D. OIKONOMOU : Nous accueillons le ministre des Affaires étrangères, M. Nikos Dendias. Bienvenue, Monsieur le Ministre.
N. DENDIAS : Bonjour à vous deux.
D. OIKONOMOU : Cela fait des années que nous ne vous avons pas vu dans le studio.
N. DENDIAS : Quelques années, oui. J'essayais de me rappeler combien d'années.
D. OIKONOMOU : Effectivement.
N. DENDIAS : Mais, comme les élections approchent, il est bon de dire certaines choses.
Α. PAVLOPOULOS : C'est bien, en tant que ministre des Affaires étrangères qui n'est pas dans les studios de télévision, mais en mission.
D. OIKONOMOU : Je me demandais vraiment, Monsieur le Ministre, avant d'entrer dans le vif du sujet, combien de jours par mois vous êtes à l’étranger ?
N. DENDIAS : Environ quatre jours par semaine.
D. OIKONOMOU : Quatre jours par semaine ?
Α. PAVLOPOULOS : Vous ne revenez donc à Athènes que pour changer de valise.
N. DENDIAS : Oui et aussi pour recevoir mes instructions, informer.
D. OIKONOMOU : Manolis Kostidis est également avec nous et nous apprenons, Monsieur le Ministre, que vous serez présent.
M. KOSTIDIS : Bonjour, Monsieur le Ministre.
N. DENDIAS : Bonjour, Monsieur Kostidis.
D. OIKONOMOU. Vous vous verrez de toutes façons. Quand ? Vendredi saint ?
N. DENDIAS : Oui.
M. KOSTIDIS : Je pense que nous nous rencontrerons quelque part.
N. DENDIAS : Je l'espère.
D. Oikonomou : A Imbros ?
N. DENDIAS : A Imbros. Le patriarche œcuménique, M. Kostidis a dû vous le dire, se rend à Imbros tous les dix ans et j'aimerais cette fois que nous soyons ensemble à l'épitaphe.
De même, Imbros est un cas « digne d’étude », car l'hellénisme d'Imbros, vous le savez, a doublé. Il ne suit pas le même schéma de réduction que celui de la Turquie.
Il y avait 300 personnes. Aujourd'hui, ils sont près de 600. Il y a une école avec près de 60 enfants.
D. OIKONOMOU : Le patriarche y a beaucoup travaillé.
N. DENDIAS : Il est donc très important de l'encourager et je voudrais dire, parce que je veux être absolument honnête à ce sujet aussi, que nous avons eu la pleine facilitation des autorités turques pour aller à Imbros. La pleine facilitation.
Α. PAVLOPOULOS : Plus que d'autres fois ?
N. DENDIAS : Je ne suis pas allé à Imbros avant, pour pouvoir comparer, mais j'ai vu dans l’ensemble comment la Turquie voulait aider mon voyage et ne pas l'entraver.
Je comprends, vous savez, ce n'est pas difficile.
D. OIKONOMOU : Vous nous mettez sur l'autre page dont nous parlons, Monsieur le Ministre. Ce qui a changé, Manolis et moi en parlions tout à l'heure à propos d'Antioche. Nous sommes deux mois après ces catastrophes.
Vous étiez là dès le premier instant. Depuis lors, tout a changé pour la Turquie et pour ses affaires intérieures, mais apparemment aussi pour de nombreux aspects de la politique étrangère. C'est du moins ce qu'il semble. Nous ne connaissons pas combien et quelle est cette page.
Cependant, il semble que nous soyons en train d'écrire quelque chose de nouveau avec la Turquie, Monsieur le Ministre, n'est-ce pas ?
N. DENDIAS : Nous devons être optimistes, mais aussi prudents et pas naïfs. Il en va de même pour la Turquie. La Turquie n'est pas naïve, de toute évidence. Elle ne néglige pas non plus ses intérêts à long terme.
Cependant, je reste optimiste, non seulement en raison de la catastrophe naturelle et de notre propre comportement, qui, de toute façon, n'a rien réclamé et ne réclame rien en retour.
