JOURNALISTE : Monsieur le ministre, aujourd’hui vous avez eu une rencontre avec Serguei Lavrov. Il y a trois ans, vous aviez déclaré que la Grèce se positionnait contre le renforcement de la pression exercée à la Russie au moyen des sanctions. Quelle est votre position face à la politique des sanctions de l’UE et quel a été l’impact de la guerre des sanctions – pour ainsi dire – avec la Russie pour l’économie grecque ?
N. KOTZIAS : L’économie grecque, notamment notre économie agricole, est confrontée à de grandes difficultés en raison de la chute des exportations. De manière générale, je pense que les sanctions ne sont pas l’outil le plus habituel et rationnel de la diplomatie. La Grèce œuvre pour une meilleure compréhension entre l’UE et la Russie et pour dissiper les raisons qui ont conduit à ces sanctions. Je dis souvent que l’UE a imposé des sanctions à tant de pays, afin que ce groupe soit le groupe économique le plus puissant au monde.
JOURNALISTE : Je ne peux pas ne pas soulever la question d’Athènes et de Skopje. Il y a quelques jours, un accord historique a été conclu entre la Grèce et l’ARYM concernant le changement de nom de cette dernière. On a abouti à la conclusion que la voie vers l’UE et l’OTAN est ouverte pour la Macédoine du Nord. Que fera la Grèce si le peuple de la « Macédoine » ne soutient pas, lors du référendum, l’accord entre Athènes et Skopje ?
N. KOTZIAS : Tout d’abord j’espère que le peuple dira oui car c’est un bon accord, un accord équilibré. C’est un accord dans lequel les deux parties sont gagnantes. Je pense que le référendum est une partie de la ratification de l’accord selon les décisions des dirigeants de la Macédoine du Nord. Le référendum doit être gagné afin que l’accord soit ratifié. L’adhésion de la Macédoine du Nord à l’OTAN et à l’UE est un choix de ce pays. Simplement, nous ne les en empêcherons pas et aiderons leur parcours européen. Il faut savoir que la solution à ce problème sert les intérêts nationaux de la Macédoine du Nord et de la Grèce. C’est un problème qui existe formellement depuis 25 ans, mais réellement depuis 75 ans. Et j’ai coutume de dire : l’histoire doit être une école et non une prison.
JOURNALISTE : Ce n’est un secret pour personne que la Grèce a, depuis quelque temps, des difficultés économiques et plus précisément, selon certaines prévisions, le flux de touristes peut aider la Grèce à sortir de la crise. La Grèce est l’une des destinations de prédilection des touristes russes. Par conséquent, dans quelle mesure les touristes russes sont-ils importants pour la Grèce ? Combien de touristes russes visitent la Grèce chaque année ? Quelles sont vos attentes à cet égard et y a-t-il des programmes spécifiques mis en place pour attirer les touristes russes en Grèce ?
N. KOTZIAS : L’année passée, nous avons eu la visite de plus de 900 000 touristes russes. La Russie est l’un des meilleurs pays au niveau des touristes ; ils sont instruits, aiment la Grèce et connaissent leur histoire. Par ailleurs, il y a un groupe particulier de touristes qui appartiennent à la catégorie du tourisme religieux. C’est l’orthodoxie qui lie nos peuples. Le tourisme fait partie de l’une de nos plus grandes industries, c’est ainsi que je vois les choses. Cette année, nous battrons un record, nous atteindrons les 32 millions. C’est presque trois fois notre population. J’espère que nous accueillerons plus de touristes russes.
JOURNALISTE : Par ailleurs, il y a aussi cette tendance à l’achat de biens immobiliers en Grèce par des Russes. Y a-t-il des statistiques à cet égard ? Avez-vous observé une augmentation des investissements de ressortissants russes dans l’immobilier en Grèce ?
N. KOTZIAS : Il y a une hausse du secteur de l’immobilier, notamment de la part des riches qui obtiennent ledit Golden Visa. Mais je pense que la motivation de la plupart des Russes est la beauté de notre pays et le sentiment d’amitié qu’éprouve le ressortissant russe pour la Grèce. Enfin, après 8 ans, nous sortons de la crise. Nous avons une croissance de 2%. Ce n’est pas beaucoup, mais c’est sûrement mieux que le pourcentage négatif que nous avions. Il s’agit de la crise la plus grave après la guerre qu’un pays n’ait jamais vécue. Nous avons perdu 28% de notre PIB.
JOURNALISTE : En parlant de la crise, nous avons lu l’information suivante dans la presse, à savoir que les ministres des Finances de l’UE devront, à la fin du mois de juin à Bruxelles, confirmer que la Grèce sort du programme de huit années d’aide à l’économie grecque. La Grèce espère-t-elle que l’UE effacera une partie de sa dette ?
