Propos recueillis par les journalistes N. Chatzinikolaou et A. Dellatolas
N. CHATZINIKOLAOU : Allons maintenant avec Antonis Dellatolas accueillir le ministre des Affaires étrangères, M. Nikos Dendias pour discuter avec lui de l’actualité politique. Monsieur le ministre bonjour.
N. DENDIAS : Bonjour M. Chatzinikolaou. Bonjour M. Dellatolas.
A. DELLATOLAS : Commençons notre discussion par là où nous l’avons laissée avec M. Charitsis. Vous n’avez pas dit grand chose sur la question migratoire et les problèmes qu’il y a ? Je n’ai rien entendu sur une meilleure surveillance des frontières ou sur des pressions que nous allons exercer sur la Turquie. En fait, nous ne sommes que le porte-voix de l’Europe. Cela est une chose positive pour ramener à la raison Erdogan mais il me semble que ce dernier n’a rien fait dans ce sens. Autrement dit, quelle est la différence entre vous et SYRIZA ?
N. DENDIAS : Je vais vous répondre. Tout d’abord, lors d’une interview ou d’un discours qui est plutôt orienté vers des questions économiques, on ne peut évoquer de manière détaillée la question migratoire. Sur le fond bien évidemment, il y a une amélioration en matière de perception. Si vous parlez avec le ministre compétent en la matière, M. Plakiotakis, vous apprendrez que le projet relatif à la connectivité des caméras de surveillance dans la région de l’Egée du nord en vue d’assurer un contrôle absolu dudit espace est mis en adjudication sur la base d’une étude de l’école polytechnique et des conditions que nous avons élaborées en 2014 - j’étais encore ministre à l’époque où je travaillais sur ce projet – mais aucune suite n’a été donnée à ce projet au cours de ces cinq dernières années.
L’Egée est une mer qui peut être complètement surveillée par les autorités grecques 24 heures sur 24 tout comme les côtes de la Turquie. Par conséquent nous avons la possibilité d’avertir les Turcs.
A. DELLATOLAS : Ce projet n’a-t-il pas été repris par SYRIZA ?
N. DENDIAS : Il n’a rien fait à cet égard.
A. DELLATOLAS : Ne l’a-t-il pas mis en œuvre ? Ne l’a-t-il pas annulé ?
N. DENDIAS : SYRIZA, si vous vous souvenez, était de l’avis que…
A. DELLATOLAS : Vous avez dit qu’actuellement ce projet était mis en adjudication. Il ne l’a pas annulé.
N. DENDIAS : Mais remettre ce projet à plus tard n’est pas la meilleure façon de le promouvoir si on n’y croit.
A. DELLATOLAS : Oui c’est vrai.
N. DENDIAS : SYRIZA soutenait que la mer ne pourrait être contrôlée. Mais cette perception est erronée. Tout d’abord, on ne parle pas de la mer mais des côtes de l’Asie mineure situées en face des côtes grecques, car c’est là où ont lieu les rassemblements. C’est dans cet endroit que les « trafiquants » d’êtres humains conduisent les migrants irréguliers pour tenter de les faire passer de l’autre côté de l’Egée.
Par conséquent la Grèce peut, tout comme à Evros, et c’est pourquoi il n’y a pas d’afflux dans la région d’Evros, contrôler les côtes en face. Toutefois cela doit être fait sur la base d’un système de connectivité des caméras et des instruments dont nous disposons - et je n’en dirai pas plus sur cela car il s’agit de questions relevant de notre sécurité - afin que nous puissions en temps réel savoir ce qui se passe de l’autre côté et ne pas avoir en plein jour des embarcations accostant sur le rivage de Lesbos et transportant 500, 600, voire 700 personnes. Je le dis en tant que simple exemple susceptible d’améliorer la situation.
En outre, de nouveaux navires à grande vitesse ont été commandés. Kyriakos Mitsotakis a demandé cet achat et les fonds pour financer cet achat ont été trouvés et j’ai l’impression qu’il s’agit aussi des fonds qui ne proviennent pas seulement du secteur public.
A. DELLATOLAS : On verra à la fin si tout cela s’avère efficace.
N. DENDIAS : Personne ne peut être jugé d’avance. Vous avez raison. Toutefois je réponds à ce que vous avez affirmé, à savoir qu’il n’y pas d’approche différente à l’égard de la question migratoire. Sous le gouvernement précédent, M. Dellatolas, tout a été laissé à l’abandon.
