Extraits de l'interview du ministre des Affaires étrangères, N. Dendias, au principal journal télévisé de la chaîne de télévision Action 24 (05.04.2023)

JOURNALISTE: Mesdames et Messieurs nous nous trouvons au ministère des Affaires étrangères avec M. Nikos Dendias.

Monsieur Dendias, nous vous remercions de nous avoir accueillis dans votre bureau. Notre discussion sera diffusée lors du principal journal télévisé de la chaîne de télévision ACTION 24.

N. DENDIAS : C’est moi qui vous remercie pour m’avoir donné cette opportunité. De toute façon, ce n’est pas mon bureau, c’est le bureau du ministre des Affaires étrangères du pays.

JOURNALISTE : Il y a quelques heures, M. Dendias, vous êtes rentré de Bruxelles après la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'OTAN. Nous avons vu une atmosphère particulièrement chaleureuse entre vous et votre homologue turc.
A l’issue de cette brève conversation, devant les caméras aussi, après la diplomatie des tremblements de terre, il semble que nous soyons entrés dans des eaux calmes en mer Égée.
Comment en sommes-nous arrivés là ?

N. DENDIAS : L'attitude des Turcs a changé immédiatement après ma visite à Antioche, quelques jours après les tremblements de terre dévastateurs en Turquie.
Permettez-moi de vous donner un exemple simple. Auparavant, il y avait tous les jours des survols, des violations de l'espace aérien, des eaux territoriales. Depuis ce jour, aucune violation n'a été enregistrée.
De plus, il n'y a même pas d'activité aérienne turque au-dessus de la mer Égée. D'une manière générale, l'attitude de la Turquie a complètement changé. La rhétorique a complètement changé.
Il n’y a ni d’insultes, ni de menaces proférées contre la Grèce. Et la Grèce a toujours dit que si le climat était propice, elle serait disposée à engager un dialogue et à se comporter de manière correspondante.
C'est ce qui se passe.

JOURNALISTE : L'internationalisation de la question gréco-turque, des provocations turques à l'égard de la Grèce ou éventuellement les alliés de notre pays, ainsi que l'amélioration des relations avec les États-Unis, nous ont-ils aidés à parvenir à cette désescalade ?

N. DENDIAS : Je voudrais vous dire qu’à mon sens, tout d'abord, la Turquie, par ce comportement, reconnaît le fait que la Grèce, au moment où la société turque en avait besoin, a choisi, sans demander de contrepartie géopolitique et sans tenir compte de tous les faits précédents, de se tenir aux côtés du peuple turc.  Je pense que cela a été apprécié par les dirigeants turcs.
Au-delà de cela, dans le contexte plus large des relations, bien sûr, la Grèce a essayé au fil des ans de donner une image claire à la communauté internationale, à nos alliés, à nos amis, à ceux qui voulaient nous écouter, de la cause et de la nature de nos divergences avec la Turquie.
Je pense que cet effort a été couronné de succès. Maintenant, je ne peux pas savoir dans quelle mesure les dirigeants turcs en ont tenu compte.


JOURNALISTE : Parce que la question est de savoir si nous avons confiance dans ce changement de cap de la Turquie. Vous avez également mentionné plusieurs incidents qui se sont produits avant les tremblements de terre.
Je voudrais souligner la rhétorique qui a été développée du côté turc, selon laquelle « ils vont jeter les Grecs à la mer » ou « qu’ils viendront une nuit ».  Nous avons vu presque quotidiennement dans les médias turcs des cartes géographiques sur lesquelles figuraient des îles grecques.
La confiance est-elle donc de retour à l'heure actuelle ?

N. DENDIAS : La confiance se développe avec le temps.  Mais je ne peux que souligner que cet énorme changement est absolument bienvenu du côté grec.
Et encore une fois, ce n'est pas la partie grecque qui a exprimé des menaces ou des revendications.
Par conséquent, lorsque nous voyons la Turquie renoncer à son comportement précédent et faire preuve d’un nouveau  comportement consistant à une tentative de développer des relations amicales avec tous les pays de la région et avec la Grèce, c'est quelque chose que nous voulons croire sincère.
Nous ne sommes pas naïfs, si vous voulez mon avis. J'ai déjà dit à plusieurs reprises que tout sera jugé après les élections turques. Nous verrons alors quelles seront les intentions du gouvernement turc qui résultera du vote du peuple turc et comment nous pourrons aller de l'avant.
Mais la Grèce, a toujours souligné – tout au long de son histoire et au niveau national - que si la Turquie tendait une main amicale à la Grèce, la Grèce répondrait favorablement.

