JOURNALISTE : Deux ans se sont écoulés depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Comment avez-vous perçu les résultats de la conférence organisée par le président Macron en soutien à l'Ukraine à Paris? Y a-t-il vraiment une possibilité d'envoyer des troupes européennes sur place? Et comment la Grèce peut-elle contribuer à la reconstruction de l'Ukraine dans la période à venir?
G. GERAPETRITIS : Dès le premier jour de l'invasion illégale russe, la Grèce a été solidaire de l'Ukraine et de sa lutte pour défendre sa souveraineté et son intégrité territoriale. Défendre les valeurs de la démocratie libérale et du droit international contre l'agression et le révisionnisme est pour nous une position de principe. À Paris, les moyens de renforcer l'assistance à Kiev ont été examinés, mais je tiens à préciser que pour la Grèce, il n'est pas question d'envoyer des troupes. En août dernier, nous avons accueilli le président Zelenski à Athènes et avons exprimé notre soutien à la perspective européenne de son pays. Récemment, nous avons organisé une conférence internationale sur la reconstruction de l'Ukraine au ministère des Affaires étrangères, en collaboration avec la Banque européenne d'investissement, où nous avons évalué les moyens de reconstruire un pays exsangue.
JOURNALISTE : Lors de votre discours au Raisina Dialogue de cette année à New Delhi, vous avez parlé de 2024 comme d'une « année au cours de laquelle plus de la moitié de la population mondiale se rendra aux urnes pour façonner l'avenir du monde », en soulignant que « la démocratie doit réussir ». Quels sont les scrutins qui devraient préoccuper le plus la Grèce et quels scénarios devrions-nous être prêts à gérer en cas de résultats défavorables pour notre pays et l'humanité?
G. GERAPETRITIS : Nous vivons à l'ère des divergences multiples et des défis majeurs. En termes de divergences, les intersections entre le Nord-Sud et l'Est-Ouest sont recherchées, avec des forces plus centrifuges que centripètes. En termes de défis, l'omniprésence des crises - climatique, alimentaire, sanitaire - appelle des solutions universelles qui transcendent les frontières et les horizons temporels. Dans un environnement mondialisé aussi complexe, une démocratie qui fonctionne doit être cohésive et inclusive, tournée vers l'avenir et vers l'extérieur. Il a été douloureusement démontré que les démocraties sont vulnérables face au populisme et à la démagogie. Mais le prix à payer dans ces cas peut être lourd et avoir un effet multiplicateur sur les individus, les communautés et les pays. Il n'est pas réaliste de s'attendre à ce que l'évolution soit linéaire, surtout en cette année où la moitié de la population mondiale se rend aux urnes. Il est du devoir d'une politique étrangère cohérente d'élaborer tous les scénarios possibles et d'entreprendre une exploration prospective afin d'être en mesure de gérer toute asymétrie. Et c'est ce que nous faisons. Avec sérieux, professionnalisme et un patriotisme sain.
JOURNALISTE : Comment envisagez-vous le corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe (IMEC) pour panser les plaies de la région au sens large et quels sont les avantages concrets attendus pour notre pays?
G. GERAPETRITIS : La Grèce souhaite, par le biais du corridor économique IMEC, être la porte d'entrée de l'Inde sur le marché européen. Nous sommes l'État européen le plus proche de l'Inde, le pays qui possède le plus long littoral d'Europe et la flotte marchande la plus puissante. Le corridor économique favorise la connectivité, le commerce international et la coopération régionale et énergétique, avec des avantages économiques évidents pour notre pays. À cette fin, nous sommes également en contact avec les pays de transit du corridor afin de créer des synergies pour le développement des infrastructures nécessaires. Nous ne négligeons pas les problèmes qui ont surgi avec la guerre à Gaza et ses graves retombées. Cependant, les effets déstabilisants ne peuvent pas invalider la forte logique qui sous-tend le corridor économique. Il s'agit d'un projet visionnaire qui va au-delà du commerce, des communications et de l'énergie. Je pense qu'il peut devenir un vecteur de paix et d'interaction entre les cultures, dans lequel la Grèce, de par sa nature et sa conception, a un rôle important à jouer.
JOURNALISTE : Dans quelle mesure la Grèce doit-elle se préoccuper de la crise en mer Rouge et qu'entendez-vous exactement par «une opération globale de protection de la sécurité maritime», que vous avez mentionnée dans une récente interview ?
G. GERAPETRITIS : Le maintien de la sécurité maritime est d'une importance majeure. Il concerne la vie de nos marins, le transport maritime grec, l'économie mondiale, la chaîne d'approvisionnement et la sécurité énergétique et alimentaire internationale. C'est un défi qu'aucun pays ne peut relever seul, mais qui nécessite une coopération internationale à plusieurs niveaux. En mer Rouge en particulier, la Grèce a une forte présence à la fois sur le plan de la coordination et sur le plan opérationnel. Lorsque vous êtes une puissance de premier plan dans un domaine, comme c'est le cas pour le transport maritime mondial, vous ne pouvez pas vous cacher et vous devez aller de l'avant.
