JOURNALISTE : Craigniez-vous que la pandémie accentue l’usure politique au sein du gouvernement ? Des sondages font d’ores et déjà preuve de signes de fatigue politiques, qui ne sont pas négligeables. Au même moment, l’opposition vous accuse d’avoir perdu le contrôle. L’heure ne serait-elle pas venue de changer de stratégie ?
M. VARVITSIOTIS : Je comprends totalement la fatigue de la société en raison de la pandémie. Mais j’estime que les Grecs comprennent bien tout ce que le gouvernement a fait pour protéger la santé des citoyens et dans le même temps soutenir financièrement, du mieux possible, ceux qui sont affectés par la situation. Le renforcement du système national de santé, l’excellente organisation du programme de vaccination, la fourniture massive de self-tests, la bataille que nous avons livrée avec le Premier ministre au Conseil européen pour les 72 milliards du fonds de relance, qui seront versées dans l’économie réelle, sont tout autant d’éléments qui sont portés au crédit au gouvernement. Et ils montrent que ce gouvernement est sur le pied de guerre, prêt à affronter toutes les étapes de cette situation difficile, qu’il garde le contrôle, contrairement au parti SYRIZA, dont les citoyens désapprouvent la tactique d’opposition face à la pandémie, comme le prouvent les sondages. Bien entendu, nous sommes toujours vigilants et, sur la base des données épidémiologiques, nous procédons aux adaptations nécessaires. D’ailleurs, les écoles et le commerce de détail ont ouvert, suivant un plan méthodique et prudent, et bientôt ce sera au tour du tourisme et de la restauration. Je suis optimiste, la « liberté » approche.
JOURNALISTE : Le Sofa-gate a suscité de très vives réactions en Europe. Pensez-vous qu’une question de protocole était nécessaire pour que la direction européenne comprenne à qui elle a à faire ?
M. VARVITSIOTIS : Le Sofa-gate a effectivement provoqué une situation embarrassante et provoqué une image désagréable, venant se greffer à toute une série d’autres actions de la Turquie qui suscitent l’inquiétude parmi tous les Européens, comme son retrait de la Convention d’Istanbul relative à la protection des femmes. Cette même inquiétude, je la perçois également aux Conseils des Affaires générales de l’UE. Il y a une attitude réservée bien diffuse, pour ne pas dire de la méfiance. Ils comprennent bien que la Turquie est impliquée dans tous les conflits de la région, qu’elle menace la stabilité et la sécurité, provoque la Grèce, viole les droits de Chypre et s’est éloignée des impératifs dictés par l’Etat de droit. Et le message envoyé désormais par l’Europe est clair : si la Turquie veut avoir une relation fonctionnelle avec elle, elle devra coopérer, prouver qu’elle embrasse ses valeurs et, bien entendu, qu’elle respecte non seulement le protocole, mais aussi l’acquis européen et le droit international.
JOURNALISTE : Que montre le fait que le Premier ministre d’Italie a qualifié M. Erdogan de « dictateur » à votre sens ? est-ce que cela laisse transparaître un changement de position même de la part d’alliés traditionnels d’Ankara ?
M. VARVITSIOTIS : Il est vrai que la prise de position de M. Draghi a fait sensation. Il semblerait que certains partenaires européens n’aient plus la même tolérance par rapport à la tolérance dont ils faisaient preuve jusque récemment face à certains événements en Turquie. L’Union européenne représente avant tout un ensemble de principes et de valeurs avec une sensibilité particulière aux droits de l’homme et à l’Etat de droit. Quoi qu’il en soit, il appartient à la Turquie de décider quelle voie elle choisira de suivre, afin qu’elle puisse bénéficier du traitement approprié tant de la part de l’Europe en général, que de ses Etats membres en particulier.
JOURNALISTE : Peut-il y avoir une relation sur la base des règles avec la Turquie ? Pensez-vous que nous aurons une période d’apaisement sur le front de la Méditerranée orientale, du moins jusqu’en été ?
