Propos recueillis par le journaliste, Kostas Papachlimintzos
JOURNALISTE : Comment évaluez-vous la visite de Mevlut Çavusoğlu à Athènes ? Allons-nous dans le sens d’une normalisation des relations entre les deux pays ? La visite du ministre des Affaires étrangères de la Turquie constitue-t-elle un pas vers le renforcement des canaux de communication entre les deux pays ?
Ν. DENDIAS : La visite du ministre turc des affaires étrangères est un pas vers le renforcement des canaux de communication entre les deux pays. On sait bien que le gouvernement de Mitsotakis cherche à engager un dialogue constructif avec la Turquie, toujours sur la base du droit international. Avant de me pencher sur le fond de la visite, je voudrais faire une observation sur le climat dans lequel s’est déroulée la rencontre : mon homologue turc et moi-même nous connaissons depuis près de deux décennies, puisque nous étions tous les deux membres de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Nous n'avons jamais caché que nous avions des relations amicales et c'était un plaisir de l'accueillir à Athènes. Il ne faut pas confondre l'officiel et le personnel, et certainement pas s'imaginer qu'une bonne relation personnelle peut en soi contribuer à réduire les tensions. J'ai eu une discussion franche avec M. Çavusoğlu. Lors de cette visite, des résultats tangibles ont été d’ores et déjà constatés. Comme la reconnaissance mutuelle des certificats de vaccination, qui, selon nous, stimulera le tourisme dans les deux pays. Une liste de programmes de coopération économique a également été approuvée. Parmi les éléments positifs de notre rencontre figure le fait que la partie turque a écouté nos préoccupations concernant la centrale nucléaire en cours de construction à Akkuyu, en raison de la sismicité de la région, et a accepté de fournir des informations en la matière par l'intermédiaire de la société de construction russe. Cela dit, cependant, il a été confirmé que nous avons des positions diamétralement opposées sur des questions très importantes. De notre côté, nous avons de nouveau souligné les actions de la Turquie, qui constituent un obstacle majeur à tout effort de désescalade et, à plus long terme, si les conditions sont réunies, à tout effort de normalisation progressive de la situation. J’ai soumis à la table des discussions de manière urgente toutes les questions qui influent négativement sur nos relations avec la Turquie. J'ai souligné que, tant que la Turquie n'acceptera pas les règles fondamentales du droit international, telles que l'abstention de la menace de recours à la violence ou le respect de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, qui reflète le droit coutumier, il n'y aura pas de réelle possibilité de normalisation des relations. Au cours des discussions, une référence claire a été, entre autres, faite au fameux « casus belli », au « mémorandum turco-libyen » illégal et sans fondement, aux violations de notre souveraineté et de nos droits souverains dans les airs et en mer, ainsi qu'aux revendications non fondées de la Turquie concernant la minorité musulmane de Thrace. J'ai également souligné, dans le contexte des relations entre l'UE et la Turquie, la question de l'instrumentalisation de la question migratoire et j'ai fait largement référence à l'attitude dilatoire et peu constructive de la Turquie à l’égard de la question chypriote. Mais surtout, il a été confirmé que la Grèce reste ferme sur ses positions, que j'ai mentionnées précédemment, qui sont fondées sur le droit international. Et telle est peut-être la conclusion la plus importante de la visite de mon homologue turc : il a été prouvé une fois de plus que notre pays voisin est maintenant bien conscient, après ma visite à Ankara, de nos positions et de nos lignes rouges, et que nous envoyons les messages nécessaires à l'autre partie dans chaque cas, afin qu'il n'y ait pas de malentendu. Après tout, même si nous ne sommes pas d'accord, nous devons être honnêtes. Je pense également que les Turcs ne comprennent pas aujourd'hui que la Grèce, tout en ayant confiance en elle-même, et en exerçant une politique étrangère active, joue un rôle accru dans la région au sens large, comme le démontrent nos partenariats et nos alliances. Un rôle qui ne se limite pas au cadre de l'UE et de l'OTAN, mais qui s'étend bien au-delà.
