Mesdames et Messieurs,
Le débat sur le budget de 2021 a lieu à un moment extrêmement difficile. La pandémie a laissé son empreinte au niveau mondial. Et en dépit de l’effort inédit, notre pays en paye le prix fort. Plus de 3 500 de nos concitoyens, de nos semblables, amis, membres de notre famille ne sont plus parmi nous en ces jours de Noël.
La Grèce, malgré l’immense tristesse qui nous envahit, lutte afin de rester debout. Dans les hôpitaux, les lieux de travail, mais aussi dans les foyers, en respectant les mesures.
Nous espérons tous que cette épreuve touche à sa fin. Grâce à sa nouvelle approche politique, le ministère des Affaires étrangères s’efforce de contribuer à l’effort de relance.
Avec le Secrétaire d’État compétent, M. Kostas Fragogiannis, nous avons intégré dans les objectifs du service central du Ministère et de nos missions diplomatiques, des actions de promotion de l’extraversion ainsi que de la coopération économique internationale et régionale.
Un effort acharné est déployé pour attirer des investissements dans un environnement compétitif, qui produit des résultats clairs et connus de tous.
Dans le cadre de la transformation numérique, le ministère des affaires étrangères transforme intégralement les services consulaires offerts. Avec le Secrétaire d’État, M. Vlassis, nous introduisons des outils numériques qui sont déjà appliqués dans le cadre de programmes pilotes auprès de nos missions diplomatiques à Londres et à New York.
Il est prévu de les étendre à l’ensemble de nos missions dans le courant de l’année prochaine. Ce sera une nouvelle ère pour les services offerts par les missions consulaires grecques.
Mesdames et Messieurs,
J’en viens maintenant au noyau dur de la politique étrangère. Ces derniers mois, comme vous le savez, nous avons conclu des accords de délimitation de nos zones maritimes avec l’Italie et l’Egypte.
Nous sommes convenus récemment, avec l’Albanie, de renvoyer la question, après l’extension de nos eaux territoriales à 12 miles nautiques et selon les conditions de l’UNCLOS, devant la Cour internationale de justice de la Haye.
Nous avons ainsi clôturé des dossiers demeurés en suspens depuis des décennies et avons « inversé » la narration turque parlant du prétendu enfant gâté de l’Europe, des prétendues positions maximalistes de la Grèce.
La politique étrangère du gouvernement Mitsotakis s’est développée sur la base d’un modèle stratégique clair constitué de cercles qui se recoupent et sont traversés également par les axes traditionnels de notre politique étrangère, qui sont la question chypriote et le différend gréco-turc.
S’agissant de l’Union européenne, qui constitue le cœur des activités et une priorité de longue date, permettez-moi d’évoquer par la suite les évolutions récentes.
En ce qui concerne notre voisinage direct, à savoir les Balkans, nous promouvons et soutenons la perspective européenne des Balkans occidentaux sur la base de l’initiative de Thessalonique et de la conditionnalité y afférente.
Nous créons de nouvelles opportunités et perspectives en nous focalisant sur l’interconnectivité et le domaine de la défense.
En Méditerranée, au Moyen-Orient, dans les pays du Golfe est créée – j’espère que vous le remarquez – une nouvelle architecture qui s’étend jusqu’en Inde. Nous élargissons nos relations bilatérales et trilatérales ainsi que le cadre contractuel à des domaines cruciaux comme la défense et l’économie avec des pays comme Israël, l’Egypte, la Jordanie, le Liban, l’Irak, l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, le Kuweit, le Bahreïn et l’Oman.
Dans le cadre de la récente visite du Premier ministre dans les Emirats arabes unis, il convient de mentionner la signature du partenariat stratégique et de l’accord bilatéral dans les domaines relevant de la politique étrangère et de la défense.
Il s’agit du premier accord de ce genre que signe la Grèce après la 2e guerre mondiale. Cette semaine, j’ai effectué une visite en Jordanie, auparavant en Irak, des prochaines visites sont prévues en Arabie Saoudite et au Bahreïn et nous attendons prochainement à Athènes le ministre indien des Affaires étrangères.
En dépit des problèmes engendrés par la crise de la pandémie, nous créons de nouvelles réalités en coopérant étroitement avec les Etats-Unis et la France à cet effet.
Nous sommes parvenus à des perceptions communes à l’égard de divers dossiers avec l’Algérie, le Maroc et aussi la Tunisie. Des pays que j’ai visités au cours de ces derniers mois. Et nous sommes également présents dans le Caucase.
En ce qui concerne les Etats-Unis, je me dois de mentionner la coopération particulièrement réussie avec le Secrétaire d’Etat américain sortant, M. Mike Pompeo. Jamais dans l’histoire de la Grèce, il y aura eu autant de visites entre deux ministres des Affaires étrangères en si peu de temps. Avec comme point culminant, le renouvellement de l’accord de coopération mutuelle dans le domaine de la défense et la revalorisation du rôle de la base de Souda, mais aussi l’intégration d’Alexandroupolis dans la planification commune en matière de défense. J’aimerais vous dire que nous avons d’ores et déjà commencé les pourparlers sur le nouvel accord de coopération de défense mutuelle gréco-américain (MDCA).
