Interview accordée par N. Kotzias, ministre des Affaires étrangères, à la station radio « Alpha » - Propos recueillis par les journalistes D. Verykios et S. Lambrou (1er décembre 2017)

Interview accordée par N. Kotzias, ministre des Affaires étrangères, à la station radio « Alpha » - Propos recueillis par les journalistes D. Verykios et S. Lambrou (1er décembre 2017)JOURNALISTE : Bonjour M. Kotzias.

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Bonjour. Bien qu’ici en République de Corée où je me trouve, ce soit l’après-midi. Je viens d’achever ma tournée en Asie qui était prévue il y a plus d’un an. Je me suis rendu en Inde où d’importants pas ont été entrepris vers le développement de nos relations. Je me suis rendu à Singapour, le centre de la nouvelle technologie, des nouvelles sciences et des nouveaux systèmes financiers, où nous ouvrons pour la première dans notre histoire une ambassade et, par la suite, j’ai visité la Corée.

Si l’on considère que pour tous ces déplacements, il a fallu 7 heures de trajet en avion chaque jour et deux jours de discussions, vous comprenez que pendant 5 jours nous avons travaillé d’arrache-pied, et je m’étonne d’entendre certains dire que j’ai quitté la Grèce alors que j’avais, en tant que ministre des Affaires étrangères, des obligations qui étaient prioritaires par rapport à toute autre chose.

Et je voudrais aussi signaler que jeudi dernier je devrais tenir une séance d’information au Parlement pour répondre à des questions de l’opposition et, plus particulièrement  de M. Loverdos qui, alors qu’il savait que j’étais à Athènes et que je serais absent cette semaine et la semaine d’après, est parti à l’étranger pour effectuer un voyage qui n’était pas du tout important et il m’accuse d’avoir effectué un voyage programmé depuis un an et qui permet à la Grèce d’être en contact direct et de renforcer le développement de ses relations avec les centres des nouvelles technologies, à savoir Singapour et la Corée ainsi qu’avec une puissance émergente qui, à mon sens, fera partie en 2040 des trois plus grandes puissances de l’époque, à savoir les Etats-Unis, la Chine et l’Inde, plus l’Union européenne dont nous verrons quelle sera la place à ce moment-là.

JOURNALISTE : Abordons les questions une par une. Inde : quel était l’objectif du ministre grec des Affaires étrangères en Inde ? Quelle était votre vision ? Vous parlez de ce qui va se passer en 2040 mais d’ici à cette date, nous serons tous …

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : vivants. Ecoutez, à travers la crise, les possibilités et les relations que nous avons développées avec la République populaire de Chine, nous avons pu établir une relation stratégique avec cette dernière, dans le cadre de laquelle nous défendons de concert nos intérêts sur la scène internationale et nous développons nos relations économiques en mettant en œuvre de grands projets d’investissement et en valorisant aussi les programmes technologiques chinois, auxquels participent des entreprises grecques, petites certes, mais importantes dans le domaine des nouvelles technologies.

Après toutes ces années de crise et pendant la période actuelle du redressement, nous devions rétablir nos relations avec l’Inde. Nous avons organisé une réunion du Comité interministériel mixte à laquelle a assisté, l’année dernière, M. Katrougalos dans le but de remettre sur les rails nos relations économiques. Cette année, j’ai présenté une proposition de stratégie complète portant sur la coopération entre universités et centres de recherche installés notamment dans les régions où les nouvelles technologies affichent la plus grande croissance, ainsi que dans le domaine de la culture et autres.

Je voudrais vous dire la chose suivante : si nous voulions décrire le monde actuel et les grandes puissances qui émergent de nouveau, nous dirions que la Russie est d’une certaine manière « la station-service » du monde. La Chine est l’ « usine » du monde et l’Inde le « bureau technologique » du monde. Par conséquent, nous devrions nous rendre en Inde pour relancer nos relations.

La ministre indienne des Affaires étrangères viendra cet été en Grèce afin de poursuivre nos discussions et, en outre, l’Inde qui au début émettait des réserves à l’égard de sa participation à notre grande initiative, le Forum des civilisations anciennes qui jouent aujourd’hui un rôle important, a accepté d’assister à notre prochaine réunion qui se tiendra en Bolivie en été 2018.

