Interview accordée par le ministre des Affaires étrangères Giorgos Gerapetritis au journal « TA NEA » et à la journaliste Alexandra Fotaki (16.12.2023)

images/stories/topstory/2023/20231216_gerapetritis_ta_nea.pngJOURNALISTE : Déclaration d’Athènes. Pourquoi ce texte est-il important ? Dans quelle mesure il engage la Grèce et la Turquie a rester dans des « eaux calmes » ? Quels sont les objectifs en vue de la nouvelle rencontre Mitsotakis-Erdogan au printemps ?

G. GERAPETRITIS : La Déclaration d'Athènes est un texte substantiel, de haute portée symbolique. Elle reflète la ferme volonté politique au plus haut niveau d'approfondir nos relations bilatérales, de définir les principes et les étapes de notre dialogue et de réaffirmer l'amitié qui nous lie. En référence explicite à la Charte des Nations unies et aux principes reconnus du droit international.

Cent ans après la signature du traité de Lausanne et 93 ans après le pacte d'amitié gréco-turc Venizelos - İnönü, la déclaration d'Athènes, bien qu'elle ne produise pas formellement d'engagements juridiques, cherche à faire un pas décisif afin d'aborder les fardeaux historiques du passé.

Les deux gouvernements poursuivront au cours de la nouvelle année leur coopération au niveau du dialogue politique, de l'agenda positif et des mesures de confiance.  Bien entendu, la mise en œuvre des accords signés lors du Conseil de coopération de haut niveau du 7 décembre fera l'objet d'un suivi et de nouveaux objectifs seront fixés. Cette coopération aboutira à la formulation d'une nouvelle feuille de route pour le dialogue, qui sera approuvée par nos dirigeants lors de leurs prochaines réunions à Ankara au printemps prochain et lors du sommet de l'OTAN à Washington en été. Nous, ministres des Affaires étrangères, serons évidemment en communication régulière et directe et les dirigeants des deux pays nous ont honorés du mandat de conduire l'ensemble du dialogue gréco-turc.

JOURNALISTE : À quoi peut-on s'attendre à partir de maintenant dans le cadre du dialogue politique ? Quel sera l'ordre du jour ? Allons-nous aborder les questions sur lesquelles nous sommes en désaccord ou allons-nous essayer de « geler »" le bon climat le plus longtemps possible sans toucher à ces questions ?

G. GERAPETRITIS : Dans le cadre du dialogue politique, les questions bilatérales et régionales sont discutées. Pour l'instant, les discussions, qui sont menées avec succès au nom du gouvernement grec par la secrétaire d’Etat, Mme Papadopoulos, se sont concentrées sur les questions de protection civile et de migration. Le dialogue politique comprend également une discussion sur l'établissement et le maintien de canaux de communication pour désamorcer les crises. Notre objectif est que les désaccords existants ne génèrent pas de tensions, ce qui nécessite une communication constante et directe entre les parties. Ces canaux ont contribué de manière décisive à la pérennité du climat d'apaisement de ces derniers mois. Et lorsque les conditions seront réunies, la prochaine étape pourrait être de discuter de la délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive en mer Égée et en Méditerranée orientale, seul différend susceptible d'être porté devant une juridiction internationale. Nous irons pas à pas. Nous n'avons pas peur du difficile, mais nous voulons agir avec sagesse.


JOURNALISTE : Un nouveau chapitre s'ouvre-t-il dans les relations gréco-turques ou biens est-ce que nous sommes tout simplement d’accord sur le fait que nous ne sommes pas d’accord ? Que signifie que le débat sur le plateau continental et la ZEE sera ouvert « lorsque les conditions seront réunies » ? La Cour internationale de justice de la Haye se profile-t-elle à l'horizon ?

G. GERAPETRITIS : Nous discutons aujourd'hui avec la Turquie sur une nouvelle base. Nous avons réussi à améliorer le niveau de compréhension mutuelle et à établir les relations interpersonnelles nécessaires. Cette nouvelle compréhension couvre divers domaines de coopération et se reflète dans des accords, des mémorandums et des déclarations communes. La déclaration d'Athènes sur l'amitié et le bon voisinage entre nous est le point culminant de ce nouveau chapitre, mutuellement bénéfique, de nos relations bilatérales.

La prochaine grande étape pourrait bien être la discussion sur la délimitation du plateau continental et de la zone économique exclusive. La maturation des conditions pour entamer cette discussion renvoie à la poursuite de la consolidation d'un climat de sérénité dans notre région, à la consolidation des mécanismes de désamorçage des tensions et à la mise en œuvre effective des accords et mémorandums déjà signés. Nous avons dit dès le départ que le rapprochement entre les deux pays devait se faire par étapes, avec prudence et circonspection. Nous ne nous limiterons pas aux choses faciles, nous ne nous cacherons pas lorsque les choses seront difficiles. Mais il est important, pour chaque étape ultérieure, que la volonté sincère et authentique des parties ait été démontrée dans la pratique et dans le temps et que des résultats tangibles aient été produits par les étapes précédentes des consultations.

JOURNALISTE : Erdoğan a campé sur ses positions concernant la minorité musulmane de Thrace, mais il ne s'y est pas rendu. Au lieu de cela, des membres de la minorité sont venus le rencontrer, dont deux députés. La question a-t-elle été abordée lors de la rencontre Mitsotakis-Erdogan ?