Je fais absolument la distinction entre l'humanitaire et l’aspect géopolitique. Il est de notre devoir d'être aux côtés de nos semblables. Mais, cela étant dit, j'ai toujours le sentiment que les intérêts à long terme de la Turquie convergent avec ceux de la Grèce.
Si les dirigeants turcs parviennent à la même conclusion à ce stade, ce sera très encourageant.
D. OIKONOMOU : Etes-vous convaincu par cette attitude Monsieur le ministre ? Vous avez beaucoup d'expérience, vous connaissez tout le monde maintenant, et vous avez des relations amicales avec de nombreux cadres dirigeants. Êtes-vous convaincu par cette attitude ?
N. DENDIAS : Je crois tout d'abord qu'il s'agit de l'intérêt à long terme de la Turquie. Je crois que cette attitude, et non la précédente, sert les intérêts de la société turque, de l'État turc.
A partir de là, nous verrons comment la situation évoluera. Et quand le verrons-nous ? Immédiatement après les élections dans les deux pays. Si ce climat perdure et s'approfondit, alors...
M. KOSTIDIS : Puis-je poser une question ? Je suis désolé, parce que je suis à distance, je vous ai interrompu, mais vous avez Mevlut Cavusoglu devant vous, qui, en effet, ces dernières années vous disait « mon ami, mon ami Dendias », mais nous savons ce qui s'est passé sur le plan de la politique étrangère et de défense de la Turquie et nous connaissons ses menaces.
Aujourd'hui, il vous dit certaines choses. Le croyez-vous ?
N. DENDIAS : Oui, c'est exactement ce qui a été dit tout à l’heure. Je pense qu'à l'heure actuelle, il est possible, mais pas du tout certain, que la Turquie ait une vision plus claire de ses intérêts géopolitiques. Mais à partir de là, tout cela se verra après les élections.
La Grèce n'abandonne pas ses positions fermes en matière de politique étrangère ; nous avons toujours fait des eaux calmes et de l'absence de menaces une condition préalable au dialogue, et c'est ce qui se passe aujourd'hui. D’un autre côté, nos lignes de base sont bien connues, le droit international, le droit international de la mer, nous ne les avons jamais cachées, nous ne les avons jamais modifiées.
D. OIKONOMOU : De quoi discutons-nous, Monsieur le Ministre ? Attendez une minute, parce que nous entendons des informations, des rumeurs, d'une manière ou d'une autre, que nous et les Turcs sommes sous la pression d'autres puissances pour nous asseoir à la table et trouver une solution à certaines questions, que la Grèce devrait mettre un peu d'eau dans son vin, que la Turquie devrait différencier sa position sur certaines questions. Est-ce que c’est vrai ? Sommes-nous vraiment sous pression ou allons-nous nous asseoir à la table si nous le voulons ?
N. DENDIAS : Dans mon propre ministère, je peux en parler, il n'y a pas eu de tel phénomène.
Α. PAVLOPOULOS : Aucune pression ?
N. DENDIAS : Il n’y a pas eu de tel phénomène et je vais vous dire pourquoi. Parce que la forme et la teneur de la menace était telle que personne ne pouvait rien dire. Je ne veux pas les rappeler parce que je vais restituer un climat…
Α. PAVLOPOULOS : Mais cela est très récent, très frais, nous nous en souvenons tous.
N. DENDIAS : Nous nous en souvenons tous. Dans ce contexte, que peut venir nous dire l'Américain, ou l'Allemand, ou le Britannique ?
Α. PAVLOPOULOS : Mais c'est précisément parce que c'est très frais que la suspicion grandit.
N. DENDIAS : C'est vrai, c'est vrai.
Α. PAVLOPOULOS : Voire même le scepticisme. Parce que jusqu'à la veille du tremblement de terre, nous avions les missiles à longue portée, les cartes, les jeux de guerre, ils jouaient à la guerre tous les jours, le Tayfun qui serait arrivé en Grèce, et cela a changé radicalement après le tremblement de terre et la réaction instantanée de la Grèce.
N. DENDIAS : Il est vrai qu’après cette visite à Antioche, cette visite tragique, je n’ai rien vu de pire dans ma vie, tout a changé. Non seulement la Turquie ne fait plus de violations et de survols en mer Égée, mais aussi elle ne vole plus.
