Merci beaucoup, Monsieur le Professeur, tout d'abord pour l'occasion unique qui m'est donnée de me retrouver parmi des jeunes, des collègues plus jeunes et surtout des étudiants, qui me manquent dans mes fonctions actuelles. Et c'est toujours très vivifiant de se retrouver parmi les jeunes. Il est vraiment étonnant que vous vous intéressiez aux questions des relations internationales et de la politique étrangère. Je pense que le fait de comprendre que la politique étrangère et les relations internationales ne sont pas un luxe, mais qu'elles sont notre vie même, devrait nous conduire à une compréhension différente des phénomènes et de notre vie quotidienne.
La Société hellénique de droit international et de relations internationales est une unité de réflexion, précieuse pour la politique étrangère grecque et pour le pays. Le président en particulier, le professeur Perrakis, y a beaucoup contribué au fil des ans.
En ce qui concerne les événements à Gaza, deux événements très importants liés à Gaza se déroulent en ce moment même. Le premier est la réunion du Conseil de sécurité des Nations unies à New York. Vous connaissez, je crois, le contexte, vous l'avez développé. Le second événement est qu'une opération de très grande envergure est en cours pour créer un corridor humanitaire viable vers le Moyen-Orient. De plus en plus de pays y contribuent, y compris la Grèce, avec Chypre, qui est le pays le plus proche du Moyen-Orient, comme plaque tournante. En raison de cette proximité, elle joue évidemment un rôle très important. De très grands efforts ont été déployés pour mettre en place un corridor humanitaire durable. Mais vous comprenez tous que pour avoir une aide humaine durable, il faut d'une part que les parties concernées fassent preuve de tolérance et d'autre part que l'infrastructure nécessaire soit en place.
Notre principal problème, Monsieur le Professeur, en ce qui concerne le corridor humanitaire maritime, est qu'il n'y a pas de structure sûre à Gaza. En d'autres termes, il n'y a pas de port, de sorte qu'il n'est pas possible pour un navire conventionnel d'accoster et qu'il faut des navires de guerre capables d'atteindre la plage. En d'autres termes, des navires de débarquement de chars. Mais cela crée d'autres risques pour la sécurité et, bien sûr, des problèmes liés à la profondeur des eaux. Un exercice très complexe. Mais pour l'instant, il est nécessaire d'avoir ce corridor humanitaire.
Permettez-moi de revenir sur la partie concernant le Conseil de sécurité. Vous connaissez le contexte. Mesdames et Messieurs les professeurs de droit international, il s'agit ici d'une question qui a trait à l'architecture de la prise de décision dans probablement toutes les organisations internationales. Du fait que les organisations internationales sont des entités qui, par définition, ont un caractère hybride particulier, qu’elles n'ont pas l'élément de souveraineté unitaire, il ne va pas de soi qu’il faille parvenir à une décision, comme c'est le cas d’un Etat par exemple.
D’un autre côté, étant donné que l'équilibre entre les États membres participant à une organisation internationale doit être maintenu, il doit y avoir de nombreuses « digues », c'est-à-dire qu'il doit y avoir un droit de veto. Cela crée toujours un énorme blocage lorsqu'il s'agit de prendre une décision. C'est le cas aujourd'hui avec les Nations unies, où nous sommes obligés de transférer la compétence du Conseil de sécurité des Nations unies, en raison de l'impossibilité de prendre une décision, à l'Assemblée générale des Nations unies, ce qui crée une certaine asymétrie. C'est un phénomène de notre temps.
Sur la question de l'Ukraine, par exemple, le veto de la Russie empêche toute prise de décision au sein du Conseil de sécurité. Dans le cas du Moyen-Orient, le veto des États-Unis crée un problème similaire pour qu'une décision soit prise au niveau du Conseil de sécurité. Quel est le résultat ? Le processus décisionnel est reporté à l'Assemblée générale, qui dispose d'autres conditions et d'une majorité qualifiée, mais pas d'un droit de veto.
Et je vous rappelle que cela s'est déjà produit la première fois que nous avons eu une résolution en faveur de la pause humanitaire. Pour la deuxième fois, après l'échec de la prise de décision au niveau du Conseil de sécurité. La décision a été prise par l'Assemblée générale à une large majorité. Et maintenant, nous revenons, sur proposition des Émirats arabes unis, avec plus ou moins le même texte, qui a été voté par l'Assemblée générale et qui énonce l'obligation d'établir une pause humanitaire permanente, au moins pour un an, sous la responsabilité du Secrétaire général des Nations unies.