Et cet abandon, et je regrette de le dire, ne concernait pas seulement les flux mais aussi la gestion de la vie de ces personnes sur notre territoire. Je ne veux pas en dire plus car cela n’est pas dans l’intérêt de mon pays mais dans certains endroits, à Moria par exemple, la situation à laquelle nous avons été confrontés lors de la prise de nos fonctions vient ternir la réputation de notre pays et personne ne peut le nier.
N. CHATZINIKOLAOU : Monsieur le ministre, je voudrais que l’on aborde une question que le porte-parole du parti SYRIZA, M. Charitsis vient de soulever à travers la station radio REAL FM, lequel accuse le gouvernement d’avoir fait une énorme « kolotoumba » (littéralement le saut arrière) pour ce qui est de l’accord de Prespès.
Il a affirmé que le gouvernement évitait désormais de parler de cette question et que ce dernier appliquait à part entière l’accord, acceptant de ce fait qu’il s’agissait d’un bon accord.
N. DENDIAS : J’aurai voulu avoir, en toute sincérité, cette possibilité de faire des « kolotoumbes » car cela signifierait que ma colonne vertébrale est très souple mais j’ai perdu cette souplesse depuis très longtemps.
A. DELLATOLAS : Vous n’en avez besoin vous car vous étiez parmi ceux qui ont adopté une attitude plus modérée à cet égard. Que cela vous plaise ou non, c’est la vérité. N’est-ce pas ?
N. DENDIAS : J’étais contre les manifestations…
A. DELLATOLAS : Cette position n’était pas dominante au sein de votre parti.
N. DENDIAS : Quelle est notre position ? Kyriakos Mitsotakis a une position claire à cet égard. Il a dit que si l’accord est ratifié, nous l’appliquerons car il existe une continuité au sein d’un Etat et il n’y a personne qui puisse ne pas appliquer ce qui a été convenu par le gouvernement précédent.
Le révisionnisme à l’égard des traités est dangereux pour la Grèce à plusieurs niveaux.
A. DELLATOLAS : Et vous laisserez ainsi un accord qui est une trahison ? C’est une erreur.
N. DENDIAS : Regardez, il faut être…
A. DELLATOLAS : Combien de vos collègues…
N. DENDIAS : C’est un accord nuisible, mais qualifier cet accord de trahison…
A. DELLATOLAS : Monsieur le ministre, l’oubli n’est pas une bonne chose, qui plus est lorsqu’il s’agit de choses prématurées. Il y a des dizaines de cadres de la Nouvelle Démocratie qui ont été dans l’opposition pendant deux ou trois ans et qui étaient confrontés à une question très difficile comme celle-ci, vous le savez d’ailleurs bien mieux que moi, et ils avaient qualifié l’accord de trahison, tout en soutenant – ils ont bien fait dans une certaine mesure – des gens qui sont sortis dans la rue. On ne peut pas dire que ce ne soit pas quelque chose de différent.
N. DENDIAS : Je n’ai pas l’intention d’attribuer le titre de traitre à qui que ce soit. A quelques exceptions près, pour être franc. Mais quoi qu’il en soit, parler de traitrise en cette conjoncture, n’est pas juste à mon sens. Nous avions entendu ce genre de discours de la part de SYRIZA à l’époque des mémorandums, si vous vous souvenez bien. Ils nous traitaient de « traitres », « collabos » et nous accusaient d’être « sous la coupe des Allemands ». Cela est dit dans le cadre de propos politiques virulents. A mon sens, non acceptables, et il convient ni de les adopter, ni de les conserver comme héritage politique.
Le pays a un engagement contractuel vis-à-vis d’un autre pays. Et vis-à-vis de ce pays, la Grèce se doit, vis-à-vis de la Macédoine du Nord, de respecter ses engagements contractuels.
Comme je l’ai clairement dit à M. Dimitrov, ils doivent aussi respecter à la lettre, à la virgule près, leurs propres engagements.
N. CHATZINIKOLAOU : Monsieur le ministre, il se peut que cet accord ne soit pas une trahison, comme l’affirmaient certains cadres de la Nouvelle Démocratie. Mais il est, selon moi, un mauvais accord car il y a deux points qui présentent des problèmes.
N. DENDIAS : Vous avez raison.
N. CHATZINIKOLAOU : La question est de savoir si vous avez l’intention de faire quelque chose afin d’aplanir ces deux points, ou du moins de…
N. DENDIAS : Monsieur Chatzinikolaou, la question est directe et je vous remercie de la façon dont vous la posez, franchement.
J’aurais espérer avoir la possibilité de mener – et je ne le dis pas à titre personnel, j’entends le ministre des Affaires étrangères émanant de la Nouvelle Démocratie – cette négociation et ces deux points qui portent sur la nationalité et la langue.
