Interview accordée par le ministre délégué aux Affaires étrangères, Miltiadis Varvitsiotis au journal chypriote « I Kathimerini tis Kyriakis » et au journaliste Apostolos Tomaras (08/11/2020)

Le ministre délégué aux Affaires étrangères, Miltiadis Varvitsiotis a fait part de la volonté de la Grèce de contribuer à la réouverture des pourparlers dans le dossier chypriote lors d’une interview accordée aujourd’hui au journal chypriote « I Kathimerini tis Kyriakis » (ed. chypriote) et au journaliste Apostolos Tomaras. M. Varvitsiotis a souligné que la seule base de solution acceptable à la question chypriote est celle définie par le droit international, les décisions des Nations Unies et l’acquis communautaire et qu’il ne pouvait y avoir de solution à la question chypriote sans l’abolition du système anachronique des garanties. « En tout état de cause, s’agissant de la question chypriote, Athènes est liée par la position générale, selon laquelle Nicosie décide et Athènes l’accompagne », a-t-il ajouté. Le ministre délégué décrit les conditions dans lesquelles le dialogue Grèce – Turquie peut être réengagé, [Turquie] qu’il décrit comme le « fauteur de troubles de la région élargie » et « un problème européen global de sécurité ». Il estime que rien ne peut être exclu, mais déclare que la Grèce est prête à tout, déterminée, renforcée au niveau international comme facteur de stabilité et de sécurité régionale. Enfin, M. Varvitsiotis a présenté l’héritage légué par la Présidence grecque du Conseil de l’Europe qui s’achève dans quelques jours et se dit fier car « nous avons proclamé que la démocratie, l’Etat de droit et les droits de l’homme ne peuvent constituer les pertes collatérales de toute crise sanitaire, quelle qu’elle soit. Et que même dans des conditions éprouvantes extrêmes, il existe, dans les démocraties, des lignes rouges à ne pas franchir ». Ces positions de principe ont été consignées dans la Déclaration d’Athènes, « le leg le plus important et le plus intemporel de notre présidence », a-t-il déclaré. Le ministre délégué s’est également référé à l’Observatoire pour l’Etude de l’Histoire qui est synonyme d’innovation et contribuera à lutter contre les fanatismes historiques.

Interview intégrale :

Après la dernière sortie du navire Oruc Reis, la perspective de lancement d’un dialogue gréco-turque est assombrie. Que faisons-nous maintenant ?

Le comportement provocateur de la Turquie a, depuis un moment, atteint des niveaux d’escalade sans précédent, tant au niveau de la rhétorique, que des actions agressives. L’ouverture de la plage de Varosha était une action de ce genre. Dans un même temps, la Turquie est le fauteur de troubles de la région élargie, puisqu’elle s’est impliquée militairement dans tous les fronts militaires actifs. Ainsi, la Turquie, constitue aujourd’hui un problème européen de sécurité global. Toutefois, la Grèce ne perd pas son sang-froid, ni sa détermination. Nous nous employons sans relâche à bâtir un réseau d’alliances avec tous les acteurs géostratégiques cruciaux, pour pouvoir mettre en avant les positions grecques. Nous parlons avec tout le monde et renforçons notre crédibilité en tant que facteur de stabilité et de sécurité régionale au niveau international. Parallèlement, nous avons pleinement confiance en nos forces armées, qui depuis longtemps prouvent dans la pratique et au prix de bien de sacrifices leur caractère opérationnel. Cela étant dit, il est important que le front national soit uni.

Est-ce que la probabilité d’un incident constitue une menace bien réelle ?

Nos relations avec la Turquie ont effectivement atteint un niveau critique. Il s’agit d’une crise grave et prolongée entre nos pays ces dernières décennies. Rien ne peut être exclu et nous sommes prêts à parer à toute éventualité. La Grèce croit en la force de la diplomatie et non des armes. Comme tous les pays civilisés, qui ne sont pas attachés à des pratiques datant du 18e siècle, lorsque le droit international n’existait pas. Or, si nos droits souverains sont contestés, soyez certains que nous ne penserons pas un seul instant à les négocier, ni à les céder.

Étant donné que différentes vues peuvent être entendues, pour le gouvernement grec, il est clair que le seul problème avec la Turquie est les zones maritimes ?

Si le dialogue gréco-turc – qui est resté inachevé en 2016 – est finalement relancé, nous devrons examiner les conditions auxquelles cela se fera. Et le principal domaine de l’accord devra être l’objet. Pour la Grèce, donc, le différend est axé sur la délimitation des zones maritimes et ne s’étend pas à des questions plus larges, ni à des revendications unilatérales, que la Turquie baptise « différends bilatéraux », afin de servir ses visées révisionnistes.

La première rencontre Anastassiadis – Tatar a confirmé l’écart qui existe entre les deux parties. La Grèce est prête à une réunion à cinq parties ?

La base de négociation et de résolution de la question chypriote est déterminée clairement par les décisions du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui prévoient la solution d’une fédération bizonale, bicommunautaire et aussi l’acquis communautaire, car Chypre est un Etat membre de l’UE.

Comme vous le savez, la Grèce soutient pleinement les efforts du Secrétaire général des Nations Unies sur la résolution de la question chypriote, qui, d’ailleurs, est une question nationale majeure. Dans ce contexte, la Grèce a, à plusieurs reprises, fait part de sa volonté de répondre et de contribuer à tout effort déployé par le Secrétaire général des Nations Unies en vue de relancer le processus de négociations. Bien entendu, l’attitude infractionnelle de la Turquie dans les zones maritimes chypriotes et sur le territoire de la République de Chypre, et notamment l’ouverture de la plage de Varosha, ne contribue pas à ces efforts.

