Propos recueillis par Giorgos Aftia
G. AFTIAS : […] Chers amis, nous avons en ligne le ministre des Affaires étrangères de la Grèce, M. Dendias. Bonjour, M. Dendias.
Ν. DENDIAS : Bonjour M. Aftias. Bonjour à vos interlocuteurs et à vos téléspectateurs.
G. AFTIAS : Je cite la une du journal KATHIMERINI : « … Athènes joue au poker diplomatique tout en restant prudente, alors qu’Ankara est allée extrêmement loin par la décision d’Erdogan de convertir Sainte-Sophie en mosquée, en tournant ostensiblement le dos à la communauté internationale. La rencontre Mitsotakis-Macron en marge de la réunion au sommet revêt une importance particulière ». Monsieur le ministre vous avez la parole afin que nous abordions aussi les autres questions.
Ν. DENDIAS : Monsieur Aftias, tout d’abord, la décision du Président turc nous a tous attristés. Cette décision a dépassé les bornes, elle annule même la tradition de son pays – force est de rappeler que la décision de convertir Sainte-Sophie en musée a été prise par le fondateur de la Turquie contemporaine, Kemal Atatürk en 1934 – et tourne le dos à la communauté internationale et à ses règles. Telle est la vérité.
Cette décision vient s’ajouter à une série d’actions provocatrices contre la Grèce et les pays de la région. Cette décision ne va pas seulement à l’encontre de la Grèce mais aussi de Chypre, de la Libye et de l’Egypte. Il ne faut pas aussi négliger le fait qu’à travers sa décision, le Président Erdogan ne fait preuve d’aucun esprit de coopération dans le cadre du droit international.
Toutefois, je dois souligner un danger que nous devons éviter. Le danger de considérer la question de Sainte-Sophie comme étant une question gréco-turque. Il ne s’agit pas d’une question gréco-turque. Elle n’est même pas une question euro-turque. Il s’agit d’une question de révocation de règles et de non-respect des règles en vigueur au sein de la communauté internationale.
La Grèce doit s’adresser à la Turquie concernant cette question en tant que vecteur de perceptions mondiales. Sainte –Sophie occupe une place à part dans le cœur de chaque Grec. Toutefois, dans le cadre du débat actuel, cela vient s’ajouter à l’importance mondiale que revêt ce monument et le dialogue et nos exigences de la part de la communauté internationale doivent porter sur son importance mondiale et non seulement sur son énorme valeur sentimentale pour l’hellénisme.
Ce serait un piège de considérer cela comme étant un différend gréco-turc et nous ne devons en aucune manière tomber dans ce piège.
G. AFTIAS : Selon les informations qui existent à cet égard, il y a une première réaction de la part de la France – nous aborderons par la suite cela – et cette question sera également soulevée lors de la réunion au sommet par le Premier ministre et vous, parallèlement, vous avez entamé une communication d’information au niveau des ministres des Affaires étrangères. Où en sommes-nous M. Dendias ?
Ν. DENDIAS : Monsieur Aftias, malheureusement – je me réjouis pas de la détérioration de nos relations avec la Turquie – cela a été quasiment prévu. J’avais envoyé tout d’abord une lettre à la Directrice générale de l’UNESCO, avec laquelle je me suis entretenu personnellement lors de ma visite à Paris. Cette dernière a adressé une lettre à la partie turque et a eu des contacts avec cette dernière – ce qui n’a pas été rendu public - pour éviter cette issue.
Nous avons voulu donner à la Turquie la possibilité de changer de cap, sans laisser apparaitre que cela était une obligation imposée à la Turquie par la communauté internationale. On voulait le faire apparaitre comme si la Turquie elle-même avait pris de son plein gré, cette décision. Il est dommage que la partie turque n’ait pas accepté, n’ait pas apprécié notre effort, et qu’elle ait choisi, au contraire, de poursuivre cette voie.
Je dois dire que j’ai écouté avant-hier le discours du Président turc en traduction simultanée. Son discours était trop long, il a duré presque 45 minutes et certains de ses arguments ont été, franchement, étonnants. Si j’ai bien compris, il a indirectement accusé Kemal Atatürk, il a proféré des malédictions contre ceux qui ont converti Sainte-Sophie en musée. Ce sont des choses qui vont au-delà de ma manière de percevoir les choses. Quoi qu’il en soit, telle est désormais la situation actuelle.
G. AFTIAS : Que faisons-nous maintenant monsieur le ministre ?
Ν. DENDIAS : Je vous dirai. Notre pays deviendra le vecteur des perceptions de la communauté internationale. A travers tout d’abord mes homologues mais aussi à travers l’UNESCO qui a la responsabilité institutionnelle de protéger le monument.