Car, vous savez, il s’agit de notre propre initiative, une initiative qui dote la Grèce d’un rôle mondial dans le domaine de la civilisation, un rôle qu’elle mérite bien.

JOURNALISTE : Avez-vous abordé la question du tourisme ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS: Oui, vous avez raison. Le tourisme a enregistré une petite hausse, de 20 000 à 30.000 touristes. La principale raison de ce développement peu rapide est l’absence de vols directs entre nos pays. Nous avons engagé une première discussion sur ce sujet qui conduira à un accord sur la mise en place d’une liaison aérienne entre la Grèce et une ou deux villes principales de l’Inde. Cela permettra de promouvoir, comme vous le savez, le tourisme et les contacts entre les sociétés.

JOURNALISTE : Oui, parce que des Indiens nantis viennent de plus en plus en Grèce et notamment à Santorin.

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Oui, ce sont des membres d’une nombreuse classe moyenne supérieure. Il est vrai que  Santorin est la destination de prédilection des Chinois et des Indiens pour la célébration des mariages, car ils aiment beaucoup la lumière, l’environnement naturel et les gens. Je voudrais dire que nous devons voir des puissances comme l’Inde dans une perspective stratégique. L’Inde sera en 2040 le pays le plus peuplé du monde. L’Inde disposera d’une classe moyenne qui comptera 300 à 400 millions de membres.  Aujourd’hui, elle compte déjà 200 millions. Si 1 % vient en Grèce, ça fait deux millions de touristes riches. Donc, il est bien évident, à cet égard aussi, qu’il faut développer nos relations.

JOURNALISTE : Abordons maintenant votre destination suivante, Singapour.

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Singapour est un petit Etat émergeant à la croissance économique la plus rapide au monde. Singapour, qui est le deuxième plus grand port du monde – celui de Hong Kong étant aujourd’hui considéré comme le plus grand port au niveau mondial -  a réussi à se développer et ce, malgré sa petite taille – je vous rappelle que ce pays est un peu plus grand que Rhodes mais sa population s’élève à 6 millions d’habitants – et à devenir un pays où le revenu moyen per capita atteint 50 000 dollars environ par an.

Et ce pays, dont 75% de la population est principalement d’origine chinoise, mais il y a aussi des Tamouls, des Indiens, des Malaisiens, etc., affiche un fort développement non seulement dans le domaine technologique – c’est cela qui est le plus intéressant – mais aussi dans celui de l’application des technologies. « Des idées intelligentes pour une ville intelligente », c’est le slogan qui décrit le mieux Singapour, cette cité-Etat qui, au 21e siècle, est ce qu’étaient Gênes ou Venise à l’époque de la naissance du capitalisme commercial.

Singapour affiche un succès énorme dans l’application des nouvelles technologies, dans la protection des données et des personnalités des gens d’une manière efficace pour les économies. Elle est considérée  mondialement comme un exemple à suivre.

Nous avons visité les centres de technologie et d’application des technologies, nous sommes convenus d’organiser, au début de l’année prochaine, une visite, à Singapour, d’une délégation du ministère de la Réorganisation administrative sous la direction de Mme Olga Gerovassilis. Nous sommes convenus qu’ils viennent eux aussi en Grèce, en vue d’avoir un échange de connaissances sur les nouvelles technologies. Nous avons parlé du tourisme, car il existe un intérêt marqué à cet égard, nous avons rencontré un consul honoraire – une personne extraordinaire – et il y a aussi des sociétés maritimes implantées à Singapour qui sont en lien avec l’économie grecque et nous sommes également convenus d’établir une coopération entre les nouvelles start-up actives dans le domaine des nouvelles technologies en Grèce et à Singapour. Autrement dit, nous essayons de promouvoir la diffusion de cette nouvelle technologie.

A Singapour et en Inde, nous sommes convenus d’avoir un échange de visites d’entrepreneurs en vue d’explorer les possibilités de coopération et de développement avec ces deux pays.

Nous avons abordé la possibilité, notamment ici en Corée, de promouvoir  la coopération entre les entreprises grecques et coréennes mais aussi la coopération des entreprises de Singapour avec des sociétés de construction et de transport dans des pays tiers.

