Discours du ministre des Affaires étrangères, Nikos Dendias, à la session plénière du Parlement grec lors du vote sur la ratification de l'accord avec les EAU sur la coopération conjointe en matière de politique étrangère et de défense (16.03.2022)

Discours du ministre des Affaires étrangères, Nikos Dendias, à la session plénière du Parlement grec lors du vote sur la ratification de l'accord avec les EAU sur la coopération conjointe en matière de politique étrangère et de défense (16.03.2022)Je commencerai par la question de l'Ukraine et l'ombre que ce conflit projette sur l'Europe et, bien sûr, sur la salle. C'est une heure sombre, si je puis dire.

La Grèce, Mesdames et Messieurs, comme je l'ai dit hier, a des principes de base sur lesquels elle fonde sa politique étrangère.

Le droit humanitaire, l'inviolabilité de l'intégrité territoriale, le respect des règles régissant les organisations internationales auxquelles elle participe, l'OTAN, l'Union européenne.

C'est sur la base de ces principes que nous procédons. Sur le plan humanitaire, nous ne pouvons qu'être horrifiés par les scènes diffusées à la télévision depuis l'Ukraine.

Mères, enfants, bombardement des maternités. L'invasion russe a fait trop de victimes. Les victimes se trouvent également parmi la minorité grecque.

Je tiens à vous remercier chaleureusement. Je voudrais remercier tout l’hémicycle, à cette occasion, pour les sentiments de compassion que vous avez exprimés à l’égard des diplomates grecs et en particulier à l’égard de notre Consul général à Marioupol, qui est sur le chemin du retour au moment où nous parlons.

Il est inutile de vous dire où exactement. Il devrait aller à Zaporizhia, comme je vous l'ai dit hier. La ville de Zaporizhia a été bombardée ce matin. Un changement de plan a été nécessaire, mais dans tous les cas, nous espérons que demain soir au plus tard, il sera à l'intérieur des frontières européennes.

Mais permettez-moi de m'étendre un peu sur l'Ukraine. Tout d'abord, sur la question politique, le Premier ministre, M. Kyriakos Mitsotakis, a informé le parlement, et je pense que sur la base de cette discussion, il y a également eu une compréhension plus large des principes que représente la politique étrangère grecque, que j'ai déclinés précédemment.

Mais plusieurs questions ont été soulevées dans la salle, sur lesquelles j'aimerais que nous nous entendions, précisément parce que ces questions sont graves.  

Quant à savoir si le gouvernement a essayé de limiter les conséquences de cette situation. Je ne m'attarderai pas sur ce qui a été écrit de temps à autre dans la presse, au sujet d’une prétendue demande de ma part  à M. Lavrov d'intervenir dans les différends entre la Grèce et la Turquie ou d'autres propos vides de sens.

Je ne pense pas que ces affirmations méritent un commentaire particulier. Mais en ce qui concerne le contexte des avertissements adressés aux ressortissants grecs et à la diaspora grecque, je vous renvoie aux communiqués claires émis par le ministère des Affaires étrangères.

Dans le premier qui est en date du 11 février, nous avons recommandé aux Grecs qui se rendent en Ukraine de prendre directement contact avec nos missions diplomatiques.

Le 14, nous avons émis un deuxième communiqué demandant aux Grecs de ne pas se rendre en Ukraine et conseillant aux Grecs qui s'y trouvent de partir et de contacter nos autorités. Je vous rappelle que mon voyage à Moscou a eu lieu après cela,  le 18.

Et le 22, nous avons émis un troisième communiqué après une réunion à laquelle le Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères, M. Katsaniotis, était également présent, à travers lequel nous avons demandé aux Grecs de quitter l'Ukraine sur un ton plus ferme.

Au-delà de cela, je peux vous dire honnêtement que si vous tenez compte du fait que je me suis rendu à Marioupol et que j'ai parlé à Dimitro Kuleba, mon homologue ukrainien, avec qui j'ai une bonne relation personnelle, mais que je me suis également rendu à Moscou et que j'ai vu M. Lavrov, je ne sais pas ce que le gouvernement grec aurait pu faire de plus pour aider la minorité grecque, pour les ressortissants grecs qui étaient là.

A ce jour, nous avons réalisé 5 opérations d'évacuation, nous espérons en réaliser une sixième, « Nostos 6 ». Si quelqu'un pensait pouvoir faire quelque chose de plus pendant tout ce temps, je pense que la bonne chose à faire aurait été d'au moins de le dire.

