N. KOTZIAS : Quels sont les objectifs de la politique étrangère ? Ils sont au nombre de trois : servir les intérêts du peuple et de la société grecque, garantir l’intégrité territoriale du pays, garantir sa souveraineté et ses droits souverains. Ce gouvernement que je représente, en tant que ministre des Affaires étrangères, est un gouvernement internationaliste et patriotique, fondé sur une politique multidimensionnelle, active et indépendante, ce qui suscite la critique. Lorsque l’on va en Russie, on dit de nous que nous sommes pro-russes. Lorsque nous allons aux Etats-Unis, on dit de nous que nous sommes antirusses et pro-américains. Lorsque nous nous rendons en Allemagne, on dit de nous que l’on a trouvé une entente avec les Allemands. Lorsque nous allons en Palestine, que nous avons « vendu la réunion tripartite ». Lorsque nous allons à la réunion tripartite, que nous avons « vendu les Arabes ».
Pourquoi toute cette confusion ? Car ils n’ont pas compris que la politique étrangère n’a besoin ni de grands ni de petits patrons. Ce dont elle a besoin c’est de sauvegarder avant tout l’intérêt du pays et de son peuple. Notre politique étrangère soutient l’économie et la politique, elle soutient l’ensemble de la politique, car le pays, en dépit de sa faiblesse économique, a une très bonne position géopolitique et un très grand héritage culturel et historique, ce qui lui confère une plus grande puissance, par rapport au plan économique, car notre pays a tissé des relations de confiance et de bon voisinage, car notre pays fonde sa politique étrangère sur trois principes, trois moyens : la négociation, la consultation et l’arbitrage. Tout n’a pas besoin d’être rendu public, lorsque par exemple nous aidons des parties avec des points de vue divergents et des intérêts différents sur la scène internationale, à se rencontrer et à discuter.
Cela nous apporte, dans un premier temps, une longue spécialisation dans le système international et dans un deuxième temps, nous permet d’être utiles dans tout ce système. Cela nous permet d’être la solution et non une partie du problème. Nous ne sommes pas au service des autres et l’on ne nous dicte pas ce que l’on doit faire. Nous exerçons la politique étrangère sur la base de trois critères : premièrement l’intérêt national et notre solidarité aux peuples combattants, deuxièmement, le cadre européen et ses perspectives et troisièmement le droit international et européen.
Notre politique étrangère au cours des mois passés a pu développer une capacité et une particularité : la capacité d’identifier les problèmes. Lorsqu’à la fin du mois de janvier 2015, nous avons parlé d’un triangle d’instabilité comprenant l’Etat grec en son centre, l’Ukraine au sommet, la Libye à la base et la Syrie à droite, tout le monde considérait cela comme une étrange figure. Aujourd’hui tout homme politique exerçant la politique extérieure à l’étranger utilise cette figure.
Lorsqu’au début du mois de février nous avons pour la première fois parlé aux instances européennes de l’arrivée d’une vague migratoire d’une intensité sans précédent – car l’ONU était à court d’argent et les familles dans les camps en Jordanie et en Libye recevaient en moyenne 43 cents par jour – et lorsque les pays qui bombardaient la Syrie étaient désormais au nombre de huit et que nous avons averti des grandes vagues migratoires qui allaient venir – on nous a répondu que tout cela n’allait pas arriver, que soi-disant nous le faisions dans un but de désorientation et certains ont même dit que nous racontions des inepties. Aujourd’hui, nous voyons combien l’UE a pris du retard pour ne pas avoir tenu sérieusement compte de nos analyses de l’époque.
La Grèce est un pays européen. C’est un pays européen qui a un avis sur l’Europe et qui aspire à promouvoir son point de vue. Car nous voulons une autre Europe, avec plus de politique sociale et des garanties sociales, avec le rôle du Parlement européen revalorisé et non pas que ce dernier soit contourné par les dispositifs mis en place durant la crise. Car, alors que nous avons réussi, après 50 années de combat, à revaloriser le rôle du Parlement européen, les mécanismes de résolution de la crise créés par l’UE l’ont laissé de côté.
