement de la compétence des États membres. Aujourd'hui, dans l'Union européenne, le respect de la démocratie et de l'État de droit est une condition sine qua non pour qu'un État membre puisse fonctionner au sein de la famille européenne. Cela vaut non seulement pour les États en phase de pré-adhésion, mais aussi pour les États de la famille européenne, qui sont tenus par le droit primaire de l'Union européenne de respecter les principes et les règles de la démocratie et de l'État de droit, sous peine de se voir appliquer les sanctions prévues.
C'est pourquoi il est évident qu'en tant que Grèce, nous appelons également les États des Balkans occidentaux à intégrer l'acquis démocratique de l'Union européenne, afin que nous puissions avancer ensemble.
Je voudrais tout particulièrement évoquer, si vous me le permettez, la question de nos relations avec l'Albanie, en ce qui concerne la détention temporaire du maire élu, Fredi Beleri, depuis le mois de mai, deux jours avant les élections locales en Albanie en mai dernier, et qui est toujours en prison. Avec tout le respect dû à l'ordre légal interne de l'Albanie, le gouvernement grec a demandé l'évidence, qui n'a rien à voir avec l'indépendance judiciaire et rien à voir avec les procédures judiciaires internes du pays voisin. Il a demandé que le maire élu prête serment afin que la volonté politique exprimée lors des élections de mai se concrétise dans la pratique politique. Il ne s'agit pas d'une action judiciaire, ni d'une ingérence extérieure. Il s'agit d'un acte administratif, qui doit être exécuté, dans le respect des droits politiques et de l'État de droit. J'ai personnellement pris l'initiative d'informer mes homologues des États membres de l'Union européenne et de la Commission européenne. Et à de nombreuses reprises, j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec les représentants du gouvernement albanais au plus haut niveau pour leur faire part de la position du gouvernement grec. Il est évident qu'en démocratie, il n'y a pas de rabais.
Je voudrais conclure par des réflexions spécifiques qui, selon moi, revêtent une valeur particulière en ces temps difficiles et instables. Nous discutons d'une communauté de valeurs, telle que l'Union européenne, à un moment où les valeurs sont ébranlées et où les certitudes sont en jeu. Il est difficile d'entreprendre une exploration prospective des événements, car nous ne savons pas ce que l'avenir nous réserve.
Nous avons besoin de cohérence, d'honnêteté et d'une approche commune des questions fondamentales.
Nous sommes conscients de la nécessité d'une mise à jour constante de notre approche pour atteindre les objectifs solides d'intégration des Balkans occidentaux dans la famille européenne. Notre base doit rester la déclaration de Thessalonique de 2003. Nous restons fidèles et engagés à ces principes. La Grèce restera un fervent partisan de l'intégration des pays des Balkans occidentaux dans la famille européenne. Il s'agit d'une solution mutuellement bénéfique et historiquement nécessaire.
Nous comprenons que la réalisation des aspirations européennes des États des Balkans occidentaux revêt une importance particulière. Nous ne pouvons pas continuer à décevoir les peuples en leur dressant des obstacles. L'UE doit également faire preuve de la volonté politique d'intégrer les pays des Balkans occidentaux dans la famille européenne par des moyens plus puissants, et les États des Balkans occidentaux doivent également faire preuve de la volonté politique d'intégrer l'acquis européen dans les domaines techniques, afin que nous puissions parvenir à une Europe qui soit exactement comme ces États le souhaitent, une Europe de prospérité pour les peuples, de bonne coopération, de paix et de réconciliation.
Je voudrais conclure par une phrase de la déclaration d'Athènes du 21 août 2023 : « Nous devons nous fixer un objectif final audacieux et ambitieux, qui sera notre guide, notre source d'inspiration et notre cadre d'action ».
À cette fin, nous continuerons à travailler avec foi, avec vigueur et avec l'espoir que, le moment venu, la famille européenne s'agrandira et se revitalisera. Et toujours, dans ce contexte, Thessalonique sera la ville qui nous unit.
Je vous remercie de votre attention.
November 21, 2023