JOURNALISTE : Nous avons le plaisir et l'honneur d’avoir en ligne le ministre des Affaires étrangères, M. Giorgos Gerapetritis, à un moment particulièrement critique pour la région, mais aussi pour l'évolution de nos questions nationales. Nous le remercions vivement de sa présence parmi nous et lui souhaitons la bienvenue à l’émission « Proines diadrommes ». Monsieur le Ministre, bonjour.
G. GERAPETRITIS. Bonjour. C'est un grand honneur, Madame Georgiou, Monsieur Adamopoulos. Nous sommes vendredi 13, et je ne ferai aucun commentaire.
JOURNALISTE : Oui, ne parlons pas de malheur. Nous nous en tenons au fait que nous sommes à 12 jours de Noël. Commençons notre conversation, Monsieur le Ministre, par la réunion d'aujourd'hui du Conseil gouvernemental Affaires étrangères et Défense (KYSEA), étant donné qu'il semble que les développements en Syrie réarrangent l'équilibre géopolitique dans la région et créent de nouvelles réalités. Je voudrais vous demander si ces nouvelles réalités préoccupent le gouvernement grec, toujours en relation avec le développement du dialogue que nous avons avec la Türkiye, qui semble sortir renforcée de ces développements et vouloir jouer un rôle actif dans la région.
G. GERAPETRITIS : Tout d'abord, je voudrais souligner que la situation est encore extrêmement récente et instable et c'est pourquoi nous devons éviter de tirer des conclusions hâtives. Nous devons observer, anticiper les développements, être prêts à gérer les situations, jouer un rôle actif et substantiel. Et à partir de là, nous réévaluerons constamment la situation.
Pour l'instant, la situation est la suivante. Nous avons eu la chute du régime Assad, un régime qui, par son autoritarisme, a créé d'énormes problèmes dans la région. Mais nous avons aussi un pays qui est en proie à des ingérences extérieures, qui ont mis trop de pression sur ses citoyens. Ce qui semble se dessiner actuellement, c'est un gouvernement de facto composé de groupes islamistes qui ont repris la majeure partie de la souveraineté de l'État. Il reste des enclaves kurdes, qui ont été créées dans le nord-est. Et, bien sûr, il y a les bases russes en Méditerranée. La réalité est que des pays qui ont longtemps exercé une influence, soit par le biais du financement, soit par la force, tentent d'imposer leur participation.
Je voudrais rappeler que cette question est suivie de près, tant par l'Union européenne que par les Nations Unies. Pour notre part, nous sommes en contact permanent avec tous les acteurs de la région, en particulier les pays du monde arabe. Ces dernières années, la Grèce a développé une coopération très forte avec les pays de la région. Nous avons une empreinte très importante dans cette région. Comme vous le savez, dans moins de 20 jours, la Grèce occupera une position extrêmement critique et importante en tant que membre du Conseil de sécurité, là où le nouvel ordre de l'architecture de sécurité internationale se façonnera.
Quant à savoir si l'évolution des relations gréco-turques sera affectée, je pense qu'il est encore difficile de l'évaluer. Ce que je dis toujours, c'est que la politique étrangère grecque a le pouvoir en ce moment, de sorte qu'elle ne soit pas définie par des facteurs extérieurs. Nous évaluons également, bien sûr, la position et l'attitude de la Türkiye dans la région. Nous sommes en train de redéfinir, mais nous comprenons tous que l'important, avant tout, est de renforcer notre propre position diplomatique internationale, de sorte que nous puissions toujours discuter en position de force.
JOURNALISTE : Le rôle accru de la Türkiye dans les développements de la région au sens large, et en particulier dans les développements que nous connaissons en Syrie, jette-t-il une ombre au dialogue gréco-turc, l’affecte-t-il ?
G. GERAPETRITIS : Je pense qu'à l'heure actuelle, le dialogue se déroule sur la base d'une discussion structurée. Ce qui différencie le débat actuel, Madame Georgiou, des débats passés - et bien sûr, nous devons tous comprendre qu'il n'y a jamais eu de Premier ministre ou de ministre des Affaires étrangères qui n'ait pas discuté avec la Türkiye - ce qui est crucial en ce moment, c'est, premièrement, que la Grèce est dans une position diplomatique extrêmement forte, en raison du fait que nous avons des positions très importantes sur la scène internationale, mais aussi des alliances stratégiques fortes, régionales et internationales. Deuxièmement, le dialogue avec la Türkiye se déroule sous un régime qui n'est pas un régime de pression. Je voudrais vous rappeler que les discussions qui avaient eu lieu dans le passé se déroulaient alors que nous avions des centaines de violations de l'espace aérien grec chaque jour. Nous comprenons donc que le fait que nous ayons réussi à avoir un débat organisé, structuré et basé sur certaines caractéristiques positives, sans négliger les différends fondamentaux qui subsistent et qui sont en vigueur depuis des décennies, est, je pense, ce qui distingue le dialogue gréco-turc. S'il y a un impact, quel qu’il soit, nous comprenons tous que nous devrons procéder à une redéfinition. Mais je pense que, parce qu'il s'agit d'un dialogue organisé, basé sur les trois piliers que sont les mesures de confiance, l'agenda positif et le dialogue politique, il n'est pas affecté pour le moment.
