Intervention du ministre des Affaires étrangères, Nikos Dendias à la « 24e table ronde avec le gouvernement grec » lors de la conférence de l’Economist (Athènes, 16.09.2020)

N. DENDIAS : Je vous remercie de me donner la parole. Personnellement, je dirais que la présence du ministre turc des Affaires étrangères, M. Çavuşoğlu me manque. Il est un ami de longue date. J’espère que l’année prochaine la situation se normalisera de sorte à ce que M. Çavuşoğlu puisse être assis ici, à côté de M. Christodoulidis.

Mais la présence également de Sameh Shoukry à cette rencontre et son invitation en disent long sur la dynamique de la région et la façon dont elle se développe.

Ce que je vais dire n’est pas nouveau. La Grèce se trouve depuis toujours au carrefour des continents et des mers, mais aussi de crises et la politique étrangère grecque est toujours confrontée à des problèmes difficiles à résoudre. Des crises multiples, Chypre, le Moyen-Orient, la Syrie, la Libye. La Grèce aussi est appelée à gérer les flux migratoires qui sont en grande partie la conséquence des crises sévissant bien au-delà de sa région. Elle est appelée à les gérer pour son compte – mais la Grèce est un pays de petite-moyenne taille – et pour le compte de l’Union européenne, dont elle constitue un bouclier du côté de l’orient.

Et parce que la loi de Murphy est toujours d’actualité, à l’heure où la Grèce s’efforce de sortir d’une crise économique de dix ans et de commencer à se développer, elle est appelée à lutter contre la crise de la pandémie. Soit trois crises en une.

Et certes, comme nous l’avons tout à l’heure dit, une conséquence de ces crises sont les flux migratoires. Les flux migratoires sont croissants et ils ne visent pas seulement la Grèce, mais l’Union européenne dans son ensemble. Permettez-moi de redire ce que je pense profondément, à savoir que l’Union européenne est le projet le plus ambitieux dans l’histoire de l’humanité et elle s’efforce d’être à la hauteur en accueillant, dans la mesure de ses capacités, des millions de migrants. Elle œuvre dans le but d’adopter un nouveau système européen d’asile et de migration, basé sur l’acquis européen, la logique de la solidarité et de la responsabilité.

Car l’Union européenne est invitée à défendre également un espace géographique et quelque chose de plus élargi et de plus important. Un espace de droit. Un espace de respect de la souveraineté et des droits de l’homme. Un espace de compréhension et de solidarité.

Certes tout le monde en Europe et à l’extérieur de celle-ci, comprend bien qu’il est injuste que les pays de la périphérie européenne et de première entrée assument le plus gros poids de l’accueil des migrants. Et tout le monde s’accorde pour dire, même s’il y a des points de vue divergents, qu’ils sont appelés à répondre au problème commun, que des réponses supplémentaires doivent être apportées. Les réponses existantes ne sont pas suffisantes.

Mais il y a une convergence de vues sur une question essentielle. A savoir que la question migratoire ne peut être utilisée par des pays voisins de l’Union européenne comme un outil servant des finalités géopolitiques. L’instrumentalisation est illégale et inhumaine et c’est pourquoi elle est totalement inacceptable.
Nous avons vu cette perception se concrétiser dans le cadre de la dernière crise de février et de mars lorsque l’ensemble des pays européens se sont portés solidaires de la Grèce.

Nombreux sont ceux qui affirment que la diplomatie – en dépit des décisions répétées du Conseil de Sécurité des Nations Unies par exemple et des nombreuses initiatives – n’a pas réussi à apporter des solutions définitives aux crises durables que connaît notre région.

Et que, par conséquent, la diplomatie a échoué. Nous, en Grèce, soutenons que la diplomatie n’a simplement pas encore eu le résultat escompté et qu’il est impératif de coordonner nos efforts afin de parvenir à des solutions pacifiques, politiques aux crises.

La perpétuation des crises, comme l’on dit en Grèce, et les soi-disant solutions militaires sont loin de constituer des solutions et certes la loi du plus fort ne peut apporter des solutions.

Le gouvernement de Mitsotakis et tous les gouvernements grecs, dois-je dire, ont toujours opté pour une solution par la voie du dialogue diplomatique et non pas par la voie armée. Je dois dire toutefois que notre pays dispose d’une armée dont elle est bien fière.

Néanmoins, comme on a toujours coutume de dire et cela est bien clair, le vrai rapport de force n’est pas le fruit de l’arrogance médiévale. Le droit international et le règlement pacifique des différends à travers le dialogue constituent le seul choix admissible pour tout Etat membre moderne régi par des lois de notre communauté internationale. Et bien évidemment je parle avant tout de la Grèce.