Α. PAVLOPOULOS : En signe de bonne volonté ?
N. DENDIAS : Probablement.
Α. PAVLOPOULOS : Ou bien a-t-elle réalisé que tout cela ne mène à rien et elle a décidé de changer de cap ?
N. DENDIAS : Peut-être les deux. Une chose est sûre, cela vient absolument du plus haut niveau hiérarchique de la Turquie, il n'y a aucune possibilité que cette décision ait été prise à un niveau inférieur, aucune.
Cela étant, si je puis dire, quelle est l'obligation de la Grèce ? Elle a l'obligation, face à ce comportement, de montrer qu'elle le comprend et qu'elle est prête à s'engager dans une discussion honnête.
Α. PAVLOPOULOS : Mais quelle discussion ? Savez-vous pourquoi je vous pose la question ? Avant-hier, M. Kalin, pour parler du conseiller très proche de M. Erdogan.
N. DENDIAS : Je connais M. Kalin.
Α. PAVLOPOULOS : Oui, bien sûr. Allons à un dialogue bilatéral, sans la présence de tierces parties, l'Union européenne et Washington etc., pour discuter et voir où nous pouvons aller.
De quoi allons-nous parler ?
N. DENDIAS : Il y a des principes fixes.
D. OIKONOMOU : Et M. Kalin a dit quelque chose à ce sujet, pardon, M. le Ministre. Il a dit que cette discussion avait commencé bien avant. Ce soi-disant moratoire. Existait-il vraiment avant les tremblements de terre ? Est-ce qu'il y avait quelque chose avant, c’était la rencontre Kalin-Boura ? Y a-t-il eu autre chose ? Aviez-vous discuté ?
N. DENDIAS : Non. Il y a eu une, disons, une tentative de créer une certaine compréhension, face à la période électorale.
D. OIKONOMOU : Pour cette période.
N. DENDIAS : Parce que vous vous souvenez de l'énorme anxiété, j'imagine qu'il y avait une anxiété similaire en Turquie. Que se passera-t-il lors des élections ?
Α. PAVLOPOULOS : Si nous aurions un épisode de guerre.
N. DENDIAS : Imaginez, vous vous souvenez de la discussion sur la possibilité de ne pas avoir de ministre intérimaire, parce que quelque chose pourrait arriver. Une discussion tragique à la base. Si vous y réfléchissez bien.
Α. PAVLOPOULOS : Un instant. À l'époque, nous pensions sérieusement que nous pourrions même avoir un épisode de guerre?
N. DENDIAS : Mais quand il y avait des violations, des survols en masse tous les jours, un accident ne pouvait-il pas arriver ? Pas dans le sens où la Turquie déciderait en pleine période électorale d'attaquer la Grèce. Pour l'amour de Dieu !
D. OIKONOMOU : Vous parlez d’accident ?
N. DENDIAS : Oui un accident.
D. OIKONOMOU : Vous en aviez parlé avec les Turcs ?
N. DENDIAS : Évidemment. En période électorale, un accident, que nous ne comprenons même pas, qui entre dans le débat public en période électorale, peut conduire à n'importe quoi.
D. OIKONOMOU : Avez-vous, Monsieur le Ministre, contribué à ce moratoire ? Et de quelle manière ?
N. DENDIAS : Je ne sais pas dans quelle mesure. Tout d'abord, je n'appellerais pas cela un moratoire. Car le mot « moratoire » a une autre signification. Je dirais qu'il existe aujourd'hui une entente informelle entre les deux parties, qui pourrait conduire, après les élections, à une tentative de reprise d'un dialogue sérieux pour trouver une solution à notre différend.
D. OIKONOMOU : Cela s'est donc passé avant les tremblements de terre et cela a évolué après les tremblements de terre ?
N. DENDIAS : Non. Bien qu'il ne faille pas en faire toute une histoire, avant les tremblements de terre, on essayait simplement de faire face aux éventualités extrêmes pendant la période électorale.
Il n'y avait pas de climat pour parler d'un dialogue sérieux entre la Grèce et la Turquie à propos de notre différend. Pourquoi ? Parce que nous avions posé une condition. Vous vous en souvenez.
