Interview accordée par le ministre des Affaires étrangères, N. Dendias, à la station radio « SKAI » (25.11.2019)

 Interview accordée par le ministre des Affaires étrangères, N. Dendias, à la station radio « SKAI » (25.11.2019)Propos recueillis par le journaliste, Aris PORTOSALTE

A. PORTOSALTE   : Le ministre des Affaires étrangères, M. Dendias est avec nous.
Bonjour monsieur le ministre, bonne semaine.
N. DENDIAS : Bonjour M. PORTOSALTE, bonne semaine à vous aussi et mes meilleures vœux pour le 100e anniversaire du journal « Kathimerini ».

A. PORTOSALTE   : Vous avez également assisté à la manifestation. C’était une très belle manifestation qui a eu lieu dans une usine.
N. DENDIAS : Et originale aussi. Et  j’ai aimé aussi le numéro spécial anniversaire. Si vous me le permettez, je voudrais faire une dernière remarque par rapport à ce que vous avez dit. De cette manifestation il faut retenir, comme vous l’avez aussi dit, la présence de Kyriakos Mitsotakis, qui a constaté, ce que tout le monde sait du point de vue historique mais il faut le souligner, que le journal « Kathimerini » a entamé son parcours en tant qu’ « épée » du parti populaire contre les libéraux d’Eleftherios Venizelos, et aujourd’hui, il est devenu le porte-parole du mouvement néolibéral en Grèce.
Bien évidemment, ces notions du libéral de Venizelos et du mouvement néolibéral d’aujourd’hui en Grèce sont différentes mais il y a toutefois des similarités.
En outre, permettez-moi de signaler, en concluant, un article excellent que Georgios Vlachos a écrit après la mort d’Eleftherios Venizelos, dont je recommande la lecture, que l’on soit d’accord ou pas avec lui. C’est un long article dans lequel il trace le profil psychologique de son ennemi, de cette grande personnalité, en soulignant ses défauts mais en reconnaissant aussi ses vertus. C’est une plume magnifique.

A. PORTOSALTE: Une plume magnifique. Monsieur Dendias, j’imagine que nous ne placerons pas tous nos espoirs dans les conditions climatiques. On va arriver à communiquer, la Grèce et la Turquie, lors de cette rencontre qui se prépare avec M. Erdogan. On va lui signaler que sa volonté d’aller à l’encontre de l’Europe, a des conséquences sur nous, sur son voisin. Est-ce qu’il veut vraiment faire du mal à son voisin ? Je ne sais pas.
N. DENDIAS : Je serai franc avec vous : ce n’est pas toujours facile de s’entendre avec la partie turque, même quand il s’agit de choses à l’égard desquelles une attitude juste, correcte, légale et morale est bien évidente. La Grèce essaye tout d’abord d’expliquer à la Turquie qu’il existe des obligations concrètes. Et le gouvernement consent des efforts sur le plan intérieur en vue de mettre en place un système de gestion des flux migratoires qui protégera notre pays  et ses frontières.
Cela n’est pas facile. Nous le savons tous. Les chiffres dépassent même les capacités existantes du système et par conséquent ce dernier doit très rapidement être doté des capacités nécessaires pour faire face à cette situation. Toutefois, on ne permettra en aucune manière – et le Premier ministre l’a clarifié – à la Turquie de penser que la question migratoire est une question bilatérale. Ni nous ne permettrons à la Turquie de nous faire du chantage en exploitant les flux migratoires. Cela est hors de question.
Cela dit, la Grèce et notamment le gouvernement de Mitsotakis, sera toujours pour la Turquie un interlocuteur sérieux et sincère qui comprend ses problèmes. La Turquie a accueilli 4 millions de personnes. La Grèce, en dépit du comportement de la Turquie à l’égard de différentes questions, a soutenu la demande de la Turquie de recevoir une aide économique de la part de l’Union européenne.
La Turquie doit comprendre et apprécier  tout cela. Quoi qu’il en soit, l’obligation du gouvernement grec – et le gouvernement de Mitsotakis le fera – est de protéger le pays.  On ne va pas laisser le pays devenir la proie de la volonté de la Turquie, si cette dernière n’est pas disposée à comprendre ses obligations.