JOURNALISTE : Lors de la visite de votre homologue palestinien à Athènes, vous avez déclaré que notre pays était «préoccupé par l'escalade de la tension à Gaza et ses retombées en Cisjordanie, au Sud-Liban, en Syrie et en mer Rouge». Quelle marge de manœuvre voyez-vous pour que la diplomatie aboutisse et quelles initiatives la communauté internationale pourrait-elle prendre? La Grèce peut-elle jouer un rôle?
G. GERAPETRITIS : La situation à Gaza est extrêmement critique. Et toute opération à Rafah, compte tenu des conditions géographiques et démographiques particulières, pose de nouveaux risques humanitaires graves. Il est impératif que les hostilités cessent immédiatement et que l'aide humanitaire soit assurée sans entrave. Des efforts diplomatiques parallèles sont actuellement déployés pour ramener la paix dans la région. Il est important que ces efforts soient coordonnés afin de parvenir à une paix durable. La Grèce est l'un des rares pays à discuter avec toutes les parties et c'est pourquoi nous pouvons jouer un rôle constructif.
JOURNALISTE : Dans son discours au Parlement sur le projet de loi sur les couples de même sexe, l'ancien Premier ministre Antonis Samaras a attaqué le gouvernement sur les relations gréco-turques, à l'occasion de la signature de la « Déclaration d'Athènes sur l'amitié et les relations de bon voisinage », l'accusant d'avoir une « confiance en soi excessive qui pourrait l'amener à perdre le contact avec la réalité ». Comment réagissez-vous à cette déclaration ? Le récent Navtex turc et la signification d’une note verbale du ministère grec des Affaires étrangères à la partie turque doivent-ils être interprétés comme le signe d'un regain de tension dans la mer Égée ? Si Ankara maintient un tel climat dans les semaines à venir, craignez-vous que cela n'affecte les prochaines étapes du dialogue gréco-turc?
G. GERAPETRITIS : La confiance, ainsi que la prudence et une perception correcte des faits, sont des caractéristiques nécessaires dans un dialogue aux caractéristiques complexes et au poids historique. C'est dans cet esprit que nous aborderons les prochaines étapes de notre calendrier serré, à savoir le dialogue politique le 11 mars, les mesures de confiance le 11 avril, l'agenda positif le 15 avril et, bien sûr, la visite du Premier ministre à Ankara en mai. Je ne crois pas qu'il soit possible de résoudre des problèmes de longue date du jour au lendemain. Et, bien sûr, je comprends que les deux pays maintiennent leurs positions fondamentales, ce qui a d'ailleurs été explicitement consigné dans la déclaration d'Athènes. Cela n'empêche pas que la rhétorique soit en principe plus douce et que les sources de tension soient moins nombreuses. Nous devons faire un choix fondamental: continuer, comme par le passé, à être dans un état de tension constante dans nos relations avec la Türkiye, ou discuter avec sobriété et dans un esprit de consultation, de manière à rechercher des convergences et à ne pas permettre que chaque désaccord se transforme en crise. Nous devons tous faire face à ce dilemme de manière responsable et sans aphorismes. Car il en va de la paix et de la prospérité de notre pays pour le présent et l'avenir.
JOURNALISTE : Le 1er mars 2023, sur décision du Premier ministre, vous avez pris la tête du ministère de l'Infrastructure et des Transports après l'accident ferroviaire de Tempi. Comment voyez-vous actuellement l'évolution de cette affaire et que pensez-vous de la situation des chemins de fer en Grèce en termes de sécurité des déplacements des citoyens?
G. GERAPETRITIS : L'accident de Tempi est une tragédie nationale indescriptible. Personne ne peut ressentir la douleur des personnes qui ont perdu leurs proches d'une manière aussi tragique. L'enquête judiciaire, qui se poursuit à un rythme soutenu, n'est qu'une partie du devoir de catharsis. En outre, l'infrastructure ferroviaire doit être correctement entretenue et constamment améliorée, les mesures de sécurité doivent être renforcées et les services doivent être dotés de ressources humaines compétentes. Les organismes compétents déploient en effet des efforts considérables, malgré les conditions défavorables qui se sont présentées, telles que les inondations désastreuses qui ont frappé la Thessalie à l'automne dernier. La page noire de Tempi doit nous hanter et nous rappeler à notre responsabilité. Pour que plus jamais nous ne pleurions des vies humaines sur les chemins de fer grecs.
JOURNALISTE : Quelle est votre vision de la Grèce et surtout de la politique étrangère grecque de demain?
G. GERAPETRITIS : J'imagine un pays dans lequel les citoyens se sentent en sécurité et fiers de leur pays. Un pays qui est un modèle pour relever les défis mondiaux, avec un État de droit fort et un grand capital international. Pour cette Grèce de la crédibilité et de la confiance, nous travaillons sérieusement et méthodiquement. Nous reconnaissons que nous devrons parfois prendre des décisions difficiles, non seulement pour la société d'aujourd'hui, mais aussi pour les générations futures, auxquelles nous devons laisser en héritage une Grèce forte et un voisinage pacifique. À cette fin, je ne me préoccupe pas d'être populaire pour moi-même, mais d'être bénéfique pour mon pays.
March 2, 2024