JOURNALISTE : Le gouvernement ne souhaite pas que l’incident avec les deux militaires grecs se transforme en un incident diplomatique. La question toutefois est de savoir jusqu’à quand peut-on nous attendre à ce que les militaires soient libérés.
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Chaque jour qui passe est un jour de plus marqué par cette attitude provocatrice de la Turquie qui se poursuit. Un geste lequel, pour le moment, constitue un effort visant à créer une crise de basse intensité. La diplomatie grecque, sans tambour ni trompette, procède à toutes les actions nécessaires à la défense de l’intérêt national ainsi que des droits des officiers grecs. Nous prenons note des comportements provocateurs de la Turquie à nos dépens ainsi qu’aux dépens de tiers, tels que l’intervention en Syrie et en Irak, l’incident avec l’avion russe abattu par la Turquie, les ressortissants allemands mis en détention pendant une longue période et l’attitude belliqueuse de la Turquie par rapport aux Etats-Unis. Nous invitons la Turquie à ne pas essayer de transformer cette situation en un incident politique majeur et de faire perdurer la violation du droit international.
JOURNALISTE : Où en sommes-nous avec la question du nom de l’Ancienne République Yougoslave de Macédoine ? Sommes-nous près d’atteindre une solution ou non ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Il nous reste encore beaucoup de travail à faire. Toutefois, il y a de fortes chances par rapport aux années précédentes qu’un règlement soit atteint. J’affiche un optimisme prudent. Je connais les difficultés et je sais combien sont les obstacles auxquels peuvent se heurter les négociations. Il ne faut pas déborder d’enthousiasme lorsque les choses semblent faciles, ni plonger dans la déception lorsqu’il y a des difficultés. Tous ceux qui travaillent dans le domaine de la diplomatie doivent transformer l’enthousiasme en énergie positive et faire face aux difficultés en vue de les surmonter.
JOURNALISTE : A quoi est dû le fait qu’une solution peut être finalement trouvée ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : A de nombreux facteurs. Tout abord, cela est dû à la politique de principes que nous avons suivie tout au long de cette dernière période. Nous ne nous sommes pas mêlés des affaires intérieures du pays voisin. Même aux moments marqués par la crise la plus grave, nous n’avons pas pris position, contrairement à d’autres Etats membres de l’UE. Nous avons fait preuve de responsabilité et de modération en raison des conditions spéciales qui régissent nos relations. Le plus important est le fait que nous avons mis en route depuis 2015 les mesures de confiance qui ont beaucoup aider à créer un meilleur climat. Bien évidemment, le changement de gouvernement dans le pays voisin a aussi beaucoup contribué dans ce sens.
JOURNALISTE : Sur quoi portent les mesures de confiance ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Elles portent sur une multitude de domaines d’action sociale et économique, de la mise en place d’un nouveau gazoduc et du nettoyage de l’oléoduc existant jusqu’à la coopération entre universités, associations culturelles, municipalités et sapeurs-pompiers. Tout cela montre combien nous pouvons développer les relations entre nos deux pays et combien cela sera bénéfique pour ces relations.
JOURNALISTE : Le gouvernement du pays, du moins dans ses discours, semble ne pas accepter le changement de sa constitution. Est-ce qu’il y a des solutions alternatives ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Le changement de la constitution du pays voisin et ami signifie premièrement appliquer le principe d’erga omnes, à savoir l’utilisation de la nouvelle appellation pour tous les usages, au niveau international et national, et éviter les frictions futures qui pourraient surgir sans ce changement. Deuxièmement, cela signifie qu’un gouvernement différent dans le pays voisin ne pourra pas dans le futur demander des comptes pour violation de la constitution dès lors que l’accord international « dérogera » à ses dispositions.
JOURNALISTE : Pourquoi des frictions ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Parce que, lorsqu’ à l’époque de la mondialisation deux appellations différentes sont utilisées, une pour un usage international-extérieur, et l’autre pour un usage intérieur, les frictions sont, disons-nous, monnaie courante. A l’époque de la mondialisation, le document intérieur a aussi un usage international et cela provoquera toujours des frictions pour violation ou non de ce qui a été convenu.
Aujourd’hui par exemple, pour voyager dans de nombreux pays il suffit d’être muni d’une carte d’identité et pas obligatoirement d’un passeport qui est un document à usage international. La solution donc ne réside pas dans l’imposition de l’usage de l’un ou de l’autre document, mais dans la conclusion d’un accord global qui comportera tous les compromis mutuels nécessaires. Et ce, non pour rendre les choses plus faciles en apparence mais pour parvenir à une solution durable et stable. Dans la politique internationale on doit faire des compromis bons et constructifs qui résisteront au temps et non pas de mauvais compromis.