JOURNALISTE : La discussion sur certaines questions bilatérales dans les relations gréco-turques a-t-elle mûri, de sorte que ces questions puissent être discutées et que leur règlement puisse être éventuellement mis en route lors de la rencontre entre M. Mitsotakis et M. Erdogan à Bruxelles ?
Ν. DENDIAS : Lors de la rencontre entre le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis et le ministre turc des Affaires étrangères, il a été convenu de tenir une réunion au sommet en marge du sommet de l'OTAN, qui aura lieu dans une dizaine de jours. Cette réunion s'inscrit dans le cadre du maintien des canaux de communication entre les deux parties. Mais permettez-moi de souligner qu'il n'y a qu'une seule question bilatérale entre la Grèce et la Turquie : la délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental en mer Égée et en Méditerranée orientale, sur la base du droit international. Cette question est examinée dans le cadre des contacts exploratoires.
JOURNALISTE : Le 24 juin se tiendra la prochaine réunion au sommet de l'Union européenne. Quelle est la position de la Grèce à l’égard des éventuelles sanctions européennes, mais aussi à l’égard du parcours d'adhésion de la Turquie ?
Ν. DENDIAS : La position de la Grèce sur les relations UE-Turquie est claire : nous sommes en faveur d'une double approche. D'une part, nous sommes en faveur d'un agenda positif, qui devrait être graduel, proportionnel et réversible, à condition que la Turquie évite les tensions et l'escalade. En revanche, si la Turquie fait de nouveau preuve d’un comportement provocateur, comme elle l'a fait jusqu'en décembre dernier, l’éventuelle imposition de mesures restrictives doit rester sur la table. Je voudrais saisir cette occasion pour souligner que la Grèce est désormais l'un des rares pays à soutenir ouvertement le processus d'adhésion de la Turquie, avec la conditionnalité connue, bien entendu. Je voudrais ajouter que la Grèce n'a jamais créé de problèmes concernant le financement des programmes destinés aux réfugiés en Turquie, en soulignant toujours que ce financement devrait être étendu aux pays voisins tels que la Jordanie et le Liban.
JOURNALISTE : Quatre mois se sont écoulés depuis la reprise des discussions exploratoires avec la Turquie. Y a-t-il eu des progrès ? Pensez-vous qu'ils vont continuer pendant longtemps ?
Ν. DENDIAS : Le ministre turc s'est engagé - et il l'a dit publiquement - à proposer des dates pour la convocation du 63e tour des contacts exploratoires, qui aura lieu en Turquie. En ce qui concerne la substance de ces contacts, qui se déroulent à un niveau officiel et qui sont informels, il est bien connu qu'aucune des parties n'entre dans la substance de ce qui est discuté. Enfin, en ce qui concerne leur durée, je tiens à souligner qu'ils ont commencé il y a 19 ans et qu'ils se poursuivent toujours. Le problème est que la Turquie n'a jusqu'à présent pas accepté le cadre de règlement de notre différend bilatéral, à savoir la convention de l’ONU sur le droit de la mer.
JOURNALISTE : La dotation en moyens militaires et la modernisation des forces armées turques se déroulent normalement. Le gouvernement grec est-il préoccupé par cette question ? Des démarches sont-elles entreprises au niveau politique ou autre avec les pays de notre voisinage élargi ?