JOURNALISTE : Toutefois, des sommes d’argent noir assez importantes appartenant à des Grecs sont placées à Singapour. Avez-vous signé un accord interétatique sur l’échange d’informations ou envisagez-vous de le faire ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Votre question est très pertinente. Nous allons ouvrir une ambassade à Singapour au début de l’année 2018. Deux fonctionnaires diplomatiques et un fonctionnaire de la diplomatie économique se trouvent déjà sur place et leur mission sera, entre autres, d’établir une coopération, dans un premier lieu, judiciaire et, dans un deuxième lieu, une coopération dans le domaine que vous avez indiqué. Nous devons signer des accords sur la coopération judiciaire, afin de régler de nombreux problèmes suscités par l’argent noir grec placé dans ce pays et par des activités illégales exercées par certaines compagnies via Singapour.

JOURNALISTE : Avant d’aborder la situation en Grèce, parlez-nous de la Corée. Êtes-vous inquiets ? Je voudrais de votre part une analyse géostratégique globale  sur la Corée du nord et du sud. Parlez-nous en votre qualité de professeur universitaire et non pas en tant qu’homme politique et ministre.

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Je pense que la Corée du nord utilise les missiles balistiques comme arme pour exercer sa politique intérieure et extérieure. Pour ce qui est de sa politique intérieure, elle veut montrer que le régime est stable et que le pays est une grande puissance. En effet, son objectif est d’être reconnu par les Etats-Unis comme une puissance nucléaire. Toutefois, ce programme balistique ne sert pas seulement à assurer  la cohésion sur la scène politique intérieure, mais aussi à développer certains reflexes de peur au sein de sa société, c’est –à-dire «  puisque les forces étrangères ont peur de moi, vous, peuple de la Corée du Nord, avez encore plus de raisons d’avoir peur de moi ».

Premièrement, les missiles balistiques sont utilisés pour servir des objectifs intérieurs et, deuxièmement, leur utilisation porte sur la position internationale de la Corée du nord, qui redoute toujours que des puissances étrangères renversent son régime et, par conséquent, elle veut « hausser le prix » que paieraient ces puissances étrangères dans une telle éventualité. Troisièmement, et cela est plus que manifeste, la Corée du nord essaye de provoquer des pays tiers d’une manière qui va à l’encontre du droit international, des résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité de l’ONU.

Je voudrais dire que, d’une certaine manière, la politique qu’exerce la direction de la Corée du nord crée des problèmes vis-à-vis de la politique étrangère, tant de la Russie que de la Chine. Car comme vous le savez, la Chine est un pays très favorable à la Corée du nord et elle a perdu 300 000 vies humaines dans les années 50’ en défendant son existence et elle n’a aucune raison de vouloir que la Corée du nord possède des systèmes nucléaires, qui plus est  des systèmes capables de porter des armes nucléaires.

Premièrement, parce que les armes nucléaires pourraient se trouver entre des mains étrangères et deuxièmement, ce qui à mon avis inquiète le plus les Chinois est que sous le prétexte des armes nucléaires qui pourraient se trouver entre les mains de la Corée du nord – pour le moment elle ne les possède pas –  les Japonais pourraient de nouveau commencer à exercer une politique révisionniste et pourraient, eux aussi, revendiquer ou promouvoir – et les Japonais disposent de ces capacités – la technologie nucléaire. Autrement dit, les Chinois craignent une prolifération des armes nucléaires dans la région élargie émergente de l’Asie du Sud-est.

JOURNALISTE : Est-il vrai que la Russie et la Chine et avant tout la Chine, ne veulent pas l’ingérence des américains dans l’affaire de la Corée du nord ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Les Chinois veulent à mon avis, et d’après ce que je connais de leur politique étrangère, que cette affaire soit résolue de la manière la plus facile. C’est-à-dire imposer des restrictions à la Corée du nord dans d’autres domaines afin que cette dernière renonce à ces grands projets qui provoquent des problèmes directs et pourraient, par enchaînement, en créer d’autres.

La direction coréenne est inquiète et elle ne pense pas que la capacité de la Corée du nord d’envoyer des missiles jusqu’à l’autre côté des Etats-Unis est une bonne évolution. En d’autres termes, elle considère tout cela comme une provocation et non pas comme une véritable intention. Elle ne veut pas, et telle est la politique qu’elle exerce, renverser le régime de la Corée du nord. Elle est plus en faveur d’une évolution pacifique et d’un dialogue pacifique entre les deux parties.