A moins que l'on n'envisage - parce que l'on a entendu non pas dans l'hémicycle mais en dehors de l'hémicycle - des choses qui frisent le ridicule ; à moins que l’on ne se remémore l’année  1919 lorsque Konstantinos Nider débarque à la tête du 1er corps d'armée à Odessa.

C'est un moment extrêmement difficile, un moment tragique. Le moins que l'on puisse faire est de faire preuve d'un sérieux absolu.

Je reviendrai également sur ce qui a été dit dans l'hémicycle, en termes de politique étrangère au sens large, avant d'en venir à la question des Émirats arabes unis et de l'accord dont nous discutons aujourd'hui et sur lequel notre rapporteur, M. Andreas Nikolakopoulos, s'est très bien exprimé aujourd’hui, tout comme hier.

Mesdames et Messieurs, le pays exerce effectivement une politique plus élargie, Monsieur Voutsis, vous avez raison.  Pas en dehors de ses principes, mais plus largement.
Mais permettez-moi d'observer que l'humanité, grâce aux technologies et à la mondialisation, a également rétréci. La Grèce de 1974, 1975, 1976, n'avait évidemment pas les mêmes besoins que la Grèce de 2020, 2021, 2022. L'humanité a changé.

Si vous voulez, nos interlocuteurs historiques ont également changé. Où était la construction européenne dans les années 1970, dans les années 1980 ? Où était la Turquie ? La Russie n'existait pas, c'était encore l'Union soviétique. Alors comment demander à la politique étrangère grecque de rester là où elle était dans les années 80 ? En fait, cela reviendrait à faire l'autruche.

La question qui doit être posée et à laquelle chaque gouvernement, chaque nation, chaque peuple doit répondre est de savoir comment relever ces défis. Et bien sûr, il a été dit à juste titre dans la salle que la Grèce ne mène pas une politique de confrontation avec la Turquie ; nous avons une politique indépendante, avec nos propres priorités nationales, avec nos propres intérêts nationaux, avec nos propres principes, où bien sûr nous tenons compte de la menace turque existante. Mais nous ne sommes pas définis par cela, nous ne poursuivons pas une politique anti-turque.

Et en effet, M. Vitsas, nous espérons tous que le temps viendra où la Turquie sera en mesure d'abandonner ses revendications déraisonnables, où nous pourrons résoudre les différends et vivre ensemble, et vous avez raison de dire que si tel est le cas, une telle entente pourrait insuffler un élan irrésistible à la stabilité, la sécurité, l'économie, partout.

Et bien sûr, je crains qu'il ne soit pas facile de voir cela de notre vivant, mais je ne cesse de le souhaiter, ainsi que le gouvernement et, je pense, nous tous. Mais la Grèce doit être à la hauteur des exigences de ce nouvel environnement, de cet environnement élargi.

Laissez-moi vous dire que si vous visitez le site web du ministère vous verrez que je me suis entretenu hier matin avec le ministre des Affaires étrangères du Vatican, avec le ministre des Affaires étrangères d'Israël l'après-midi et j’irai à New York après-demain pour m’entretenir avec le Secrétaire général des Nations unies sur la question ukrainienne, libyenne, et de la Méditerranée orientale. Et lundi soir, je me rendrai en Inde pour rencontrer le ministre indien des Affaires étrangères.

Bien sûr, tout cela aurait semblé incroyable dans les années 1980, mais telle est la politique étrangère qu’impose la conjoncture actuelle. Et bien sûr, il n'y avait pas d'horizon stratégique pour le pays dans le « golfe Persique », comme l'a dit M. Loverdos, comme nous l'appelions autrefois. Il n'existait pas, il était en dehors de l'horizon de la politique étrangère grecque à l'époque, mais aujourd'hui il doit y avoir un horizon stratégique, car les opportunités et les menaces émanent de cette zone élargie.

Et je suis très fier de cet accord qui nous est présenté aujourd'hui.

Et vous avez bien observé, M. Loverdos - j'ai été tout à fait d'accord avec vous ces derniers temps et cela m’inquiète -  qu'il n'est pas habituel de conclure un accord de défense avec un pays qui est peut-être l'une des plus fortes puissances militaires du monde arabe au sens large.

Nous ne pouvons pas considérer cela comme acquis. Les accords de défense ne sont pas signés tous les jours. Et je vous l'ai dit en plénière, je ne l'associe pas à la Turquie, parce qu'il ne faut pas l'associer à la Turquie.

Mais je vous ai demandé de noter que lors de la grande crise en Méditerranée orientale, quatre F16 Block 60 émiratis avec un personnel comptant 130 membres étaient stationnés à l'aéroport de La Canée.

