Interview accordée par le ministre des Affaires étrangères, N. Dendias au journal « TA NEA » (édition du week-end) (30.01.2021)

Propos recueillis par la journaliste, Alexandra Fotaki

JOURNALISTE : Quels sont les premiers messages reçus par le lancement des pourparlers exploratoires ? Est-ce qu’on est près d’une désescalade ?

Ν. DENDIAS : Permettez-moi d’apporter d’abord une précision qui est particulièrement importante.  Il ne s’agit pas d’un lancement des pourparlers exploratoires mais d’une reprise. Lundi dernier a eu lieu le 61e tour. Il est vrai que lesdits contacts ont été interrompus pendant cinq ans à peu près. Lors de cette rencontre nous avons repris les discussions de là où nous les avions laissées. Par ailleurs la Grèce avait d’emblée fixé comme critère pour la tenue de ces contacts une désescalade durable et l’abstention d’actions provocatrices. Il y a eu, il est vrai, des incidents isolés. Mais, en général, la situation est restée relativement calme « sur le terrain », ce qui nous a permis d’accepter l’invitation de la Turquie et de consentir par la suite à l’organisation d’un nouveau tour de contacts exploratoires à Athènes dans l’avenir proche. Toutefois, force est de signaler que la désescalade doit être permanente. Cela est par ailleurs inclus dans les Conclusions du Conseil européen de décembre dernier.

JOURNALISTE : Dans quelle mesure cherche-t-on à établir un calendrier concernant l’obtention de résultats de ces pourparlers ?

Ν. DENDIAS : Nous devons préciser que ces contacts ne sont pas des négociations et il n’y a pas de date butoir. L’objectif est de voir si l’on peut trouver des points de convergence en vue d’entamer éventuellement des négociations sur la délimitation de la Zone économique exclusive et du plateau continental en Egée et en Méditerranée orientale sur la base du droit international. Ces contacts ont commencé il y a 19 ans. Par conséquent, il est difficile de parler de leur issue dans un délai fixé. Je voudrais toutefois signaler que la Grèce actuellement est bien armée du point de vue diplomatique et de défense grâce à des actions concrètes du gouvernement de Mitsotakis, elle n’a aucune raison d’avoir peur d’un dialogue sur la base du droit international.  Elle se rend à ce dialogue tout en étant bien confiante puisque tout le monde sait qu’elle peut défendre ses intérêts nationaux.

JOURNALISTE : Les contacts exploratoires sont « associés » à la réunion au sommet de mars. L’élaboration d’une liste de sanctions n’est-elle plus sur la table ?

Ν. DENDIAS : En dépit du fait que dans les discours publics, on entend souvent parler de cette association, cela n’est pas le cas et je me réjouis d’avoir l’opportunité d’apporter quelques clarifications à cet égard. Les contacts exploratoires ne sont pas liés au Conseil européen de mars. Les conclusions du Conseil européen de décembre sont bien claires. Le haut représentant, M. Borrell avec l’UE soumettront un rapport sur l’ensemble des relations euro-turques avec des propositions comportant des conséquences négatives ou positives, en fonction du comportement de la Turquie.

Toutefois, il doit être clair – je le répète encore une fois – que l’éventualité d’imposer de nouvelles mesures à la Turquie n’a pas comme délai exclusif le Conseil européen de mars. En d’autres termes, il ne suffit pas que la Turquie fasse preuve d’une « bonne conduite » seulement d’ici à la tenue du Conseil afin que les choses restent telles qu’elles sont. Une telle approche s’auto-annulerait.

La prise de nouvelles mesures restrictives doit toujours être sur la table en tant qu’option envisageable. Notre objectif n’est pas de punir la Turquie. Ce que nous souhaitons est que la Turquie se comporte en tant qu’Etat moderne respectueux des règles de la coexistence pacifique entre les Etats voisins ainsi que le droit international.
Dans ce cadre, dès lors que la Turquie s’abstient de nouvelles provocations et remplit les critères fondamentaux qui ont été fixés pour l’ensemble des pays candidats désireux d’adhérer à l’Union européenne, la Grèce aura toutes les raisons de continuer de soutenir sa perspective européenne. En fin de compte, il appartient à la Turquie de saisir l’opportunité qui lui est offerte et de mettre de nouveau en avant la question de son parcours européen. Il ne faut pas aussi oublier qu’une grande partie de la société turque aspire toujours à faire partie de l’Europe. C’est justement cette partie que nous voulons encourager.

JOURNALISTE : Vous avez déclaré qu’après l’extension des eaux territoriales dans la mer Ionienne, il y aura aussi une extension au sud et à l’est de la Crète. Quand seront entrepris les prochains pas et qu’est-ce que vous répondez aux déclarations du ministère des Affaires étrangères de la Turquie concernant l’Egée ?