JOURNALISTE : Puisque vous avez mentionné les élections turques, elles auront lieu dans environ 45 jours à partir d'aujourd'hui. Nous suivons avec un intérêt particulier les développements qui ont eu lieu à l'intérieur de la Turquie avec la coalition des partis d'opposition.
Et je voudrais vous demander si le peuple turc opte finalement pour le départ d’Erdogan du pouvoir, qu'est-ce que cela pourrait signifier pour la Grèce ? Puisque nous connaissons la façon dont le président turc se comporte au fil des ans, pensez-vous que si l'opposition finit par l'emporter, notre pays se retrouvera à naviguer dans des eaux un peu inconnues ?

N. DENDIAS : Je vous dirai. Tout d'abord, nous, en tant que gouvernement grec, chacun d'entre nous en tant que citoyen et être humain, avons le droit d'avoir nos propres points de vu, des préférences, des aversions, des sympathies. Mais le gouvernement grec, et évidemment le ministre des Affaires étrangères, n'a pas le droit d'exprimer une opinion sur les élections dans un pays voisin.  

La Grèce juge les gouvernements des pays en fonction de ce qu'ils disent et de ce qu'ils font. En ce qui concerne l'opposition, l'opposition turque a dit des choses qui sont peut-être encore pires que ce qu'a dit le président Erdogan.

Rappelez-vous que lorsque le président Erdogan a parlé des îles, l'opposition ne lui a pas dit de quoi tu parles. Elle lui a dit que ses paroles n'étaient pas accompagnées d'actes.

Par conséquent, nous ne nous faisons pas d'illusions. Nous savons très bien ce qui a été dit, mais, encore une fois, les élections peuvent toujours permettre un nouveau départ. La Grèce est prête, je le répète, absolument prête à répondre à une main amicale tendue de l'autre côté de la mer Égée.  

JOURNALISTE : Mais avant d'aborder les élections en Turquie, je voudrais vous demander si une rencontre pourrait avoir lieu entre-temps avec M. Cavusoglu après la brève conversation que vous avez eue avec lui à Bruxelles.

N. DENDIAS : Si cela s'avère nécessaire, les canaux de communication sont actuellement tout à fait ouverts. Bien sûr, nous nous dirigeons vers les élections, ce n'est pas le moment d'avoir une vaste discussion. C'est quelque chose qui aura lieu après que les sociétés des deux pays s’expriment par le biais de leur vote.
Mais ce qui est important, c'est qu'en ce moment, il y a ces canaux de communication qui peuvent permettre à nos pays de prendre le chemin des élections, comme vous l'avez très bien dit auparavant, dans une atmosphère  calme. Pour être honnête, il s'agit là d'une exigence absolue depuis plusieurs mois. Nous avons cherché à voir comment nous pouvions y parvenir et nous étions très préoccupés par l'intervalle entre les deux élections éventuelles en Grèce.  

JOURNALISTE : Il y a le soi-disant téléphone rouge, comme nous le disons nous les citoyens, être entre vous et M. Cavusoglu, c'est-à-dire que Nikos Dendias peut  appeler M. Cavusoglu au cas où quelque chose se passerait ou le concernerait.

N. DENDIAS : Il ne s’agit pas du tout de téléphone rouge, c'est mon téléphone portable. Notre relation est telle que je peux l'appeler à tout moment et je suis sûr qu'il répondra immédiatement. D'ailleurs, cela est déjà arrivé.

JOURNALISTE : Est-ce arrivé récemment et après les tremblements de terre ?

N. DENDIAS : Je veux être honnête. Je n'ai pas caché à la société grecque que je le connais depuis 17 ans et que je le connais bien. Il y a donc toujours eu une possibilité de communication.
Mais, bien sûr, pendant une certaine période, une longue période, les ordres du chef de l'État étaient de ne pas communiquer et M. Cavusoglu est un membre du gouvernement turc.
JOURNALISTE : M. Dendias, vous venez d'achever votre mandat de quatre années en tant que ministre des Affaires étrangères...

N. DENDIAS : Presque.

JOURNALISTE : Presque quatre ans au poste de ministre des Affaires étrangères.

N. DENDIAS : C'est long.

JOURNALISTE : Quel est le moment le plus difficile auquel vous avez été confronté ? Quel est le moment où nous avons été proches d'un incident grave, par exemple, avec la Turquie ?

N. DENDIAS : L’été de 2020 était très, très difficile pour tous les Grecs, c'était très, très difficile pour nos forces armées, pour leurs dirigeants, c'était très, très difficile pour moi aussi.
Il ne sert à rien de rappeler des épisodes ou de révéler des épisodes, car certains sont connus, d'autres ne le sont pas, mais la vérité est qu'à certains moments, nous sommes passés très près d'un point de non-retour, pour ainsi dire.
Néanmoins, grâce à une gestion judicieuse de la situation de part et d'autre, le pire a été évité et nous en sommes là aujourd'hui.
Ce qui est, je pense, très important, c'est que nous ne revenions pas à cette période. Je pense qu'il est bon, pour nous tous, autant que cela est possible, de l'oublier.