A. PORTOSALTE   : J’emprunte le mot que vous avez utilisé, « protéger » le pays. Je vous entends parler de protection, M. Stephanis aussi, des mesures de protection à nos frontières, etc. Mais, à la fin, l’impression donnée à l’opinion publique M. Dendias est que la Grèce a réussi aujourd’hui à sauver 50 migrants, 70 migrants alors que 600 autres migrants ont franchi nos frontières. Peut-on alors parler de protection ? Il y là un oxymoron.
N. DENDIAS : La gestion de cette question ne relève pas de ma compétence, par conséquent je parle en ma qualité de membre du gouvernement et non en tant que ministre compétent en la matière. Je dis cela pour clarifier mon rôle. J’étais en charge de cette question pendant deux ans.
Lorsque j’ai assumé mes fonctions, 700 migrants arrivaient chaque jour sur nos côtes, et dans l’espace de trois mois, ce nombre a baissé à 10 migrants par mois.
On a expliqué ce système lors du Conseil des ministres et il a été très favorablement accueilli par l’Union européenne, 50 000 personnes ont  été réadmises, nous avons mis en place les centres d’accueil fermés – à l’époque il y avait une condamnation totale de la part de l’opposition – et par le suite le ministre en charge, quand le nouveau gouvernement est arrivé au pouvoir, a demandé pardon à la Nouvelle Démocratie qui assurait la gouvernance du pays pendant ladite période, pour cette condamnation, nous avons mis en place le Bureau d’asile, la meilleur agence européenne de premier accueil.
Tout cela a été malheureusement, sous le gouvernement de SYRIZA, désorganisé, mais pour ne pas utiliser ce mot car ce n’est pas convenable, je dirais plutôt que ces mécanismes n’ont pas évolué de la manière appropriée afin de pouvoir faire face au problème sur les îles.

A. PORTOSALTE   : Votre réponse est maintenant très claire monsieur Dendias. C’est pourquoi l’opinion publique doit être informée par le biais des agences gouvernementales. On dit que quand on veut, quand on a de la volonté, on peut le faire.
N. DENDIAS : Oui, on peut. Et le gouvernement de Mitsotakis a la volonté de le faire et cela constitue aussi son obligation constitutionnelle. Autrement dit, nous ne faisons pas quelque chose que nous choisissons. Il existe des objectifs politiques concernant certaines choses, nous voulons faire ceci et non cela. Mais en l’occurrence, nous n’avons pas le choix. Personne ne nous n’a confié le rôle d’agents de la circulation à nos frontières.  Il est de notre devoir de protéger le pays. Et nous le ferons. Il y a des difficultés au début. Voulez-vous nous reprocher de ne pas avoir mesuré avec exactitude l’ampleur du phénomène ? Libre à vous de le faire.

A. PORTOSALTE   : Nous avons dit tout cela et nous l’avons dit en temps voulu. Nous avons exercé des critiques à cet égard depuis septembre dernier.
N. DENDIAS : Tout le monde commet des erreurs dans cette vie. Toutefois, il est de notre devoir constitutionnel de protéger les frontières du pays  et nous le remplirons.

A. PORTOSALTE   : Vous dites que les flux migratoires ont baissé pendant votre mandat. Cela a été dû aux conditions climatologiques, aux fortes tempêtes, à l’hiver ou parce que vous avez dit : «  stop, plus une personne ne franchira nos frontières » ? Il faut clarifier cela aussi.
N. DENDIAS : A l’époque les flux migratoires ne venaient pas de la mer mais de la terre, depuis Evros. L’opinion publique a l’impression que le mur a stoppé les flux migratoires.
Ce n’est pas le cas car ce mur s’étend seulement sur une surface de 40 kilomètres. Les frontières à Evros sont d’une longueur de 180 à 190 kilomètres. On a mis en place tout un système de cameras, de surveillance avec des gardes-frontières, nous avons déplacé à l’époque 2 500 personnes.

A. PORTOSALTE   : Autrement dit, ceux qui voulaient entrer, franchir les frontières, voyaient cela et ne s’approchaient pas ?
N. DENDIAS : Mais il n’était pas possible pour qui que ce soit, de franchir les frontières illégalement. Une fois que nous voyions cela sur les caméras de surveillance, nous alertions les autorités turques qui, à leur tour, appelaient le garde-frontière turc qui faisait ce qu’il devait faire. Car vous savez, pour les immigrants, la Turquie est un pays sûr. On ne court pas de danger en Turquie.
La Grèce n’est pas obligée d’accepter tous ceux qui passent la frontière, sans autre forme de procès. La Turquie est un pays sûr. Mais la Turquie n’est pas un pays sûr pour les Turcs qui demandent l’asile politique ou, si vous voulez, pour ceux qui viennent de Syrie, quelle qu’en soit la raison. Ces personnes doivent être munies de documents de voyage, pour nous dire qui elles sont. Elles ne peuvent venir comme elles le veulent et nous dire ce qui leur passe par la tête. Avez-vous déjà vu quelqu’un jeter son passeport et dire qu’il est Turc s’il veut venir en Grèce et demander l’asile ainsi que la protection ?
Le pays peut et doit répondre à cette obligation. Mais nous n’avons aucun choix, je le répète, tout le reste ce ne sont que des mots dénués de sens. Le pays doit protéger ses frontières.

