Extraits de l’interview du ministre des Affaires étrangères, N. Dendias au journal « Makedonia tis Kyriakis » et au journaliste Nikos Oikonomou (15.04.2023)

JOURNALISTE : Monsieur le Ministre, après les tremblements de terre dévastateurs en Turquie, nous avons constaté une régression en matière de rhétorique agressive et une zéro violation en mer Égée. Combien de temps durera cette bonne période que traversent maintenant les relations gréco-turques ?

N. DENDIAS : Nous sommes pleinement conscients des difficultés de nos relations bilatérales avec la Turquie. Nous suivons de près l'évolution de la situation, nous espérons maintenir le calme, nous restons attachés à notre position ferme en faveur d'un dialogue sincère et constructif pour résoudre notre différend dans le cadre du droit international et du droit international de la mer. Il doit cependant être tout aussi clair que notre souveraineté nationale n'est pas sujette à la moindre contestation et ne peut faire l’objet d’aucun débat.

JOURNALISTE : Alors dites-nous qu'avez-vous vraiment ressenti lorsque vous avez reçu les vœux de votre homologue turc à l’occasion de la fête nationale du 25 mars ?

N. DENDIAS : Je me suis senti très satisfait de cet acte symbolique qui s'inscrit dans le cadre de l'amélioration des relations bilatérales et du changement de la rhétorique virulente qu'Ankara avait adoptée. Bien sûr, il faut protéger ce climat qui a été créé et ne pas le sacrifier sur l'autel des besoins électoraux et de l'opportunisme.

JOURNALISTE : Pouvons-nous devenir amis avec la Turquie ? Quel est le message que vous adresseriez aujourd'hui à vos voisins ?

N. DENDIAS : Bien sûr que nous le pouvons, mais une relation d'amitié exige le respect et la confiance mutuels et est régie par un esprit de solidarité et de compréhension. Je pense que nous pouvons développer une relation harmonieuse et mutuellement bénéfique de bon voisinage et d'interaction avec la Turquie. Nous avons activement démontré notre disposition amicale.

JOURNALISTE : Dans le même temps, la Turquie soutient la candidature de notre pays à un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité pour la période 2025-2026. Comment voyez-vous ce geste de bonne volonté ? Êtes-vous optimiste quant à notre réussite pour la troisième fois dans l'histoire de l'ONU ?
N. DENDIAS : Le soutien de la Turquie à la Grèce pour qu'elle devienne membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies pour la période 2025-2026 revêt un symbolisme particulier, car le Conseil de sécurité est le gardien et le défenseur de la Charte des Nations Unies et du droit international, auxquels notre pays attache la plus grande valeur.  Par conséquent, cette démarche a un impact clairement positif. En ce qui concerne la deuxième partie de votre question, je voudrais souligner que je suis optimiste quant à la large acceptation et au succès de notre candidature.

JOURNALISTE : Vous êtes sur le point d'achever quatre années à la tête de la diplomatie grecque. À votre avis, dans quelle mesure l'image du pays à l'étranger a-t-elle changé au cours de cette période ?

N. DENDIAS : Durant cette période, la Grèce a progressé en termes de droit international et de droit de la mer. Les accords de délimitation des ZEE avec l'Italie et l'Égypte, que j'ai signés, ainsi que l'accord avec l'Albanie visant à soumettre la question de la délimitation des ZEE à la Cour internationale de justice de La Haye en sont les preuves tangibles. Nous avons forgé de solides liens stratégiques d'amitié et de coopération non seulement avec nos partenaires et alliés traditionnels, mais aussi avec des pays du Moyen-Orient, d'Amérique du Sud, d'Afrique et d'Inde.

Nous avons renforcé l'empreinte géostratégique du pays en signant un grand nombre d'accords bilatéraux, notamment l'Accord de partenariat stratégique avec la France, l'Accord de coopération en matière de défense mutuelle avec les États-Unis et la Déclaration conjointe de partenariat stratégique avec les Émirats arabes unis. La politique étrangère grecque joue désormais un rôle actif dans les développements dans notre région élargie et participe aux efforts visant à trouver des solutions aux problèmes qui préoccupent la communauté internationale. Par exemple, le vendredi 21 avril, une réunion sur la Syrie sera organisée pour la première fois en Grèce, avec la participation de l'Envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies pour la Syrie, M. Pedersen.
Enfin, les candidatures de la Grèce au Conseil de sécurité (2025-2026) et au Conseil des droits de l'homme (2028-2030), à la présidence de l'Assemblée générale (2035) et l'organisation de la conférence « Our Ocean 2024 » reflètent la contribution active et constructive de la Grèce aux développements mondiaux.

JOURNALISTE : Une période difficile de ces dernières années ?

N. DENDIAS : L’été de 2020 a été une période très difficile pour le pays et moi-même personnellement.  Ce qui est important, c'est que nous ne revivions pas de tels moments difficiles.

JOURNALISTE : À Chypre, il y a eu un changement dans la présidence de la République : Nikos Christodoulidis a succédé à Nikos Anastasiadis.  Voyez-vous un changement dans les relations entre la Grèce et Chypre ? Après les élections, pensez-vous qu'il y ait une chance de trouver une solution à la question chypriote ? Et dans quelle direction ?