JOURNALISTE : Parce que maintenant la question suivante se pose. Ce dialogue mène-t-il quelque part ? Étant donné que nous avons entendu le Premier ministre se montrer pessimiste. Ou est-ce qu'on discute pour discuter, dans le cadre du maintien des eaux calmes, ce qui n'est pas rien, mais en tout cas cela ne fait pas avancer les relations gréco-turques.
G. GERAPETRITIS. Laissez-moi vous répondre, M. Adamopoulos. Il y a une perception, qui est principalement celle de densité du temps politique. Nous comptons bientôt 16 mois d’action organisée s’agissant du dialogue gréco-turc, et ce depuis septembre 2023, date à laquelle il a commencé avec la décision des deux dirigeants. Il s'est passé beaucoup de choses pendant cette période. Mais il est évident que tout n'a pas été fait et que toutes les étapes qui pèsent sur l'histoire des deux pays n'ont pas été franchies. Des accords très importants ont été conclus au niveau de l'agenda positif, c'est-à-dire au niveau de l'économie, du commerce et du tourisme. Il y a eu des accords importants sur la coopération dans la lutte contre les trafics illégaux, c'est-à-dire sur la migration. Il y a eu d'importantes synergies en termes de mesures de confiance au niveau militaire. Les violations de l'espace aérien ont été réduites à pratiquement zéro. Ces mesures ont été mises en place et je pense qu'il est important que nous puissions les maintenir à ce niveau. Et bien sûr, l'ancienne rhétorique intolérante et hostile a été réduite. Ce qui ne s'est pas produit, c'est que nous n’avons pas franchi ce grand pas en avant, qui consiste à parler davantage des questions sous-jacentes qui sont à l'origine des tensions et des crises actuelles. Et je parle évidemment de la délimitation de la ZEE et du plateau continental, comme vous le dites à juste titre.
JOURNALISTE : Le seul différend que nous reconnaissons. Mais il existe une certaine perception et une critique quant à la manière dont le dialogue est mené. A savoir que de la façon dont il est conduit, il favorise en fait la Türkiye, qui normalise ses relations avec l'Union européenne, alors que nous semblons en fait être dans un état de langueur quant à notre principale demande, sur le seul différend. Et nous avons entendu hier M. Venizelos, par exemple, dire que nous avons évité les incidents majeurs, mais que la liste des revendications unilatérales turques s'est allongée.
G. GERAPETRITIS : Avec tout le respect que je vous dois, ce n'est pas le cas. Ce sont des choses simples. Je pense qu'elles sont objectives et qu'elles n'ont pas besoin de preuves. Je ne suis pas sûr que M. Venizelos ait dit exactement cela, mais je vais vous dire exactement ce qu'il en est. Les grandes questions, qui reproduisent les crises, sont celles qui sont bien connues. Il s'agit de la « patrie bleue », de la démilitarisation, des zones grises que pose la Türkiye. Ces questions remontent à des décennies, elles ne sont pas apparues aujourd'hui. Ce qui est apparu aujourd'hui, c'est en fait le renforcement de la puissance de la Grèce, et pas seulement sur le plan diplomatique, c'est-à-dire sur la scène internationale. Il s'agit du renforcement de la Grèce dans sa défense. Nous comprenons tous ce que signifie le renforcement de la marine et de l'armée de l'air grecques par rapport à la capacité de négociation dont nous disposons. La stabilité de l'économie grecque a été renforcée et consolidée. Et tout cela contribue à son pouvoir de négociation. Ainsi, bien que, comme vous le dites à juste titre, ces revendications, les revendications maximalistes de la Türkiye restent en vigueur et que tout le monde, même les plus optimistes, ne pouvait pas s'attendre à ce que la Türkiye abandonne ces questions en quelques mois, ce qui est vrai, c'est que nous avons réussi à contrôler, si tant est qu'il y en ait, les questions qui provoquent les crises quotidiennes.
Tant que ces revendications maximalistes de la Türkiye resteront en vigueur – et même les plus optimistes ne pourraient pas s’attendre à ce que la Türkiye abandonne ces questions en l’espace de quelques mois - ce qui est vrai, c'est que nous avons réussi à contrôler, si tant est qu'il y en ait, les questions qui génèrent les crises quotidiennes.