S’agissant des garanties et de la position de la Turquie consistant à les maintenir, qu’entend faire la Grèce ?

La position de la Grèce à ce sujet est claire et stable : il ne peut y avoir de règlement de la question chypriote sans l’abolition du système anachronique et non viable des garanties et des droits d’intervention de pays tiers dans les affaires chypriotes, ce qui est incompatible avec un Etat indépendant contemporain.

Que signifie pour la partie grecque la tentative de changement de la base de résolution de la question chypriote qui est la Fédération ?

Il est vrai que, au cours des années précédentes, la Turquie s’est efforcée de promouvoir l’idée de « solutions » soi-disant alternatives concernant la question chypriote, dans le but de s’éloigner du cadre de négociation en vigueur, sans succès toutefois.

La seule base acceptable et cadre des pourparlers pour l’ONU, sous les auspices de laquelle se tiennent les négociations sur le règlement de la question chypriote, ses Etats membres, l’Union européenne et bien naturellement la Grèce, est la légalité internationale, telle que définie par le droit international et les décisions du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Quoi qu’il en soit et concernant le dossier chypriote, Athènes est liée par la position générale, selon laquelle Nicosie décide et Athènes l’accompagne.

La Grèce remet la présidence à une période où l’Europe est attaquée par l’Islam radical. Comment l’Europe devra-t-elle régler cette question ?

En effet, les fondamentalismes religieux resurgissent et nous préoccupent beaucoup. Néanmoins, les actes odieux de violence aveugle, comme ceux commis en France et en Autriche, sont absolument condamnables. L’intolérance et la rhétorique de la haine, que nous pouvons entendre de la part de dirigeants de certains pays, n’ont pas leur place au 21e siècle. Ni parmi les sociétés ouvertes d’Europe. Une Europe qui, dans notre conscience collective, est synonyme de respect de toutes les conceptions religieuses, de liberté d’expression et de tolérance de la diversité. Ces valeurs fondamentales qui sont les siennes, l’Europe continuera de les défendre sans relâche, de manière coordonnée, unie, tout en protégeant ses citoyens et sa culture.

Comment l’Europe devra-t-elle faire face à la deuxième vague de la pandémie sans que les droits de l’homme ne soient influencés ?

Elle devra de nouveau prendre des décisions difficiles. Trouver le juste milieu entre protéger la vie humaine et dans le même temps garantir que les moteurs de l’économie ne se mettront pas au point mort. Si nous ne tirons pas les enseignements de la première vague, il est certain que nous allons échouer.

Tout d’abord, tous les gouvernements européens doivent garantir que le noyau dur des droits fondamentaux demeurera inviolable. Et que, s’il est nécessaire de limiter ces droits, ces restrictions seront absolument nécessaires, analogues et feront l’objet d’un réexamen permanent. Par ailleurs, nous devrons créer les mécanismes appropriés pour ne pas voir de nouveau des phénomènes d’abus de pouvoir, comme nous avons pu le voir la dernière fois chez certains pays au cœur de l’Europe. Et enfin, il faudra faire face aux fausses nouvelles (fake news) et aux théories anti-scientifiques, avant qu’elles n’alimentent le populisme et coûtent des vies humaines.

Quel est l’héritage légué par la présidence grecque du Conseil de l’Europe ?

La Présidence grecque était un grand défi pour nous tous en raison des restrictions imposées par la pandémie. J’ose dire, toutefois, avec fierté que nous avons transformé ce défi en opportunité. En une occasion de mettre de nouveau en avant les principes et les valeurs du Conseil sous un nouvel angle : celui du renforcement de ces principes et valeurs en période de crise. Nous avons donc déclaré que la démocratie, l’Etat de droit et les droits de l’homme ne peuvent constituer les pertes collatérales d’une crise sanitaire, quelle qu’elle soit. Et même dans des conditions éprouvantes extrêmes, il existe, dans les démocraties, des lignes rouges à ne pas franchir. Nous avons également mis l’accent sur la question de la protection des groupes sociaux vulnérables et avons condamné leur stigmatisation et marginalisation. Puis, nous avons fait un pas de plus en avant et avons décidé toutes ces positions de principe que nous avons souhaité consigner dans un texte unique, la Déclaration d’Athènes. C’est, je dirais, le leg le plus important et le plus intemporel de notre présidence. Un guide qui aidera les générations futures à éviter d’entrer en terrain inconnu, comme nous l’avons été.

Et, bien naturellement, il y a également l’Observatoire pour l’Etude et l’Enseignement de l’Histoire, un héritage supplémentaire de la Présidence grecque dont nous sommes fiers et que nous espérerons utile pour les générations futures.

Quelle importante revêt la création d’un observatoire européen pour l’histoire ?

L’Observatoire pour l’Etude et l’Enseignement de l’Histoire est une innovation, qui, espérons-nous, contribuera pleinement à lutter contre les fanatismes historiques, dont l’Europe a tant souffert. Mais en Grèce, tout comme à Chypre, nous savons très bien ce que cela signifie d’avoir un voisin qui persiste dans des vérités historiques falsifiées pour servir ses plans irrédentistes.

En l’espèce, l’Observatoire sera neutre du point de vue politique et, à travers l’enregistrement des données, il contribuera à bâtir la conscience démocratique et la connaissance historique des nouvelles générations. J’ai toujours été convaincu que l’étude de l’histoire ne doit pas diviser les peules, mais au contraire les unir. Qu’elle doit mener à des convergences et non à des conflits. Créer des citoyens informés, conscients de leurs origines historiques et ne craignant pas une lecture différente de l’histoire. Nous espérons que, une fois établi, l’Observatoire pourra précisément former des citoyens de ce genre à travers l’Europe.

November 8, 2020