Quelle était cette condition ? L'arrêt des provocations. Ensuite, cela a changé, mais cela ne veut pas dire que la Turquie s'est soumise à notre condition. Je ne dis pas cela. La Turquie seule, immédiatement après cette visite, a montré un changement complet de paradigme.
Dès lors, la Grèce ...
D. OIKONOMOU : Qu'est-ce que cela signifie pour nous maintenant, Monsieur le Ministre ?
N. DENDIAS : C'est simple. C'est une fenêtre d'opportunité.
N. DENDIAS : Avec les termes fixes.
D. OIKONOMOU : Mais à quelles conditions ? Parce que là, comme Manolis nous le dira, c'est là que se trouve le casus belli, c'est là que se trouve chaque jour la « Patrie bleue ». Allons-nous nous asseoir à la table ainsi ?
N. DENDIAS : Excusez-moi. La Grèce entame un dialogue avec le principe établi de la politique étrangère grecque. Le droit international, le droit international de la mer. C'est tout.
Α. PAVLOPOULOS : Question. Est-il possible que toute cette désescalade de la tension, les gestes de bonne volonté, le rapprochement et ainsi de suite soient un piège ? Que nous entamions un dialogue, qu'ils nous imposent ou tentent de nous imposer ce qu'ils nous ont proposé de temps à autre jusqu'à très récemment, que nous refusions et qu'ils nous disent que vous êtes à l'origine de la rupture. Et que nous revenions à une situation comme auparavant.
N. DENDIAS : Non, il n'y a aucune possibilité que cela se produise, c'est-à-dire qu'il n'y a aucune possibilité que nous soyons accusés de dommages à cause de quelque chose comme cela, parce que depuis le début - je répète - nous avons été clairs sur les paramètres avec lesquels nous venons. Par conséquent, personne ne peut vous dire par la suite que c'est de votre faute.
Et si je peux me permettre d'inverser l'argument. Ce serait une erreur criminelle pour la Grèce de ne pas tendre une main semblable à la main amicale que la Turquie tend actuellement.
D. OIKONOMOU : Vous ressentez cela à quel niveau ?
N. DENDIAS : Je ne spécule pas, je ne sais pas ce qui va se passer, voulez-vous que je fasse des prévisions ? On a peu de chances de réussir, mais c'est notre obligation nationale d'essayer et il est criminel de l'ignorer...
Α. PAVLOPOULOS : Parce que c'est notre position.
N. DENDIAS : Exactement, et il est criminel de l'ignorer, parce que si nous l'ignorons à partir de ce moment-là, n'importe quel acteur international nous dira : qu'est-ce que vous attendiez d'autre ? Ne m'avez-vous pas dit que vous vouliez une période pendant laquelle vous ne seriez pas contestés, pas menacés ? Ils vous le donnent et vous refusez d'en discuter ?
D. OIKONOMOU : Mais comment cela se fera-t-il dans la pratique M. le ministre, à quel niveau ? Est-ce que ce sera au niveau des mesures de confiance ? Est-ce que ce sera au niveau des ministres des Affaires étrangères après les élections si vous êtes à nouveau ministre si votre parti gagne ?
N. DENDIAS : Ce sera alors au Premier ministre de juger, pas à moi.
D. OIKONOMOU : Non, je dis à quel niveau le dialogue aura lieu, comment l’imaginez-vous ?
N. DENDIAS : Je comprends bien ce qui pourrait être amélioré dans la manière dont les entretiens exploratoires sont actuellement menés. Pourquoi est-ce que je dis cela ? Parce que les pourparlers exploratoires ont donné lieu à 63 rounds, 64 rounds, et qu'ils n'ont abouti à rien.
D. OIKONOMOU : Exactement.
N. DENDIAS : Si nous procédons exactement de la même manière lors de la 65e session, la question sera-t-elle résolue à ce moment-là ? Mais cela devra être dit en tant que recommandation au Premier ministre et, en fonction de l'identité du ministre, qui s'en chargera par la suite.
