Propos recueillis par le journaliste, Spyros Mourelatos
« La Grèce est attachée à la paix, à la coopération et au droit international. En même temps, elle dispose de la détermination, du courage et la capacité, en termes d’armement, nécessaires pour répondre à toute sorte de menace », indique le ministre délégué aux Affaires étrangères, Miltiadis Varvitsiotis dans son interview accordée au journal « POLITICAL » et au journaliste Spyros Mourelatos.
Suite à la récente contestation de la souveraineté des îles de l’Egée de l’Est de la part de la Turquie, le ministre délégué aux Affaires étrangères parle d’« allégations provocatrices, irraisonnables et dénuées de tout fondement historique » et transmet le message que « nos îles ne constituent pas une menace mais ce sont elles qui sont plutôt menacées et qu’« il n’est pas question de démilitariser les îles puisque des menaces pèsent sur celles-ci ».
En ce qui concerne la position de SYRIZA à l’égard des contrats d’achat des avions Rafale et des frégates Belharra, il souligne que le parti de l’opposition se comporte de manière « inexplicable du point de vue politique » et « dangereuse du point de vue national » et que, face à la menace turque toujours plus grande, il choisit d'être « absent » du rassemblement national. « Le front national exige l'unité, l'unanimité et le consensus », a-t-il noté.
Dans son interview, M. Varvitsiotis, faisant référence à la crise russo-ukrainienne, souligne que l'UE doit renforcer son rôle de leader dans les grandes questions géopolitiques et faire avancer de manière déterminée et atteindre son autonomie stratégique.
Le ministre délégué aux Affaires étrangères évoque également l'impact de la crise énergétique, la question migratoire et sa récente visite à Castellorizo et Ro.
Veuillez trouver ci-dessous le texte intégral de l’interview :
JOURNALISTE : Face à encore une crise internationale, et ce dans son voisinage, en Ukraine, l'Union européenne ne parvient pas à jouer un rôle géopolitique de premier plan. Comment la politique étrangère grecque peut-elle trouver un équilibre entre l'alignement aux côtés de nos alliés de l'OTAN et une politique consistant à maintenir ouverts les canaux de communication avec la Russie ?
M. VARVITSIOTIS : Comme l'a dit le Premier ministre à son arrivée à la réunion extraordinaire des dirigeants de l’UE sur l'Ukraine, nous espérons le meilleur mais nous nous préparons aussi au pire.
La Grèce sait quelle est sa place dans le système international et a fait le choix essentiel de parler à tout le monde. Nous sommes un allié stratégique des États-Unis, dans le cadre d'une relation désormais renforcée, et un État membre de l'OTAN et de l'UE. Dans le même temps, nous avons des canaux ouverts avec la Russie, comme en témoigne la rencontre d'hier entre les ministres des Affaires étrangères Dendias et Lavrov à Moscou. En outre, la Grèce a un intérêt supplémentaire à l’égard de l’Ukraine en raison de la présence de milliers d'expatriés grecs à Marioupol.
À Bruxelles, nous avons réaffirmé notre unité absolue, notre soutien à l'intégrité territoriale de l'Ukraine et notre détermination à réagir de manière coordonnée et en consultation avec nos alliés euro-atlantiques en cas d'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Cette crise, qui se déroule dans l'arrière-cour de l'Europe, est l'occasion de réfléchir plus largement au rôle de l'Europe dans les grandes questions géopolitiques. L'UE doit renforcer son rôle de leader. Cela se produira si elle s'engage résolument dans l’atteinte de son autonomie stratégique, une question que la Grèce a placée au cœur du dialogue sur l'avenir de l'Europe et qui figure parmi les priorités de la présidence française.
JOURNALISTE : En raison de la tension russo-ukrainienne, les prix de l'énergie et des produits de base s'envolent, ce qui met de facto à l’épreuve la cohésion sociale. Craignez-vous que la réaction sociale ne devienne plus virulente et comment, à votre avis, est-il possible de poursuivre les interventions de soutien financier aux ménages et aux entreprises au moment où on assiste au retour, et ce même de manière dynamique, de la règle de l'équilibre budgétaire ?
M. VARVITSIOTIS : Ce sont les besoins des citoyens qui se trouvent au centre de nos préoccupations et non le coût politique. Nous agissons en fonction des problèmes eux-mêmes, sans avoir peur du mécontentement social. Et je pense que c'est ce que les citoyens réalisent en fin de compte.
Contrairement à l'opposition, qui fait tout le temps des promesses en l’air, le gouvernement a pris les devants et continuera à soutenir les personnes socialement vulnérables et celles touchées par la pauvreté, sans compromettre l'équilibre budgétaire du pays. Nous l'avons prouvé avec la crise de la pandémie, où nous avons protégé les emplois, et nous le prouvons avec la crise énergétique, en soutenant les ménages et les entreprises. Et nous continuerons à le faire.
