Points principaux :
· «Nous éprouvons un soulagement après le résultat positif des élections. Le message des élections est une déclaration de soutien des électeurs grecs au programme du gouvernement.»
· «Le peuple grec est avant tout reconnaissant à l’Allemagne et à tous nos partenaires à l’UE pour la solidarité dont ils ont fait preuve en ces temps très difficiles. Toutefois, j’aimerais dire que rien n’est donné à titre gracieux à la Grèce. Il s’agit de prêts que nous rembourserons jusqu’au dernier centime, en tenant compte des intérêts».
· «Pour moi, il est important de ne pas imputer au peuple la responsabilité des erreurs commises par les gouvernements. Il existe une très belle fable d'Esope, celle qui parle de la fourmi travailleuse et de la cigale chanteuse. Cette image a souvent été diffusée ces derniers temps en parlant de la Grèce, mais elle est fausse. Les Grecs sont des fourmis travailleuses, éduquées et qui s’intéressent au bien de l’humanité.»
JOURNALISTE : Monsieur le ministre, vous éprouvez un soulagement après le résultat des élections dimanche? Car il faut savoir que votre premier ministre avait en réalité parlé d'élections-test pour le plan d'austérité et avait menacé de convoquer des élections anticipées.
M. D. DROUTSAS : Nous éprouvons un soulagement après le résultat positif des élections. Le message des élections est une déclaration de soutien des électeurs grecs au programme du gouvernement. Il ne faut pas oublier ou sous-estimer les conditions dans lesquelles ces élections se sont déroulées. Les élections locales sont toujours une bonne occasion pour les électeurs d’envoyer un message au gouvernement, quel qu’il soit. Ces douze derniers mois ont été très difficiles pour la population grecque. Chaque citoyen a directement été touché par les mesures que le gouvernement a été contraint de prendre. L’opposition a conservé une attitude particulièrement agressive et populiste, ce qui aurait pu avoir des conséquences très négatives en l’état actuel des choses.
JOURNALISTE : Le Premier ministre Papandréou a lié ces élections à sa propre chance politique et a menacé de convoquer des élections anticipées. N'y voyez-vous pas là un chantage?
M. D. DROUTSAS : Cela est tout à fait faux. La décision de poser clairement le dilemme aux électeurs a été un geste responsable du Premier ministre. Il s'agit d'un appel d'urgence fait au peuple afin qu'il prenne ces élections au sérieux. La préoccupation du Premier ministre n’était pas de conserver son poste mais d’achever les réformes.
JOURNALISTE : L’Allemagne, qui, avec la France, finance dans une large mesure le plan de sauvetage de la Grèce, est surprise de constater cette tendance des Grecs à faire la grève et à manifester. Ce qui a pour résultat que certaines réformes ne sont toujours pas appliquées, réformes que les Allemands eux-mêmes ont dû subir. Prenez l'exemple de l'âge de la retraite. Est-ce que les Grecs sont conscients que le pays est à la traîne sur de nombreuses questions par rapport au reste de l’Europe ?
M. D. DROUTSAS : Sans aucun doute, il est nécessaire de procéder à ces réformes importantes. Le gouvernement devait réagir rapidement pour éviter le pire, la faillite du pays. Les coupes sombres dans les salaires et les retraites en ont été la conséquence directe. Toutefois, pour soigner le mal par la racine dans notre pays, des réformes structurelles sont nécessaires, des réformes que le gouvernement a mises en œuvre en un temps record : la réforme fiscale, la réforme radicale dans le système des retraites. La réforme du système de la santé qui est en cours d’élaboration. Les élections locales ont été une innovation pour la Grèce car un nouveau système électoral a été appliqué, un système basé sur une réforme administrative consistant à réduire les niveaux d’administration, qui sont passés de cinq à trois. Il n’y a plus 50 régions administratives, mais 13, les municipalités et communes qui s’élevaient à plus de 1000 sont passées à 300 environ. De cette façon, la machine administrative a été réduite, les dépenses nationales aussi ainsi que les risques de corruption.
JOURNALISTE : En tant que journalistes allemands, lorsque nous écrivons un article sur la Grèce, nous recevons sur Internet des centaines de commentaires qui expriment la colère des Allemands. Vous connaissez très bien les Allemands, comment l'expliquez-vous?
M. D. DROUTSAS : D’un côté je comprends très bien ces sensibilités. Notre pays a commis de nombreuses erreurs dans le passé. Mais maintenant nous voulons sortir de ce cercle vicieux. La Grèce n'est pas un pays pauvre, simplement les années précédentes elle a mal été gérée par une administration publique excessivement centralisée qui fonctionnait mal et était dépensière. Maintenant nous sommes sur la voie de la construction d’une nouvelle Grèce.
JOURNALISTE : Comment expliqueriez-vous à un citoyen allemand qu’il doit faire lui même les frais des erreurs de l'administration publique grecque ?
M. D. DROUTSAS : Le peuple grec est avant tout reconnaissant à l’Allemagne et à tous nos partenaires à l’UE pour la solidarité dont ils ont fait preuve en ces temps très difficiles. Toutefois, j’aimerais dire que rien n’est donné à titre gracieux à la Grèce. Il s’agit de prêts que nous rembourserons jusqu’au dernier centime, en tenant compte des intérêts. Nous serions particulièrement reconnaissants si ce que les citoyens grecs ont réussi ces derniers mois était mis en avant et ils ont bien l'intention de continuer. Nous avons besoin de la reconnaissance de nos partenaires à l'UE dans ce parcours des réformes.