N. DENDIAS : Il est incontestable que les relations entre la Grèce et Chypre ont toujours été et restent excellentes. Comme je le souligne souvent, Chypre « n'est pas loin ». De plus, pour le gouvernement Mitsotakis, la question chypriote est un objectif national prioritaire. Un objectif pour lequel la Grèce cherche une solution juste et viable, sur la base d'une fédération bizonale et bicommunautaire, fondée sur les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. En outre, je suis absolument convaincu que le climat naissant dans les relations gréco-turques - qui, nous l'espérons, se poursuivra après les élections en Turquie - ne peut que contribuer positivement aux efforts visant à résoudre la question chypriote et, en général, à la paix et à la sécurité dans l'ensemble de la région.

JOURNALISTE : La réalisation la plus importante ?

N. DENDIAS : Je n’aime pas utiliser le mot « réalisation » dans le contexte des affaires étrangères. Je dirais plutôt « réalisation d'objectifs », en tant que résultat d'une planification, d'efforts et d'un travail intensif. Mais si je devais retenir quelque chose, je dirais que c'est la première fois que le territoire national s'agrandit depuis 1947 avec l’extension de nos eaux territoriales, dans la zone de la mer Ionienne et jusqu'au cap Tainaro, de 6 à 12 milles nautiques. Force est de souligner que nous avons traversé de nombreuses épreuves.  Mon mandat au ministère des Affaires étrangères a été marqué par des événements clés, tels que l'invasion de l'Ukraine par la Russie, qui remodèlent le système mondial et, par extension, notre voisinage immédiat, et qui exigent de notre part à la fois de la vigilance et une nouvelle planification proactive. Dans les relations gréco-turques également, nous avons traversé de nombreuses épreuves. Nous avons atteint bon nombre de nos objectifs en matière de politique étrangère, et nous pouvons encore en atteindre d'autres. En bref, je dirais que notre gouvernement a été justifié dans tous les grands choix nationaux qu'il a faits et qu'il a toujours été du bon côté de l'histoire. J'insiste également sur le fait que nous avons réussi à laisser les questions de politique étrangère en dehors du climat « toxique » de la politique intérieure.

JOURNALISTE : La Grèce a investi politiquement dans la coopération tripartite entre la Grèce, Chypre et Israël. À quoi peut-on s'attendre dans l’avenir proche ?


N. DENDIAS : À l'occasion de la récente réunion tripartite Grèce-Chypre-Israël qui s'est tenue fin mars à Nicosie, je voudrais tout d'abord rappeler que cette forme de coopération vise à consolider un cadre de sécurité régionale, principalement par le biais de synergies dans des domaines tels que l'énergie, l'innovation et la technologie numérique, entre autres. Ainsi, la question du gazoduc « EastMed » et de l' « Interconnecteur EuroAsia », dont l'importance géostratégique a été particulièrement soulignée depuis l'invasion russe de l'Ukraine, a fait l'objet de discussions approfondies.

Le « Forum gazier de la Méditerranée orientale » a lui aussi revêtu une importance similaire. C'est un exemple de la façon dont l'énergie peut être un tremplin pour un partenariat pacifique dans la région de la Méditerranée orientale et du Moyen-Orient au sens large. Nous attendons avec impatience la participation à ce partenariat de nouveaux membres tels que la Turquie, sous la stricte condition du respect du droit international et du droit international de la mer. La Grèce, pleinement consciente des nouveaux défis géopolitiques, vise à devenir une plaque tournante de l'énergie dans le domaine de la fourniture de gaz et d'électricité.

JOURNALISTE : L'ouverture de la Grèce à l'Afrique a sa propre signification. Quelles sont les attentes pour notre pays ?

N. DENDIAS : Le choix stratégique de notre gouvernement est de s'ouvrir   aux pays africains et de renforcer les relations avec eux, dans une zone géographique où, pendant des décennies, notre présence a été inexistante ou peu marquée. L'Afrique est désormais l'un des six piliers de notre politique étrangère, car c'est un continent aux ressources naturelles inépuisables, tout en disposant aussi d’un grand potentiel en matière de développement économique et d'utilisation de sources renouvelables pour la production d'énergie, ce qui le place au cœur des futurs développements politiques, économiques, énergétiques, climatiques et environnementaux.

La Grèce, pays sans passé colonial et compte tenu de l'existence de communautés grecques historiques en Afrique, a le potentiel de créer des bases solides de coopération avec les pays africains et de promouvoir ainsi la coopération multilatérale. En outre, en termes d'énergie et de transition verte du continent africain, la Grèce joue déjà un rôle clé en tant que pont entre l'Europe et l'Afrique par l'intermédiaire de l'Égypte, et nous avons fait don de plus de 4 millions de doses de vaccins à l'Afrique. C'est d'ailleurs pour ces raisons que j'ai visité 12 pays africains. Nous sommes également impatients de relever ensemble des défis majeurs, tels que le changement climatique, la sécurité maritime et la lutte contre le terrorisme, par exemple.


April 15, 2023