JOURNALISTE : Est-ce que les Américains font preuve, à votre avis, de la même attitude ? Ou pensez-vous que la situation évoluera d’une autre manière ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Je dirais que les Américains sont plus stricts à cet égard. Permettez-moi de vous donner un exemple : le problème du gouvernement de la République de Corée est qu’il n’y a pas de canaux de communication et d’entente avec la Corée du nord.

Et comme ils m’ont dit, et je peux les comprendre, ils ont peur qu’un incident survienne par erreur, lequel pourrait devenir un véritable problème, ou un accident qui pourrait dégénérer.

Et je peux les comprendre car, comme vous le savez et vous le rappelez, dans les relations gréco-turques, le pire scénario serait le manque de canaux de discussion et de dialogue. Il est préférable que l’autre partie soit assise à la table en face de nous et que l’on ne soit pas d’accord, plutôt que de ne pas discuter et qu’un incident provoqué par un tiers ait des conséquences sur nos relations.

Telle est la principale source de préoccupation de la direction de la Corée du sud. Je me suis entretenu avec le Premier ministre et la ministre des Affaires étrangères.

JOURNALISTE : Tout cela est très intéressant. On va faire une petite pause pour le journal d’information et, par la suite, vous allez nous parler des questions gréco-turques et de tout ce qui se passe ici concernant l’affaire de l’Arabie saoudite et des accusations qui sont proférées contre vous.

JOURNALISTE : Retournons en République de Corée, où le ministre des Affaires étrangères nous attend patiemment. Il nous a dit beaucoup de choses intéressantes sur l’Inde, Singapour, la Corée. Ce qu’il faut retenir : la Russie est une « station-service », la Chine est l’ « usine » et l’Inde, le « centre technologique ».

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : En partant d’ici, j’irai à Budapest où nous tiendrons pour la première fois une réunion entre les quatre Etats membres balkaniques de l’UE et les quatre pays du groupe de Visegrad sur l’avenir de l’Europe. C’est une initiative que j’ai entreprise en coopération avec le ministre des Affaires étrangères de la Hongrie. Huit Etats de taille moyenne se réuniront pour discuter, afin que les pays puissants ne prennent pas des décisions à notre insu.

JOURNALISTE :  Vous êtes le premier dans le milieu diplomatique à souligner avec insistance, depuis très longtemps, qu’outre Erdogan et tous les problèmes qui existent, outre la manière dont il dirige le pays et dont il se comporte sur l’échiquier diplomatique, il est dans l’intérêt de la Grèce d’entretenir de bonnes relations avec le pays voisin et qu’Erdogan ne représente pas le pire des scénarios pour la Grèce. Et que sous son gouvernement les relations gréco-turques n’ont pas connu les pires moments de leur histoire. Soutenez-vous toujours cette déclaration ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Il n’y a pas eu d’incident grave.

JOURNALISTE : Oui, il n’y a pas eu d’incident grave.

Ν. ΚΟΤΖΙAS : Bien évidemment, cela est le plus important. Ces 25 derniers jours, depuis mon retour de Turquie, à l’exception de deux jours, les activités au-dessus du territoire grec, dans les zones que la Turquie considère comme ne nous appartenant pas, sont très limitées. Pendant dix jours nous n’avons constaté aucune violation pour la première fois après beaucoup d’années, mais personne ne le mentionne.

Seulement, un jour où un grand nombre de violations avaient été enregistrées, on m’a dit « Kotzias, qu’as-tu fait avec la Turquie ? Regarde le grand nombre de violations » ! Mais le fait est que pendant dix jours il n’y a eu aucune violation et personne n’a considéré cela comme une nouvelle, car cela ne les arrange pas quant à la façon dont ils m’accusent.

JOURNALISTE : Pourquoi la visite de M. Erdogan en Grèce est-elle importante à votre avis ?