Il s'agit d'une déduction théorique. Le même problème, Monsieur le Professeur, qui existe en matière de prise de décision au niveau des Nations unies, existe également au sein de l'Union européenne. Là aussi, à cause du veto - qui est en fin de compte la défense de l'État membre contre le collectif de l'instance internationale - nous sommes confrontés aux mêmes problèmes. Vous avez peut-être eu l'occasion de voir ce qui s'est passé la semaine dernière au Conseil européen, où, pour contourner la nécessité de l'unanimité des États membres au niveau du Conseil européen, il fallait quitter la salle et aller chercher du café. Nous comprenons donc un peu l'équilibre. Ce n'est pas un hasard si un débat très sérieux est en cours en ce moment, qui porte précisément sur la révision du processus décisionnel afin que le veto soit transformé en quelque chose d'autre, qui peut être une majorité qualifiée ou autre. Quoi qu'il en soit, plus le nombre d'États membres participant à des organisations internationales augmente, plus il devient difficile de prendre une décision à l'unanimité. C'est pourquoi des voix s'élèvent aujourd'hui pour réclamer un changement de modèle.
La Grèce est présente dans tout cela. La Grèce est présente avec un chapitre de diplomatie internationale, qui me semble assez important, peut-être disproportionné par rapport à sa taille géographique. Vous savez, ce que je constate aussi de par ma position, c'est que le capital diplomatique dont dispose chaque pays est la synthèse de plusieurs paramètres. Il y a certainement le paramètre de la puissance géopolitique. Par définition, si vous vous trouvez à un emplacement clé dans le monde, votre position dans la diplomatie internationale est par définition forte. Il s'agit d'un paramètre lié au territoire et à la population, à des données objectives. Il va sans dire qu'un pays comme la Chine ou l'Inde, de par la force des choses, disposera d'un capital diplomatique élevé. Il s'agit du personnel politique et diplomatique. Les dirigeants qui ont une forte empreinte internationale confèrent également à leur pays un capital diplomatique important. Enfin, le capital diplomatique est lié à l'ensemble des pouvoirs dont dispose un pays. En fin de compte, la réussite d'un pays dans le secteur économique, même s'il est petit comme la Grèce, se reflète dans le capital international dont il dispose, que ce soit dans les forums internationaux ou dans les relations bilatérales.
La Grèce dispose d'un capital international important. Je pense que ce capital international est considérablement renforcé lorsque le pays fait preuve de cohérence et de constance dans la manière dont il mène sa diplomatie. C'est ce que j'appelle une politique étrangère fondée sur des principes. Et la Grèce suit cette politique et la suit fidèlement. Il s'agit d'une politique étrangère fondée sur des valeurs. Elle n'est pas transactionnelle, c'est-à-dire qu'elle ne met pas en avant un intérêt, ce qui revient à faire des concessions mutuelles. Elle n'est pas non plus opportuniste, ce qui signifie que nous n'avons pas deux poids et deux mesures lorsqu'il s'agit des questions qui se posent sur la scène internationale. Cela nous permet d'avoir une relation très stable, une relation sincère et d'être un interlocuteur fiable pour d'autres parties intéressées. Ce qui se passe aujourd'hui, c'est que la Grèce, au niveau du Moyen-Orient et du conflit, a adopté une position très, très cohérente dès le premier jour, qui se poursuit encore aujourd'hui.
Quel en est le résultat ? La communauté internationale, mais aussi les parties prenantes directes elles-mêmes, apprécient cette position de principe, qui consiste à parler à toutes les parties. Nous discutons évidemment avec Israël, l'un de nos partenaires stratégiques. Mais nous discutons également, et de manière approfondie, avec le monde arabe et les Palestiniens, l'Autorité palestinienne. J'ai moi-même eu l'occasion de me rendre à Ramallah, puis à Jérusalem-Ouest, pour transmettre les messages de Ramallah. Et bien sûr, auprès des organisations internationales. La Grèce est intervenue de manière très substantielle à tous les stades du développement de la pause humanitaire, que nous avons été les premiers à proposer. Et bien sûr, nous pensons que nous aurons une voix forte le lendemain, lorsque ce cauchemar sera terminé et que les choses reviendront à une situation plus normale.
Qu'avons-nous dit sur le Moyen-Orient ? Nous avons dit l'évidence. Premièrement, que nous devons condamner le terrorisme et l'agression sous toutes leurs formes. Deuxièmement, que les valeurs du droit international et, en particulier, du droit humanitaire, [du droit] de la guerre, doivent être respectées, en premier lieu et surtout, la protection des civils. Troisièmement, il ne doit pas y avoir de cas d'utilisation de civils comme boucliers, c'est-à-dire qu'il ne doit pas y avoir d'otages ou toute autre forme de traitement inhumain et indigne des personnes. Quatrièmement, la garantie d'une aide humanitaire soutenue et durable. Cinquièmement, il faut organiser immédiatement une conférence internationale qui traite non seulement de la question immédiate, qui est le cessez-le-feu humanitaire et l'aide humanitaire, mais aussi du débat sous-jacent qui est à l'origine de la crise et qui est lié au conflit de longue date qui sévit au Moyen-Orient.