A. PORTOSALTE   : Peut-il aussi protéger ses frontières maritimes, M. Dendias ?
N. DENDIAS : Bien entendu, et l’achat des 10 navires à grande vitesse sont un pas important en avant. Cela aurait dû être fait par le gouvernement précédent, le système de caméras et de surveillance qui existe  - fruit d’une étude menée par l’Ecole Polytechnique –, il y a d’ailleurs l’appel d’offres, le centre aurait dû être activé…

A. PORTOSALTE   : Pardon de vous interrompre, mais l’opinion publique entend dans le même temps que même lorsque la Grèce avertit la Turquie, les gardes-côtes, ou encore les services portuaires, cette dernière ne réagit pas. Est-ce vrai ?
N. DENDIAS : Oui c’est en grande partie vrai. Bien sûr nous n’avons pas le système de pointe qui est prévu, qui nous permettrait de voir les mouvements de ceux qui veulent franchir les frontières avant même qu’ils ne montent dans les bateaux. Car pour monter dans le bateaux, ils se rassemblent, M. Portosalte, et ils sont visibles à ce moment-là.
A Evros, ils arrivaient un par un, cachés dans les buissons, et c’était plus difficile de les avoir. En mer, ils se rassemblent à un endroit avant d’embarquer. Cela se voit donc. Les passeurs qui les rassemblent sont un peu comme une agence de tourisme. Mais tout cela est totalement illégal et immoral. Quand on les voit rassembler ces personnes, on avertit les Turcs. Ce système n’est pas pleinement opérationnel. Il aurait dû l’être il y a des années. Il y a des drones, des caméras, tous les moyens techniques. L’Egée est une région visible, elle doit être visible.

A. PORTOSALTE   : Vous dîtes donc qu’à partir de maintenant nous verrons des résultats ?
N. DENDIAS : Le Premier ministre a donné des ordres très clairs et le gouvernement a assumé des engagements clairs. Nous n’avons pas le choix. Et quel est notre choix ? Pardonnez-moi, mais si 10 000 passent les frontières et que vous les laissez, le lendemain, ils seront 20 000. Si vous les laissez encore, le surlendemain, ils seront 40 000. Et on ne s’arrête plus.

A. PORTOSALTE: Certains pensent que pour des raisons humanitaires la Grèce soit admettre des personnes sur son sol ; certains vont argumenter et dire qu’ils sont des réfugiés, d’autres ne réussiront pas et seront de simples immigrants. Mais nous devons les accepter.
N. DENDIAS : Je me souviens de ce qu’avait dit Macron à ce sujet. Ce n’est pas une question de volonté, mais de capacité. Nous ne pouvons accepter 1 milliard de personnes qui voudraient se déplacer pour gagner l’Europe. Nous ne pouvons pas, c’est impossible. Même si l’on partait tous, il n’y aurait pas la place suffisante. Donc, multiplier par deux du nombre de personnes entrant chaque jour n’a pas de sens, cela mène dans une impasse humanitaire.
Et donner l’impression que nous pouvons faire entrer toutes ces personnes fonctionne un peu comme un facteur de motivation pour eux, mais en fait c’est un outil publicitaire que détiennent les passeurs, qui exploitent leur souffrance et leur soif pour un avenir meilleur. Ils s’enrichissent sur le dos de ces personnes.

A. PORTOSALTE   : Si la Grèce dit « Ecoutez, je ne peux en accueillir d’autres », elle s’expose. Car il y a le point de vue prévalant parmi la société grecque et disant que la Grèce s’expose du point de vue humanitaire, si j’insiste M. Dendias, c’est parce que ce sont des discours que j’entends.
N. DENDIAS : Le camp de Moria, où le nombre de personnes accueillies dépasse ses capacités, n’est pas exposé aux yeux de la communauté internationale ? Pour que je comprenne, la Grèce s’expose si elle explique ce qu’elle a la capacité de supporter ? Ne s’expose-t-elle pas lorsqu’elle accueille un nombre de personnes qu’elle ne peut assumer et qui vivent dans des conditions déplorables ; dont certaines sont exploitées par les passeurs et sont utilisées comme mules pour passer de la drogue dans le centre d’Athènes pour pouvoir vivre. Les trafiquants de drogue les forcent, nous sommes au courant, cela se passe près de chez nous.
Nous avons une certaine résistance et  nous irons jusqu’au bout, bien entendu. Nous sommes Chrétiens et l’amour de nos prochains va de soi. Nous irons donc jusqu’au bout pour aider autant de personnes que nous pourrons. Mais nous ne pouvons pas aller au-delà de nos limites. C’est aussi simple que cela.

A. PORTOSALTE   : Je vous remercie beaucoup et vous souhaite une bonne journée et une bonne semaine.

November 25, 2019