Interview accordée par la ministre déléguée aux Affaires étrangères, Sia Anagnostopoulou à l’émission L’Invité sur TV5 Monde et au journaliste Patrick Simonin (6 mai 2019)

Interview accordée par la ministre déléguée aux Affaires étrangères, Sia Anagnostopoulou à l’émission L’Invité sur TV5 Monde et au journaliste Patrick Simonin (6 mai 2019)JOURNALISTE: Bonjour Sia Anagnostopoulou. Vous êtes la ministre déléguée aux Affaires étrangères en charge de l’Europe dans le gouvernement grec d’Alexis Tsipras. Merci beaucoup d’être notre invitée à l’occasion de votre visite en France. Le 26 mai prochain, élections européennes. Chez vous, en Grèce aussi, il y a une véritable défiance semble-t-il à l’égard de l’Europe. Est-ce que c’est rattrapable ?

S. ANAGNOSTOPOULOU : Tout d’abord je vous remercie de votre invitation. Il y a un problème avec l’Europe. Comment on peut inspirer les peuples à aller voter d’abord et avoir confiance en cette Europe ? Que c’est leur propre terrain à revendiquer leur avenir. Alors c’est difficile. En Grèce, malgré la crise, malgré les politiques d’austérité, imposées par les institutions européennes aussi, les Grecs ne sont pas aussi contre l’Europe que l’on pourrait l’imaginer. Il y a environ 50% des Grecs qui continuent d’être des européanistes convaincus. Alors il faut améliorer ce pourcentage et surtout inspirer les gens à aller voter pour l’Europe.

JOURNALISTE: Ce sera un grand enjeu. Je vous propose maintenant un extrait de nos amis de l’émission Les Haut-Parleurs sur TV5, sur des jeunes qui s’expriment et justement un extrait d’un reportage qui s’est passé en Grèce. Ecoutez ce qu’ils disaient de l’Europe.

[Reportage sur la Grèce de l’émission Les Haut-Parleurs sur TV5]

«JOURNALISTE : L’Europe, elle impose des contraintes mais elle ne propose pas grande chose quand on a besoin d’elle. C’est ce que ressent Alexandra.

ALEXANDRA: Je ne vois pas comment je peux me sentir Européenne quand je n’ai pas droit à des garanties lesquelles semblent évidentes dans d’autres pays de l’Union européenne.

JOURNALISTE: C’est un sentiment amer que partagent la moitié des Grecs qui sont seulement 54% à penser que leur pays tire quelques avantages de leur appartenance à l’Union européenne. Il y a que les Italiens qui sont encore moins bien disposés et d’ailleurs ils ont fait le choix d’être gouvernés par l’extrême droite ».

JOURNALISTE : Et donc on voit bien d’ailleurs que l’extrême droite chez vous est très puissante. L’Aube dorée, un parti comme en France Marine Le Pen avec le Rassemblement National qui apparait en tête désormais dans les sondages. C’est aussi ça la réalité de cette élection ?

S. ANAGNOSTOPOULOU : Oui, bien sûr. Telle est la réalité de ces élections et pour ça moi je les considère critiques pour l’Europe. C’est d’une part l’austérité. D’en finir avec la politique d’austérité en Europe. D’avoir une Europe beaucoup plus sociale. Vous avez entendu ce que les gens ont dit. Cette Europe ne nous donne pas ce que l’on devrait avoir.

JOURNALISTE: C’est ce que disait Alexandra à l’instant. Une Grecque dans ce reportage.

S. ANAGNOSTOPOULOU: Oui, Alexandra. Exactement. Et d’un autre côté, à cause des politiques d’austérité, à cause de ce manque de démocratie, ce sentiment des gens qui n’ont pas le sentiment d’avoir un accès à cette Europe, d’influencer les politiques européennes, on a la montée de l’extrême droite. Et ça c’est très, très sérieux. C’est très sérieux car l’Europe a payé très cher l’extrême droite, le fascisme, le nazisme. Nous nous le rappelons, ce n’est pas très loin.

JOURNALISTE: Vous pensez que ça, cette menace est réelle aujourd’hui ? L’Aube dorée, le Rassemblement national en France, vous l’associez à ça ?