JOURNALISTE : L'été 2020 a été difficile.

N. DENDIAS : C'était une période très difficile.

JOURNALISTE : Un été très difficile.

N. DENDIAS : Un été très difficile.

{…….}

JOURNALISTE : Évidemment, mais j'ai entendu le Premier ministre parler à plusieurs reprises de l'État profond, et je me suis demandé si, au moins au cours des quatre dernières années, des mesures auraient dû être prises pour s'attaquer à ce gros monstre qu'est l'État profond dans notre pays, et c'est pour cela que j'ai posé la question.
{…….}

N. DENDIAS : {...} Si vous parlez de ce ministère en particulier, parce que c'est de lui que je suis responsable, nous avons fait un énorme effort pour changer complètement la nature et le fonctionnement de ce ministère. Cela prendra encore trois ans.
Aurions-nous pu le faire plus rapidement ? Je crains de dire que non particulièrement. Pourquoi ? Parce qu'une très grande partie de cet effort nécessitait un financement européen, ce qui n'était pas dans l'ADN de ce ministère.
C'est la première fois que ce ministère reçoit autant d’argent des fonds européens dans le but de changer la nature de ce ministère et la manière dont il sert la société grecque et ses intérêts.
Il tente d'intégrer la diplomatie économique, de modifier le mode de fonctionnement des services, de les numériser et d'avoir une compréhension complète et en temps réel de toutes les données. Il a déjà entamé une planification stratégique afin que le pays dispose d'un horizon à long terme.

Tout cela a nécessité un financement, il est donc difficile de dire que cela aurait pu être fait beaucoup plus rapidement. Bien sûr, il y a toujours le meilleur et je ne prétends en aucun cas que nous avons été parfaits ici.

Mais je prétends répondre de mes actes devant la société grecque et dire qu'un effort honnête a été consenti ici.

JOURNALISTE : Pour conclure, M. Dendias, vous avez dit qu'il faudrait encore trois ans pour mettre en œuvre ce projet, du moins tel que vous l'avez à l'esprit aujourd'hui.

N. DENDIAS : Dans ce ministère.

N. DENDIAS : C'est le ministère dont nous parlons toujours, donc si le parti de la Nouvelle Démocratie l’emporte aux élections, vous retrouverons-nous dans ce bureau où nous vous rendons visite aujourd'hui ?

N. DENDIAS : C'est au Premier ministre de décider. Comme je vous l'ai déjà dit, ce n'est pas mon bureau, c'est le bureau du ministre des Affaires étrangères du pays.

JOURNALISTE : Donc, en tant que ministre des Affaires étrangères, vous n'avez pas accompli tout ce que vous vouliez accomplir, comme vous l'avez en tête sur la façon dont la diplomatie grecque devrait aller de l'avant ? Je vous demande de nous dire votre point de vue personnel.

N. DENDIAS : La politique étrangère grecque a des défis spécifiques à relever après les élections. L'un concerne les relations avec la Turquie, l'autre l'achèvement de la campagne pour le Conseil de sécurité de l'ONU. Nous sommes très près d’y parvenir.

Et il y a les deux autres campagnes qui concernent le Conseil des droits de l'homme, la présidence de l'Assemblée générale des Nations unies ainsi que la communication avec des pays et des régions géographiques que nous n’avons eu le temps d’établir.

Je me réfère à une partie du Pacifique, l'Australie, l'Indonésie, la Nouvelle-Zélande, les plus petits pays  de la région, les Philippines et une partie de l'Afrique, je parle de l'Afrique de l'Est, puisque avec l’Afrique de l'Ouest nous avons déjà fait beaucoup de progrès.

Ce sont des choses qui doivent être faites pour créer une approche holistique et une vision holistique de la politique étrangère du pays. Pour que la politique étrangère du pays ne soit pas éternellement déterminée par le dossier gréco-turc.
Nous avons également un rôle très important à jouer dans les Balkans, dans le dialogue Belgrade-Pristina, en Bosnie-Herzégovine, dans la nouvelle réalité du Monténégro. Ce sont là autant de défis auxquels le pays devra faire face. La personne qui relèvera ces défis sera choisi par le Premier ministre, lequel sera choisi par le peuple grec.

JOURNALISTE : Monsieur Dendias, merci beaucoup de nous avoir accueillis aujourd'hui dans votre bureau, dans le bureau du ministère des Affaires étrangères et du ministre des Affaires étrangères. Merci beaucoup de votre présence au principal journal télévisé de la chaîne de télévision d'Action 24.

N. DENDIAS : Merci beaucoup, portez-vous bien.






April 6, 2023