Chers amis et collègues, Ioannis et Enrico,
Monsieur l’ambassadeur,
Mesdames et Messieurs,
C’est toujours un très grand plaisir pour moi de participer à une conférence de l’Economist. Permettez-moi de vous dire que la première fois que j’ai lu le magazine Economist j’avais 18 ans et depuis je collectionne tous les numéros. Un compagnon de réflexion, une analyse toujours intéressante. Que l’on soit d’accord ou pas, sa lecture a toujours quelque chose à apporter à son lecteur.
Toutefois, aujourd'hui, l’Economist nous invite à résoudre, cher Daniel, une équation difficile, intéressante pour notre région. Comment peut-on exercer une diplomatie efficace dans un environnement complètement instable ? Car, ne nous cachons pas derrière notre doigt, l’invasion russe de l’Ukraine constitue un tournant pour la sécurité européenne. Toutes les choses que l’on considérait comme étant acquises, maintenant elles ont été renversées. Des principes fondamentaux de la réalité européenne et mondiale, le respect de l’intégrité territoriale, de la souveraineté nationale, des règles fondamentales du droit international. Tout cela a cessé d’être une évidence en Europe.
Quelle est notre réponse ? Je pense que nous avons une réponse aussi grise que soit la réalité. Notre réponse est la sauvegarde et la promotion d’une communauté internationale de règles. La remise en cause de ces règles a été pour de nombreux pays occidentaux un réveil subit désagréable.
Je dois dire à cet égard que pour Chypre et pour la Grèce ce réveil n’est pas quelque chose de nouveau. Nous avons appris à vivre pendant de nombreuses années, depuis 1974 au moins, avec la contestation de ces règles. Nous avons appris à vivre avec une menace existentielle. Nous sommes le seul pays, nous, la République hellénique, sur la planète qui vit sous une menace de guerre permanente et formulée. Et, récemment, nous assistons à une escalade de la rhétorique agressive et à une augmentation des provocations sur le terrain également.
Et je dois vous dire que jusqu’à récemment une très large partie de la communauté internationale considérait cette contestation des règles et de la légalité dans notre région comme étant un problème un peu régional, voire parfois sans importance.
Toutefois, maintenant, l’ensemble de la communauté internationale assiste à une résurgence du révisionnisme en tant que théorie et, bien pire, en tant que pratique. Soit sous un manteau néo-tsariste ou néo-ottoman.
Ce que je veux dire est que les moyens utilisés par les pays révisionnistes ont beaucoup en commun :
● la menace de recours à la violence, le recours à la violence elle-même, l’occupation de territoires étrangers.
● les attaques hybrides, en mettant l’accent sur la propagande, la désinformation, les fameuses fausses nouvelles (fake news).
● Et plus récemment, le nouveau outil, l’instrumentalisation de la question migratoire, du désir de l’homme pour une vie meilleure.
Et comme on l’a tout à l’heure dit, la question est de savoir quelle est notre réponse, quelle est la réponse de nos sociétés à ces défis. Et je vous dis franchement, aussi complexe et difficile à gérer que cela puisse paraître pour notre continent, nous pensons que la réponse se résume en trois mots fondamentaux pour l’Europe : approfondissement de l’intégration européenne.
Nombreux ont été ceux qui ont critiqué, contesté le projet européen. Toutefois, permettez-moi de vous dire quelque chose que je répète très souvent : le projet européen est tout nouveau. Sous sa forme actuelle, il n’a que 70 ans. Et en réalité, c’est comme les religions monothéistes, à l’exception de l’Islam, il faut des centaines d’années afin qu’elles soient bien établies. Le projet européen est toujours en évolution pour ne pas dire qu’il en est encore à ses débuts. Et il doit être développé à travers l’approfondissement et l’élargissement.
L’Union européenne est une union de principes et de valeurs. Et, avec beaucoup de fierté, je dis qu’elle est l’exemple le plus réussi de coopération étroite entre Etats dans l’histoire de l’humanité. Les principes que notre pays partage aussi constituent dans le même temps l’évangile de notre politique étrangère. Le respect du droit international, du droit international de la mer qui fait partie, il ne faut pas l’oublier, de notre acquis communautaire. Le respect de l’être humain, de sa personnalité, le respect des droits des femmes. Dans un tel cadre de compréhension, mêmes les problèmes qui apparaissent aujourd’hui très difficiles et inaccessibles, peuvent être réglés. Mais tous les acteurs doivent accepter cet acquis. Et, je le dis avec tristesse, nous en sommes encore loin.
Par conséquent, l’Union européenne, pour pouvoir opérer dans cet environnement instable, n’a qu’une seule réponse : devenir elle-même beaucoup plus stable. Et après elle doit projeter cette stabilité au-delà de ses frontières. Elle doit c’est-à-dire mettre en avant sa puissance douce sur la scène internationale. Le défi majeur auquel est confrontée l’Union, et que l’Economist expose dans son dernier numéro, est de pouvoir, dans ce grand effort, en ce moment difficile, rester unie et relever les défis : les défis liés à l’énergie, à l’inflation, à la contestation. Et de pouvoir prendre de concert les décisions nécessaires à la protection de ses propres frontières extérieures et continuer d’imposer des sanctions à ceux qui enfreignent le droit international.
En d’autres termes, elle doit souligner, par sa pratique, sa diversité structurelle face aux révisionnismes obsolètes d’autres puissances. Et de se persuader elle-même de la nécessité de soutenir ses membres lorsque ceux-ci sont menacés.
Cela est à mon avis peut-être le résultat le plus bénéfique de cet énorme anachronisme que constitue l’invasion russe de l’Ukraine.
Et je tiens à souligner que ce choix, à notre avis, constitue une voie à sens unique. Et tous les Etats membres ont l’obligation de l’encourager. Nous, la Grèce, un pays de taille petite et moyenne, aux confins de l’Europe, faisons tout ce qui est en notre pouvoir dans ce sens.
Nous construisons des ponts avec des pays de notre région élargie. Au Moyen-Orient, dans le Golfe. Mais aussi, bien au-delà, avec la Chine, l’Inde, l’Australie, la Nouvelle Zélande, le Vietnam. Et nous espérons que tous les pays partageront notre façon de voir les choses.
Et d’autre part, nous comptons sur nos relations excellentes avec les Etats-Unis, notre partenaire historique au-delà de l’Atlantique qui cette année nous ont fait un grand honneur : ils ont confié le rôle de représentant des leurs intérêts en Grèce à un Gréco-américain, le nouveau ambassadeur des Etats-Unis, M. Tsounis. Je pense que ce choix et cette personne méritent vos applaudissements chaleureux. Mais la Grèce voudrait quelque chose de plus, monsieur l’ambassadeur. Que votre présence ici marque le début d’un choix permanent, afin que les Etats-Unis soient représentés en Grèce toujours par un Gréco-américain.
Je répète, les défis auxquels nous sommes confrontés sont multiples et incroyables. Ce sont des défis qui renvoient à un passé auquel l’humanité pensait avoir échappé pour toujours. Malgré leur caractère complexe, le chemin est simple, clair, précis et permettez-moi de le dire, unique. L’application fidèle, absolue, exportable du droit international. Et telle est la voie que suit systématiquement la politique étrangère grecque.
Je vous remercie.
July 5, 2022