Interview accordée par N. Kotzias, ministre des Affaires étrangères, au Journal des Editeurs (21 juillet 2018)

Interview accordée par N. Kotzias, ministre des Affaires étrangères, au Journal des Editeurs (21 juillet 2018)JOURNALISTE : L’accord de Prespès a même été salué par le Parti populaire européen dont les membres sont les partis VMRO et la Nouvelle Démocratie. Toutefois, depuis Belgrade on n’a pas eu des messages positifs. Pourquoi ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : L’accord de Prespès a mis en avant les différences qui existent entre les forces qui sont prisonnières du passé – et à l’égard de nombreuses questions elles optent pour l’inertie – et celles qui croient, comme nous, en une politique étrangère démocratique active qui veut changer et améliorer les conditions prévalant dans la région. Nous ne voulons pas que l’histoire soit une prison mais une école. La Nouvelle Démocratie et la VMRO sont alimentées par les problèmes. Et nous par leur règlement.

Quant à certains nationalistes à Belgrade qui sont heureusement une minorité, j’ai le sentiment que cet accord a mis fin à leurs « rêves » d’asseoir de nouveau leur hégémonie sur la région. A l’ encontre de ces milieux, je pense que la majorité des puissances politiques et de la société serbe sont favorables à l’accord.

JOURNALISTE : La Russie non plus n’est pas particulièrement heureuse de l’adhésion de l’ARYM à l’OTAN. Est-ce que la Russie a exprimé sa contrariété à cet égard ? Est-ce la cause de l’expulsion des deux diplomates russes ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Nous exerçons notre politique en fonction de nos intérêts nationaux. La Russie doit comprendre qu’elle ne peut pas se montrer irrespectueuse des intérêts nationaux d’un autre Etat pour la seule raison qu’elle se sente en position de puissance par rapport  à lui. Nous n’accepterons pas, et nous l’avons prouvé,  une attitude de ce genre que ce soit de la part  de l’Occident ou de l’Orient.

Par ailleurs, je dois vous dire que je m’intéresse plutôt aux réactions intérieures qui ne prennent pas en considération ces intérêts. Lorsque j’ai soulevé la question du retrait de l’armée d’occupation de Chypre, ils m’ont incité à faire preuve de compréhension à l’égard des demandes de la Turquie afin que cette dernière maintienne son armée d’occupation sur l’île. Lorsque j’ai voulu régler la question du nom et mettre, par conséquent, fin aux revendications des tiers dans la région – et surtout à celles des islamistes – ils m’ont faussement accusé d’avoir cédé la Macédoine grecque. Maintenant ils me disent de faire preuve d’indulgence à l’égard des activités d’espionnage des pays tiers dans notre pays. Tous ceux qui affirment cela, prétendent être des super patriotes mais en réalité ils ne servent que des intérêts des tiers.

JOURNALISTE : L’accord de Prespès a suscité des réactions politiques à l’intérieur des deux pays et l’opposition a même utilisé dans ces deux pays quasiment les mêmes arguments. Etes-vous préoccupés par le fait que cette polarisation pourrait avoir des conséquences plus importantes, au moins en ce qui concerne la Grèce ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : L’opposition dans les deux pays utilise un discours de haine. Ils cultivent la haine politique sous tous ses aspects : tant à l’intérieur, qu’au niveau des relations interétatiques. La Nouvelle Démocratie rejette l’accord au motif que nous avons tout cédé à Skopje. Ivanov et son parti ne ratifient pas l’accord au motif que cet accord constitue une soumission de son pays à la Grèce. Si l’on combine les  deux, on pourrait facilement conclure qu’il s’agit des partis dans les deux pays qui sont alimentés par ce discours, par le non règlement des problèmes et par l’inertie. Ils n’ont pas compris l’histoire, les évolutions géopolitiques dans la région, tandis que, s’agissant de l’accord, ils ne comprennent pas même un paragraphe du droit international.

En fin de compte, je ne suis pas préoccupé par ce différend sur l’accord. Cela est normal d’un certain point de vue. Je suis plutôt préoccupé par  l’issue de cette diffusion et légalisation du discours de haine de l’extrême droite.

JOURNALISTE : Quel message voudriez-vous transmettre aux citoyens qui s’opposent à l’accord ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Je leur dirai de lire, de mieux étudier l’accord. D’entendre aussi les autres points de vue. D’évaluer dans la pratique la mesure dans laquelle ces dangers qu’invoque l’opposition existent réellement. Par exemple, une dame me disait qu’à travers cet accord Thessalonique deviendra la capitale de Skopje. Comme le dit notre peuple, tout ce qui se construit sur le mensonge et la tromperie ne peut pas durer.

Le fait que la majorité écrasante des historiens qui étudient la question macédonienne et des professeurs de droit international, public et privé compétents en la matière ainsi que des diplomaties et des experts spéciaux soutiennent l’accord, n’est pas une pure coïncidence. Cela a été aussi évident jeudi lors de la conférence que nous avons organisée au ministère sur les aspects juridiques de l’accord de Prespès.