Malheureusement, la Grèce est confrontée à une politique turque qui se veut puissante et qui ne se limite pas à la question migratoire. C’est une politique néo-ottomane, révisionniste à l’égard du statut juridique de la région, mis en place par une série de traités internationaux délimitant les Etats de la Méditerranée orientale et fixant les règles régissant nos relations. Il s’agit d’une politique expansionniste aux dépens non seulement de la Grèce mais aussi de Chypre, de l’Irak, de la Syrie et de la Libye.


Mesdames et Messieurs,

Il semble que les frontières du cœur ou les frontières de la patrie bleue, selon la perception turque, ne relèvent pas, toujours selon la perception turque, de la légalité internationale. Et, donc, la Turquie tente à créer une nouvelle réalité en négligeant l’évidence, à savoir que l’attitude infractionnelle ne peut constituer un fait générateur de droit.

La signature des deux accords turco-libyens illégaux avec le gouvernement de Tripoli ont été également le symptôme de cette attitude infractionnelle. A travers l’un de ces deux accords qui portait sur les soi-disant zones maritimes entre les deux pays il y a eu une tentative d’usurpation des droits souverains des îles grecques, telles que Crète et Rhodes.

Un autre symptôme de cette attitude infractionnelle a été la tentative du navire de recherche sismique Oruc Reis de mener des recherches illégales sur le plateau continental grec.

La communauté internationale a constaté – j’ose espérer – et nos amis en Europe et dans la région l’ont bien évidemment constaté également que la Grèce a fait preuve de patience et de grande retenue. Et, bien évidemment, on espère que l’attitude infractionnelle n’est pas la seule réponse que veut donner la Turquie à la nécessité de délimiter la zone économique exclusive et le plateau continental avec ses pays voisins et avec la Grèce bien sûr.

Les délimitations légales entre les Etats sont devenues et sont, non seulement en Méditerranée mais aussi dans plusieurs régions maritimes de la planète, la seule voie légale. La Grèce, et à ce stade je reviendrai sur la question initiale concernant l’efficacité de la diplomatie, après des décennies marquées de difficultés dans la prise de décisions à cet égard, a signé des accords avec l’Italie et l’Egypte, deux accords qui constituent des modèles d’application des règles du droit international.

Ainsi avons-nous soumis de la manière la plus solennelle notre perception de la façon dont les différends doivent être résolus et nous poursuivrons nos efforts dans la même direction.

Il y a peu, le Premier ministre de l’Albanie, Edi Rama était assis exactement à la même place et a décrit en effet les actions qui ont commencé à être entreprises dans cet effort visant à régler ce différend avec la Grèce.

Et, bien évidemment, la Grèce poursuivra ses efforts en vue de trouver un moyen de régler son différend avec la Turquie. Dès lors, bien évidemment, que la Turquie le permettra. Dès lors que la Turquie comprendra que l’époque de la politique des canonnières est révolue il y a près d’un siècle et que la Méditerranée orientale peut devenir une mer de paix et de prospérité pour tous les Etats et tous les peuples.

Nous, en Grèce, nous avons l’ambition et essayons de contribuer à la transformation du carrefour balkanique et méditerranéen marqué par des crises permanentes en un passage à niveau et une mer de coopération et de compréhension mutuelle.

Et je veux être clair à cet égard.

Notre perception et notre projection dans l’avenir comprennent aussi une Turquie moderne. On espère que cela sera notre avenir commun et l’héritage que nous lèguerons aux prochaines générations. Je vous remercie ».

ANIMATEUR : Une question. A l’heure actuelle, s’agissant de la situation actuelle en Méditerranée orientale, avec la Turquie, comment sont évaluées les récentes évolutions ? Est-ce que le climat est moins tendu ? Y a-t-il eu une désescalade ou bien nous trouvons-nous toujours confrontés à la même situation ?

Ν. DENDIAS : Merci beaucoup de votre question. Je dois dire qu’il y a eu un bon signe de la part de la Turquie. Le navire Oruc Reis a quitté le plateau continental. Il se trouve dans son port, à Antalya, en Turquie.

Si ce signe initial atteste de l’attitude qu’adoptera la Turquie, cela est un élément positif et je tiens à répéter les propos du Premier ministre, M. Mitsotakis : « La Grèce est toujours prête à discuter. Mais pas sous la menace, sous la pression et le chantage ».

Bref, le climat aujourd’hui est meilleur que ce qu’il était il y a quelques jours.  Espérons que la Turquie continuera de faire preuve de cette attitude et qu’elle fera place au dialogue, à la discussion et, lors de l’étape finale, aux négociations également.

September 16, 2020