Α. PAVLOPOULOS : Parce que vous avez dit quelque chose qui était très, très intéressant pour nous et, de toute évidence, vous voulez dire quelque chose de beaucoup plus que cela, en tant que chef de la diplomatie grecque, vous dites que vous avez à l'esprit les prochaines étapes ou le prochain cours que tout cet effort diplomatique pourrait prendre. Cela signifie-t-il que, dans votre esprit, après les élections, nous devrons changer de voie, nous devrons faire quelque chose d'autre dans le cadre de cet effort ...
N. DENDIAS : J'ai à l'esprit certaines modifications du processus, qui pourraient éventuellement, si la Turquie le souhaite, conduire à une meilleure issue de notre différend.
Α. PAVLOPOULOS : Par rapport à ce qui se passe actuellement ?
N. DENDIAS : Par rapport à ce qui se passe maintenant.
D. OIKONOMOU : Allez, Manolis, tu as la parole.
M. KOSTIDIS : En fait, deux petites questions. La première est que ce que vous avez dit, M. Dendias, est valable pour le gouvernement turc actuel. Si le gouvernement change, ces choses continueront-elles d’être valables avec un gouvernement différent ?
Et la deuxième question, parce qu'on parle beaucoup de Chypre et à cause des deux tours d'élections que nous avons ici, est-ce que un geste concernant Chypre est fait pour rapprocher les nationalistes ? Vous savez le scénario que l'on entend, est-ce que cela n'affectera pas les relations gréco-turques ?
N. DENDIAS : Je commencerai par la deuxième et j'irai par la suite à la première. Il serait souhaitable, et je l'ai exprimé de toutes les manières possibles, qu'il n'y ait pas de comportement de la part de la partie turque à Chypre qui annule l'excellent climat qui a été créé dans les relations gréco-turques.
Car, ne nous trompons pas, je dis toujours que Chypre n'est pas loin. Et si quelque chose se passe à Chypre, il est évident que cela empoisonnera aussi les relations gréco-turques.
La deuxième chose, c'est que la Grèce, comme la Turquie j'imagine, discute toujours avec le gouvernement légitime du pays. La Grèce sera donc prête à discuter avec tout gouvernement que la société turque, le peuple turc, considère comme son représentant.
Pour notre part, nous pensons que nous gagnerons les élections, que nous aurons un nouveau gouvernement avec le même Premier ministre. Dès lors, ce gouvernement, par le biais de la personne que le Premier ministre choisira comme ministre des Affaires étrangères, sera prêt à discuter avec la partie turque.
D. OIKONOMOU : Notre objectif, Monsieur le Ministre, est de tenir des pourparlers directs ? Parce que jusqu'à présent, nous disons que nous allons recourir à La Haye, si nous ne nous mettons pas d’accord avec les Turcs. De quoi discutons-nous ?
N. DENDIAS : Mais La Haye exige aussi des ententes et des accords. Nous ne pouvons pas, donc, nous mettre d'accord du jour au lendemain, avec le cadre existant, nous ne pouvons pas aller à La Haye.
Il y a nos lettres, nos lettres correctes, je fais référence à la lettre de Venizelos, la dernière de 2015, qui est une lettre correcte.
Donc, dans le cadre existant, nous devons à nouveau avoir des ententes pour aller à La Haye. Il en va de même pour l'Albanie, n'est-ce pas ?
D. OIKONOMOU : Il en va de même avec le casus belli, Monsieur le Ministre ? Cela est en vigueur depuis 1995, c'est une question qui crée des problèmes en Grèce.
N. DENDIAS : Nous n'avons pas, aucun gouvernement n'a, à ce jour, posé comme condition la levée anticipée du casus belli. Mais au-delà de cela, le comportement de la Turquie qui montre que le casus belli est peut-être une pratique passée, cela a été posé comme une condition nécessaire. Et je pense qu'aujourd'hui cette condition est remplie.
Α. PAVLOPOULOS : Elle l'a invoqué récemment, à l'occasion de l'extension ou non, des eaux territoriales, à 12 milles.
N. DENDIAS : Avant la désescalade de la tension. Mais excusez-moi, cela fait trois ans que j'explique partout que c'est quelque chose d'inacceptable. Et tout d'abord, je l'explique à la Turquie elle-même et je l'ai dit à l'intérieur de la Turquie. Nous sommes tout à fait sincères à cet égard. Et la Turquie comprend ce que nous lui disons.