JOURNALISTE : Bien entendu, cette reconnaissance vous l’avez. Cependant, l’Europe a été surprise au début de la crise en Grèce de la force de ces manifestations contre les mesures, qui dans les autres pays d’Europe ont été appliquées depuis longtemps. Sans doute les Européens attendaient des Grecs de faire preuve de plus de réserve compte tenu de l’état de quasi-faillite du pays, de la tromperie volontaire des partenaires ?
M. D. DROUTSAS : Pour moi, il est important de ne pas imputer au peuple la responsabilité des erreurs commises par les gouvernements. Il existe une très belle fable d'Esope, qui parle de la fourmi travailleuse et de la cigale chanteuse. Cette image a souvent été diffusée ces derniers temps en parlant de la Grèce, mais elle est fausse. Les Grecs sont des fourmis travailleuses, éduquées et qui s’intéressent au bien de l’humanité.
JOURNALISTE : En dépit du plan de sauvetage, les Grecs critiquent particulièrement les Allemands. En raison des malheurs causés par les Nazis en Grèce, vos compatriotes s’attendaient à ce que les tons soient moins élevés. Et vous ?
M. D. DROUTSAS : Ces derniers temps, des paroles élogieuses me parviennent aux oreilles. Il est donc encore plus douloureux pour les Grecs, en des périodes de sacrifices, d’être la cible de critiques houleuses. Toutefois, le niveau des relations entre l’Allemagne et la Grèce est très élevé et la coopération entre les deux gouvernements n’a, à ma connaissance, jamais été aussi intense. J’espère que nous ne verrons pas de nouveau les tons monter.
JOURNALISTE : Bon nombre de vos compatriotes ont un sentiment d’injustice face à la crise. Seuls les « petits » paient les pots cassés, alors que l’élite de l’économie et de la politique n’est pas touchée. Dans la pratique, la poursuite pénale des politiciens corrompus se heurte à de graves obstacles qui la plupart du temps rendent impossible leur condamnation.
M. D. DROUTSAS : Beaucoup de choses doivent changer, mais la priorité doit être donnée à la justice sociale. La transparence et la méritocratie figurent tout en haut de notre agenda (NDLR : postes et responsabilités dans l’administration publique assignés aux meilleurs) afin que nous puissions éradiquer la corruption. Dans un avenir proche, nous simplifierons la procédure des poursuites pénale contre les politiciens accusés de corruption. Nous avons d’ores et déjà mis en place des commissions d’enquête au Parlement chargées d’enquêter sur les cas de suspicion de corruption.
JOURNALISTE : La Grèce est le seul pays de l’UE à disposer sans interruption depuis des décennies un cercle actif de terroristes d’extrême gauche. Cela gagne maintenant l’Europe. Un colis piégé a d’ailleurs été découvert à la chancellerie. Est-ce que la Grèce est transformée en pays d’exportation de terrorisme ?
M. D. DROUTSAS : Tout d’abord, permettez-moi de faire la constatation suivante : ces affaires n’ont aucun rapport avec le terrorisme international. Nous menons des enquêtes de façon professionnelle. Nous avons informé tous les pays impliqués en temps utile et avons assuré notre coopération avec nos partenaires à l’UE. Nous venons tout juste d’être informés qu’un colis piégé se trouvait à bord d’un avion à destination de Rome à l’attention du chef du gouvernement italien, Silvio Berlusconi ; nous avons réussi, en coopération aves les autorités italiennes, à faire atterrir l’avion à Bologne afin de désamorcer le colis par explosion contrôlée.
JOURNALISTE : Comment expliquez-vous cette colère, cette violence inhabituelle dans les manifestations contre le gouvernement ? Est-ce que le problème de la Grèce et du terrorisme peut s’apparenter à celui de l’Allemagne dans les années ’70 avec la Fraction armée rouge ?
M. D. DROUTSAS : Non, pas le moins du monde. Il ne faut pas oublier que la Grèce a connu une dictature militaire. Le sentiment démocratique en Grèce qui a particulièrement été réprimé pendant la dictature est très fort. Les auteurs de ces colis piégés sont des petits groupes marginaux qui ne trouvent aucun soutien au sein de la société grecque. La Grèce est un pays dans lequel règne la sécurité.
JOURNALISTE : Vous avez vécu quelques années en Autriche et en Allemagne. Que voudriez-vous instaurer dans votre pays, en parlant de lois, d’institutions, d’après ce que vous avez pu connaître « pendant la période de votre vie en Allemagne » ?
M. D. DROUTSAS : Ce que j’aimerais « importer » de la culture allemande en Grèce c’est un sentiment plus fort de discipline. La conscience naturelle prévalant en Allemagne quant au respect des règles quotidiennes. Cela commence par le respect du code de la route jusqu’au respect de la nature et le tri des déchets. Tous ces éléments sont profondément ancrés dans la conscience du citoyen allemand, tandis que pour les Grecs cela ne va pas encore de soi. A Berlin, j’ai rencontré mon ami de longue date, Frank-Walter Steinmeier qui s’est référé au débat actuel au Parlement et au sein de la société relatif au « diagnostic génétique préimplantatoire ». C’est une question que doivent examiner nos sociétés. Mais dans le débat public politique et social en Grèce, cette question ne figure pas à l’ordre du jour. Cela m’attriste profondément. Une telle discussion s’avère être un luxe à l’heure où l’on doit sauver notre pays.
November 11, 2010