Force est de souligner la position claire exprimée par le Secrétaire d’Etat américain lors de la dernière réunion des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN. Il a clairement dénoncé le rôle déstabilisateur de la Turquie à l’OTAN et dans la région. Jamais dans l’histoire de l’Organisation un Secrétaire d’Etat américain ne s’était positionné de la sorte à l’OTAN.
Les prises de position exprimées jusqu’à présent par le Président Biden au sujet des questions d’intérêt grec et les choix annoncés de son gouvernement nous permettent d’être optimistes sur les perspectives des relations gréco-américaines.
Russie. La visite réussie de M. Lavrov à Athènes a constitué un pas important en avant vers l’objectif commun de la reprise des relations gréco-russes. Je note sa prise de position claire sur le droit évident – conformément au droit international – de la Grèce d’étendre ses eaux territoriales à 12 miles en Egée. M. Lavrov a déconstruit un mythe historique.
Avec la Chine, nous envisageons également de développer nos relations économiques déjà étroites.
Nous essayons de valoriser notre participation à l’ONU de la manière la plus avantageuse qui soit. Nous participons à toutes les initiatives en faveur de la promotion de la paix et de la stabilité dans notre région élargie.
Mesdames et Messieurs,
Lorsque nous avons été absents, comme en Syrie ou en Libye, nous en avons payé le prix.
Nous en faisons de même pour ce qui est des organisations régionales de sécurité, comme l’OTAN et l’OSCE. Nous créons, avec Chypre, un secrétariat permanent des coopérations tripartites et quadripartites à Nicosie. Nous sommes présents – comme il est de notre devoir – dans des domaines sensibles ayant trait aux droits de l’homme. Nous avons mené à bien une présidence du Conseil de l’Europe, réussie sur tous les points, sous la direction du ministre délégué aux Affaires étrangères, Miltiadis Varvitsiotis.
Nous promouvons le renforcement des relations avec des pays que nous considérés jusqu’à peu au-delà de la portée de notre intérêt. Je me réfère à l’Inde, qui est présente dans le grand projet de l’aéroport d’Héraklion.
En ce qui concerne l’Afrique, nous ouvrons une ambassade au Sénégal. Nous élargissons notre présence dans la région sensible du Sahel. Nous donnons une impulsion à nos relations avec le Canada. La visite réussie de mon homologue canadien en octobre à Athènes était la première après 20 ans.
La diaspora grecque a toujours été solidaire avec nous.
Le dossier chypriote occupe une place prédominante parmi les axes traditionnels de notre politique. Les actions provocatrices et illégales de la Turquie dans la ville enclavée de Famagouste et dans la Zone économique exclusive chypriote ne contribuent pas à l’instauration d’un climat constructif. Les déclarations du nouveau dirigeant chypriote turc, M. Tatar sont également qualifiées de très négatives.
Je pense que tous dans cette salle s’accordent sur le fait que la seule façon de régler la question chypriote est la reprise des négociations, sur la base des résolutions du Conseil de sécurité et de l’application à part entière de l’acquis communautaire.
Nous œuvrons dans ce sens en coopération étroite et dans un esprit de consensus absolu avec le gouvernement chypriote.
Pour ce qui est de la Turquie, le gouvernement de Mitsotakis a clairement exprimé notre volonté en faveur d’une relation de bon voisinage durable axée sur le plein respect du droit international. Et, éventuellement, si la Turquie elle-même le souhaite, en gardant bien vivante sa perspective européenne. Nous demeurons toujours ouverts au dialogue dans le cadre du droit international.
Toutefois, le gouvernement turc doit prouver par ses actes qu’il souscrit au dialogue dans le cadre du droit international et ce choix de la Turquie doit être permanent. Il ne doit pas être occasionnel. Il doit être un choix politique et pas un pavillon de complaisance.
Et je dois signaler que l’attitude la Grèce n’est pas punitive mais elle est dictée par son obligation constitutionnelle de défendre sa souveraineté et ses droits souverains.
Et aucune concession n’est permise, indépendamment des ministres, des gouvernements, de l’attitude des autres pays, de l’attitude de l’Union européenne ou de qui que ce soit.
Nous constatons, et pas seulement nous mais aussi une partie de plus en plus nombreuse de la communauté internationale, que la Turquie du 21e siècle est en train de changer de manière radicale. Le nationalisme se ravive et il est désormais accompagné d’un révisionnisme intense, d’un islamisme néo-ottoman bien marqué et d’un parcours manifestement divergent par rapport aux valeurs occidentales telles que la démocratie, les droits de l’homme et le respect de l’Etat de droit.
