Discours du ministre des Affaires étrangères, N. Kotzias devant l’Académie chinoise des sciences sociales (Pékin, 28 août 2018)

Discours du ministre des Affaires étrangères, N. Kotzias devant l’Académie chinoise des sciences sociales (Pékin, 28 août 2018)« Grèce et Chine : Passé et Futur / Différences et similitudes »

Grèce et Chine : deux pays qui ont une taille et un rôle différents dans l’environnement mondialisé actuel, avec tous deux un long parcours dans l’histoire de la civilisation humaine.

D’après la civilisation grecque, quiconque adopte la culture grecque, est Grec. L’éducation, le goût pour les sciences et les arts, la foi en la Cité et la Patrie, l’effort de comprendre autrui ont été des éléments qui caractérisaient les villes grecques et leurs citoyens. Socrate et Aristote, les écoles de philosophie et des mathématiques, tout le monde croyait que tout homme était bon de par sa nature. Que l’éducation doit libérer les capacités des citoyens et les rendre utiles au service de la cité.

Les grands éducateurs de Chine et surtout Confucius, à l’exception des légalistes chinois, croyaient que les hommes étaient bons de par leur nature. Mais afin que cette nature soit manifestée et libérée, il est nécessaire d’avoir une bonne éducation.

Notre histoire est pour nos deux pays une histoire d’amour de la culture, de l’éducation et du respect des générations futures.

Lorsque la technologie a commencé à accélérer les changements sociaux, la société athénienne a cessé de croire que les instances et les changements sociaux étaient le fruit de la volonté des dieux sombres et des dirigeants autoritaires. La densification du temps lui a donné la possibilité de comprendre que les institutions ont été créées par les hommes et peuvent être de nouveau changées par les hommes-citoyens d’une cité démocratique. Lorsque les changements ne s’opèrent pas au rythme et dans la sens que veut la société et lorsque la démocratie ne fonctionne plus, le droit de la désobéissance aux dirigeants, et même leur renversement, était prévu en Grèce antique

Si la Grèce antique a été le berceau de la réflexion et des instances démocratiques, la Chine a été le berceau de l’Etat moderne. Un Etat fonctionnant via une répartition des fonctions et doté d’un personnel bien formé et avec des processus éducatifs spéciaux pour tous les rangs. L’éducation est devenue le mécanisme de la mobilité sociale et a engendré l’administration fonctionnelle dans le pays. Tout comme la démocratie est née en Grèce, en Chine est née la réflexion sur la nécessité de l’harmonie.

De l’harmonie avec les cieux. Et lorsque cette harmonie était rompue, le peuple avait le droit de s’insurger pour rétablir le droit à l’harmonie. En Chine et en Grèce il y a eu des écoles de réflexion qui avaient soulevé de la même façon dans une large mesure des questions communes. Dans les deux pays ont été soulevées des questions qui sont aujourd’hui d’actualité : qu’est-ce que la vie, la réflexion, la société. Qu’est-ce que le surnaturel et le naturel. Quel est le sens de la vie et quelle est la bonne vie, la vie correcte, la vie créative. Quel est le passé et quel est l’avenir ? Quelle attitude doit-on adopter à l’égard des problèmes éthiques ? Quel est le rôle de l’individu et de la société ? Quel est le rapport entre la nature et l’homme ? Qu’est-ce que cela nous apporte et quel est notre devoir vis-à-vis de la nature ?

Karl Marx, la Deuxième et la Troisième Internationale et en partie ladite Internationale Deux et demi, Mao Zedong, Zhou Enlai et Deng Xiaoping tout comme aujourd’hui le Président Xi, ont soulevé des questions et ont répondu à la question de savoir ce qu’est le capitalisme, le socialisme et comment se fait la transition vers l’un ou l’autre système.

Les questions et les réponses sont actuelles pour toute une époque. Elles répondent à la question relative au modèle de « deux systèmes et une nation » à l’importance des puissances productives et de la technologie.

Toutefois, nos philosophes et nos savants ont soulevé, il y a des milliers d’années, des questions bien plus fondamentales. Ces questions ne portaient pas seulement sur la période de l’humanité mais sur son existence elle-même. C’est pourquoi ces questions peuvent être toujours d’actualité, avant le capitalisme, à l’époque du capitalisme, à l’époque du socialisme et probablement après celle-ci.