De même, ne soyez pas tentés d'interpréter tout ce que fait le pays sous le prisme d'un quasi anti-turcisme.

Il n'y a pas besoin de cela. Nous ne sommes pas contre le fait que nos amis, nos alliés parlent à la Turquie. Nous souhaitons qu'ils parlent à la Turquie, qu'ils concluent des accords avec la Turquie, parce que de cette manière, la Turquie entend ce qu'elle a besoin d'entendre, et si la Turquie se retourne et rejoint les rangs des pays qui acceptent le droit international, qui acceptent le droit international de la mer, qui acceptent la Charte des Nations unies, qui ne menacent pas d'autres États par l'usage de la force, c'est mieux pour la Turquie, mieux pour nous tous.

C'est bon pour la Turquie d'entendre cela. Et je n'ai jamais caché dans cette salle que la politique étrangère du gouvernement Mitsotakis est une politique de cercles entrecroisés, que je vous ai expliquée, et le deuxième cercle est celui de l'Afrique du Nord et de la région plus élargie, qui consiste à entretenir des  relations excellentes tant avec Israël qu’avec de nombreux pays du monde arabe.

Nous n'avons jamais eu, par exemple, les relations que nous avons maintenant avec l'Égypte. Jamais. Nous n'avons jamais eu les relations que nous avons maintenant avec l'Arabie Saoudite. Jamais.

Et cela ne signifie certainement pas que nous acceptons l'ensemble du cadre juridique interne de ces pays, car cela a été dit à propos de l'Arabie saoudite en particulier.

Et je vous ai déjà dit que la politique étrangère s'étendra au-delà de l'Inde. Aux pays archipélagiques qui ont les mêmes concepts que nous.
Je me suis rendu dans 6 pays de l’Afrique subsaharienne. Je voudrais faire une remarque concernant ma dernière visite qui était au Sénégal, une visite qui a été aussi critiquée.

Pendant que l'avion grec atterrissait, l'avion du président Erdogan décollait du même aéroport. Et je vous dis cela, non pas parce que je suis en désaccord avec la Turquie, je le répète, c’est une erreur de le voir comme ça, mais parce qu'il faut comprendre que la Grèce, pour survivre et croître, doit développer et élargir son potentiel.

Historiquement, nous avons toujours été une société cosmopolite ouverte, nous avons toujours pratiqué, au cours de notre parcours historique, nos activités commerciales  aux frontières du monde qui nous était connu à l’époque.

Et bien sûr, j'ai entendu une critique sur un navire grec qui s’est approvisionné en pétrole russe.  Il n'y a pas d'interdiction d'exporter de l'énergie dans nos sanctions si je me souviens bien.  Et ce n'est certainement pas ce gouvernement qui mettra l'armateur grec en position défensive.

Mais, Mesdames et Messieurs, je veux aussi être clair. Nous devons convenir de la nécessité d'une nouvelle architecture globale. Nous devons être d'accord sur ce point. Nous ne pouvons pas rester confinés à notre étroite zone géographique de la partie sud de la péninsule des Balkans. Nous devons grandir.

La Bosnie-Herzégovine est un défi pour la Grèce, non pas dans le sens d'un intérêt étroit, mais dans celui d'une question plus élargie de sécurité, pour ainsi dire. Nous avons l'obligation envers notre pays, envers les valeurs que nous représentons, envers les principes que nous exprimons, d'élargir nos horizons.

Et nous pouvons y parvenir sans la folie des grandeurs, sans prétendre être ce que nous ne sommes pas, sans envisager d'expansions géopolitiques, mais en défendant nos principes, nos intérêts et notre présence économique, nos exportations, nos investissements dans notre pays, qui sont essentiels à la survie au XXIe siècle.


En conclusion, je voudrais dire franchement que je considère comme une grande réussite de la délégation grecque et de la société grecque le fait que des accords tels que celui que nous avons aujourd'hui devant nous soient adoptés à une large majorité.  Une large majorité.

Cela signifie que, dans une large mesure, nous sommes entrés dans une phase de maturité nationale, ce qui est nécessaire à notre survie.  Je vous rappelle que les divisions nationales, je le dis toujours pour que ce soit bien noté, les grandes divisions nationales ont porté sur des questions de politique étrangère.

C'est donc un grand atout pour le peuple, pour la nation, pour la patrie que nous puissions voir ensemble les défis du présent et de l'avenir, que nous puissions être unis à cet égard. Créer un front national uni et aller de l'avant.

C'est ainsi que la Grèce sera plus forte à l'avenir.

Merci beaucoup.





March 16, 2022