N. KOTZIAS : Non, il n’est pas question d’effacement de la dette, ce que dit l’accord – lorsqu’ils nous ont imposé les mesures – est qu’il y aura une limitation de la dette et de meilleures conditions de remboursement. L’heure est venue pour eux de montrer leur bon côté, et à ce niveau là nous avons encore de petites difficultés.
JOURNALISTE : Je ne peux pas ne pas soulever la question du dossier chypriote. Il y a quelque temps – l’année dernière et l’année d’avant plus précisément – les dirigeants de la République de Chypre et de la "république" non reconnue du nord de Chypre parlaient de progrès pour le règlement de ce problème. Toutefois, il n’y a pas eu de progrès. Quelles perspectives voyez-vous se dessiner pour ce qui est du règlement de la question chypriote ?
N. KOTZIAS: Tout d’abord, permettez-moi de remercier la Russie pour l’attitude positive dont elle a fait preuve face au problème chypriote, une attitude de principes, basée sur le droit international. Ce que nous voulons c’est que Chypre devienne un Etat membre de l’ONU normal. Pour ce faire, il faudra abolir les droits d’intervention ou, comme vous les appelez, les garanties de pays tiers. Car, comme vous le savez, la partie nord de Chypre est occupée par l’armée turque. Formellement, la Grèce est une force garante, comme la Grande Bretagne et la Turquie. Nous avons dit que nous ne voulions pas de ces droits. La Turquie semble avoir des difficultés à s’adapter au monde du 21e siècle. Personne ne peut avoir un autre pays comme protectorat ou sous occupation. J’espère que nous en finirons avec tout cela.
JOURNALISTE : A ma connaissance, en Ukraine vit une communauté grecque relativement importante. Comment, compte tenu de tout cela, Athènes envisage-t-elle la loi qui a été adoptée récemment à Kiev sur l’éducation, une loi que critiquent ouvertement l’Ukraine et la Russie ? La Grèce est-elle d’une certaine façon inquiète du sort des Grecs d’Ukraine ?
N. KOTZIAS : Ce sont des personnes d’origine grecque, qui habitent là depuis des milliers d’années. Cette région, notamment la Crimée, est l’ancienne Tauride. À Marioupol, plus spécifiquement, il y a 160 000 habitants d’origine grecque. Pendant les guerres dans la région, ils ont souffert. Nous avons envoyé une aide matérielle et pécuniaire. Nous avons construit un centre médical, nous avons envoyé des enfants dans des colonies de vacances en Grèce, mais le principal est que nous voulons que les conflits cessent, que les dangers, les confrontations cessent et que soient appliqués les accords de Minsk. En ce qui concerne la langue, cela ne concerne pas tant les Grecs, mais plutôt les Roumains et les Hongrois. Nous avons exprimé publiquement notre solidarité, nous avons fait des interventions écrites et orales et envoyé des lettres. À notre avis, les dirigeants ukrainiens devront faire preuve de sensibilité vis-à-vis de ces questions. Je comprends nos amis hongrois, nous nous inquiétons pour eux.
JOURNALISTE : A la lumière du Brexit, ces dernières années, il est de plus en plus question de crise au sein de l’UE. Pour la Grèce, en tant que pays de l’Union, quelles sont les principales difficultés que rencontre l’UE ? Pouvons-nous dire qu’avec la sortie de la Grande Bretagne, l’UE se trouve devant un carrefour ? En d’autres termes, quelles sont les perspectives d’avenir de l’Union ?
N. KOTZIAS : L’UE est confrontée à un problème fondamental. Elle a un agenda qui est plus négatif que positif pendant cette période. Elle a perdu sa vision et ne gère que ses besoins quotidiens. Nous, les pays de l’Europe du sud-est, avec les pays de Visegrad, avons pris une initiative, dont je suis à l’origine, et nous discutons de l’avenir de l’Europe. Nous devons refonder la raison d’être de l’UE, afin que celle-ci puisse émouvoir les gens et ne se limite pas à la coopération économique et aux sanctions imposées à des tiers. Nous devons nous retrouver. Vous connaissez l’origine du nom Europe. Lorsque Zeus était à la recherche de la plus belle femme du monde, il l’a trouvée au Liban, non en Europe, et cette femme se prénommait Europe. Elle doit donc retrouver sa beauté.
JOURNALISTE : La Grèce est le berceau des traditions dans le domaine des sports, des jeux olympiques. Comme vous le savez, débute la coupe du monde de football en Russie. Sans-doute aimeriez-vous souhaiter quelque chose à la Russie et qu’attendez-vous de manière générale ?
N. KOTZIAS : Je souhaite que tout ceux qui viendront, passent du bon temps, que le peuple russe soit content d’accueillir la coupe du monde et que votre équipe ait les meilleurs résultats possibles. Nous, malheureusement, n’avons pas réussi à venir, mais je suis venu, même pour un jour, et je repartirai ce soir avant le début des matchs. Je vous remercie.
June 15, 2018