JOURNALISTE : Est-ce que ces changements seront opérés d’un seul trait et les compromis seront appliqués sur place ou est-ce qu’il y aura un calendrier ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : L’accord doit être un accord global. Cet accord doit comprendre toutes les questions dont nous discutons avec l’ONU : l’éradication des phénomènes d’irrédentisme et la prévision des mesures et des traités pour éviter leur réapparition, le soutien de l’adhésion du pays voisin aux organisations internationales et des actions communes.
Les actions communes ainsi que les mesures de confiance feront partie d’un plan d’action qui comportera les éléments positifs de notre coopération future dans tous les domaines de la politique internationale, économique et sociale, tels que la culture et la prestation de soins de santé. Afin d’entreprendre toutes ces actions, il nous faut bien évidemment des calendriers. On ne peut changer le monde en un jour. Même Dieu a mis six jours, selon l’Ecriture sainte pour créer le monde.
Cela ne correspond bien évidemment pas à une méthode abstraite, dite « tactique du salami », mais il s’agit plutôt d’un élément s’inscrivant dans une programmation et d’une attitude réaliste, déterminée et responsable.
JOURNALISTE : Est-ce qu’un accord international entre les deux pays suffirait afin qu’il ne soit pas nécessaire pour l’ARYM de procéder à des changements constitutionnels ?
Ν. ΚΟΤΖΙΑS : En vertu de l’article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, le contenu de ces derniers prévaut sur la législation nationale. Toutefois, ce principe tend de plus en plus à ne pas être appliqué. Nous connaissons les décisions rendues par des cours constitutionnelles nationales d’Etats membres de l’UE concernant la prédominance ou non de la législation nationale vis-à-vis de la législation européenne pour ce qui est des questions relevant du noyau dur de la constitution et la question du nom est une question de ce genre. Selon ces décisions, la constitution prévaut sur tout accord international.
JOURNALISTE : L’opposition vous accuse de faire de la « diplomatie secrète ». Que répondez-vous?
N. KOTZIAS : J’ai répondu il y a dix jours devant le Parlement. J’ai essayé d’expliquer ce que savent même les étudiants de première année en relations internationales, que la diplomatie secrète n’est pas la diplomatie en soi que nous devons protéger mais c’est quand deux ou plusieurs Etats passent des accords secrets au détriment de tiers, des accords qui apparaitront dans une conjoncture spécifique, comme ce fut le cas entre les différents camps de la première guerre mondiale. On ne peut qualifier de diplomatie secrète une diplomatie dans le cadre de laquelle est menée une négociation visant à faire naître un accord qui sera soumis au Parlement pour approbation. Une négociation où l’institution compétente, l’ONU en connaît tous les aspects et détails. Où la négociation est menée selon les instructions de la direction politique avec la participation exclusive des fonctionnaires compétents. Une négociation pendant laquelle le premier ministre du pays a informé de manière responsable les chefs de tous les partis. Au contraire, une diplomatie secrète est lorsque la négociation est menée avec des acteurs hors ministère des Affaires étrangères, voire des cadres des services secrets, comme ce fut le cas à plusieurs reprises dans le passé avec certains milieux politiques qui aujourd’hui nous réprimandent.
JOURNALISTE : Est-ce qu’une demande de séance d’information vous a été soumise par l’opposition ?
N. KOTZIAS : Toutes les demandes sont satisfaites de la manière appropriée. Au début de la semaine passée, nous avons fait une séance d’information à la commission compétente du Parlement sur les évolutions relatives à la question chypriote et aux relations gréco-turques. D’ailleurs, il y a dix jours, j’ai répondu à une question de la Nouvelle Démocratie sur l’évolution des négociations avec l’Albanie.
JOURNALISTE : Y aura-t-il convocation du Conseil des chefs politiques ?
N. KOTZIAS : Cela ne relève pas de mes compétences. Ce que je peux dans tous les cas affirmer est que tous les organes parlementaires compétents seront informés lorsque le moment de cette négociation ou autre sera venu. Cependant certains devront se ressaisir et cesser de diffuser des informations secrètes communiquées lors de ces séances d’information.
JOURNALISTE : Pourquoi le gouvernement juge-t-il que dans la conjoncture actuelle les conditions sont mures pour ouvrir deux grandes questions nationales, l’Albanie et l’ARYM ?