JOURNALISTE : Quels sont les dangers qui pèsent sur les deux gouvernements en raison de cette longue feuille de route menant à la finalisation de l’accord ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : La direction de la Macédoine du Nord doit remporter le référendum et le vote pour le changement de la constitution. De notre côté, nous devons continuer d’assurer la majorité en faveur de l’accord au sein du parlement. Nous devons de concert lutter contre ce discours de haine car nous voulons vivre en paix avec le peuple du pays voisin. Les intérêts entre les deux pays sont plus proches de ceux de l’ARYM que de tout autre pays de la région.

JOURNALISTE : Pourriez-vous nous décrire un ou deux moments cruciaux de la négociation lors desquels vous avez pensé que tout était perdu ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Au cours de mon parcours, en tant que ministre mais aussi en tant que haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères autrefois, j’ai mené un grand nombre de négociations. Fort de mon expérience, je pense qu’il faut que toute notre attention soit axée sur les négociations en fonction des besoins et des intérêts du pays, de notre parcours européen, tout en évaluant dans le même temps, dans un esprit de réalisme, les besoins de l’autre partie aussi. Pendant ces négociations il y a eu beaucoup de moments difficiles et très peu de moments agréables. On doit faire preuve de sang-froid, garder notre orientation et ne pas laisser les difficultés  nous éloigner de notre objectif. On doit faire preuve de retenue et trouver des solutions pour les problèmes qui surgissent.

Le moment le plus difficile était quand on avait terminé la négociation et que tout le monde n’était pas du même avis à cet égard. Il était difficile aussi de convaincre, chose à laquelle je suis finalement parvenu, l’UE et l’ONU de nous laisser élaborer l’agenda et les solutions.

Car plus il y a de personnes impliquées, sous différents prétextes ou avec de bonnes intentions, plus la négociation devient complexe et difficile. Heureusement, l’ONU y a contribué de par son rôle et tous les autres sont restés loin de la négociation. Le stade le plus difficile de la négociation elle-même était la question liée aux changements constitutionnels.

JOURNALISTE : A quel moment avez- vous réalisé que l’accord serait finalement conclu ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Comme vous le savez, je ne suis pas un homme politique de carrière. Je suis un « animal politique » depuis mon plus jeune âge.  Sur la grande scène politique internationale, j’ai accepté de contribuer à l’atteinte d’une solution aux problèmes et à la sortie de la politique étrangère grecque de la boue de la soumission et de l’inertie.

Lorsque l’accord a été conclu, il est vrai que j’ai savouré quelques moments de joie.  Mais comme vous le savez, la politique, d’après au moins mon expérience pendant toute la période que je suis à son service, a le désavantage d’être amère et l’avantage de n’être jamais ennuyante.

JOURNALISTE : Vous avez annoncé à l’avance l’accord sur la ZEE avec l’Albanie et les réactions de l’opposition dans les deux pays ne se sont pas fait attendre. Craignez-vous une réaction similaire à celle déclenchée à l’égard de la question macédonienne ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS: Nos problèmes avec l’Albanie datent même depuis 90 ans. Ces problèmes demeurent irrésolus parce qu’ils se sont manifestés dans une large ampleur après la fin de la guerre froide et, de plus, les gouvernements précédents même s’ils ont voulu régler certains d’entre eux, n’ont pas réussi. Par exemple le problème de l’état de guerre. Est-ce que nous pouvons continuer de prétendre que nos deux pays sont en état de guerre ? L’opposition de part et d’autre des frontières, essaye d’exploiter la charge émotionnelle que cela revêt pour les citoyens. Elle essaye de reproduire les stéréotypes négatifs et les préjugés entre les peuples. Ils sont même allés jusqu’au point de dire que la Grèce perdra l’Epire du nord. Ma réponse est qu’il faut qu’ils cherchent à savoir si la catastrophe de l’Asie mineure est de ma faute… 

Je pense que  notre peuple apprend petit à petit à soutenir des solutions et non des problèmes. Par conséquent, j’ai l’espoir qu’il y aura une attitude plus mûre à l’égard du règlement des différends que nous avons avec l’Albanie. Nous voulons l’amitié entre les peuples et une politique en faveur de la coexistence pacifique entre nos sociétés. Personnellement, j’ai toujours été fier de mes étudiants et étudiantes albanais à l’université du Pirée lesquels sont devenus maintenant des professeurs dans leur pays.

JOURNALISTE : Dans quelle stratégie s’intègrent le bon voisinage et l’amitié avec nos voisins au nord ? Quels seront les avantages stratégiques, économiques et politiques pour la Grèce ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Le développement social et économique du pays est facilité et renforcé par le développement de la région. De plus, avec nos trois voisins au nord, nous avons commencé à élaborer une politique de coopération et d’actions communes à travers laquelle on jettera les bases, je l’espère, de notre coopération future au sein de l’UE.

Il est également important d’assurer à travers le parcours européen de ces Etats leur affranchissement de l’expansionnisme turc et des mouvements islamistes puissants qui veulent exploiter le nationalisme dans des Etats de la région et le transformer en fanatisme religieux.