Ainsi, la formulation de 1995, qu'il serait intéressant de lire dans son intégralité à un moment donné, c'est-à-dire la décision de l'Assemblée nationale turque, contient, disons, un élément caractéristique, parce que cette dernière a un sentiment de culpabilité, à mon humble avis, lorsqu'elle la formule, et à la fin, il est écrit « dans un esprit d'amitié ». En d'autres termes, il y a un problème dans le paragraphe lui-même, il y a une contradiction inhérente.
D. OIKONOMOU : Monsieur le Ministre, vous avez déjà dit, nous avons dit et nous avons discuté pendant toutes ces années de la question des eaux territoriales. La Grèce conserve ce droit, nous le savons, et elle affirme partout que lorsqu'elle voudra l'utiliser, elle l'utilisera.
Est-ce une évidence pour la Grèce ? S’agit-il de 12 milles ou jusqu'à 12 milles ? Car des points de vue de ce genre sont également exprimés.
N. DENDIAS : La position qui dit jusqu’à 12 milles n’est pas celle de la Grèce. Il s’agit de la formulation exacte de la CNUDM. La CNUDM dit jusqu'à 12 milles. C'est ce qu'elle dit.
A. PAVLOPOULOS : La désescalade de la tension et le rapprochement apparent, pour ainsi dire, nous lient-ils quant au moment de la décision ? Tout cela peut-il nous amener à annuler la possibilité d’étendre nos eaux territoriales comme nous le devrions ?
N. DENDIAS : Je pense que l'extension est un droit unilatéral de la Grèce et nous avons dit qu'elle l'exercerait lorsque c'est dans l'intérêt national. Et cette formulation, qui est celle du gouvernement Mitsotakis, est la même que celle de tous les gouvernements grecs au fil du temps.
M. KOSTIDIS : Passons maintenant aux questions intérieures. Car c'était vous qui vous êtes occupé de la politique étrangère et de la défense [de la Turquie] au cours de ces dernières années laquelle s’était exprimée en des termes tels que: « et une nuit, soudainement, nous allons venir dans les îles ». Et ce de la manière la plus formelle qui soit, au plus haut niveau.
Aujourd'hui, les habitants des îles peuvent-ils dormir tranquillement ? Pensez-vous que la politique de la Turquie a changé ?
N. DENDIAS : Bon, il me semble inutile de parler d’orientations immuables. Mais dans la conjoncture actuelle et avec un horizon temporel étroit, jusqu'aux élections, je pense qu'il est vraiment inutile d'en parler.
Le comportement des Turcs est tel que toute référence à ce sujet est perçue comme provenant d'un passé plus lointain qu'elle ne l'est en réalité.
D. OIKONOMOU : L'opposition, l'attitude de l'opposition vous aide-t-elle, Monsieur le Ministre, dans votre travail ?
N. DENDIAS : L'opposition grecque ?
D. OIKONOMOU: Ici, en Grèce, je veux dire.
N. DENDIAS : Une chose dont je suis fier en tant que ministre du gouvernement Mitsotakis est la suivante : Au fil des ans, nous avons réussi dans une large mesure à maintenir la politique étrangère en dehors du climat toxique du dialogue politique.
Et cela est important parce qu'en Grèce, je le dis, nous avons toujours été divisés sur les questions de politique étrangère, depuis la révolution de 1821. En 1826, alors qu’Ibrahim brûlait le Péloponnèse, une guerre civile était menée à 50 kilomètres de là, parti anglais, français, russe. 1914-1915, 1920-1922, 1944-1949, nous avons toujours été divisés sur les questions de politique étrangère. Ces dernières quatre années, on n’entend plus des qualifications comme traîtres, bradeurs des intérêts nationaux.
Et je tiens à féliciter le gouvernement Mitsotakis qui, par son comportement, n'a pas permis l'instauration d'un climat toxique dans le domaine de la politique étrangère.
