Interview accordée par le ministre des Affaires étrangères, N. Dendias, au journal «Le Figaro»-Propos recueillis par la journaliste Alexia Kefalas (15.06.2020)

Interview accordée par le ministre des Affaires étrangères, N. Dendias, au journal «Le Figaro»-Propos recueillis par la journaliste Alexia Kefalas (15.06.2020)A. Kefalas: Vous vous rendez en France à un moment où la Turquie multiplie les menaces dans la région. u’attendez-vous de Paris?

N. Dendias: Effectivement, la Turquie a dangereusement intensifié ses provocations en Méditerranée orientale. C’est inacceptable. Cela ne s’arrête pas aux violations de notre espace aérien et de nos eaux territoriales. S’ajoutent les survols d’avions de chasse armés au-dessus d’îles habitées, ainsi que sur nos terres à la frontière gréco-turque, à Evros, au nord du pays. Parallèlement, la Turquie viole les droits souverains et la souveraineté d’un autre membre de l’UE, la République de Chypre. Elle n’a pas hésité à forer dans la zone économique exclusive (ZEE), et dans les eaux territoriales chypriotes. Ces actions ont été condamnées par l’UE qui a imposé des sanctions ciblées. Et ce n’est pas tout: en février, Ankara a non seulement menacé de violer massivement les frontières terrestres européennes, mais elle a essayé de le faire en instrumentalisant des migrants en détresse, leur faisant croire à l’ouverture des frontières. Le ministre turc de l’Intérieur a mené une campagne de désinformation affirmant que les frontières étaient soi-disant ouvertes et que 130.000 personnes avaient franchi la frontière avec l’Europe, alors qu’ils n’étaient que quelques dizaines. L’agence de presse nationale turque a renchéri en n’hésitant pas à publier des cartes pour indiquer les points d’accès les moins gardés.
Ces éléments s’ajoutent à l’accord illégal et non valide que la Turquie a signé avec le gouvernement de Fayez el-Sarraj en Libye. Elle s’implique de facto dans cette guerre civile. Dans sa vaste tentative illégale d’étendre sa souveraineté et ses droits souverains en Méditerranée orientale, elle prépare, avec des méthodes illégales, l’envoi de navires d’exploration dans la zone du plateau continental grec, tout en s’efforçant de la contester et de piller nos ressources sous-marines. Notre gouvernement ne laissera pas passer cela.

La Grèce apprécie particulièrement la position constante de notre alliée et amie, de la France. Paris a compris, dès le départ, que les provocations turques n’affectent pas que la Grèce et Chypre, mais concernent l’ensemble de l’Europe et du pourtour méditerranéen. La Turquie ne peut pas constamment exercer un chantage sur l’Europe. Sur le plan militaire, la présence de la Marine nationale et la participation de la France à l’opération IRINI dans la région lancent un message clair: le rejet de l’illégalité internationale.

A. Kefalas: La Grèce a établi une ZEE avec l’Italie et prépare la même chose en Égypte où vous vous rendez dans quelques jours. Pourquoi est-ce si important?

N. Dendias: Mon pays cherche à résoudre les problèmes en suspens avec ses pays voisins, au profit de la paix, de la stabilité et de la prospérité des peuples de la région. Cet accord est basé sur la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (UNCLOS). Il confirme aussi le droit des îles à un plateau continental et à une zone économique exclusive, comme le stipule l’article 121 de la Convention. Ce droit, reconnu partout dans le monde, est rejeté par la Turquie, qui veut s’immiscer dans la région, en violant le droit international. Mais cet accord que nous avons signé avec l’Italie est légal et peut servir d’exemple pour d’autres pays.

A. Kefalas: Vous attendez-vous à une coopération plus intense entre nos deux pays après la rencontre avec le ministre français des Affaires étrangères?

N. Dendias: L’amitié et la coopération franco-grecque sont très étroites, tant au niveau bilatéral qu’au sein de l’UE. Récemment, la France a cosigné une déclaration conjointe avec la Grèce, Chypre, l’Égypte et les Émirats arabes unis, qui condamne les manœuvres turques. Le soutien français à la Grèce, mais aussi à Chypre, est intangible et indéfectible, et je m’en réjouis. Bien entendu, notre coopération s’étend à de nombreux autres domaines, comme la crise du Covid-19, la reprise de l’économie européenne, la défense ou le renforcement du tourisme dans les deux pays. Je suis certain que nous continuerons à collaborer étroitement, dans un esprit de solidarité européenne.

A. Kefalas: Qu’attendez-vous du Conseil européen du 19 juin?

N. Dendias: Son thème principal sera la création du nouveau fonds pour la relance de l’économie européenne après la pandémie, mais aussi du cadre budgétaire pluriannuel. Il s’agit d’une discussion très importante qui met en évidence la question essentielle de la solidarité européenne concrète et substantielle.

A. Kefalas: Quelle est votre opinion sur le plan de développement de l’UE? Et comment la Grèce pourra-t-elle rembourser les 32 milliards d’euros qui lui seront alloués?

N. Dendias: La proposition que nous soumet la Commission européenne va dans la bonne direction et la Grèce l’a saluée. L’initiative du président Macron et de la chancelière Merkel a d’ailleurs été cruciale, et répond aux principes essentiels de l’édifice européen en tenant compte du fait que les urgences nécessitent des mesures courageuses et, je dirais même extraordinaires. J’espère que le Conseil européen approuvera le plan. Il est vital que nous parvenions le plus rapidement possible à un accord sur la reprise économique de l’Europe. La Grèce était entrée dans une trajectoire dynamique de développement avant la pandémie, après dix années de récession. Bien entendu, cette croissance a été interrompue par les circonstances, mais les fondements et les conditions de sa reprise sont bien établis et constituent un socle solide de croissance. C’est l’une des principales priorités du gouvernement de Kyriakos Mitsotakis.

June 15, 2020