Il va sans dire que la question de la résolution de la question palestinienne dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies est, à l'heure actuelle, la seule solution susceptible de conduire à une situation viable et plus stable au Moyen-Orient. Ces principes s'accompagnent de deux postulats.
Le premier postulat, extrêmement important, est que, tout en reconnaissant l'attaque terroriste du Hamas et toutes ses caractéristiques, qui violent toutes les règles de la morale et du droit international, le Hamas ne doit pas être identifié au peuple palestinien. C'est pourquoi nous avons également tenté de donner une plus grande légitimité à l'Autorité palestinienne. La réalité est qu'elle est le seul interlocuteur légitime pour le lendemain. Et les Palestiniens devront avoir une voix, qui sera légitime le jour suivant.
Le deuxième postulat concerne bien sûr l'étendue du droit d'Israël à l'autodéfense, qui n'est pas contesté mais qui doit être exercé dans le cadre du droit international, comme l'exigent les principes de proportionnalité et, en particulier, de nécessité.
Malheureusement, nous avons atteint aujourd'hui une réalité qui va bien au-delà des exigences du droit international et de toute notion d'humanitarisme. Les pertes en vies humaines sont sans précédent. La violence avec laquelle cette guerre se déroule est, je pense, inédite. Les prises de position extrêmes ont créé un climat d'hostilité qui rend très difficile tout rapprochement entre les parties. Mais je pense que progressivement, avec le temps, une convergence beaucoup plus grande de la communauté internationale sur la nécessité d'arrêter cette guerre est en train de se développer. Et d'abord pour des raisons humanitaires. La communauté internationale ne tolère pas, et ne devrait pas tolérer, les images qui nous parviennent avec un très grand nombre de morts civils, de femmes et d'enfants. Les images de l'utilisation de civils comme boucliers humains, le mépris absolu de la dignité humaine.
Je pense que l'indécision de la communauté internationale à imposer une solution à ce cauchemar est révélatrice de l'asymétrie générale qui existe, non seulement du côté des organisations internationales, c'est-à-dire du côté de la gouvernance universelle, mais aussi d'une incapacité globale à imposer une solution plus consultative.
Ce que je constate, malheureusement, Monsieur le Professeur, c'est qu'au fil du temps, il est de plus en plus difficile de pouvoir discuter, même dans des circonstances extrêmement difficiles. La logique de la consultation a été perdue. La logique même du compromis en tant que valeur susceptible de produire des résultats. Nous l'avons vu avec trop d'insistance en Ukraine. Nous l'avons vu, malheureusement, dans le cas du Caucase du Sud, en Arménie et en Azerbaïdjan. Nous le voyons malheureusement avec des conséquences très importantes qui ne sont pas visibles, parce que nous pensons qu'elles ne font pas partie de notre propre voisinage, en Afrique subsaharienne et au Sahel. Et maintenant au Moyen-Orient, avec les extrêmes qui conduisent à une situation qui n'a rien à voir avec l'application effective du droit international.
Dans ces circonstances, un dialogue académique avec un contenu substantiel serait donc d’une grande contribution. Je pense que la logique des abstractions théoriques est maintenant quelque chose que nous pouvons avoir sur la table, mais ce n'est pas le plus important, ni le principal. La chose la plus importante est de pouvoir imposer des solutions créatives, des propositions créatives, la nécessité d'une pause humanitaire et d'une assistance aussi large et continue que possible pour les civils affectés.
C'est dans cet esprit que je souhaite saluer votre conférence et attirer votre attention sur toutes ces préoccupations. Vous savez, nous avions l'habitude d'entendre parler de l'Afrique, du Caucase ou du Moyen-Orient et cela nous semblait extrêmement lointain. Aujourd'hui, toute crise générée au niveau régional a, par définition, une très grande trans-territorialité et les conséquences qui peuvent en découler peuvent être fatales, non seulement pour les voisins proches, mais aussi pour le monde entier.
Je vous souhaite bonne chance dans vos travaux. Tous mes vœux de réussite et je suis très heureux de vous accueillir aujourd'hui au ministère des Affaires étrangères. Merci Monsieur le Professeur.
December 21, 2023