Interview accordée par le ministre des Affaires étrangères, N. Dendias, au quotidien « NAFTEMPORIKI » (19.09.2020)

Propos recueillis par la journaliste Katerina Kokkaliari

JOURNALISTE : Ces derniers temps nous avons assisté à une escalade des tensions de la part d’Ankara. Quels doivent être les prochains pas de la Grèce et sous quelles conditions peut être engagé un dialogue substantiel ?

Ν. DENDIAS : Afin d’engager un dialogue substantiel les provocations et les menaces doivent cesser. On ne peut pas d’une part affirmer que l’on est prêt à engager un dialogue  et d’autre part violer la souveraineté et les droits souverains de son interlocuteur. Cela contredit en effet ce que M. Cavusoglu affirme souvent, à savoir que la Turquie est prête à engager un dialogue sans conditions. Le dialogue substantiel aura lieu sur la base du droit international et des relations de bon voisinage.  Sans provocations et sans menaces. Il n’est pas légitime de la part de la Turquie de subordonner l’engagement du dialogue à l’abandon des droits souverains. Dès lors que la Turquie fera preuve d’une volonté sincère d’entamer un dialogue, sans user de subterfuges médiatiques, nous sommes prêts à discuter. Par ailleurs, c’est justement cela que nous faisons avec tous nos voisins et c’est cela que nous souhaitons faire avec la Turquie.

JOURNALISTE : Le fait que la Turquie n’a pas émis un message Navtex pour Oruc Reis atteste de sa bonne volonté ou s’intègre-t-il  dans une stratégie à court terme en vue de la réunion au sommet des 24 et 25 septembre ? Vu ce contexte, à quelles décisions  peut- on  s’attendre au niveau européen ?

Ν. DENDIAS : Il s’agit tout d’abord d’un pas positif. Il doit y avoir un suivi, autrement dit,  s’abstenir complètement des actions illégales et  du discours provocateur.  Toutefois, c’est avec tristesse que nous constatons qu’en partie le discours provocateur se poursuit toujours. La partie turque devra expliquer pourquoi  le navire Oruc Reis s’est retiré  et le message Navtex n’a pas été renouvelé : cela est dû aux travaux de réparation  et le navire y reviendra une fois que les travaux seront achevés ? Ou s’agit-il d’un geste que la Grèce pourrait considérer comme étant une opportunité pour modifier sa position sur la base des plans turcs comme l’a également affirmé mon homologue turc récemment ? La contradiction ici est bien évidente. Toutefois, je pense que bientôt nous aurons une réponse à cela et avec celle-ci les vraies intentions de la partie turque seront révélées. S’agissant des relations avec l’UE, le choix appartient à la Turquie : dialogue après la désescalade tangible, substantielle et immédiate des tensions ou liste de sanctions. Lors  du prochain Conseil européen, sera attentivement examinée la situation et des conclusions seront dégagées sur lesquelles seront axées les décisions futures.

JOURNALISTE : Lors de la rencontre tenue dans le cadre de l’initiative de médiation de l’Allemagne, quelles questions ont été soumises à la table des négociations ?
Y a-t-il eu finalement un accord initial duquel Ankara s’est rétractée ?

Ν. DENDIAS : Le Premier ministre a clairement répondu à cette question. Le contenu de cet « accord » n’a eu aucun rapport avec tout ce qui a été rapporté par une partie de la presse. Il s’agissait d’une entente résultant des pourparlers entre deux hauts fonctionnaires qui portaient sur les pas qui devraient être entrepris en vue de relancer les contacts exploratoires. Rien de plus, rien de moins.  Cette entente de principe a été dans la pratique annulée par la Turquie sous prétexte de la signature de l’accord tout à fait légitime sur la délimitation partielle de la ZEE entre la Grèce et l’Egypte.

JOURNALISTE : Faute de progrès dans ces discussions, dans quelle mesure pourrait être possible un accord sur le recours à La Haye ?

Ν. DENDIAS : Dès lors que les discussions ne conduisent pas à une solution, il y a toujours l’option de recourir devant une juridiction, telle que la Cour de La Haye, en vue de régler le seul différend bien connu qui existe entre les deux pays. La Cour internationale a été justement créée pour régler des questions que les parties au différend ne peuvent pas régler entre eux. Il s’agit en fait de la prédominance du droit international sur la politique de la canonnière.  Bien évidemment, le recours à La Haye présuppose que les parties auront signé un accord conjoint à travers lequel ils seront convenus de renvoyer   une question devant la Cour internationale de La Haye. Autrement dit, les deux parties doivent s’accorder sur la compétence de la juridiction et la question sur laquelle la Cour sera appelée à statuer. Force est de rappeler que la Turquie ne l’a pas accepté, alors que notre pays a déclaré sa volonté de saisir de ce dossier La Haye, si besoin est. Notre différend avec la Turquie porte sur la délimitation du plateau continental et de la ZEE et cela a été toujours l’objet des contacts exploratoires. Malheureusement, on constate une tentative opiniâtre de la part de la Turquie de soulever des questions de manière unilatérale, en sapant ces contacts avant même que ceux-ci commencent. Un observateur de mauvaise foi dirait que la Turquie semble se concentrer sur un jeu d’accusations au lieu d’axer son attention sur l’atteinte de solutions pacifiques. J’espère que tel n’est pas le cas.