Ν. ΚΟΤΖΙΑS : Pour moi le plus important est de garder les canaux de communication ouverts et de discuter de nos problèmes. Certains me disent : «  Mais, n’avons-nous pas de problèmes avec la Turquie ? ». « Bien sûr que nous en avons », leur réponds-je. Et ils me disent : « Nous ne devons donc pas discuter avec la Turquie ». Mais la perception selon laquelle il faut exercer une politique d’isolement à l’égard de tout pays avec lequel nous avons des problèmes, renvoie à la manière de penser d’Enver Hoxha en Albanie, à l’époque de la guerre froide.

Ce n’est pas une perception qui convient à l’époque des horizons ouverts et à l’époque de la mondialisation. Il est de loin préférable de discuter. De discuter sur un ton sévère. Je me suis souvent entretenu avec le Président de la Turquie. Il m’a exposé ses propres points de vue et j’ai aussi répondu  sur un ton sévère et diplomatique, si besoin, mais aussi sur un ton sévère concernant les points de vue à l’égard desquels nous avons des désaccords.

Et, dans le même temps, nous avons exploré les moyens qui nous permettront d’augmenter les contacts entre les deux pays et les deux sociétés. Je considère comme étant positif le fait qu’un million de citoyens turcs ont passé leurs vacances en Grèce cette année. Et je considère qu’il serait bon d’ouvrir la route Izmir-Thessalonique afin que cette dernière devienne un port international.

En outre, il serait bon de construire une liaison ferroviaire rapide entre Istanbul et Thessalonique,  afin que nous puissions avoir accès à ce vaste marché, la Turquie étant la porte d’entrée. Il serait bon de construire un deuxième pont à Evros. Ce sont des projets qui ont été convenus et ils seront mis en œuvre l’année prochaine.

Nous ne sommes pas têtus. Et ce n’est pas parce que notre petit ami ou amie nous a quittés que nous arrêtons de leur parler. Nous exerçons une politique responsable qui n’est pas le fruit de notre faiblesse, mais de notre sens de responsabilités.

JOURNALISTE : Cela créé une certaine agitation…

N. KOTZIAS : …les canaux ouverts pour ne laisser aucune marge de manœuvre.

JOURNALISTE : M. le ministre,  est-ce que la visite de M. Erdogan à Thrace crée une certaine agitation? Car la dernière fois que le Premier ministre est venu, il a parlé de minorité turque. Et vous savez, les choses ont changé là-bas. Dans ce cas-là, que se passe-t-il là-bas? Est-ce que le Président de la République pourrait l’accompagner ?

N. KOTZIAS : Ces questions font l’objet de discussions entre le cabinet de notre président et l’équipe du président Erdogan. Je suis sur la route depuis cinq jours, je ne sais pas quels détails ils ont convenus ces jours-ci. Mais une chose est sure, la Grèce doit promouvoir le développement de Thrace du point de vue économique et social. Que la femme puisse reprendre sa place dans la vie sociale, car elle est très isolée, notamment dans les villages en dehors des villes.

Que les trois groupes de la minorité, à savoir les Roms, les Pomaques et ceux qui s’autodéterminent citoyens grecs ayant des racines en rapport avec la Turquie, puissent être réintégrés dans le système éducatif. Nous ne devons pas remettre toutes ces personnes à des tiers. Ou encore, tous les traiter comme si elles étaient toutes pareilles. Ce sont avant tout des citoyens grecs et grâce aux mesures de politique de développement économique de Thrace, nous ferons en sorte qu’ils puissent voir leur avenir dans cette région et dans ce pays.

A mon sens, à Thrace, par rapport à ce que l’on a pu voir, des milliers de personnes allaient, pendant les années de la grande crise, travailler dans des pays tiers et ainsi, non seulement des villages tout entiers, mais aussi de nombreuses familles, ont été désertés.

JOURNALISTE : C’est très juste ce que vous dites.

N. KOTZIAS : Pourquoi je dis cela ? Car il est plus que manifeste que [le président de la Turquie] voudra se rendre à Thrace. Moi-même, lorsque je me rends à Istanbul, je rends visite au Patriarche. Mais s’il y va et dès lors qu’il est convenu qu’il y aille, il ira de la manière que je lui ai expliquée, à savoir sans porter préjudice aux relations Grèce – Turquie, car ce voyage doit être bénéfique pour ces relations. Qu’il ne porte pas préjudice à l’image de la Turquie en Europe. Qui plus est, son attitude et les accords conclus doivent contribuer à améliorer son image en Europe. Il choisira lui-même et j’espère qu’il prendra la bonne décision.

