V. NEDOS : Ces derniers jours, la situation au sud d’Evros a provoqué une certaine agitation. Que demandent exactement les autorités turques et qui a provoqué des démarches de la part de la Grèce ?
N. DENDIAS : Comme chacun sait, des travaux de construction de prolongement de la clôture existante à Evros ont commencé. Ces travaux ont suscité la réaction de la Turquie. Une note verbale nous a été remise, dans laquelle la Turquie nous demande de lui communiquer les coordonnées du lieu de construction de la clôture et de nous concerter avec elle pour sa construction. La demande turque a été rejetée par une note verbale, car ce que nous faisons dans les limites de notre souveraineté nationale relève de notre prérogative et compétence et nous ne sommes pas tenus de rendre des comptes à qui que ce soit. Par la suite, suite à une certaine agitation de la Turquie dans la région, du côté turc, nous avons procédé, comme nous le devions, à une nouvelle note verbale. À partir de là, il y a eu une diffusion inadmissible de fausses informations parlant par exemple d’occupation de 16 stremmas (1 stremme = 1 000 mètres carrés environ. N.d.T.) du territoire grec et malheureusement des partis de l’opposition se sont laissés entraînés par ces fausses informations, alors qu’ils ne le devaient pas.
V. NEDOS : En effet, le tracé de la frontière à ce point d’Evros est contesté. Dans son communiqué, le ministère des Affaires étrangères de la Turquie affirme que «il n’y a pas de coordonnées géographiques convenues conjointement dans ladite région de la frontière qui soient compatibles avec l’accord de 1926 ».
N. DENDIAS : Le Traité de Lausanne de 1923 et le Protocole d’accord y relatif de 1926 déterminent les frontières des deux pays à Evros. Les frontières sont acquises. Elles ne changent pas et ne peuvent pas changer. Ce qui doit être clairement compris est que ce sont les points à partir desquels sont effectuées les mesures qui changent, en raison des changements survenus au niveau des caractéristiques géomorphologiques du lit du fleuve Evros. C’est une question qui existe depuis des décennies car les données géomorphologiques de la région changent souvent dans une région comme Evros. Cela n’affecte en aucun cas les frontières du pays. Il n’est pas question de contester les frontières. Permettez-moi de dire, donc, en guise de commentaire, que toute référence à une telle version que pourrait faire tous ceux qui font carrière en invoquant la patrie, sert en réalité les objectifs de tiers.
V. NEDOS : Que demandent exactement les Turcs ? Si demande il y a bien sûr…
N. DENDIAS : Je n’ai pas le droit, en tant que ministre des Affaires étrangères, de faire des commentaires en public sur les objectifs hypothétiques d’un autre pays. Toutefois, il est évident que dans la région d’Evros la communauté internationale a été témoin d’une tentative échouée d’Ankara d’exercer la pression sur notre pays et de faire du chantage à l’UE. Et comme chacun sait, cela a échoué grâce à la réaction rapide et coordonnée du mécanisme de l’Etat, des forces armées et des services de sécurité. Et si cette tentative se répétait, elle échouerait de nouveau. Le gouvernement a prouvé qu’il pouvait protéger nos frontières. Les frontières de l’Europe.
V. NEDOS : Y a-t-il à l’heure actuelle, une présence turque sur la ligne des frontières à l’endroit en question ?
N. DENDIAS : D’après ce que je sais, il n’y pas plus d’agitation. Il existe des communiqués très clairs du ministère de la Défense nationale qui clarifient totalement la situation.
V. NEDOS : Pensez-vous que votre formulation concernant les quelques dizaines de mètres lors de votre entretien à la radio mercredi passé, était erronée ?
N. DENDIAS : Lors de mon interview à la radio mercredi passé au Premier Programme de ERA, j’ai parlé de changement du lit du fleuve de quelques dizaines de mètres et manifestement pas d’acceptation de changement de frontières ou, pire, de concession de territoire national. Aucun ministre grec ne pourrait faire ce genre de déclaration. La Constitution interdit toute concession ne serait-ce que d’un centimètre carré d’espace national. Pour tous ceux qui m’accusent de ne pas être clair, le journaliste lui-même de la chaine qui m’a posé la question a confirmé, dans un article publié vendredi, mes dires et leur sens. Il y a eu toutefois une tentative d’isoler [de leur contexte] et d’altérer mes propos de la part [du parti] d’extrême droite de Velopoulos, en association avec des fausses informations véhiculées par le Sun. Malheureusement, des partis de l’opposition se sont rangés derrière l’extrême droite teintée de différentes nuances. D’ailleurs, deux jours après l’interview, alors que pendant ces deux jours personnes n’avait souligné ce manque de clarté. Il est désolant de voir que, quelques semaines après la solidarité dont a fait preuve le monde politique grec s’agissant des événements survenus à Evros, solidarité que, soit dit en passant, j’ai soulignée et saluée, certaines choisissent d’adopter les fausses informations d’un parti d’extrême droite à des fins partisanes.
V. NEDOS : Si le problème avait été rendu public, l’impact médiatique n’aurait-il pas été moins fort ? Pourquoi n’a-t-il pas été rendu public ?
N. DENDIAS : Le problème n’a jamais été passé sous silence, M. Nedos. D’où ma réponse claire à la question qui m’a été posée hier lors de mon interview sur ERA. C’est une question qui existe et qui revient par périodes, en fonction des données géomorphologiques dans la région et qui est résolue dans le cadre des ententes ad hoc bilatérales, si le besoin se présente. Et c’est la raison pour laquelle les différents arrangements se font loin des projecteurs. Les motivations de tous ceux qui ont choisi d’altérer le sens de mes propos sont bien manifestes.
V. NEDOS : Est-ce que les travaux de construction du mur se poursuivront ?
N. DENDIAS : Le prolongement du mur se poursuit normalement et sera finalisé.
V. NEDOS : Avez-vous ressenti ces derniers jours des coups portés par des personnes au sein du même parti ?
N. DENDIAS : En tant que ministre des Affaires étrangères je dois avoir un unique critère : servir les intérêts nationaux de la meilleure manière qui soit. C’est d’ailleurs le mandat que m’a confié le Premier ministre, Kyriakos Mitsotakis. Rien d’autre ne m’importe.
V. NEDOS : Nous comprenons qu’il y a une préparation s’agissant des évolutions rapides en Méditerranée, notamment après que la donne a changé en Libye. Pouvez-vous nous parler des prochaines initiatives de la diplomatie grecque ?
N. DENDIAS : Grâce au dynamisme de la diplomatie grecque, la Grèce a réussi à devenir un interlocuteur important s’agissant du dossier libyen. Elle a réussi à être présente là où elle brillait par son absence. Cela ressort tant du grand nombre de contacts bilatéraux que nous avons, que des initiatives organisées comme la conférence récente à cinq parties, à laquelle ont participé la France, Chypre, l’Egypte et les Emirats arabes unis. En tout état de cause, la situation en Libye est particulièrement volatile et le donne pourrait changer. Notre pays suit de très près les évolutions et exerce son influence pour défendre l’intérêt national, lorsqu’il le juge opportun, en veillant toujours au droit international. Au cours de la prochaine période, j’effectuerais une série de déplacements dans la région, afin de discuter de nouveau de près des évolutions avec les personnes directement impliquées. Par ailleurs, lorsque cela sera nécessaire, nous poursuivrons nos contacts à distance, comme ce fut le cas la semaine passée avec le président du parlement libyen. Soyez sûrs que la diplomatie grecque continuera de promouvoir l’intérêt national avec le même dynamisme, partout où cela sera nécessaire.
May 26, 2020