La Turquie a, de son plein gré, inscrit Sainte-Sophie sur la liste des monuments de l’UNESCO. Personne ne lui a imposé cela. Ce n’était pas UNESCO qui lui a dit de le faire. La Turquie elle-même a choisi, et elle l’a bien fait selon une autre perception des choses, d’inscrire ce monument au patrimoine culturel mondial.
G. AFTIAS : Nous serons désormais monsieur le ministre, le vecteur, le fer de lance si vous voulez, la flèche du Parthe contre toutes ces évolutions avec toute l’humanité. Toutefois, outre cela ne devons-nous aussi exercer des pressions en vue de prendre des mesures à caractère économique contre la Turquie ? Mon intention n’est en aucune manière de faire des suggestions.
Ν. DENDIAS : Il n’y a vraiment pas de mal de faire des suggestions.
G. AFTIAS : Je décris le climat ambiant.
Ν. DENDIAS : Je le comprends mais je vous ai dit tout l’heure quelque chose que vous devez prendre en considération. Lundi, demain à Bruxelles, la question de la Turquie sera abordée. La Grèce demande à l’Union européenne d’élaborer une liste de mesures dures contre la Turquie en cas de violation de la part de cette dernière de la souveraineté et des droits souverains de la Grèce.
G. AFTIAS : Bon.
Ν. DENDIAS : Cela concerne les droits propres de la Grèce.
G. AFTIAS : Ce que vous dites est une grande nouvelle.
Ν. DEDIAS : Elle soutiendra Chypre dans l’imposition des sanctions relatives aux droits chypriotes. Moi, j’irai demain matin, je partirai d’Athènes très tôt demain matin avec Nikos Christodoulidis, le ministre chypriote, pour aller à Bruxelles. Et avant la réunion au sommet nous aurons une rencontre, une réunion avec Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union européenne.
Toutefois, lesdites sanctions ne concerneront pas la question de Sainte-Sophie. Il faut que nous soyons clairs. C’est la communauté internationale qui assumera ses responsabilités à cet égard. J’évoquerai l’attitude de la Turquie à l’égard de la question de Sainte-Sophie, puisque son attitude est révélatrice de la manière dont elle voit les choses.
Toutefois, s’agissant de ce dossier, c’est l’UNESCΟ, l’Union, les Nations unies et pas seulement la Grèce qui doivent entreprendre des initiatives.
G. AFTIAS : Il faut qu’il y ait une action internationale. Bon.
Ν. DENDIAS : Nous ne tomberons pas dans le piège du différend gréco-turc, car il ne s’agit pas d’un différend gréco-turc.
G. AFTIAS : C’est tout à fait clair. Je lis dans le journal et je cite « …les Français s’empressent à mener des recherches en Crète », et le Français ne porte pas Erdogan dans son cœur.
Ν. DENDIAS : Je ne pense pas franchement que les relations entre la France et la Turquie sont au beau fixe. A mon avis, la France n’en est pas responsable.
Ν. STEFOS : Monsieur le ministre bonjour, une question si vous me le permettez.
Ν. DENDIAS : Bonjour M. Stefos, je suis heureux de vous entendre.
Ν. STEFOS : Dans quelle mesure serait, à votre avis, réaliste ou utopique, de penser que la Turquie pourrait revenir sur sa décision ?
Ν. DENDIAS : Monsieur Stefos, je veux être franc avec vous. Un ami, ancien diplomate turc, m’avait dit que « si le Président Erdogan est changeant dans ses positions, il ne va pas facilement faire marche arrière », il a une manière bizarre de voir les choses.
Par conséquent, je dois dire qu’en dépit du fait que cette question entache considérablement l’image de la Turquie – ne nous faisons pas d’illusions - il existe une grande partie du milieu politique et diplomatique de la Turquie qui est horrifiée par cette décision car celle-ci entraîne un énorme coût, de plus en plus accru, pour la Turquie. Il ne faut pas sous-estimer cela.
Ν. STEFOS : Il y a donc de l’espoir.
Ν. DENDIAS : Oui, mais pas dans l’avenir proche. En outre, je dois vous dire quelque chose qui est mon opinion personnelle : pour moi c’est horrible à penser que les superbes mosaïques de Sainte-Sophie, l’image du Christ pantocrator seront recouvertes.
Si quelqu’un a vu dans sa vie l’image du Christ pantocrator qui orne la coupole de Sainte-Sophie, il va réaliser que maintenant un pays civilisé recouvrira ce monument d’art, pour ne pas dire ce monument religieux, car cela nous concerne en tant que Chrétiens, puisque la basilique de Sainte-Sophie n’est pas seulement une église orthodoxe. La construction et la consécration de Sainte-Sophie ont eu lieu avant le schisme. Par conséquent, cela concerne toute la chrétienté, puisque le schisme est intervenu beaucoup plus tard.
Franchement, le fait que la Turquie prive la communauté internationale de ces monuments, les enlève de l’acquis culturel mondial à cause des obsessions incroyables, me dépasse.