JOURNALISTE : Et pensez-vous qu’il soit prêt à vous écouter à ce sujet ?

N. KOTZIAS : Erdogan est une personne intelligente. Certains ne comprennent pas pourquoi je dis qu’il est intelligent, mais il ne faut pas croire qu’Erdogan cesse d’être talentueux, capable ou intelligent, tout simplement parce que nous rencontrons tel ou tel problème avec nos voisins. Erdogan est un grand dirigeant pour son pays et je pense qu’il traverse une période de réflexion. Il a bien compris qu’il doit être plus rationnel, réduire la nervosité dont son pays fait preuve également dans le domaine de la politique étrangère. Nous verrons dans quelle mesure il le fera. Nous y veillons et cela reste à voir.

JOURNALISTE : Passons maintenant aux affaires intérieures. Ici, la Nouvelle Démocratie vous accuse personnellement en affirmant que, outre le Premier ministre, Nikos Kotzias est également impliqué dans le scandale avec l’Arabie saoudite. Elle se réfère au fait que vous calomniez et exposez le corps diplomatique et que vous ne produisez pas toutes les preuves, tous les documents au principal parti de l’opposition. Ce que monsieur Katrougalos leur a montré hier.

N. KOTZIAS : Voyons ces questions une par une. Tout d’abord, je n’ai parlé d’aucun diplomate publiquement. Aucun. Et s’ils disent que je calomnie parce que je refuse de faire quoi que ce soit, c’est faux. Deuxièmement, je dois vous avouer la chose suivante : j’ai participé à une négociation de plusieurs jours avec les Albanais et lorsque la négociation a été terminée, je suis tombé sur un journal grec, « TA NEA », dont un article publiait un message électronique envoyé à un officier militaire par un diplomate. Je n’avais jamais vu cet email, bien qu’il fut ancien, car il n’avait pas été adressé, comme cela aurait dû être le cas, au ministère grec des Affaires étrangères, à la direction compétente et, par extension, au ministre. J’étais choqué. Cinq jours plus tard, j’ai lu le contenu d’un télégramme strictement confidentiel dans un autre journal, « PROTO THEMA ».

Un problème a automatiquement surgi. Et quel est ce problème ? Ce n’est pas le fait que le journal possède ce télégramme et le publie, qu’un tel ou tel politicien l’ai eu entre les mains et l’ai publié dans les journaux. La question est très simple. Quel fonctionnaire public prend des documents confidentiels émanant de sa propre correspondance ou des documents confidentiels adressés au ministère des Affaires étrangères pour les donner aux journalistes et parlementaires ? La Nouvelle Démocratie prétend que mes déclarations concernent les droits de tel ou tel parlementaire ou président de parti. Alors que chacun sait que, depuis trois semaines, ces télégrammes, qu’ils ont eux-mêmes soumis au Parlement, ont d’ores et déjà été publiés par les journaux. Et ils évitent de répondre à la question fondamentale de savoir si un diplomate grec, un officier militaire grec, un employé de la fonction publique qui a entre les mains un document officiel, peut le donner ? Car ne me dites pas qu’un parlementaire de la Nouvelle Démocratie ou du PASOK s’est réveillé un beau matin, après avoir vu un rêve d’origine divine, comme dans l’ancien testament lorsque Dieu dit à Moïse d’aller au sommet de la montagne trouver les dix commandements. Je ne pense pas que Dieu lui ai dit, va et tu trouveras ces télégrammes sur ton chemin. Le fait est que quelqu’un les a donnés. Et la question est de savoir si un fonctionnaire a le droit de publier dans les journaux ce genre de documents qui nuisent à nos relations internationales ? Certainement pas.

Deuxièmement : ces documents qui ont été publiés dans la presse – d’ailleurs certains d’entre eux ont un contenu méritant un traitement particulier – ne peuvent être envoyés que par un employé et reçus par le ministre seulement. On ne peut les trouver dans les journaux. Ou encore, les journaux ne peuvent les avoir.