N. DENDIAS : Etant moi-même juriste, je suis toujours très prudent dans les mots que j’emploie. Parler de régions à l’est de la Crète est une chose, parler de la partie est de la Crète – ce que j’ai dit devant le Parlement – en est une autre. Quoi qu’il en soit, ce que nous avons souligné à plusieurs reprises, tant le Premier ministre, Kyriakos Mitsotakis que moi-même, est que la Grèce a le droit inaliénable d’étendre ses eaux territoriales, n’importe-où sur son territoire et à tout moment qu’elle juge approprié. Bien entendu, pour qu’une telle extension ait lieu, il faut au préalable qu’ une partie technique ait été accomplie, comme l’étude du tracé des lignes droites et la fermeture des baies ainsi que la publication des décrets présidentiels y relatifs. En ce qui concerne la répétition du casus belli par la partie turque, j’ai deux remarques. Tout d’abord, mon homologue turc a réitéré les positions de son pays, lesquelles se répètent à outrance depuis 25 ans. Cela ne me surprend pas. Mais j’aimerais dire qu’il est inacceptable, au 21e siècle, que la Turquie continue de penser et de s’exprimer selon la logique des canonnières en violation des règles fondamentales du comportement international, tel que défini dans la Charte des Nations Unies. Cette question, que certaines capitales européennes semblent éluder, je la soulève avec insistance lors de tous mes contacts. Comme par exemple à Bruxelles, au début de la semaine passée, avec des hauts fonctionnaires européens et le Secrétaire général de l’OTAN. Cela ne m’enchante guère. Bien au contraire. Mais je suis obligé de le faire. D’ailleurs, cela concerne l’exercice d’un droit de la Grèce qui fait partie de l’acquis européen. Souvenez-vous que la Convention des Nations Unies pour le droit de la mer, et donc le droit souverain d’étendre les eaux territoriales à 12 miles nautiques, a été ratifié par l’UE elle-même.

JOURNALISTE : Nous avons une nouvelle présidence américaine. Vous attendez-vous à une révision de leur politique ? Comment cela influencera-t-il les relations avec la Turquie, mais aussi la politique de Washington en Méditerranée orientale, compte tenu du fait que les Etats-Unis veulent garder Ankara proche de l’Occident ?

N. DENDIAS : Il est trop tôt pour faire des prévisions sur la ligne que suivra le nouveau gouvernement américain en ce qui concerne les relations avec la Turquie. D’un côté, comme vous l’avez si bien remarqué, les Etats-Unis veulent garder la Turquie attachée au char de l’Occident, notamment via l’OTAN. Telle était d’ailleurs la politique du gouvernement Obama, dont un grand nombre de cadres occupent aujourd’hui des postes-clés, notamment au sein du département d’Etat des Etats-Unis. Mais il y a un paramètre important à prendre en compte : la Turquie a fortement changé ces dernières années. Il en va de même des relations Etats-Unis – Turquie. Je rappelle que selon des récents sondages en Turquie, les Etats-Unis sont considérés par l’opinion publique turque comme la plus grande menace pour le pays. Les premières indications pour ce qui est du nouveau gouvernement américain montrent que carte blanche ne sera pas donnée. Je me réfère particulièrement à la déclaration du nouveau secrétaire d’Etat américain, à savoir que si cela est nécessaire de nouvelles sanctions seront imposées pour les S-400. Par ailleurs, nous retenons la déclaration particulièrement sévère du département d’Etat américain sur la situation des droits de l’homme. Mais personne ne se fait des illusions. Même la Turquie d’aujourd’hui constitue un allié particulièrement difficile, certes, mais en même temps important pour les Etats-Unis.

JOURNALISTE : Initiatives de coopération de l’Inde jusqu’au monde arabe. Quelles sont les prochaines étapes sur l’agenda ?

N. DENDIAS : Nos relations avec les pays arabes, mais aussi avec Israël se sont particulièrement développées ces derniers mois. Je cite la signature du récent accord de coopération sur la politique étrangère et de défense commune avec les Emirats arabes unis ainsi que la signature prochaine d’un accord avec l’Arabie saoudite sur la coopération en matière de défense. La semaine prochaine, je visiterai de nouveau Israël. La semaine d’après nous planifions une réunion élargie des ministres des Affaires étrangères avec la participation de Chypre ainsi que de pays du Moyen-Orient (Egypte, Emirats arabes unis, Arabie saoudite).

Vous vous êtes également référé à l’Inde. Je pense que nous avons eu tort de négliger nos relations avec ce pays pendant des décennies. L’Inde est la plus grande démocratie du monde. Elle est le pays comptant le plus grand nombre de musulmans après l’Indonésie. Elle est également une puissance politique et économique émergente et un membre non permanent du Conseil de sécurité. Compte tenu de la géographie politique de la région et de l’influence de la Turquie sur certains Etats, il est vrai que nos positions convergent avec celles de l’Inde pour ce qui est de nombreuses questions d’intérêt international. Malheureusement, la dernière rencontre des ministres des Affaires étrangères des deux pays a eu lieu en 2003. En octobre dernier, j’ai eu une réunion par visioconférence avec mon homologue indien et nous sommes convenus de nous rencontrer le plus rapidement possible et lorsque les conditions sanitaires le permettront, soit à Athènes, soit à New-Delhi. La Grèce est attachée au développement des relations avec ses alliées et partenaires traditionnels. Mais cela ne signifie pas que nous ne devons pas élargir nos horizons et rechercher de nouveaux partenaires. Nos relations avec la Russie, une grande puissance entretenant des liens traditionnels avec la Grèce, sont également importantes. Le secrétaire d’Etat russe aux Affaires étrangères, M. Grushko a effectué une visite en Grèce il y a deux jours, dans la lignée de la visite du ministre des Affaires étrangères, M. Lavrov il y a quelques mois.

January 30, 2021