Interview accordée par le ministre délégué des Affaires étrangères Miltiadis Varvitsiotis au quotidien espagnol ABC (14.06.2021)

« Nous voulons que la Méditerranée soit une mer de paix, bien que notre histoire montre qu'elle a toujours été un lieu de commerce, d'échanges et de conflits. Tous les pays côtiers doivent respecter les mêmes règles, la principale étant le droit international de la mer. C'est ce que nous demandons à tous les pays qui nous entourent d'appliquer et le fait que la Turquie ne le fasse pas engendre de nombreux problèmes dans nos relations bilatérales », a déclaré le ministre délégué des Affaires étrangères Miltiadis Varvitsiotis dans une interview accordée au quotidien espagnol ABC et à la journaliste Begoña Castiella, à l'occasion de la réunion ministérielle UE-MED7 qui s'est tenue vendredi dernier à Athènes.

En particulier, M. Varvitsiotis a souligné que face aux grands défis de l'UE, la Grèce et l'Espagne se sont rapprochées encore davantage, non seulement parce qu'il s'agit de deux pays très proches, mais aussi parce que les problèmes auxquels elles sont confrontées sont communs, ce qui a été confirmé lors de la récente rencontre entre les deux Premiers ministres Mitsotakis et Sánchez. « Ni le plan de reconstruction européen ni le certificat numérique vert n'auraient pu voir le jour s'il n'y avait pas eu de coopération entre deux puissances comme l'Espagne et la Grèce pour créer un front de pression fort contre les autres pays européens sur la nécessité d'adopter ces mesures », a-t-il ajouté.

Sur la question cruciale de l’immigration, le ministre délégué a souligné qu’ « avant de procéder à l'adoption du nouveau pacte, l'Europe devra passer à la dimension extérieure de l’immigration, en élaborant des accords avec les pays d'origine de ces migrants pour leur retour rapide dans leur pays, un point sur lequel la Grèce et l'Espagne sont d'accord ».

Avant le Conseil européen du 24 juin, M. Varvitsiotis a déclaré que nous espérons que nos partenaires enverront un message clair à la Turquie, à savoir que nous voulons des relations de bon voisinage fondées sur le respect mutuel de nos principes et de nos valeurs communes. L'UE ne peut en aucun cas accepter des actions provocatrices visant à déstabiliser la région, ainsi que des actions qui menacent la souveraineté des États membres de l'UE."

Interrogé sur l'attitude de l'Espagne à l'égard de la Turquie et sur la réaction de l'opinion publique grecque, le ministre délégué a déclaré que « l'Espagne fournit désormais un porte-avions à la Turquie, ce qui change les règles du jeu en Méditerranée orientale et cela nous préoccupe beaucoup ».

Intégralité de l’interview :

QUESTION : Lors de la récente rencontre entre Sánchez et Mitsotakis à Athènes, ils ont souligné l'harmonie qui existe dans les relations bilatérales entre les deux pays sur les questions européennes : des plans de relance économique au certificat numérique vert. Pourriez-vous inclure d'autres questions que vous jugez importantes ?

RÉPONSE : Nous avons travaillé avec l'Espagne à plusieurs niveaux depuis son adhésion à la CEE en 1985. Aujourd'hui, bien sûr, face aux grands défis de l'UE, la Grèce et l'Espagne se sont rapprochées encore plus, non seulement parce que ce sont deux pays très proches, mais aussi parce que les problèmes auxquels elles sont confrontées sont communs. La transformation des produits agricoles, par exemple, une question fondamentale au cours des décennies précédentes, ou encore le défi de l'immigration dont l'Italie, l'Espagne et la Grèce souffrent de manière très similaire, surtout après l'instrumentalisation à laquelle nous avons assisté récemment à Ceuta.  Ni le plan de reconstruction européen ni le certificat numérique vert n'auraient pu être mis en œuvre s'il n'y avait pas eu de coopération entre deux forces telles que l'Espagne et la Grèce pour créer un front de pression fort contre les autres pays européens sur la nécessité d'adopter ces mesures.