J’ai une question. J’ai demandé et j’ai dit que le code pénal interdisait que les télégrammes de ce type deviennent des tracts. Cela nous mène au 10 novembre. Le débat devant le Parlement a été ajourné. Ce sont des petits jeux de la Nouvelle Démocratie. Et je les ai invités à me répondre. Est-ce que les gens ont le droit de vendre ou, pour une autre raison – je ne sais pas car je ne suis pas détective – de donner des télégrammes, afin que ceux-ci soient publiés dans les journaux ? Est-ce que le ministre des Affaires étrangères se doit de défendre l’intérêt public et empêcher que ces documents ne soient publiés ? Car vous savez quoi ? Et j’ai encore deux commentaires à ce sujet. Si j’étais ambassadeur d’un pays tiers qui n’entretient pas de bonnes relations avec la Grèce et que je voyais tous les télégrammes circuler à droite et à gauche, ne me raillerais-je pas de l’état du pays ? Je rirais très certainement et je me dirais que ce pays n’est pas sérieux, car même les documents les plus confidentiels peuvent être publiés dans la presse.

Ma deuxième question : lorsque nous les publions, ne nuisons-nous pas à nos relations internationales et à notre image internationale ? Dans ce pays, quelqu’un ne doit-il pas réfléchir de manière plus rationnelle, moins en terme de partis ou de manière égoïste, et prendre sérieusement en compte la nécessité de défendre l’image du pays sur le plan international et la confiance que nous font certains pays ? Par exemple, supposons que j’ai cinq télégrammes qui soient très critiques vis-à-vis d’un pays tiers s’agissant de cette affaire. Est-ce que quelqu’un pense que je dois satisfaire la curiosité de certains ? Est-ce que publier ces documents est bénéfique au pays ? Alors que la Grèce n’a pas décidé de l’attitude qu’elle veut avoir vis-à-vis de ce pays ?

JOURNALISTE : Certainement pas.

N. KOTZIAS : Je veux être une personne sérieuse. Je ne me plie pas aux caprices de quiconque veut diffuser des documents publics au mauvais moment et en parler afin de couvrir les gros scandales que nous savons être derrière leur publication. Cela est mon devoir, en tant que ministre des Affaires étrangères, quel que soit le coût personnel en termes d’attaques dont je deviens constamment la cible.

JOURNALISTE : Qu’est-ce que vos détracteurs ont-ils à craindre de vous pour vous attaquer sans relâche ? Est-ce peut-être ce qu’à dit le Premier ministre, à savoir que vous êtes un « vieux renard » ?

N. KOTZIAS : Permettez-moi de vous dire quelque chose. J’ai envoyé 93 affaires devant le Procureur. Ces affaires, que je ne publie pas, concernant un grand nombre de mes détracteurs. Donc la première chose qu’ils craignent est que des faits réels et non métaphysiques puissent être révélés.

Deuxièmement, chacun sait, même à travers les lignes de la Nouvelle Démocratie, que la politique étrangère du gouvernement actuel est multidimensionnelle et active et a permis de revaloriser – et personne ne le nie – notre politique. Je lis une interview de l’ambassadeur américain aujourd’hui qui dit combien le pays a été revalorisé. Cela dérange, car cela influence les lignes conservatrices au sein de la Nouvelle Démocratie elle-même. Et c’est la raison pour laquelle ce n’est sans doute pas par hasard que la Nouvelle Démocratie a tenu une réunion spéciale, lors de laquelle ils ont dit qu’ils devaient commencer à m’attaquer avec ce qu’ils pouvaient, que ce soit réel ou fabriqué de toutes pièces. Je vais vous rappeler la fabrication la plus récente.

M. Boutaris, maire de Thessalonique, a dit qu’il m’avait informé du fait qu’il irait à Skopje. En effet, il m’en a informé et s’est rendu à Skopje, puis a qualifié ce pays du nord d’une façon qui lui est propre. La Nouvelle Démocratie me reproche – 20 députés ayant soumis une question pour moi au Parlement – d’avoir autorisé M. Boutaris à dire ce qu’il a dit à Skopje. Que veut la Nouvelle Démocratie ? Veut-elle que je me munisse d’un fusil de chasse et empêche une personne publique de s’exprimer librement ?

JOURNALISTE : Vous savez, la Nouvelle Démocratie dit que vous ne leur avez pas montré tous les documents. Que là est le problème.