JOURNALISTE : A votre avis, la Turquie continuera-t-elle d’instrumentaliser la question migratoire ? Est-ce qu’il est possible d’avoir une nouvelle stratégie européenne à cet égard ?

Ν. DENDIAS : En instrumentalisant la souffrance humaine pour mettre la pression sur l’UE, la Turquie s’est de nouveau exposée aux yeux de la communauté internationale. En mars dernier, la Grèce a prouvé sa capacité à protéger les frontières extérieures de l’Europe à Evros, en jouissant du soutien unanime de ses partenaires.  La question migratoire concerne toute l’Europe. Il doit y avoir une nouvelle stratégie européenne capable de relever les défis liés à la question migratoire, notamment dans les pays de premier accueil.  Un nouveau Pacte qui viendra remplacer le règlement inadéquat de Dublin, à travers lequel il sera possible de surmonter les réactions de certains Etats membres, sur la base d’un traitement équitable des principes de responsabilité et de solidarité.

JOURNALISTE : Après les accords sur la ZEE signés avec l’Italie et par la suite avec l’Egypte,  est-ce qu’il y aura des accords similaires avec d’autres pays voisins ?
Y aura-t-il bientôt une initiative pour l’extension des eaux territoriales aux 12 milles nautiques et dans le sud de la Crète ?

Ν. DENDIAS : Notre objectif est de délimiter progressivement et toujours dans le cadre du droit international, l’ensemble de nos zones maritimes, en pleine consultation, où cela est jugé nécessaire, avec nos voisins. Après les deux accords avec l’Italie et l’Egypte, la conjoncture est propice pour la Grèce afin de procéder aux prochains pas. Les services compétents du ministère des Affaires étrangères sont en train d’examiner les actions nécessaires en vue de l’extension des eaux territoriales de la Grèce aux 12 milles nautiques en Mer Ionienne dans un premier temps, alors qu’il y a aura des préparatifs pour faire de même dans d’autres régions aussi.

Il s’agit de l’exercice du droit exclusif reconnu aux pays par le droit international de la mer, droit qui n’est soumis à aucun genre de contrainte ou d’approbation par des tiers.

JOURNALISTE : Ces derniers temps une série d’actions ont été entreprises en vue de renforcer la position diplomatique du pays. En outre, une rencontre s’est récemment tenue entre le Premier ministre et le Président français, les développements en Méditerranée orientale étant au cœur de ces discussions. Quelles sont les initiatives auxquelles nous nous attendons sur la scène diplomatique dans la période à venir ?

Ν. DENDIAS : La stratégie diplomatique que nous avons suivie, à travers la mise en place d’un réseau élargi de compréhension et de coopération mutuelles avec des pays qui respectent la légalité internationale et sont confrontés aux mêmes défis, mais aussi à travers la sensibilisation de la communauté internationale aux actions agressives de la Turquie, a apporté ses fruits. Cette stratégie diplomatique a créé un cadre bien défini. Il est important que nous n’ayons pas fait des concessions, nous n’ayons pas cédé aux chantages et n’ayons pas suivi la Turquie dans ce jeu dangereux de provocations. Ce que je peux vous dire est que la Grèce continuera d’agir de manière active, d’expliquer à ses partenaires à chaque étape ses positions et actions qui ne réserveront pas des surprises, ne provoqueront pas le bon sens,  ne violeront pas et ne contesteront pas la légalité internationale, à travers des monstruosités juridiques et des accords illégaux. Ses actions et positions seront toujours menées et formulées dans le cadre du droit international et des principes du bon voisinage, cadre auquel seront tous invités à participer.

JOURNALISTE : Le gouvernement procède à l’augmentation des fonds du budget alloués à la défense du pays. Toutefois, il y a dans le même temps des mesures en vigueur pour soutenir les entreprises et les employés qui ont subi les effets financiers du coronavirus. Dans quelle mesure est-il facile à parvenir à l’équilibre nécessaire entre les fonds consacrés à la défense et les mesures pour la relance de l’économie.

Ν. DENDIAS : C’est une question d’équilibre comme vous l’avez très bien signalé. Tant le renforcement de la défense du pays que la relance de l’économie ainsi que le maintien de la cohésion sociale, sont une obligation du gouvernement vis-à-vis des générations actuelles et futures. Ces deux aspects ne s’excluent pas mutuellement. Tout à fait le contraire. Le renforcement de la défense du pays, dès lors que celui-ci se fait en fonction d’une programmation appropriée, peut contribuer à la relance de l’économie.  Tant directement à travers la relance de l’industrie de défense nationale qu’indirectement, à travers le renforcement du climat de sécurité qui est indispensable pour le développement d’une économie nationale.
La Grèce ne va pas s’impliquer dans une course aux armements. Les choix faits pour la modernisation de nos forces armées sont tout à fait indispensables. Quoi qu’il en soit, il est certain que le renforcement de la défense nationale, autrement dit la garantie de l’existence nationale, constitue traditionnellement l’obligation de tous les gouvernements grecs.

September 19, 2020