Ils ont soulevé les questions fondamentales de notre existence, car ils avaient le sentiment d’appartenance à une grande entité culturelle, politique, à une nation. Et ce, pas dans le sens moderne de la nation massive mais sûrement en ayant conscience d’une nation historique au moins du point de vue des élites intellectuelles et sociales. C’est pourquoi je suis profondément convaincu que c’est une erreur de confondre de manière univoque la notion de la nation avec celle des nations massives de l’époque capitaliste. En adoptant une telle approche, on ne pourra comprendre ni l’histoire de la Chine, ni celle des anciennes cités de la Grèce qui avaient ce sentiment ferme d’appartenance à une nation commune.

Nos deux pays ont accompli de grands exploits : le développement des arts, la tragédie grecque a beaucoup de points en commun avec l’opéra chinois, le développement des sciences, allant des mathématiques et de la physique jusqu’à la production du papyrus et du papier coloré, de la poudre à canon et la boussole jusqu’au traitement du fer avec le feu.

Nos civilisations, notre histoire, les exploits de nos peuples, nous ont attribué certaines caractéristiques communes. Ce qu’est la Chine pour l’Asie du Sud-est, est la Grèce pour l’Europe. Notre développement et l’accomplissement de nos exploits ont été réalisés en parallèle.

Il existe toutefois une grande différence : la grandeur d’Athènes, de la Grèce antique et byzantine a été diffusée dans le monde occidental mais la Grèce et ses cités ont cessé d’être le centre de la civilisation occidentale.

Par contre, la République populaire de Chine a une présence continue en tant que puissance régionale ou mondiale. Au-delà du Siècle de la honte, la Chine a été et demeure une puissance de haute technologie, de grands projets, avec un rôle important, une puissance de haute productivité et de grand développement économique et technologique.

Vu ces éléments historiques communs et les grandes différences qui existent entre nous, la question qui se pose maintenant est la suivante : Quels points en commun pourraient exister entre la puissance émergente de la République populaire de Chine et la Grèce, un petit pays certes, mais fier?

Je pense que la réponse est facile car la pratique de ces dernières décennies l’a prouvé. La Grèce et la Chine s’intéressent à un monde qui vit en harmonie et en paix. Un monde qui pense avant d’agir. Un monde qui réfléchit et ne veut pas bouleverser d’une manière maladroite un monde qui change. Mais tous les deux pays comprennent que ce monde est en train de changer. Et qu’ils doivent contribuer afin que ces changements s’opèrent avec le moins possible des turbulences et de désordre /anarchie.

Bien évidemment leur rôle n’est pas le même. La Chine a du poids en Asie du Sud-est, la région qui s’est le plus rapidement développée et renforcée, ainsi qu’au niveau mondial, tandis que cela n’est pas le cas pour la Grèce, tant du point de vue de sa taille que de son poids. La Grèce est d’une taille trop petite pour la politique mondiale. D’une taille moyenne pour la politique européenne et d’une taille relativement grande pour les Balkans, région revêtant une importance géostratégique, porte d’accès maritime pour l’Europe et source de nombreux maux dans l’histoire moderne.

La Chine est une grande puissance en tant que tel. La Grèce appartient à une grande puissance telle que l’UE. Il n’y a pas d’antagonismes entre la Grèce et la Chine comme il y a entre cette dernière et certains pays puissants de l’UE. En outre la Grèce, forte de sa manière de percevoir l’histoire, peut et cherche à intervenir entre l’UE en tant qu’ensemble et la République populaire de Chine.

La Grèce est la meilleure et la plus ancienne amie de la Chine au sein de l’UE. Aujourd’hui nous vivons une situation paradoxale, à savoir que les deux plus grandes puissances de notre époque ont une relation tout à fait différente avec l’histoire, le temps et l’accélération.

L’une de ces deux puissances, les Etats-Unis, figure parmi les Etats et les nations les plus jeunes. Ils ne sentent pas sur eux le poids de l’histoire et c’est pourquoi ils sont favorablement disposés à l’égard de ce qui est nouveau, ils prennent assez rapidement des décisions et ont agi ces dernières décennies avec rapidité. Cet avantage est accompagné d’un désavantage, le fait qu’ils n’ont pas un véritable sentiment de l’histoire ou la sagesse qui est acquise par l’expérience. Ils sont d’un point historique une puissance jeune pleine de dynamisme, dotée d’un esprit lucide qui n’est pas prisonnière de l’histoire.

San peur, ni inhibitions.