N. KOTZIAS : Nous allons y venir. Par exemple, l’ambassadeur espagnol s’est comporté d’une manière incroyable vis-à-vis de notre pays. J’ai pris des mesures. La Nouvelle Démocratie m’a insulté pour les mesures que j’ai prises. Elle m’a honni. Car elle ne supporte pas le fait que nous ayons une politique étrangère active indépendante menée avec dignité et constance. Et que s’est-il passé trois jours après que la Nouvelle Démocratie m’a honni ? L’Espagne a présenté des excuses publiques.

Il s’est passé ce qui s’est passé lorsque j’ai rappelé notre ambassadeur de Prague, lorsque le président tchèque nous a insultés. Le gouvernement tchèque s’est également excusé. Mais pendant trois jours, jusqu’à ce que leurs excuses nous parviennent, la Nouvelle Démocratie m’insultait. En d’autres termes, il y a un manque évident de calme et de retenue.

JOURNALISTE : La Nouvelle Démocratie dit que vous ne leur montrez pas tous les documents, qu’ils ne peuvent pas tous les voir.

N. KOTZIAS : Les documents auxquels le Premier ministre s’est référé sans les diffuser, ils sont venus les voir au ministère. Mais là c’est grotesque.

M. Loverdos est arrivé un jour au ministère, à l’aile où se trouve mon cabinet. Il est donc venu, a ouvert une porte, trouvé un jeune diplomate qui n’avait rien à voir avec les télégrammes confidentiels et soumis à un traitement spécial, et lui a dit : « Où sont les télégrammes que je puisse les lire » ? Le diplomate lui a répondu qu’il n’était pas compétent et savez-vous ce que M. Loverdos a fait ? Il est sorti et a commencé à m’accuser. Qu’aurait-il été logique de faire ? Ce qu’il a fait après, à savoir appeler le ministre adjoint des Affaires étrangères qui était en Grèce, car j’étais en déplacement, pour fixer un rendez-vous afin qu’il aille lire les documents. C’est ce qu’on fait normalement et on n’ouvre pas n’importe quelle porte que l’on trouve.

C’est comme si je venais à votre chaîne, ALPHA, que j’ouvrais la première porte où se trouve l’employé chargé de l’ordonnancement et que je lui disais : « C’est toi Verykios ? », qu’il me répondait « Non, ce n’est pas moi » et que je commençais à accuser Verykios de se cacher. C’est ridicule. Ce n’est pas sérieux.

Deuxièmement, il y a eu un autre cas où deux députés de la Nouvelle Démocratie ont demandé des documents confidentiels, lorsque M. Loverdos était au ministère. Question : les leur a-t-il donnés ? Réponse : Non. Pourquoi ? Parce que le ministre des Affaires étrangères ne peut donner des documents confidentiels, la loi ne l’y autorise pas. Non seulement la loi, mais aussi le règlement du parlement, comme l’a si bien dit M. Katrougalos.

Il y a toute une procédure. Et puis-je dire autre chose ? Tout d’abord nous allons trouver qui a donné des documents à qui et après nous verrons ce qui s’est passé. Deuxièmement, j’ai renvoyé toute l’affaire devant l’inspecteur général du ministère, qui représente la procédure d’enquête préliminaire, la première semaine de septembre. Puis je l’ai soumise à une enquête administrative sous-serment et renvoyée devant le Procureur. Savez-vous ce que dit la loi ? Que s’agissant des affaires soumises à une enquête administrative sous-serment et portées devant le Procureur, je ne peux diffuser les documents se rapportant à ces affaires. Ces questions ne sont pas simples.

JOURNALISTE : Donc cette affaire est loin d’être finie.

N. KOTZIAS : Certainement. Elles vont devant le procureur, sont soumises à une enquête administrative sous-serment et c’est pourquoi je ne parle pas des employés de mon ministère. Les autorités compétentes se chargeront d’examiner tout cela. C’est une attitude responsable.

JOURNALISTE : Nous avons bien compris, Monsieur le ministre. Nous vous remercions et vous souhaitons un bon retour en Europe et dans le pays et nous verrons si vos estimations concernant Erdogan se confirmeront.

N. KOTZIAS : Merci et à bientôt.

December 1, 2017