G. GERAPETRITIS : En effet, contrairement à ce qui s'est passé dans le passé, le président turc, lors de sa visite en Grèce, ne s'est pas rendu en Thrace. Il s'est positionné dans ses déclarations sur la minorité musulmane, comme l'a fait le Premier ministre grec. L'égalité et la protection des citoyens de la minorité musulmane relèvent de la responsabilité souveraine de l'État grec. En ce sens, aucune question de ce type n'a été ou ne peut être soulevée. Le gouvernement grec travaille sans relâche pour reconnaître l'égalité des chances et améliorer le niveau de vie de tous les citoyens et souhaite que les minorités deviennent des ponts entre les deux peuples.

JOURNALISTE : La question des migrants – réfugiés passe d’un terrain de conflit à un pont de coopération entre la Grèce et la Turquie, qui est reliée à l’UE. Comment l'évaluez-vous et comment pouvons-nous aller de l'avant ?

G. GERAPETRITIS : Dans l'intérêt commun des deux pays et pour éviter les pertes humaines, nous devons coopérer pour contrôler l'immigration irrégulière et lutter contre les réseaux de trafic illégal. La vérité est que nous constatons une réduction des flux migratoires grâce à la coopération systématique entre toutes les agences concernées et à la gestion efficace des frontières terrestres et maritimes. Nous continuerons à travailler dans cette direction. La question des migrants et des réfugiés est, après tout, au sommet de l'agenda européen. Notre pays joue un rôle de premier plan dans le débat en cours au sein des institutions européennes sur le nouveau pacte sur l'immigration et l'asile.
Dans le cadre de ce débat plus large s’inscrit la question d'un soutien financier supplémentaire de la Commission européenne à la Turquie, avec pour objectif un contrôle plus efficace des frontières et l'amélioration des structures d'hébergement des réfugiés sur le territoire turc. Et, bien sûr, nous devons envisager avec sérieux et clairvoyance la question de l'immigration légale, qui est avant tout liée aux besoins en main-d'œuvre de notre pays.

JOURNALISTE : L' « agenda positif » a son importance dans le dialogue. Le Premier ministre s'est fixé pour objectif de doubler le commerce bilatéral. Des accords sont-ils prévus pour ouvrir de nouvelles possibilités dans la période à venir ? Le président turc a également mis l'énergie à l'ordre du jour. Peut-il y avoir une coopération énergétique et sur quelle base ?

G. GERAPETRITIS : L'agenda positif crée un héritage de bénéfices mutuels et d'apports économiques extrêmement importants. Il ne s'agit pas de mesures abstraites de coopération ou de conception commune, mais d'accords assortis de résultats concrets et de calendriers. Il comprend des mesures de coopération dans des domaines importants tels que l'esprit d'entreprise, le tourisme, les transports, l'innovation, la science et la technologie, l'agriculture, l'environnement, la sécurité sociale, la santé, l'éducation et le sport. En fait, une importante délégation d'entreprises grecques dirigée par le secrétaire d’Etat, M. Fragogiannis, qui fait un excellent travail dans le domaine de la diplomatie économique et de l’extraversion, doit se rendre à Istanbul en février prochain pour explorer les possibilités d'investissement et les synergies.

En ce qui concerne la coopération énergétique, je voudrais rappeler qu'elle existe déjà, puisque le gazoduc transnational TAP part de la frontière gréco-turque et constitue en fait une extension du gazoduc TANAP. La coopération entre les deux pays dans le secteur de l'électricité s'est élargie avec la signature du protocole d'accord entre ADMIE et son homologue turc TEIAS dans le domaine de l'interconnexion électrique. Le protocole d'accord concerne la construction d'une nouvelle ligne d'interconnexion entre Nea Sanda et Babaeski dans le but d'améliorer l'interconnexion électrique entre la Grèce et la Turquie et d'augmenter le volume du flux d'énergie bidirectionnel de 600 MW.

Nous estimons que l'objectif de doubler le volume des échanges de 5,5 milliards d'euros à 10 milliards d'euros est réaliste et réalisable. Nous avons déjà établi la carte stratégique pour atteindre cet objectif et nous travaillerons de manière systématique et professionnelle en mettant en œuvre les accords qui ont été conclus et en en concluant de nouveaux dans un avenir proche.


JOURNALISTE : Vendredi, Rama a déclaré que la Grèce n'avait pas raison dans l'affaire Beleri, qu'elle ne concernait pas la minorité et que lui-même n'était pas impliqué. J'aimerais avoir votre avis.

G. GERAPETRITIS : Le gouvernement grec a souligné à plusieurs reprises et de manière cohérente que l'entrée en fonction du maire élu de Himara est purement une question de volonté politique et d'action administrative. Notre pays n'a pas l'intention de s'immiscer dans les procédures internes du système judiciaire albanais. Toutefois, le respect du droit politique de M. Beleri à se présenter aux élections et la volonté exprimée par les citoyens de Himara ne peuvent être ignorés. Cela est contraire à l'État de droit et à la protection des droits des minorités. D'autant plus que le sujet de droit est en détention provisoire, qu'il n'a pas été reconnu coupable par un tribunal et que, malgré le temps écoulé, le procès sur le fond de l'affaire n'a même pas commencé. Nous attendons donc du gouvernement albanais qu'il fournisse des exemples concrets de l'application de l'acquis européen, et non qu'il commente un procès en cours. Pour la raison supplémentaire que, selon la jurisprudence explicite de la Cour européenne des droits de l'homme, l'expression de jugements défavorables par des fonctionnaires du gouvernement à l'encontre d'une personne accusée constitue une violation manifeste de la présomption d'innocence.

December 18, 2023