Dans le même temps, nous luttons pour faire revivre les idées du Parlement européen, de l’Union européenne, de l’Européanisme dans son ensemble, fort des expériences de décennies. Car nous devons revoir les visions, comme nous avons coutume de le dire aux Conseils européens, et l’identité de l’Union européenne au 21e siècle et sans plus tarder. L’Union européenne et le continent européen ont besoin d’un développement démocratique social. Et ce dont nous n’avons pas besoin c’est que les jeunes voient l’Europe comme un synonyme de peines, sanctions – vingt-sept Etats se sont vus imposer des sanctions – et de mémorandums. Lorsque l’Union européenne est synonyme de ces trois outils, elle n’est certes pas attrayante pour les nouvelles générations.
Le dossier chypriote est une priorité de premier rang de notre politique. J’aimerais de cette tribune dire officiellement que le gouvernement grec soutient les négociations menées conformément aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU et que Chypre est un Etat membre de l’Union européenne.
Nous saluons tout pas de rapprochement entre les deux communautés et saluons le fait que nous avons convaincu les négociateurs internationaux à prendre en compte les droits des trois minorités qui se trouvent à Chypre et qui, depuis des décennies, avaient été oubliées.
Nous pensons que les Chypriotes turcs doivent obtenir ces droits qui leur garantiront le sentiment que cette île, Chypre, est leur maison, l’espace où la nouvelle génération de Chypriotes turcs aura droit au rêve et sentira qu’elle peut vivre, fonder sa famille à l’avenir.
Et dans le même temps nous pensons que les Chypriotes grecs doivent obtenir le droit absolu et le sentiment de sécurité vis-à-vis des forces d’occupation de la partie nord de l’île. Celles-ci doivent partir. Une solution à la question chypriote ne peut être atteinte sans le départ de l’île de l’armée d’occupation. Cela n’est pas une solution. Ce sera un remake des événements qui nous ont conduits à 1974.
Nous devons en finir avec les garanties. En avril le gouvernement grec a de manière courageuse soulevé de nouveau la question fondamentale liée au dossier chypriote. Nous avons signalé que le dossier chypriote n'était pas une question de répartition des ressources naturelles, comme il a été l'intention de la faire paraître suite à la découverte des gisements de gaz, mais qu'il s'agissait d'une question d'occupation et que les puissances garantes - et j'entends par cela notamment la Turquie - ont à plusieurs reprises violé les traités de Londres et de Zurich et par conséquent elles n'ont pas droit d'exercer de pouvoirs de garantie. Car les nouveaux règlements, le nouveau droit international n'autorise ni le recours à la violence aux dépens d'un pays tiers, ni son occupation.
Pour ce qui est du développement de nos relations avec la Turquie, cela dépend de l'attitude de cette dernière à l'égard de la question chypriote. Nous renforçons dans la pratique notre coopération et le dialogue avec la Turquie ainsi que les partenariats multilatéraux et à plusieurs niveaux. Nous promouvons les mesures de confiance. Toutefois, dans le même temps, nous ne fermons pas les yeux sur les provocations de la Turquie en Egée, des actions qui continuent et que nous suivons de près. Nous prenons des précautions et nous procédons aux actions nécessaires au sein de l'environnement international et de la communauté internationale. Bien évidemment, nous saluons la réouverture des collèges et des lycées à Imvros même si le nombre d'élèves reste limité.
Nous promouvons des mesures de confiance avec l'ARYM aussi. Et nous avons l'intention de faire avancer ce débat. C’est le gouvernement de l'ARYM qui a initialement refusé d'entamer cette négociation, mais finalement il l'a accepté. Mais la chose la plus importante - et je l'ai également affirmé à Skopje lors d'un débat public qui a duré deux heures - est que l'ARYM doit renoncer à son irrédentisme, elle doit consentir de manière réaliste et constructive à un règlement de la question du nom.