J’ajouterais encore la possibilité pour une personne morale de droit privé d’utiliser le titre « macédonien » sans que je puisse arrêter cela. J’aurais aimé avoir pu changer ces trois choses. Mais la situation est telle qu’elle est. Que puis-je faire ?
Ce que nous pouvons faire en tant que pays passe par le parcours européen de la Macédoine du Nord ; convaincre l’autre partie que ces choses doivent être utilisées d’une certaine façon et seulement ainsi.
Par exemple, que l’autre partie accepte totalement que le titre du citoyen de chaque pays est citoyen de la Macédoine du Nord. Toutefois, cette procédure passe par la perspective européenne du pays voisin.
Nous allons le tenter, mais si je vous dis que je peux changer l’accord dans sa globalité, voire changer ces deux articles, je vous mentirai. Cet accord a été signé et ratifié, il n’est plus possible de le changer.
A. DELLATOLAS : Dans le cadre de l’Assemblée générale de l’ONU, le 23 septembre, est-ce qu’une rencontre entre Erdogan et le Premier ministre est prévue ?
N. DENDIAS : Pas à ma connaissance. La prise de position du Premier ministre, comme vous le savez, était très équilibrée. Il s’agit en d’autres termes d’une prise de position plaçant la rencontre avec M. Erdogan dans un cadre disant que la Turquie fait cela et cela. Malgré cela il doit y avoir des communications. On ne parle pas d’une rencontre dont l’objectif unique est « d’excuser » ou d’une rencontre qui ignore toutes les actions inacceptables de la Turquie tant en Egée, qu’au détriment de la souveraineté, des droits souverains de la République de Chypre. Dans ce cadre, cette rencontre n’a pas encore été programmée à ma connaissance.
N. CHATZINIKOLAOU : Il semblerait que la rencontre avec le pays voisin, la Turquie, ne soit pas au beau fixe. Erdogan agit de façon provocatrice pour ce qui est des questions liées à la ZEE chypriote, et de manière générale de la Méditerranée orientale, de Castellorizo et du territoire grec.
La question est de savoir si vous pensez qu’il existe un terrain d’entente avec un leader qui agit de cette façon. Un leader qui menace l’Europe et la Grèce d’envoyer des millions de réfugiés, un leader qui affiche constamment des velléités expansionnistes.
A. DELLATOLAS : Hier il a parlé de l’Egée pour la énième fois.
N. CHATZINIKOLAOU : Il a été photographié devant une carte avec la moitié de nos îles.
N. DENDIAS : Ce sont effectivement certaines des choses que fait la Turquie et très honnêtement, j’ai du mal à comprendre, même si je m’efforce de le faire et de me mettre à sa place.
Autrement dit, à quoi sert ce que vous venez de dire, la photographie d’Erdogan devant une carte dont on pourrait librement interpréter les zones maritimes en Egée comme quelque chose qui soit entre le bleu et le blanc. Quel est le sens de tout cela pour un pays sérieux ? Franchement, je ne vois pas.
Et vous avez raison, vous avez tout à fait raison. La Turquie ne nous facilite pas la tâche. Elle ne nous aide pas dans cet effort visant à engager un dialogue intelligent. Que nous puissions trouver une solution. Parce qu’en définitive, coopérer est toujours utile et la coopération ne peut être que synonyme de promotion et nous sommes le seul pays à vouloir une Turquie européenne et contemporaine, une Turquie membre de l’Union européenne.
Je pense que la Turquie semble le vouloir moins que nous souhaitons l’aider. Pour ce faire, elle doit cesser ses provocations. Elle doit cesser de semer le trouble. Cesser de violer des droits souverains. Cesser de violer la souveraineté même de la République de Chypre.
Et la Turquie ne nous facilite pas la tâche. Toutefois, nous n’avons pas l’intention de désespérer. Nous sommes un pays européen. Nous bâtissons – je ne vous cache pas – nos alliances. Nous ne participons pas à cet effort en ignorant la nécessité d’avoir à nos côtés la communauté internationale, nos alliés à l’OTAN, nos alliés et amis de l’Union européenne.
Nous renforçons et luttons pour renforcer davantage nos alliances et d’un autre côté, nous disons à la Turquie que dès qu’elle arrêtera toutes ces « bizarreries », nous pourrons aboutir à un moment donné à un mode de discussion et de résolution de nos différends qui soit sérieux. Mais la Turquie ne nous facilite pas la tâche, vous avez raison.
[…]
N. CHATZINIKOLAOU : Nous vous remercions beaucoup M. le ministre.
N. DENDIAS : Je vous remercie également.
A. DELLATOLAS : Au revoir.
N. DENDIAS : Bonne journée.
September 9, 2019