Et si vous me demandez si je suis optimiste ou non, la réponse est évidemment que nous ne sommes pas en mesure, pour le moment, de discuter de cette question. En effet, pour discuter d'une question aussi complexe, qui remonte à des décennies et qui comporte, si vous voulez, une grande dimension technique sur la base du droit international, comme la délimitation, il faut avant tout comprendre ce dont nous discutons. La Grèce - je l'ai dit à plusieurs reprises et je le répète - ne discute que de la question de la délimitation de la zone économique exclusive et du plateau continental. Elle ne considère pas qu'il y ait d'autres questions et ne mettra jamais à l'ordre du jour du dialogue des questions de souveraineté, dont nous comprenons bien qu'elle conserve le droit inaliénable de les contrôler de manière absolue. Par conséquent, dans la mesure où il n'y a pas de convergence sur le seul et unique différend, il n'y aura pas de débat sur ces questions.
JOURNALISTE : Monsieur le Ministre, nous avons deux questions à vous poser, car je sais que votre temps est extrêmement limité et nous le respectons pleinement. La première question concerne - je suppose que vous vous y attendez - les critiques que le gouvernement a reçues dernièrement, des critiques intenses, de la part des deux anciens Premiers ministres. M. Samaras est même revenu à la charge hier, de manière particulièrement acerbe, et vous a même attaqué personnellement en disant que vous auriez dû quitter le gouvernement. Cela donne l'impression que quelque chose ne va pas dans la gestion de la situation de la part du gouvernement grec. Car même si, à plusieurs reprises, tant vous personnellement que le Premier ministre et d'autres représentants du gouvernement ont clarifié ce que vous venez de mentionner au sujet des questions de souveraineté, ces questions reviennent sans cesse. Pour ce qui est du cas d'Antonis Samaras, avez-vous un commentaire à faire ?
G. GERAPETRITIS : Je ne vais pas faire de commentaires sur M. Samaras. M. Samaras a ses antécédents historiques et il sera évalué par l'historien de l’avenir. Je vais parler de ma propre position. Et ma position est très, très simple et très, très spécifique. Je porte devant l'Assemblée et le peuple grec les résultats spécifiques qui ont émergé du dialogue gréco-turc. Ces résultats sont les suivants : nous sommes revenus à une période de normalité relative. Nos îles sont actuellement dans une situation où elles ne vivent pas dans la peur. Nous avons développé plus que jamais l'empreinte de la diplomatie grecque. Nous n'avons pas, Monsieur Adamopoulos, le syndrome de la peur. Nous ne sommes pas envahis par un sentiment de peur de devoir entrer dans le débat depuis une position de faiblesse. Nous servons une politique qui, vous le savez, n'est pas la mienne. Je mets en œuvre la politique qui est définie sous la direction du Premier ministre par le Cabinet et par le KYSEA. Il s'agit donc d'une politique collective du gouvernement. Quoi qu'il en soit, permettez-moi de vous dire une dernière chose. Je ne peux pas répondre à des positions qui ne reposent sur aucun fait objectif particulier. L'idée que, vous savez, parce que j'ai une longue discussion avec un ministre - mais de quoi le ministre discute-t-il – ne peut trouver de réponse à ce niveau. Tout comme il ne peut être trouvé de réponse à la question de savoir si nous prévoyons des concessions. Je serai clair. Chacun peut avoir sa propre perception de la façon dont les choses se passent. Il y a un gouvernement légitime qui, par le biais de ses organes collectifs, exercera sa stratégie et sera finalement jugé par le peuple grec. C'est sur cette base que nous agirons. Il n'y a jamais eu, et il n'y aura jamais, la moindre concession. Mais l'idée que des cris de guerre peu coûteux ou un immobilisme dogmatique résoudront comme par magie les problèmes qui n'ont pas été résolus depuis cinquante ans est tout simplement un leurre.
JOURNALISTE : Revenons à la réunion du KYSEA avant de clôturer notre entretien. Elle aura lieu dans moins d'une heure et portera sur la question du gel de la demande d'asile des réfugiés syriens ? Toute l'Europe est préoccupée par cette question.
G. GERAPETRITIS : C'est évidemment à l'ordre du jour. Je répète que c'est une question qui est toujours affectée par la situation en Syrie, qui n'est pas finalisée, elle évolue de manière dynamique. Toute décision sera prise en synergie avec nos partenaires de l'Union européenne et certainement avec la synergie des Nations Unies.
JOURNALISTE : Donc, nous attendons.
G. GERAPETRITIS : Exactement.
JOURNALISTE : Merci beaucoup, Monsieur le Ministre.
G. GERAPETRITIS : Je vous remercie également.
JOURNALISTE : Nous aussi. Bonne journée, Monsieur le Ministre.
December 13, 2024