D. OIKONOMOU : Et donc vous félicitez aussi l'opposition.
N. DENDIAS : Évidemment, parce qu'il y a eu de la réciprocité, en grande partie. Tout cela a été possible grâce aux séances d’informations tenues, au débat, aux collègues représentant les partis d'opposition lors de ces séances d’information.
D. OIKONOMOU : Et c’était grâce à vous aussi, en fin de compte.
N. DENDIAS : Je suis les instructions du gouvernement.
D. OIKONOMOU : Demain nous aurons une visite importante en Grèce. Devons-nous nous attendre à quelque chose ? Vous avez déclaré que M. Shoukry, le ministre égyptien, est aussi un de vos amis.
N. DENDIAS : Oui, c'est mon ami. Il est vrai que j’ai beaucoup d'amis. Mais il est important, vous savez, d'avoir des amis.
Α. PAVLOPOULOS : Et M. Cavusoglu est un de vos amis ?
N. DENDIAS : Et Cavusoglu aussi.
Α. PAVLOPOULOS : M. Cavusoglu est-il un de vos amis, avec lequel vous entretenez des relations à titre personnel ?
N. DENDIAS : Oui, M. Cavusoglu est un ami, je le connais depuis 17 ans. Je l'ai dit dans les moments les plus difficiles. Il l'a dit lui-même. Il m’engueulait, mais à la fin, il en rajoutait : Dendias est un ami.
Α. PAVLOPOULOS : Dans les moments difficiles, lorsque vous avez fermé la porte, pour ainsi dire, étiez-vous à l'aise de discuter avec lui ou avez-vous discuté dans le contexte d’une guerre imminente ? Avez-vous discuté de cette éventualité ?
Ν. DENDIAS: J’ai été à l’aise et je suis toujours à l’aise avec lui pour l’appeler sur son portable. Le moment difficile était lorsque…
Α. PAVLOPOULOS : Etes-vous allés jusqu’au point de parler de l’éventualité d'un conflit militaire ?
N. DENDIAS : Je l'ai appelé. Non, je ne vous dirai pas quoi, mais il y avait...
Α. PAVLOPOULOS : Nous parlons de ce qui s’est passé.
N. DENDIAS : Il y a eu une énorme difficulté au moment où le Président Erdogan...
M. KOSTIDIS : Quel a été ce moment difficile ?
N. DENDIAS : Il a interdit tout contact.
D. OIKONOMOU : Et vous ne vous êtes même pas parlé ?
N. DENDIAS : Là, c'était difficile. Je vous en parlerai un jour.
D. OIKONOMOU : Les contacts se sont-ils interrompus, c'est-à-dire entre vous aussi ?
N. DENDIAS : Si j'écris un jour un livre, j'écrirai l'histoire de cette courte période.
Α. PAVLOPOULOS : Vous craigniez que nous n'entrions dans une escalade.
D. OIKONOMOU : Vous vous tutoyez ? Vous vous adressez l'un à l'autre, en disant Mevlut, Nikos ?
N. DENDIAS : Oui, exactement. Comment ça pourrait être autrement ?
Α. PAVLOPOULOS : Quand Erdogan a interdit tout contact, avez-vous craint que nous n'allions vers une escalade dangereuse ?
N. DENDIAS : À partir de là, le tragique de la situation était que si la moindre chose se produisait, il n'y avait personne pour s'en occuper.
D.OIKONOMOU : Il n'y a pas eu de contact du tout, hein ?
N. DENDIAS: Le moindre contact.
Α. PAVLOPOULOS : Quand cela s'est-il produit, Monsieur le Ministre ?
N. DENDIAS : Pour ce qui est du moment exact où cela s’est passé, je suis désolé, je ne peux pas le préciser. C’était après le discours du Premier ministre au Congrès...c’était à ce moment-là.
D. OIKONOMOU: C'était un fait catalyseur, Monsieur le Ministre.
N. DENDIAS : À cause de cet événement, j'ai cessé d'avoir le sentiment bien établi que je pouvais, au moins par un coup de téléphone, faire face à un fait aléatoire.