Et puisque le Président Erdogan avait affirmé qu’en Turquie il y a 453 églises orthodoxes, je rétorquais à cela qu’en Grèce et plus particulièrement dans la région de Thrace qui est d’une superficie beaucoup plus petite (sa superficie ne représente ni même 1% de celle de la Turquie), il y a 256 mosquées. Donc, je pense que les suggestions de ce genre…
G. AFTIAS : Pourquoi le Pape garde-t- il le silence ?
Ν. DENDIAS : J’ai rencontré le Pape…
G. AFTIAS : Et alors ?
Ν. DENDIAS : Si vous vous souvenez, j’avais visité le Vatican.
G. AFTIS : Je m’en souviens.
Ν. DENDIAS : A partir de lundi, nous allons commencer nos efforts, nous allons nous adresser à toutes les églises, non seulement à l’église catholique. C’est pourquoi je vous ai tout à l’heure dit que Sainte-Sophie ne concerne pas seulement la Grèce, ne concerne pas seulement l’Orthodoxie…
G. AFTIAS : C’est une question internationale. Monsieur le ministre, je voudrais signaler la chose suivante : Erdogan fait ce qu’il dit. Il a dit : « j’irai en Libye, je signerai un accord », et il l’a fait. Il a dit : « je convertirai Sainte-Sophie en mosquée » et il l’a fait. Si Erdogan envoie des navires au sud de Karpathos, près de la Crète ou ailleurs, la Grèce attendra-t-elle les résultats escomptés de la réunion au sommet ? Autrement dit, un message du type « Erdogan, n’ose pas t’approcher de notre région, de notre plateau continental ou de la région appartenant à notre souveraineté ? »
Ν. DENDIAS : Demain nous débattrons de la façon dont la famille européenne réagira face à une violation de la souveraineté et des droits souverains d’un pays membre, comme la Grèce.
Il existe une différence qualitative que j’ai expliquée à mes partenaires européens et le Premier ministre, M. Mitsotakis l’a également affirmé sur tous les tons : la Grèce, contrairement à la République de Chypre, dispose de forces armées, de forces armées bien capables.
Par conséquent, l’Europe doit comprendre qu’elle doit rapidement prendre position à cet égard pour éviter une telle situation. Sinon, ce qui surviendra, ne va pas du tout lui plaire.
G. AFTIAS : Que se passera-t-il ?
Ν. DENDIAS : Monsieur Aftias, je ne veux utiliser ni des mots, ni des expressions, car comme je suis ministre des Affaires étrangères, je pèse mes mots. Toutefois, nous avons signalé à la Turquie que nous n’allons pas rester les bras croisés.
Il est de notre devoir constitutionnel de protéger nos droits. Ces droits ne nous ont pas été conférés pour les gérer à notre guise. Nous avons le droit de les protéger et c’est justement de cette manière, conformément aux dispositions de la Constitution, que l’Etat grec procédera : il protégera pleinement la souveraineté et les droits souverains de la Grèce. Et l’Europe doit le savoir. La Grèce dispose des forces armées.
G. AFTIAS : Vous transmettez un message très fort.
Ν. DENDIAS : C’est tout simplement un message clair. Il ne s’agit ni de menace, ni d’autre chose. C’est un message clair. Telle est notre position, qui a été, à maintes reprises, exprimée par le Premier ministre.
G. AFTIAS : Exactement. Et je veux dire la chose suivante: le défunt, Miltiadis Evert disait que « les frontières de la Grèce sont aussi des frontières européennes », et il avait écrit cela dans le journal « Kathimerini » M. Dendias, depuis lors…
Ν. DENDIAS : Je m’en souviens M. Aftias. Et je me souviens aussi de la carte.
G. AFTIAS : La carte, exactement. Je pense que la ligne que soutiennent tous en Grèce avec fermeté, sera adoptée par l’Europe aussi, à savoir que les frontières grecques sont aussi des frontières européennes.
Ν. DENDIAS : Vous me permettez une dernière remarque ?
G. AFTIAS : Je vous en prie.
Ν. DENDIAS : Ce qui est toujours important est l’unanimité et l’unité nationales. C’est l’arme la plus puissante dont nous disposons vers l’extérieur. Notre unité à l’intérieur.
Je n’insinue rien par là. Ce que je veux dire est qu’il est nécessaire que nous continuions de faire preuve d’unanimité et d’unité à l’égard de nos causes nationales. Il serait une erreur tragique de notre part de ne pas faire preuve d’unité face à cette crise que traverse notre pays.
G. AFTIAS : Je vous remercie beaucoup de votre intervention d’aujourd’hui et de votre déclaration très importante.
Ν. DENDIAS : Merci à vous. Bonne journée à vos interlocuteurs et à vos téléspectateurs. Au revoir.
[Seul le prononcé fait foi]
July 12, 2020