La présence déstabilisatrice de la Turquie en Syrie, en Libye, en Irak et dans le Caucase, soit à travers des invasions, soit à travers l’envoi de combattant djihadistes, menace l’Europe dans son ensemble et la stabilité dans la région élargie.
Le fait d’attiser le fondamentalisme religieux au cœur de l’Europe, le fait d’instrumentaliser la question migratoire, d’essayer de saper la cohésion de l’OTAN, de créer une nouvelle « Yalta », le fait de menacer de guerre un Etat-membre de l’Union européenne et de l’OTAN si celui-ci exerce son droit d’extension de ses eaux territoriales à 12 milles nautiques, droit faisant partie de l’acquis communautaire, la militarisation en tant que méthode de règlement de différends, la transformation de monuments du patrimoine culturel mondial en mosquées, constituent un défi majeur pour le système de valeurs que représente l’Union européenne et le monde occidental. Face au révisionnisme turc, l’Union européenne a pris, lors du dernier Conseil européen, certaines décisions concernant la Turquie. Elle a rejeté les stratagèmes de la Turquie qui a retiré, par prétexte, le navire Oruc Reis. Elle parle d’ores et déjà de la nécessité d’une désescalade permanente.
Elle s’est pour la première fois référée à des sanctions dans des domaines spécifiques, tels que le commerce et l’économie. Elle a évoqué la possibilité d’étendre le champ d’application du régime de sanctions existant. Extension géographique mais aussi thématique.
Elle a finalement fait appel à l’imposition de sanctions contre des personnes physiques et morales impliquées dans des forages illégaux en Méditerranée orientale.
Mesdames et Messieurs,
Le gouvernement n’a, à aucun moment, soutenu que les actions citées-ci-dessus suffisent. Il n’a, à aucun moment, soutenu que nous dictons aux autres 26 Etats-membres ce qu’ils doivent faire et que ces derniers nous obéissent.
Une négociation est en cours, une dure négociation est menée par les groupes de travail, les conseils ministériels, le Conseil européen.
A notre avis, nous pensons qu’il faudrait faire preuve de plus de fermeté dans la prise des décisions au sujet de la Turquie.
Toutefois, nous poursuivrons les efforts avec constance, patience et persévérance. Nous expliquons à ceux qui pensent que la Turquie ne doit pas être perdue pour l’Ouest, que l’absence de mesures transmet un message d’encouragement envers la partie de la société turque qui n’est pas pro-européenne et partisane de la modernisation.
Au contraire, la prise de mesures est un message d’encouragement auprès de la partie pro-européenne et modernisatrice de la société turque. Si la politique bruyante de la Turquie est jugée réussie, alors tous ceux qui en Turquie croient en les valeurs humaines de la paix et de la sécurité, tous ceux qui en Turquie croient en les droits de l’homme et en la convergence avec l’Europe, resteront exposés, trahis par l’Europe, leur patrie idéologique à laquelle Atatürk a essayé de les intégrer.
Mesdames et Messieurs,
Au-delà de l’amertume et des déceptions, justifiées ou non, l’Europe est notre maison commune.
Elle commence à comprendre, même si elle tarde, hésite et parfois fait des pas en arrière. Mais l’Europe se doit de prendre conscience de sa responsabilité et de l’assumer. Elle se doit de comprendre sa responsabilité pour la sécurité et la stabilité régionales, pour la sécurité de tous ses citoyens face aux menaces extérieures.
Pour la défense de l’Etat de droit et de l’acquis européen, qui sont les fondements de ce projet unique dans l’histoire de l’humanité.
Et je ne m’adresse pas à vous en tant que ministre des Affaires étrangères de la Grèce seulement, mais en tant que citoyen très attaché à l’Europe. L’Union européenne a initialement été créée pour éradiquer la guerre en Europe. Comment peut-elle alors donner l’impression de tolérer la menace de guerre contre des membres de la famille européenne ?
Ou bien, si vous voulez, comment les exportations de d’armements peuvent-elles l’emporter sur la défense du droit international ?
Je dois préciser qu’à l’heure où l’Europe traîne, les Etats-Unis semblent prendre clairement conscience des choses. Ils valorisent leur poids géopolitique face à la Turquie, notamment dans le domaine crucial des armements. Comme vous le savez, cette semaine le Congrès a approuvé à la grande majorité le projet de loi prévoyant l’imposition de sanctions contre la Turquie, dans un délai de 30 jours en raison de l’acquisition de cette dernière du système de défense S-400.
Mesdames et Messieurs,
Le temps que nous avons devant nous est particulièrement crucial. La politique étrangère ne constitue pas le terrain propice à un conflit entre partis. Le gouvernement Mitsotakis et le Premier ministre exercent la politique avec sérieux, selon le critère de la création de consensus nationaux à travers une communication d’informations permanente des partis politiques et un échange de vues sincère. C’est ainsi que nous avancerons en 2020 – 2021, face à l’agressivité de la Turquie et l’hésitation de l’Europe.
Je vous remercie.
December 13, 2020