N. KOTZIAS : Dès le premier jour du gouvernement de « salut national », en janvier 2015, nous nous sommes efforcés de trouver des solutions pour toutes les questions en suspens. Avec l’Albanie, les discussions sont menées depuis deux ans. Désormais, la solution est arrivée à maturité. Il en va de même avec l’ARYM. Pendant trois ans nous nous sommes efforcés de parvenir à un compromis avec le pays voisin, il semblerait qu’une fenêtre d’opportunité soit maintenant ouverte. Nous l’exploitons. Par ailleurs, la société grecque comprend de plus en plus que nos différends avec les deux pays voisins – au nord et nord-ouest – concernent des questions ayant trait à l’histoire, à la civilisation, au patrimoine, etc. En revanche, les problèmes qui ont surgi avec nos voisins orientaux sont plus difficiles car ils touchent directement nos intérêts géopolitiques et géostratégiques. Nous avons décidé de résoudre toute question demeurée en suspens qui peut être résolue et axer notre attention sur les problèmes réels. Des problèmes difficiles non pas à cause de nous, mais en raison du caractère difficile de tiers.
JOURNALISTE : Vous dites cela seulement pour ceux de l’extérieur ?
N. KOTZIAS : Je le dis également pour des tiers ici à l’intérieur du pays. Qui étaient prêts à parvenir à de mauvais compromis lorsqu’ils étaient au pouvoir, mais qui nous réprimandent chaque matin pour les bons compromis que nous recherchons alors qu’ils se complaisent à ajouter de temps à autre de nouvelles questions qu’ils n’ont jamais soulevées en tant que gouvernement. Je les soupçonne de ne pas vouloir régler le problème. Et cela est profondément irresponsable.
JOURNALISTE : Est-ce que le moment d’essayer de résoudre les grandes questions nationales n’est pas opportun vu les efforts consentis pour sortir des mémorandums ?
N. KOTZIAS : Au contraire, maintenant que nous sortons de la crise, nous devons multiplier nos collaborations afin de développer au mieux la région élargie, ce qui aura des avantages positifs pour tous les employés du pays. L’élimination des obstacles existants pour le développement de ces nouvelles coopérations aura un impact positif sur les perspectives du pays et renforcera son rôle de stabilisation et de développement dans la région.
JOURNALISTE : Récemment, l’ambassadeur américain à Athènes, Geoffrey Pyatt n’a pas caché son inquiétude face à l’éventualité d’un conflit entre la Grèce et la Turquie. Partagez-vous sa préoccupation ?
N. KOTZIAS : Depuis trois ans, j’indique à toutes les parties que le comportement de la Turquie peut conduire à une erreur ou à un accident. Que, par ailleurs, il faut avoir les canaux de communication ouverts afin que cette erreur ne donne pas lieu à un incident chaud. Comme je l’ai expliqué, la nervosité de la Turquie est très grande et peut engendrer des situations qui sont tout sauf pacifiques et rationnelles. Lorsque ton voisin traverse une « crise d’arrogance avec des sentiments exacerbés de pouvoir faire ce qu’il veut » en association avec « des sentiments de peur et d’insécurité », tu dois être très modéré. Cela n’est pas une faiblesse, mais une attitude responsable.
JOURNALISTE : Mais le choix du gouvernement grec et du ministère des Affaires étrangères de garder ouvertes les voies de communication avec les dirigeants turcs était juste, un choix sur lequel s’est d’ailleurs basé la récente visite du président turc à Athènes ?
N. KOTZIAS : En politique étrangère, il faut faire ce qui est juste et rationnel et non pas seulement ce que nous dictent nos sentiments. Lorsqu’en tant que personne vous décidez avec qui vous allez sortir le soir, vous choisissez vos amis. Lorsque vous faites de la politique étrangère, vous ne parlez pas seulement avec ceux qui vous plaisent, mais aussi avec ceux avec qui vous devez discuter. En politique étrangère, vous n’agissez pas selon vos préférences, mais selon ce qui est nécessaire et dans l’intérêt du pays. Vous devez faire beaucoup de choses qui ne vous plaisent pas forcément, mais qui sont nécessaires pour le pays, la paix et la stabilité dans la région. Le pays n’a pas besoin d’un ministre des Affaires étrangères qui ne rencontre que ceux qui lui sont sympathiques. La politique étrangère a besoin de responsabilité, de mesure, de patience, de modération, de suffisamment de connaissances et d’expérience. Et savoir aussi quand parler et bien connaître son sujet.
JOURNALISTE : Quelles conclusions avez-vous tiré de l’attitude de la Turquie concernant les forages dans la ZEE chypriote et comment pensez avancer dorénavant afin d’assister la République de Chypre dans l’exploitation de ses sources productrices de richesses ?
N. KOTZIAS : Je pense que la conclusion centrale est (ce sur quoi est totalement d’accord le gouvernement de la République de Chypre) que vous avez à juste titre soulevé à Crans-Montana la question des garanties et des droits d’intervention de la Turquie. Vous pouvez vous imaginer ce qui ce serait produit aujourd’hui si la Turquie disposait de tels droits – qui plus est légitimés par la Grèce et la République de Chypre ? La conclusion inverse est celle qui est prônée par le chauvinisme et l’autoritarisme turc.
March 11, 2018