Par conséquent, notre politique est une stratégie économique, sociale, culturelle pour le développement de notre pays et celui de notre région, sur la base des principes et des valeurs de la politique de la coexistence pacifique, loin des fanatismes de toute sorte, dans l’intérêt des Etats et de nos peuples. Tout le monde nous considère comme des dirigeants de la région mais un tel exercice nécessite de notre part de lutter contre toute forme d’arrogance, d’insolence, contre tout effort visant à asservir les autres. Cela nécessite un esprit d’amitié et de coopération, de consensus et de compromis. Cela nécessite  l’esprit de Rigas Feraios.

JOURNALISTE : A votre avis quelle sera l’attitude de la Turquie après les élections et comment évolueront les relations gréco-turques ? Qu’attendez-vous d’Ankara ? Un geste au sujet de la détention des deux soldats grecs ? Des tensions en Egée et dans la ZEE chypriote ? Une rencontre entre Tsipras et Erdogan ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : La Turquie est un voisin difficile. Sa direction politique est nerveuse et avec une tendance au révisionnisme.

Dans le même temps, il été prouvé que cette direction politique résiste à l’épreuve du temps et elle est charismatique pour son peuple. Je ne suis pas un prophète mais je peux vous dire ce qu’il faut faire afin d’éviter que ces relations évoluent d’une manière négative.  Je pense qu’on doit reconnaitre qu’une série de problèmes que nous avons avec la Turquie doivent être réglés sur la base du droit international.

Il faut  développer de manière pacifique nos relations, renoncer à toute sorte de provocations, ainsi qu’assurer le développement ultérieur de nos relations économiques et sociales dans l’intérêt de nos peuples. Avant tout, la question chypriote doit être réglée sur la base des résolutions de l’ONU  et les forces d’occupation doivent être retirées. Nos voisins doivent cesser de rêver des îles de l’Egée et comprendre que la minorité musulmane grecque de Thrace s’est considérablement accrue alors que la communauté grecque en Turquie a subi pas mal d’épreuves. Dernier point, mais tout aussi important et revêtant un caractère symbolique : la Turquie doit libérer les deux soldats Grecs.

JOURNALISTE : L’exploitation des réserves énergétiques de la Méditerranée du Sud-est et le passage des pipelines par la Grèce en direction de l’Europe posent également un problème de sécurité des installations et des routes énergétiques. Comment envisagez-vous de gérer cette question ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : A travers le renforcement des liens entre la Grèce et Chypre, le développement de nos alliances dans la région et en faveur de la région. Dans le même temps, nous chercherons à avoir de meilleures relations avec la Turquie mais cela ne dépend pas seulement de nous. Nous contribuerons à la prévention de l’exportation des crises et des guerres du Moyen-Orient à la Méditerranée  orientale. Les deux régions sont largement adjacentes mais elles ne se recouvrent pas. Je pense que nos partenariats tripartites dans la région (avec l’Egypte, l’Arménie, la Jordanie, Israël, le Liban et la Palestine) ainsi que le grand partenariat de Rhodes pour une nouvelle structure de sécurité et de stabilité dans la région à laquelle participent 25 Etats et organisations internationales contribueront dans une telle direction.

JOURNALISTE : Qu’attendez-vous de nouveau de la nouvelle initiative du S.G. de l’ONU pour ce qui est de la reprise des pourparlers sur la question chypriote ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Par le passé à chaque  nouveau tour des pourparlers les positions acquises lors de la précédente négociation étaient perdues. Toute nouvelle proposition était un pas en arrière par rapport aux propositions précédentes. Pour la première fois cette tendance historique a été renversée. Les conditions seront plus avantageuses pour la nouvelle négociation qui sera lancée par rapport à celles fixées par M. Eide. On entamera les négociations avec les propositions du très sérieux S.G. de l’ONU, telles que celles-ci ont été formulées à l’issue des discussions à Crans-Montana. Nous avons consolidé la position d’après laquelle les traités des garanties et de l’alliance ne pourront plus être maintenus. Et pour ce qui est de ce dernier point, j’en suis particulièrement fier car lorsque je l’ai soulevé  lors de la négociation, la plupart de mes interlocuteurs, à l’exception du Premier ministre A. Tsipras et de mes collègues du parti « PRATTO », se montraient sceptiques et même hostiles à cette idée, particulièrement ceux en dehors de la Grèce.

JOURNALISTE : De quelle façon la composition du gouvernement et les nouveaux équilibres à Berlin influent-ils sur l’orientation de l’UE, pour ce qui est plus particulièrement de la question des réfugiés ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : On verra. A l’égard de la question des réfugiés, on doit adopter une politique européenne cohérente et éviter les stratégies nationales contreproductives qui ne sont qu’un jeu à somme nulle. Dans la phase initiale de la crise des réfugiés, l’Allemagne s’est montrée très accueillante. Maintenant, elle semble l’avoir regretté.

J’espère que les réflexions positives et constructives prévaudront à son intérieur.  J’espère que l’Allemagne choisira de forger une alliance avec la France et le Sud et n’adoptera pas des positions nationalistes. Sinon, l’Europe sera confrontée à de grands problèmes.

July 21, 2018