Avec l'Albanie nous poursuivons une négociation sur un grand nombre de questions. Nous avons soutenu Marioupol qui est un centre majeur de l'hellénisme et nous avons pris des mesures en vue de protéger la communauté grecque et de mettre à disposition des services comportant, entre autres, des soins de santé et des vivres. Nous soutenons dans la région élargie la stabilité de l'Egypte, de la Jordanie, du Liban et les partenariats tripartites.
Nous n'assistons pas aux évolutions internationales en spectateur mais nous sommes des acteurs actifs. Et c'est pour cela que nous devons restructurer les services du ministère des Affaires étrangères. Nous mettons de nouveau en place au sein du ministère des Affaires étrangères le Centre d'analyse et de planification (KAS) et le Conseil scientifique dont le fonctionnement a été arrêté par les gouvernements précédents. Nous avons mis en place la nouvelle direction de la Chine, de la Mongolie et de la Péninsule coréenne.
Président: Monsieur le ministre, vous avez une minute, pas plus.
Ν. KOTZIAS : Je dirai donc une dernière chose. Au sein de ce gouvernement, dans ce pays, nous devons tous nous mettre d'accord sur la nécessité d'avoir des règles. Si ces règles peuvent gêner certains, elles doivent être respectées car elles régissent le fonctionnement de tout Etat démocratique.
La première règle est le retour des diplomates qui ont été persécutés car ils ont dévoilé en 2006 les scandales relatifs aux ONG. En étant les premiers à dévoiler cette affaire, ils ont pris la responsabilité de faire toute la lumière.
En outre, les règles imposent que les fonctionnaires qui ont été définitivement condamnés à 20 ans de réclusion criminelle ne peuvent pas être relaxés et ne pas être suspendus de leurs fonctions. Nous disposons d'excellents fonctionnaires au sein du ministère des Affaires étrangères. Nous disposons d'excellents diplomates, experts, conseillers juridiques, économiques et commerciaux. Toutefois, il y aussi ceux qui violent ces règles.
Conformément à ces règles, nous avons demandé la restitution des 10 millions d'euros qui ont été encaissés par les ONG sans justificatifs de paiement, ni reçus.
Dans ce cadre aussi, nous avons procédé à toutes les actions requises afin que le ministère des Affaires étrangères cesse de payer les charges du parking à plusieurs niveaux sur la rue Zalokosta, une somme qui correspond à ce jour à 1,5 millions d'euros. Je ne peux pas comprendre comment un ministère des Affaires étrangères paye les charges des autres...
PRESIDENT : Monsieur le ministre vous avez épuisé votre temps de parole. Vous devez conclure votre intervention.
Ν. KOTZIAS : Et, conformément à ces règles aussi, le ministère des Affaires étrangères ne peut pas délivrer des passeports diplomatiques et de service à certains hommes d'affaires "amis", comme c'était la pratique depuis 2007. Finis les passeports diplomatiques pour les amis! Ces passeports sont destinés à ceux qui sont au service de la fonction publique et des biens publics.
Et, la règle impose aussi que lorsqu'un ministre met son veto sur une question nationale importante, aucun diplomate ne peut le retirer parce qu'il n'est pas d'accord ou à cause des pressions qui lui sont exercées par des tiers.
Et, je finis, la règle impose que nous devons œuvrer afin de faire toute la lumière sur les réseaux de vente illégale de visas. Je ne permettrai à personne d'étouffer cette affaire. Je suis très clair à cet égard.
Et certains doivent bien comprendre la dernière règle, car leurs actions entachent l'image de nos meilleurs diplomates au plus haut niveau.
Il doit y avoir une dernière règle. Certains doivent comprendre que le ministère des Affaires étrangères n'est ni une affaire personnelle, ni familiale. Le ministère des Affaires étrangères et la politique étrangère sont au service du peuple grec, de la société grecque et pas au service du clientélisme.
October 8, 2015