M. VARVITSIOTIS : Nous croyons en la diplomatie. C’est dans ce contexte d’ailleurs que s’inscrit la rencontre du ministre des Affaires étrangères avec son homologue à Ankara. La Grèce croit toujours au dialogue et aspire à la coexistence pacifique avec ses voisins. Mais nous avons fait clairement savoir que nous ne renonçons pas à nos lignes rouges. La Grèce parle la même langue, la langue de la vérité partout, aussi bien à l’intérieur, qu’à l’extérieur. Nous avons prouvé que nous pouvons trouver un terrain d’entente, comme cela s’est produit avec l’Italie et l’Egypte, toujours sur la base de la légalité et des principes de bon voisinage. Avec la Turquie, nous avons déclaré à maintes reprises, sur tous les tons, qu’il n’existe qu’un seul différend à résoudre, celui de la délimitation des zones maritimes. Les contacts exploratoires débutés avec la Turquie, dès lors qu’ils se poursuivent dans un esprit de bonne foi et dès lors que la Turquie s’abstient d’entreprendre des actions provocatrices, peuvent porter leurs fruits. D’ailleurs, tant que la Turquie reste à la table des discussions et qu’elle est mise sous pression au niveau européen et international, elle comprend bien qu’il n’est pas dans son intérêt également de mettre en péril la sécurité dans la région.
JOURNALISTE : Après la visite du Premier ministre et de M. Dendias, qui s’est déplacé deux fois en Libye en l’espace de deux semaines, un message a été envoyé, à savoir que l’Assemblée nationale libyenne ne devra pas ratifier l’accord turco-libyen. Est-ce que le message grec a bien été compris par les autorités libyennes ?
M. VARVITSIOTIS : Effectivement, le message envoyé par Kyriakos Mitsotakis depuis la Libye était clair et j’estime qui est arrivé à son destinataire, si l’on en juge d’après les déclarations faites par le Premier ministre libyen, non pas depuis la Libye ou la Grèce, mais depuis la Turquie, là où ce message devait être entendu. Après le voyage du Premier ministre, il a été compris que la Grèce ne pouvait être exclue de la discussion sur la délimitation des zones maritimes de la région. Et c’est ce qui s’est passé ! Lors de la rencontre de Kyriakos Mitsotakis avec le Président du Conseil présidentiel libyen à Athènes, mercredi dernier, il a été convenu de relancer les négociations sur la délimitation des zones maritimes. La Grèce peut non seulement aider à la reconstruction politique, diplomatique et économique de la Libye, mais aussi en tant qu’Etat membre de l’UE, elle peut influencer l’attitude européenne face à la Libye, ce que savent très bien nos voisins libyens.
JOURNALISTE : Que signifie votre visite en Italie, aussi bien pour les relations bilatérales, que pour les évolutions en Europe et en Méditerranée ?
M. VARVITSIOTIS : Beaucoup de choses nous unissent avec l’Italie. Nous avons une vision commune pour une Europe plus forte et plus ambitieuse, fondée sur la coopération et la solidarité. Avec l’Italie nous partageons des positions communes dans tout l’agenda européen. Il s’agit d’un partenaire économique important et d’un peuple avec lequel nous partageons de nombreux points communs. Avec l’Italie, la coopération doit être à plusieurs niveaux, continue et élargie. Il y a une approche et une compréhension communes tant sur la question de la Libye, que la question migratoire, ou encore les questions ayant trait à la sécurité en Méditerranée du sud-est. En ce qui concerne plus particulièrement la Libye, le processus de reconstruction et de stabilisation du pays compte parmi nos priorités. La Grèce va de l’avant et entreprend des initiatives en Méditerranée, pour que nous nous coordonnions tous ensemble, que nous coopérions et promouvions ces politiques qui serviront les intérêts communs.
April 17, 2021