L’autre puissance est la Chine, pays avec la plus longue histoire de civilisation au cours de la période consciente de l’histoire humaine. De temps en temps, comme nous, Grecs, elle risque de devenir prisonnière de l’histoire. Elle dispose toutefois l’expérience de l’histoire. Elle agit sans hâte. Elle n’est pas impatiente. Elle fait preuve de patience, de retenue et de sagesse.

L’UE se trouve entre ces deux puissances, pour ce qui est de la question que nous examinons ici. L’UE est beaucoup plus jeune par rapport à la question que nous abordons ici. La plupart de ses Etats membres sont toutefois beaucoup plus anciens et en plus la civilisation de certains d’entre eux date depuis l’âge d’or de la civilisation chinoise.

De manière générale, c’est la première fois dans l’histoire que des puissances aussi différentes, d’une telle origine historique, d’un tel degré d’expérience, d’un tel dynamisme, se rencontrent en alliant enthousiasme juvénile et expérience.

La Grèce est un petit pays. Elle dispose des avantages et des désavantages de toutes les parties. Elle peut comprendre ces puissances. Elle sent elle aussi le poids de l’histoire, l’expérience et la sagesse. Elle est souvent prisonnière de son histoire mais dans le même temps cette histoire lui enseigne des leçons.

Elle appartient à l’Occident mais du point de vue de la civilisation, elle peut comprendre la patience de la Chine, l’importance historique des grands projets qui font partie de l’initiative « Une ceinture, une route » (One Belt, One Road). Elle est comme la Chine un acteur de l’histoire. Elle est la petite jumelle de la Chine. Elle a grandi pendant la même période, elle dispose de la même sagesse et elle a cherché à trouver des réponses aux mêmes questions que la Chine.

En raison de cet âge et de cette civilisation parallèles, le grand pays qu’est aujourd’hui la Chine peut comprendre l’importance du caractère historique des Grecs, leur contribution à la civilisation mondiale et même à la civilisation d’aujourd’hui. La Chine respecte et coopère avec la petite Grèce. Nous avons créé ensemble le forum des civilisations anciennes qui exercent une influence sur l’environnement mondialisé actuel. Une initiative internationale qui s’étend sur quatre continents.

D’autre part la Grèce peut comprendre la raison pour laquelle la Chine ne considère pas que tout ce qui est occidental est universel. Que le caractère universel est le fruit de la compréhension. Que la diversité est un phénomène universel. Les valeurs du Siècle des lumières occidental ne sont pas par définition supérieures aux valeurs asiatiques ou à celles prônées par Confucius et Mao, bien au contraire. La civilisation mondiale existe dans son universalité en embrassant toute diversité nationale et régionale. Puisque tout pas effectué vers une intégration mondiale peut être accompagné de l’intégration en tant que reconnaissance de la diversité.

La Chine a vécu une longue période au cours de laquelle les forces purement révolutionnaires et les forces en faveur des réformes devraient trouver une façon de coexister, de créer un amalgame de modernisation socialiste chinoise. Un fait et une nécessité historique qui est exprimée à travers la politique de la modernisation socialiste de Deng Xiaoping et de la politique « un Etat/nation, deux systèmes ». Et la Grèce a traversé une grande crise provoquée par la crise financière mondiale et la nécessité d’effectuer certains changements dans son système politique, social et économique.

La matérialisation de cette nécessité a toutefois été entravée par le fait qu’un grand nombre des changements ont été imposés de l’extérieur, par une majorité néolibérale au sein de l’Union européenne et du FMI. Les changements effectués au cours des six premières années (2008-2014) étaient d’un caractère antisocial tandis que par la suite les changements imposés pour sauver les banques françaises et grecques ont été accompagnés par un programme parallèle mis en œuvre par notre gouvernement.

Un programme de soutien aux classes populaires moyennes et pauvres du pays, un programme visant à revaloriser de nouveau la Grèce sur la scène régionale et mondiale. La Grèce après, les trois années et demie qui se sont écoulées, a su sortir de la crise. Mais cela ne signifie pas que des éléments de cette crise multilatérale ne continuent pas d’exister en son intérieur.

Elle a pu retrouver des taux de croissance positifs, tout en ayant perdu pendant les huit dernières années 27% de son PNB.

La Grèce est le pays qui payé au prix fort et excessif la crise financière mondiale et la crise d’identité de l’UE.

La Grèce exerce une politique étrangère active et à plusieurs niveaux tout comme la Chine, à sa propre façon bien évidemment. Au cours des quatre dernières années ont été mises en place sur notre initiative dans la région des Balkans et de la Méditerranée orientale, seize nouvelles formes de partenariats régionaux et internationaux qui constituent un nouveau réseau de coopération, d’amitié et de compréhension pacifique mutuelle dans la région. Ces partenariats ont comme objectif la sécurité et la stabilité de ces deux sous-régions. Le développement économique et social commun. Un développement qui est soutenu par l’extraversion de la Chine moderne.