Ν. DENDIAS : La dotation de la Turquie en systèmes susceptibles d'être utilisés dans des actions offensives et de bouleverser le rapport de forces en Méditerranée orientale est une source de préoccupation pour la Grèce et pour tous les pays de la région. Dans ce contexte, la Grèce renforce sa coopération avec la plupart des pays de la Méditerranée orientale et du Golfe, qui partagent les mêmes préoccupations quant au rôle déstabilisateur de la Turquie. Mais je veux être clair à cet égard : La Grèce ne forge pas d'alliances contre qui que ce soit. Au contraire, nous sommes ouverts à la coopération avec tous les pays qui respectent les règles fondamentales du bon voisinage. Dans le cadre du renforcement de ces relations, j'ai visité de nombreux pays de la région. Et dans quelques jours, je me rendrai aux Émirats arabes unis, pour la quatrième fois depuis la prise de mes fonctions, afin de procéder à un échange de vues sur l'évolution de la situation dans la région du Moyen-Orient et de renforcer la coopération stratégique bilatérale. Compte tenu de l'évolution des équilibres dans la région et du développement des relations de la Grèce avec Israël et un nombre important d'États arabes au cours des deux dernières années, toute crise dans la région a désormais un impact direct sur la Grèce. C'est pourquoi j'ai été le premier ministre des affaires étrangères à me rendre en Israël et dans les territoires palestiniens. Avant même que le cessez-le-feu ne soit atteint. Cette action a été très chaleureusement accueillie tant par les pays de la région que par les pays européens. La Grèce n'est plus un simple observateur. Elle est un acteur et façonne les évolutions, mais sans vouloir les imposer ou avoir des ambitions contre d'autres pays. Au contraire, notre objectif est d'être un pont d'amitié et de coopération entre la Méditerranée orientale, le Golfe et l'Europe.
JOURNALISTE : Allez-vous procéder à l'extension des eaux territoriales en mer Égée et en mer de Crète à 12 milles nautiques ? Cela fait-il partie de votre planification et ce, dans quel délai ?
Ν. DENDIAS : La Grèce a le droit inaliénable d'étendre ses eaux territoriales à 12 miles nautiques au-delà de la mer Ionienne, ce qu'elle a d’ailleurs fait en février dernier, chaque fois qu'elle le juge approprié pour promouvoir ses intérêts. Comme cela a été annoncé, les travaux techniques ont déjà commencé pour certaines zones.
JOURNALISTE : Les discussions avec l'Albanie sur la signature d'un accord en vue d’un recours devant la Cour internationale de justice de La Haye ont-elles progressé ? Dans quelle mesure sommes-nous maintenant proches d'un accord ?
Ν. DENDIAS : L'accord politique visant à saisir de la question de la délimitation de la zone économique exclusive entre la Grèce et l'Albanie la Cour internationale de justice de La Haye a déjà été conclu depuis octobre dernier. En ce qui concerne la partie technique, un accord spécial doit être soumis. Les services compétents des deux pays sont en consultation directe pour la rédaction de ce texte.
JOURNALISTE : Quand aura lieu la révision de l'accord MDCA avec les Etats-Unis et quelles seront ses principales dispositions ? Avez-vous l'intention de visiter Washington dans un avenir proche ?
Ν. DENDIAS : L'accord révisé de coopération bilatérale en matière de défense entre la Grèce et les États-Unis sera, on l'espère, signé d'ici la fin de l'été. Mais cela dépendra de l’état d’avancement des négociations. Idéalement, la signature dudit accord pourrait être combinée avec une visite du Secrétaire d'État américain, A. Blinken à Athènes. La signature de l'accord serait le point culminant des relations déjà excellentes qui se sont développées entre les deux pays sous l'administration américaine précédente et qui se sont poursuivies sous l'administration actuelle. Permettez-moi de rappeler la longue conversation téléphonique que le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a eue avec le Président américain Joe Biden, ainsi que les contacts que j'ai eus avec mon homologue, M. Blinken. Je me réjouis de me rendre à Washington lorsque les conditions le permettront.
JOURNALISTE : Quand le Parlement ratifiera-t-il les accords avec la Macédoine du Nord ? A quoi est dû ce retard ?
N. DENDIAS : Ces accords ont été soumis au Parlement en septembre dernier. Le ministère des Affaires étrangères a entrepris toutes les actions nécessaires. Il appartient au Parlement de fixer une date pour l’adoption de la loi de ratification. Permettez-moi de vous rappeler qu'en raison de la pandémie, des mesures spécifiques ont été et sont toujours en vigueur concernant la procédure parlementaire.
June 5, 2021