QUESTION : La Grèce, l'Espagne, l'Italie et Malte ont déjà présenté leur position sur le nouveau Pacte européen sur l'immigration et l'asile, qui assure la nécessité de garantir un équilibre entre solidarité et responsabilité. Y a-t-il une position commune de la Grèce et de l'Espagne sur le traité de Dublin ?

RÉPONSE : La position essentielle est qu'avant de développer une partie du nouveau Pacte présenté comme la directive sur les procédures de filtrage (screening), l'Europe doit passer à la dimension extérieure de la migration, en élaborant des accords avec les pays d'origine de ces migrants pour leur retour rapide dans leur pays.  C'est un point sur lequel la Grèce et l'Espagne sont d'accord.

QUESTION : Ces mesures contribueront-elles à faire de la Méditerranée une mer de paix ?

RÉPONSE : Nous voulons que la Méditerranée soit une mer de paix, bien que notre histoire montre qu'elle a toujours été un lieu de commerce, d'échanges et de conflits. Nous pensons que tous les pays côtiers doivent respecter les mêmes règles, et le droit international de la mer est fondamental pour nous. C'est ce que nous demandons à tous les pays qui nous entourent d'appliquer, et le fait que la Turquie ne le fasse pas engendre de nombreux problèmes dans nos relations bilatérales.

QUESTION : L'Espagne a-t-elle été punie par la Grèce sur la question des frégates à cause de la politique de Sánchez ?

RÉPONSE : Le gouvernement grec a clairement indiqué qu'il s'agissait d'un plan spécifique qui comprenait la construction de 4 frégates, la modernisation de 4 autres et l'acquisition de deux navires supplémentaires comme solution transitoire pour couvrir les besoins jusqu'à l'arrivée des nouvelles frégates. Le gouvernement grec ne s'est pas soudainement réveillé après 10 ans de crise économique et n'a pas décidé qu'il avait besoin de navires et d'avions parce qu'il voulait tout simplement récompenser ou désapprouver certains amis et partenaires.

Cette décision émane du besoin pressant créé par les actions agressives de la Turquie en Méditerranée orientale et dans la ZEE de la Grèce. Et comme nous l'avons vu en 2020, au lieu de faire prévaloir le dialogue, la diplomatie et le droit international, la Turquie a tenté de transformer nos relations en une relation guerrière, nous avons été contraints de réagir en lançant un appel d'offres pour équiper notre marine de frégates.

QUESTION : Malgré le fait que les relations entre la Grèce et l'Espagne ont traditionnellement été très bonnes, y a-t-il eu récemment une forte critique de la part d'une partie de l'opinion publique grecque sur l'attitude espagnole envers la Turquie ?

RÉPONSE : Il est clair que la Grèce et l'Espagne ont des objectifs communs et nous avons réussi pendant tout ce temps à avoir une relation et une coopération très étroites. En ce qui concerne nos relations avec la Turquie, il est vrai que nous espérons que les pays méditerranéens et notamment des pays comme l'Espagne, avec lesquels nous avons des points communs en tant que membres de l'OTAN, donneront la priorité à la mise en œuvre du droit international de la mer par tous les pays concernés. Et nous espérons que c'est le message de l'Espagne à la Turquie comme base de résolution de nos différends bilatéraux existants. Ce qui a certainement troublé l'opinion publique grecque et qui s'est reflété dans les discussions entre les ministres des Affaires étrangères grec et espagnol, c'est que l'Espagne fournit désormais un porte-avions à la Turquie, ce qui change les règles du jeu en Méditerranée orientale et cela nous inquiète beaucoup.

Nous espérons que lors les discussions qui auront lieu en juin nos partenaires enverront un message clair à la Turquie : nous voulons des relations de bon voisinage fondées sur le respect mutuel de nos principes et de nos valeurs communes. L'UE ne peut en aucun cas accepter des actions provocatrices visant à déstabiliser la région, ainsi que des actions qui menacent la souveraineté des États membres de l'UE.

June 14, 2021