D. OIKONOMOU : Monsieur le Ministre, puisque vous en avez parlé maintenant, et nous nous sommes souvenus des États-Unis, qu’est-ce que vous voyez se passer avec les armements? Nous avons là une question importante avec la Turquie et avec l'attitude de Menendez, avec l'attitude des États-Unis, avec les F-16, les F-35, cette histoire s’est terminée de toute façon. Que voyez-vous ?
N. DENDIAS : Le sénateur Menendez est un ami de la Grèce, mais il s'intéresse surtout, et à juste titre, aux intérêts américains. Il s'agit d'un problème entre la Turquie et les États-Unis.
La Grèce ne peut pas prendre une position publique dans cette affaire, et ce à juste titre. Elle ne peut émettre que des opinions. Je dis toujours que les États-Unis doivent servir leurs propres intérêts.
Quels sont leurs propres intérêts ? Qu'il n'y ait pas de conflits dans la région et que les deux pays membres de l'OTAN n'aient pas...
Α. PAVLOPOULOS : Mais depuis le début, Menendez a sa propre opinion et ce en fonction aussi de la menace contre la Grèce. Donc, si après cette...
N. DENDIAS : Prenez un peu de distance. Parce qu'il perçoit que la menace contre la Grèce est une menace pour les intérêts des États-Unis. Le sénateur Menendez a prêté serment à la Constitution des États-Unis. Pas à la Constitution grecque ou au drapeau grec. Il ne faut pas se leurrer. Pas besoin de sentimentalisme.
Encore une fois, c'est un ami de la Grèce. Mais il est avant tout un sénateur américain.
D. OIKONOMOU : Il protège, donc, les intérêts des États-Unis. Vous ne nous avez rien dit concernant M. Shoukry, s'il y a autre chose que nous devrions attendre. Quel est le but de cette visite ?
N. DENDIAS : Avec M. Shoukry, ou plutôt avec l'Égypte, parce que je ne personnalise pas cela non plus, nous avons de très bonnes relations. Le Premier ministre a une très bonne relation avec le président Sisi.
Nous avons réussi à établir une relation stratégique. C'est une grande réussite pour la politique étrangère grecque. Nos contacts sont constants, continus, et je ne m'attends donc pas à quelque chose de trop important, mais à la poursuite de la convergence de vues sur un éventail plus large de questions dans notre région.
Encore une fois, je dis cela parce que cela fait partie de la discussion précédente. Les accords et les relations stratégiques de la Grèce ne sont pas des relations contre la Turquie.
Ce sont des relations qui montrent à la Turquie quelles relations elle pourrait avoir avec nous, dans le cadre d'une normalisation de nos relations.
Α. PAVLOPOULOS : Elle est la bienvenue.
N. DENDIAS : Bien sûr. C'est un exemple, ce n'est pas une coalition hostile.
Α. PAVLOPOULOS : Bon, concernant la demande de la Turquie d'entrer dans le jeu de l'énergie dans la région. Est-ce que cela dépend ou conduit ou est un vecteur pour la désescalade...
N. DENDIAS : Elle peut, bien sûr, y participer mais elle doit reconnaître la République de Chypre, sinon comment va-t-on lire la carte énergétique ? Allons-nous retirer Chypre de la carte et la remplacer par la mer ?
D. OIKONOMOU : En avez-vous également discuté lors de la réunion tripartite, Monsieur le Ministre, avant-hier, avec Chypre et Israël ?
N. DENDIAS : Le dossier de l’énergie a constitué une part importante de notre discussion avec nos collègues M. Kombo et M. Cohen.
D. OIKONOMOU : Nous n’avons plus besoin de Manolis. Abordons maintenant un peu la question des armements Monsieur le Ministre.
M. KOSTIDIS : Bonne journée, nous donnons rendez-vous à Imbros avec le ministre.
N. DENDIAS : Le vendredi saint, M. Kostidis.
M. KOSTIDIS : On pourrait lui demander de nous apporter une bougie et une brioche, mais bon...
N. DENDIAS : Non, je vous apporterai tout ce que vous voulez, avec grand plaisir.
D. OIKONOMOU : Il vous apportera, nous t’enverrons, Manolis, par l'intermédiaire du ministre. Bonne journée.
M. KOSTIDIS : Portez-vous bien.
[...]
April 10, 2023