Au niveau européen maintenant, notre position est que l'Europe ne peut pas revenir à des règles fiscales qui correspondaient à une autre époque et qui, dans les circonstances actuelles, se transformeraient en étau fiscal. Parce qu'aujourd'hui les circonstances sont différentes. Et c'est une question sur laquelle nous devrons nous pencher lors du débat sur la révision du pacte de stabilité.
JOURNALISTE : Craignez-vous que l'escalade de la rhétorique incendiaire de la Turquie à l'encontre de notre pays ne prenne la forme d'un incident «grave» en mer Égée ou en Méditerranée orientale ? Êtes-vous satisfait de l'attitude de nos partenaires européens tant face à l'agression turque qu’à l’égard de la question migratoire ?
M. VARVITSIOTIS : La Grèce est attachée à la paix, à la coopération et au droit international. En même temps, elle a la détermination, le courage et la capacité en termes d’armement nécessaires pour répondre à toute menace. Cet état de préparation garantit non seulement que toute action agressive contre nous va échouer, mais constitue également un moyen efficace de dissuader une telle action.
Il est évident que le renforcement des capacités de défense du pays et nos actions diplomatiques à tous les niveaux ont provoqué une certaine irritation en Turquie. La récente contestation par Ankara de la souveraineté des îles grecques fut accueillie avec une désapprobation retentissante par nos alliés et partenaires, les États-Unis et l'UE, ainsi que le Royaume-Uni. Les affirmations de la Turquie sont provocatrices, irraisonnables et dénuées de tout fondement historique. La Turquie doit comprendre que dans le monde moderne, les comportements et les pratiques qui remontent aux siècles précédents et aux États pirates ne sont pas acceptables. Nous sommes le seul pays au monde, membre de l'OTAN et de l'UE, à être confronté à une menace de guerre - un casus belli. Nos îles ne constituent pas une menace, au contraire, elles sont menacées.
On ne peut pas démilitariser les îles tant que des menaces pèsent sur celles-ci. Au niveau européen, c'est le gouvernement Mitsotakis qui a réussi à transformer les relations gréco-turques en une question euro-turque. L'Europe était aux côtés de la Grèce, tant à Evros que dans la crise de l'été 2020 en Egée.
Sur la question migratoire, la Grèce a réussi à réduire les flux de 90% et à décongestionner les îles. En tant que pays, nous avons mis sur la table du dialogue européenne la nécessité de créer un cadre solide de sanctions contre quiconque tente de faire chanter l'Europe par l'instrumentalisation des personnes. Et tel est le message fort que l'UE doit envoyer à ceux qui sapent sa sécurité et sa cohésion.
JOURNALISTE : Comment évaluez-vous l'attitude des partis de l'opposition, notamment celle de SYRIZA, lors de l’adoption par le Parlement du projet de loi pour l'acquisition de 6 avions de combat Rafale supplémentaires, ainsi que pour l'acquisition de frégates Belharra et de torpilles pour sous-marins ?
M. VARVITSIOTIS : Au cours des deux dernières années, la menace turque est devenue plus pressante. SYRIZA semble ne pas comprendre cela, ce qui est hautement problématique, tant sur le plan politique que national, car le parti de l'opposition semble ne pas comprendre l’ampleur de la menace turque, telle qu'elle s'est exprimée à travers la « patrie bleue », le mémorandum turco-libyen et la récente contestation des traités internationaux concernant les îles de l’Egée de l’est. L'opposition se comporte de manière inexplicable sur le plan politique et dangereuse sur le plan national. Face à la menace turque toujours grandissante, SYRIZA choisit d'être « absent » du rassemblement national. Le front national exige l'unité, l'unanimité et le consensus. La défense du pays est une fin en soi ultime. C'est le plus grand devoir. Pour nous, la patrie est avant tout.
JOURNALISTE : Il y a une semaine, vous avez été le modérateur depuis Castellorizo de l'événement sur le thème « L'insularité en tant que priorité pour l'avenir de l'Europe ». Quels sont, à votre avis, les messages émis par un tel événement sur une île qui revêt, de toute façon, un caractère hautement symbolique ?
M. VARVITSIOTIS : L'événement de Castellorizo a envoyé un certain nombre de messages forts à l'Europe et à la Turquie. En ce qui concerne l'Europe, nous avons envoyé le message que Bruxelles doit écouter la voix des habitants des îles et que des politiques européennes sont nécessaires pour renforcer l'insularité, notamment pour les îles ultrapériphériques. La participation de trois ministres des Affaires étrangères et européennes des trois États insulaires (Irlande, Chypre et Malte) a été une réponse forte au fait que nos îles ultrapériphériques sont un territoire européen. En même temps, nous avons envoyé un message clair en faveur du respect du droit international, du respect des frontières et des relations de bon voisinage. Je pense que tout le monde a compris que là, dans la partie la plus éloignée du pays, bat fort non seulement le cœur de la Grèce mais aussi de l'Europe. J'ai également eu l'occasion de visiter l'avant-poste militaire de Ro et de constater par moi-même la détermination et la disponibilité des membres des forces armées à défendre notre pays contre toute menace.
February 19, 2022