La Grèce en tant que porte d’accès de l’UE du Sud-est, en tant que porte maritime méridionale de l’Europe, notamment de l’Europe centrale et orientale, est devenue et peut devenir le lien entre la Chine et l’UE.

C’est le pays qui comprend les deux parties. Elle a un parcours culturel parallèle avec l’une et elle fait partie de l’autre. C’est le pays qui peut aider et aide à la compréhension mutuelle de deux mondes qui ont été modernisés et qui doivent être modernisés encore plus. La Grèce et la Chine ont leurs propres traditions, leur propre histoire et culture. Il y a bien des différences entre elles car leur centre de gravité, les Balkans et la Méditerranée orientale d’une part, et l’Asie du Sud-est d’autre part, est bien différent en termes de taille, d’autodéfinition, d’habitudes et de compréhension de nombreuses questions. Elles ont toutefois des perceptions communes à l’égard des questions universelles. Elles ont aussi de nombreuses structures communes.

Parmi celles-ci, je mettrais en évidence la présence dans les deux pays de groupes de musulmans, un lourd passé avec des voisins qui les ont occupés et ont commis des crimes contre les deux pays et nos peuples, des mers étendues dans lesquelles le droit international et la tradition jouent un rôle majeur.

L’un des plus grands problèmes de l’hellénisme est Chypre. L’occupation illégale de sa partie nord par des puissances tierces. Les efforts visant à la « taïwanisation » de cette partie de Chypre, de la même façon exactement que l’Occident a essayé - en faisant auparavant à plusieurs reprises la conquête de ce pays de la part du Japon et du Portugal - de diviser la Chine en deux entités.

Ce n’est pas une coïncidence si la Grèce et la Chine

figurent parmi les défenseurs les plus fermes de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des Etats. De leur indépendance et de la lutte contre les politiques d’humiliation des Etats membres de l’ONU. C’est pourquoi elles accordent une grande importance au respect des accords et des règles internationaux. Au fait que ceux-ci doivent être le résultat d’une participation de toutes les parties sur le même pied d’égalité. La recherche commune des réponses aux questions universelles.

La nécessité d’étudier de manière correcte l’histoire qui est l’école de nos deux nations, les questions géopolitiques modernes ainsi que les problèmes liés à l’application du droit international, les éléments constituant nos cultures, allant des vêtements jusqu’à la cuisine, le théâtre et les sciences, les institutions et le droit d’un peuple à l’harmonie avec le ciel, sont des domaines où nous avons des particularités positives puissantes et mondialement reconnues et lesquels constituent un champ de recherche commun entre nos gouvernements, les instituts et les centres d’études et universitaires. L’étude commune des questions de ce genre doit être renforcée. La coopération entre la Chine et l’UE, à travers la valorisation du rôle particulier de la Grèce dans l’instauration de l’harmonie entre ces deux mondes, constitue encore un champ d’action particulier de nos deux Etats et peuples.

Grâce à nos économies en développement, qui sont bien évidemment de taille différente et évoluent à un rythme différent, nous pouvons développer davantage les contacts économiques et sociaux entre nos Etats et nos sociétés. Les investissements chinois, le plus important étant celui dans le port du Pirée par la COSCO, le développement du commerce dans le cadre duquel je pense que les produits agricoles grecs peuvent être promus d’une façon plus organisée en Chine, l’échange de technologie, et la coopération entre les nouvelles entreprises, la navigation maritime, domaine où la Grèce figure parmi les pays les plus puissants du monde avec une grande tradition, et le tourisme sont certains domaines qui présente un fort potentiel pour le développement des relations entre nos deux Etats. Pour un développement encore plus substantiel de nos relations il est nécessaire de renforcer les échanges dans le domaine de la culture et de l’éducation. Il faut élaborer des études comparatives sur notre passé parallèle et promouvoir des études comparatives sur les problèmes modernes. Il faut renforcer les contacts dans les domaines des sciences positives modernes. Votre invitation est un grand honneur pour un ami de la République populaire de Chine et de la civilisation chinoise. C’est une petite pierre apportée à l’énorme édifice d’amitié que nous sommes en train de construire entre nos Etats et nos peuples.

Je vous remercie xiè xie.

August 28, 2018