S. ANAGNOSTOPOULOU : Oui, bien sûr. C’est un danger qui est vraiment dans notre cour. Ce n’est pas un danger lointain. Quand on voit cette montée (de l’extrême droite), quand on voit les Britanniques partir de l’Europe, ça montre quelque chose. C’est un signe alarmant. Il ne faut pas fermer les yeux à ça. Et je veux dire à tous les peuples européens d’aller voter cette fois-ci, car de ces élections dépend notre avenir. L’avenir de tous les peuples européens. Parce que si l’on veut vraiment avoir des pays avec un Etat social, avec des revendications sociales, il faut le revendiquer au niveau européen aussi.

JOURNALISTE: On voit par exemple en France la crise qu’on appelle des Gilets jaunes. On voit aussi cette contestation qui est aussi finalement une contestation de l’Europe. Ou on entendait à l’instant Alexandra. On voit cette jeunesse qui a subi les plans d’austérité en Grèce. La Grèce qui a subi finalement le passage des réfugiés sans avoir l’aide européenne que peut être elle aurait pu espérer. Donc l’Europe n’a pas été toujours au rendez-vous.

S. ANAGNOSTOPOULOU : Oui, c’est ça exactement. C’est vraiment une très belle phrase. L’Europe n’était pas au rendez-vous. Parce que si on voit un exode massif de la jeunesse des pays européens du Sud, de la Grèce, du Portugal, de l’Espagne vers d’autres pays européens parce qu’ils ne voyaient pas leur avenir dans leur propre pays. Si on voit le phénomène des réfugiés et des migrants. Il n’y avait pas une réponse solidaire de la part de l’Europe. Alors les gens s’éloignent parce qu’ils ne voient pas cette Europe présente dans leur vie quotidienne. Et la politique c’est ça : être présent dans la vie quotidienne des peuples. Vous avez parlé des revendications des Gilets jaunes. Il y a toujours un mécontentement ces dernières années des sociétés parce qu’elles sentent qu’elles ne peuvent pas avoir un accès au pouvoir. Les citoyens disent qu’il y a des décisions qui se prennent à Bruxelles. Nous, on ne peut pas intervenir, alors on s’éloigne. Alors les partis de l’extrême droite font leur apparition avec ce langage imaginaire qui n’a jamais existé. Ils parlent d’un Etat puissant, d’un Etat-nation puissant. Ce langage n’a jamais existé dans le passé. Alors au lieu de construire l’avenir, on voit à travers ces partis de l’extrême droite un passé qui n’existait pas de toute façon et on ne voit plus l’avenir. Et pour cela je voudrais dire aux peuples européens que voter en faveur de l’extrême droite, c’est s’abstenir de l’avenir. C’est tourner le dos à l’avenir. Parce que ce passé n’existe pas. Alors on veut rétablir un passé de toute façon imaginaire au lieu d’avoir le regard tourné vers l’avenir, au lieu de revendiquer l’avenir.

JOURNALISTE: Mais on voit bien madame la ministre que la question de l’Europe n’est pas présente à la campagne électorale. On parle de sujets nationaux. En France on sent que ce sera un test pour Emmanuel Macron. On a l’impression que l’Europe n’intéresse pas, ne mobilise pas.

S. ANAGNOSTOPOULOU: Ecoutez monsieur Simonin. C’est normal en quelque sorte. Car si de cette Europe on parle d’un langage complètement technocratique, comment peut-on inspirer les gens à voir cette Europe ? L’Europe est devenue une rhétorique complètement technocratique, avec un langage que personne ne peut comprendre, au lieu de montrer que cette Europe est notre champ commun pour revendiquer notre vie sociale, notre vie culturelle notre vie économique, notre avenir enfin. Alors c’est difficile. Il faut changer la façon dont nous, politiciens, envisageons l’Europe.

JOURNALISTE: Merci beaucoup Sia Anagnostopoulou, ministre grecque déléguée aux Affaires étrangères, en charge de l’Europe d’avoir été aujourd’hui l’invitée de TV5 Monde.
S. ANAGNOSTOPOULOU : Merci beaucoup.

May 7, 2019